J'attends quelqu'un. Jérôme Bonnell

j'attends quelqu'unJ’attends quelqu’un se passe dans une petite ville de province ; dans un petit bar-restaurant, Le café de la paix ; dans une voiture ; dans une petite chambre d’hôtel ; au seuil des maisons, parfois à l’intérieur, lorsque l’intimité s’installe, et le danger qui va avec …

Des personnages s’y croisent, s’y rencontrent, peuvent s’y aimer.

Hormis Stéphane, le plus jeune mais pas le moins mélancolique, tous sont ordinaires, installés dans "quelque chose" ; et ce quelque chose, c’est leur vie.

Petit à petit, Jérôme Bonnell nous fait découvrir ces vies-là, ces personnages banals et pourtant infiniment singuliers, les liens qui les unissent et ce qui les sépare.
Ce sont précisément ces liens-là, tels qu’ils sont tracés, mais aussi dans ce qu’ils ont de mouvants, qui vont révéler les failles et les manques.

Car sans se plaindre une seule seconde, ils semblent pourtant tous espérer quelque chose de plus. Ou autre chose. Ou différemment. Quelqu’un.

Le scénario de J’attends … est impossible à raconter mais tient la route de bout en bout.
Jérôme Bonnell évite tous les écueils dans lesquels ce film choral aurait pu tomber, le côté tribu-tous ensemble, la démagogie générationnelle, le tableau de province éculé, les bons sentiments…

Rien de torturé pourtant, rien d’excessif, simplement de la sensibilité, de la joie, de l’attente et de l’espoir, des sourires, des rires, des yeux qui se baissent et d’autres regards qui se croisent, des larmes qui montent aux yeux et parfois débordent.
La vie, fraîche et mélancolique, telle qu’elle est.


Coup de coeur : 

Pour les comédiens, extraordinaires de justesse : Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca et, encore à part, Florence Loiret-Caille

J’attends quelqu’un. Jérôme Bonnell
Avec Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca, Florence Loiret-Caille, Sylvain Dieuaide …
Durée : 1h 36min.

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Nouveau Réalisme. Galeries du Grand Palais

nouveau réalismeLa trajectoire individuelle de certains d’entre eux leur a valu une large renommée : César et ses compressions, Christo et ses empaquetages, Niki de Saint Phalle et ses Nanas …
D’autres sont moins connus, tels Martial Raysse, Dufrêne, Rotella, …

Tous sont réunis aux Galeries nationales du Grand Palais autour de l’exposition Nouveau Réalisme, nom qu’en 1960 le critique d’art Pierre Restany donna a ce mouvement qui ne dura qu’une petite dizaine d’années, de la fin des années 1950 au milieu des années 1960.

Leur crédo ? Renouveler le langage plastique à une époque où l’abstraction lyrique règne, en puisant leur inspiration dans l’univers quotidien et urbain, loin de la palette et du pinceau.

Ils vont ainsi créer à partir d’objets de consommation courante – ce qui est aussi une marque de l’époque qui assiste à la montée du consumérisme –, organiser des manifestations-spectacles … et, semble-t-il, s’amuser comme des petits fous.

Villeglé lacère des affiches, évide les motifs, crée le relief, joue avec les couleurs juxtaposées, réduisant les mots et les images à des fragments, dans une inspiration très Pop Art.
Une désorientation dans la ville que Christo utilise aussi, lorsqu’en 1962, il coupe la rue Visconti à Paris pendant 8 heures, en réaction à la construction du mur de Berlin l’année précédente.

L’objet est au centre de toutes leurs créations, qu’il s’agisse de l’empaqueter (Christo), le photographier (Daniel Spoerri va ainsi photographier pendant 10 ans toutes les toilettes où il se rend, en hommage à Marcel Duchamp, le père du ready-made mort en 1968), le brûler ou le détruire (Arman avec sa Vision calcinée ou encore le piano détruit), le démonter pour mieux le rassembler (les folles machines de Tanguely), le compresser, (César) …
Quant à Yves Klein, il joue avec la couleur (son bleu fameux), le vide, les corps (on retrouve, entre autres, ses anthropométries).

Autant dire que, dans la veine pleine de fantaisie et d’inventivité du surréalisme, les néo-réalistes s’appliquèrent à n’accepter aucune limite.

Et c’est avec une curiosité enjouée qu’on revisite ces artistes dans un parcours riche en surprises, débordant d’audace, d’insolence enfantine et de bonne humeur.

Galeries nationales du Grand-Palais
Square Jean-Perrin – Paris 8ème
M° Champs-Elysées-Clémenceau
Jusqu’au 2 juillet 2007
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 20 h, sauf le mercredi jusqu’à 22 h
Entrée 10 € (TR : 8 €)
Catalogue de l’exposition, 352 p., 45 €
Egalement, la réédition du Manifeste des Nouveaux Réalistes
par Pierre Restany, (Dilecta, 14 p., 8 €)

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L'Aventure orientale. Galerie Le Château d'Eau (Toulouse)

aventure orientaleProposant plus de deux cents tirages originaux d’époque, cette exposition est la plus riche consacrée à ce jour au travail des ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.

Le visiteur est ainsi transporté dans l’Egypte des années 1870 et 1880, près des grandes pyramides, du temple de Louxor, mais surtout au Caire, pour des scènes de rue « typiques » : épiciers, bazars, restaurateurs ambulants, écrivain public, groupes d’hommes fumant et jouant devant un café ; scène d’école, où une poignée d’enfants sont assis par terre autour d’un homme âgé qui officie une longue baguette rudimentaire à la main, l’air infiniment grave et sérieux.

Les nouveaux « reporters » sont captivés par le mode de vie oriental, où toutes les activités semblent se dérouler dans la rue.
Ainsi à Istambul, Guillaume Berggren photographie sur le vif des scènes autour de la Grande Fontaine du sultan Ahmed II, qui réunit des hommes installés sur des chaises, discutant, le livrant à leurs occupations.

Mais de ces tirages albuminés (1), clairs et jaunis, se dégage souvent une grande mélancolie, en particulier lorsqu’ils montrent des enfants musiciens, ou des femmes portant leur progéniture sur leurs épaules, ou encore des jeunes filles des corbeilles de fruits immenses sur leur tête.

Les vues du Nil, eau, palmiers, animaux, pêcheurs, lumière impriment un calme et une poésie émouvante.
Notamment, très belle photo de femmes au bain : non dévêtues, la chevelure également couverte, chacune portant sa cruche, elles profitent du déplacement au fleuve pour se baigner, silencieuses, ignorant l’objectif.

Si ces vues de plein extérieur sont les plus touchantes, c’est certainement parce que qu’elles échappent à la mise en scène qui semblait être la règle à l’époque.
Lorsque les photographes se consacrent à l’art du portrait, on assiste en effet à de savantes poses : Tancrède Dumas (dignitaire turc, Bédouine de la Mer Morte, homme priant) comme Pascal Sebah (eunuque du sultan, femmes, raïs) ont voulu saisir une gravité, une dignité, un mystère, qui ne viennent pas seulement des imposants costumes, mais aussi des regards portés de côté, loin de l’objectif…

En Tunisie, on admirera de magnifiques tirages en héliogravure, aux tons bruns et clairs, qui ont un rendu proche du dessin, notamment celui de la jeune fille portant un couffin.
Puis des portraits de superbes jeunes filles aux lèvres charnues et cheveux épais, montrant un sein, certaines chargées de bijoux, turban savamment tressé, fleurs sur la tempe.
Les sourires sont parfois éclatants ; mais d’autres révèlent un regard pensif, voire empli de tristesse.

Au delà de la vision coloniale que l’on sait et de l’aspect documentaire des premières vues réalisées dans ces régions, on lit dans ces photographies la fascination des Occidentaux pour le Proche-Orient et le Maghreb ; notamment pour ce que cet exotisme contient de poésie et de douce mélancolie.

(1) Papier sensibilisé aux sels d’argent dispersés dans une couche de blanc d’œuf (albumine). Commercialisé à partir de 1855, il s’emploiera jusqu’à la fin du XIX° siècle. Son rendu qui permet les contrastes revêt toutes les nuances de sépia.

L’aventure orientale, entre art, documentaire et commerce.
Les grands ateliers photographiques au Proche-Orient et au Maghreb de 1860 à 1914.
Galerie Le Château d’Eau – 1, place Laganne à Toulouse
Jusqu’au 15 avril 2007
Ouvert de 13 h à 19 h tous les jours sauf le lundi
L’aventure orientale de Alain Fleig, publié à l’occasion de l’exposition aux éditions « D’une certaine manière », 19 €.

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La grand'mère du narrateur. Délicatesse et littérature

proust2Un personnage des plus délicats, des plus discrets et des plus attachants à la fois de La Recherche est certainement la grand-mère maternelle du narrateur.

Très présente dans son enfance, d’une grande importance affective, elle sera celle qui, dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs l’emmènera à Balbec, séjour initiatique fondamental pour lui.

Le début du premier volume, Du côté de chez Swann, met en scène nombre de situations et de « rites » familiaux. L’un d’eux, cruel pour sa grand’mère, marque particulièrement le tout jeune narrateur :

Ce supplice que lui infligeait ma grand’tante, le spectacle des vaines prières de ma grand’mère et de sa faiblesse, vaincue d’avance, essayant inutilement d’ôter à mon grand-père le verre à liqueur, c’était de ces choses à la vue desquelles on s’habitue plus tard jusqu’à les considérer en riant et à prendre le parti du persécuteur assez résolument et gaiement pour se persuader à soi-même qu’il ne s’agit pas de persécution ; elles me causaient alors une telle horreur que j’aurais aimé battre ma grand’tante.

Elle veillera de près sur son éducation, notamment en ce qui concerne ses lectures, fût-ce contre l’avis du père du narrateur. Ainsi s’explique-t-elle simplement lorsqu’elle choisit en définitive pour lui quatre romans de George Sand :

« Ma fille, disait-elle à maman, je ne pourrais pas me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit. »

Elle voue une adoration véritable aux Lettres de Mme Sévigné, goût que ne partage guère son amie Mme de Villeparisis.
Petite scène à Balbec où toutes deux en villégiature entretiennent une amitié attentionnée :

« Ah, oui, vous lisez Mme de Sévigné. Je vous vois depuis le premier jour avec ses Lettres (elle oubliait quelle n’avait jamais aperçu ma grand’mère dans l’hôtel avant de la rencontrer dans cette porte). Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel. » Ma grand’mère trouva la discussion inutile et, pour éviter d’avoir à parler des choses qu’elle aimait devant quelqu’un qui ne pouvait les comprendre, elle cacha, en posa son sac sur eux, les Mémoires de Madame de Beausergent.

Bon week-end et bonne lecture à tous.

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La grand'mère du narrateur. Amour et délicatesse

proust2Dans Le côté des Guermantes, la grand’mère du narrateur, à qui il est profondément attaché, tombe malade, puis finit par s’éteindre.

La scène au cours de laquelle il s’aperçoit de la gravité de son état de santé, alors que tous deux se promènent sur les Champs-Elysées, est poignante d’amour et de délicatesse.

Je craignis qu’elle n’eût encore mal au coeur. Je la regardai mieux et fus frappé de sa démarche saccadée. Son chapeau était de travers, son menton sale, elle avait l’aspect désordonné et mécontent, la figure rouge et préoccupée d’une personne qui vient d’être bousculée par une voiture ou qu’on a retirée d’un fossé.
– J’ai eu peur que tu n’aies eu une nausée, grand’-mère ; te sens-tu mieux ? lui dis-je.
Sans doute pensa-t-elle qu’il lui était impossible, sans m’inquiéter, de ne pas me répondre.
– J’ai entendu toute la conversation entre la « marquise » et le garde, me dit-elle. C’était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin. Dieu ! qu’en termes galants ces choses-là étaient mises. Et elle ajouta encore, avec application, ceci de sa marquise à elle, Mme de Sévigné : « En les écoutant je pensais qu’ils me préparaient les délices d’un adieu. »
Voilà le propos qu’elle me tint, et où elle avait mis toute sa finesse, son goût des citations, sa mémoire des classiques, un peu plus même qu’elle n’eût fait d’habitude et comme pour montrer qu’elle gardait tout cela en sa possession.

Puis, comment ils comprennent qu’ils "savent" tous deux :

– Allons, lui dis-je, assez légèrement pour n’avoir pas l’air de prendre trop au sérieux son malaise, puisque tu as un peu mal au coeur, si tu veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux Champs-Elysées une grand’mère qui a une indigestion.
– Je n’osais pas te le proposer à cause de tes amis, me répondit-elle. Mais puisque tu le veux bien, c’est plus sage.
J’eus peur qu’elle ne remarquât la façon dont elle prononçait ces mots.
– Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas à parler, du moment que tu as mal au coeur, c’est absurde, attends au moins que nous soyons rentrés.
Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu’il n’y avait pas à me cacher ce que j’avais deviné tout de suite : qu’elle venait d’avoir une petite attaque.

Très bon week-end et très bonne lecture à tous.

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