Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

modigliani_femme_assise_robe_bleueNotre ami Jean-Yves s’est rendu au LaM dans le Nord pour visiter la rétrospective consacrée à Modigliani… Ce qu’il en dit nous fait pâlir d’envie ! Merci Jean-Yves de partager ainsi ce magnifique moment de peinture !

Mag

Le LaM à Villeneuve d’Ascq, qui détient une collection exceptionnelle de peintures, sculptures et dessins de Modigliani propose une très belle traversée de l’œuvre de l’artiste, né en Italie en 1884 et arrivé à Paris en 1906.

modigliani_lamCette présentation est construite en trois parties, à la fois thématiques et chronologiques. La première s’attache à démontrer la diversité des sources d’inspiration de Modigliani : il est fou d’art égyptien qu’il consulte régulièrement au Louvre, mais sa sensibilité s’imprègne aussi des références khmères, cycladiques et africaines. S’essayant à la sculpture malgré un manque de formation dans cette discipline, il s’entoure des conseils de Brancusi qu’il a rencontré à Montparnasse, mais il doit abandonner cet art pour des raisons de santé et financières (il ne parvient pas à trouver de mécène). De cette époque, on admire une très belle « Tête de femme », la seule sculpture en marbre de l’artiste, mais aussi des dessins et une superbe « Cariatide » sur fond bleu, dessinée au crayon et lavis d’encre.

tete_rouge_amedeo_modiglianiLa deuxième partie met en évidence l’importance du portrait d’artiste dans sa production. Dès 1915-1916, Modigliani cherche à définir son style, immédiatement reconnaissable : figures de forme ovoïde, yeux le plus souvent sans pupilles et de hauteurs distinctes, nez aux arrêtes tranchées, cous en pur cylindre, fonds minimaux et abstraits… Côtoyant les peintres de la future Ecole de Paris (Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Pinchus Kremègne), Modigliani dresse leur portrait dans des tableaux et croque aussi (au crayon ou au graphite) Max Jacob, Pablo Picasso (qui le sous-estimait) et Jean Cocteau qui, n’aimant pas la représentation faite de lui par le peintre italien, s’en séparera rapidement. Toutes ces œuvres sont intéressantes, mais on se permettra une préférence pour la « Tête rouge » qui synthétise à la fois l’art africain, le cubisme, le fauvisme et l’art de Cézanne. L’exposition ne manque pas de rappeler que ce dernier est la référence absolue de Modigliani.

modigliani_jeune_filleLa fin de l’exposition est consacrée aux dernières années de l’artiste. Soutenu par le marchand d’art Léopold Zborowski, dont il dressera deux beaux portraits, accrochés aux murs du musée, Modigliani parvient à une peinture plus sereine. Les couleurs s’éclaircissent, la ligne des corps s’arrondit et devient plus voluptueuse, comme en témoigne le « Nu assis à la chemise », dont le dessin raffiné et la touche délicate restituent toute la fragilité de la femme. La présentation de ses nus lors d’une exposition de décembre 1917 fera scandale. Mais la préoccupation première du peintre reste le visage. Modigliani continue à représenter ses amis artistes et ses proches, mais il donne aussi une place plus importante aux anonymes. Il ne peindra des paysages (qui demeureront rares dans sa production) qu’à partir de 1918, lors d’un séjour dans le sud de la France organisé par Zborowski.

modigliani_nuL’exposition rend également hommage à Roger Dutilleul que Modigliani rencontre en 1919 et qui deviendra un collectionneur assidu du peintre (il achète et échange 35 peintures et 26 dessins) et ne cessera de défendre son œuvre bien au-delà de la mort de l’artiste en 1920. La donation par son neveu Jean Masurel de quatorze pièces de la collection est à l’origine de la création du LaM, qui a donc toute légitimité pour monter cette rétrospective, la première d’importance depuis celle organisée au Musée du Luxembourg en 2002. Au-delà de la qualité des pièces présentées, l’exposition est passionnante par son côté didactique qui permet de suivre l’évolution du parcours de l’artiste au travers de ses influences, de ses rencontres…

La visite donne aussi l’occasion de s’attarder dans les collections permanentes du musée, riches de quelques tableaux cubistes de Picasso et de Braque, d’œuvres de Fernand Léger, de Miro, de Jenkins, et de pièces représentatives de l’abstraction lyrique : Manessier, Poliakoff, Staël, Estève, Ubac…

Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

LaM

1, allée du Musée – Villeneuve d’Ascq (59)

Jusqu’au 5 juin 2016

Jean-Yves

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L'Espagne entre deux siècles, 1890-1920. Musée de l'Orangerie

Casas, La Paresse, Espagne entre deux siècles, OrangeriePour le public parisien, l’exposition ouverte ce mois-ci au Musée de l’Orangerie relève en grande partie de la découverte.

Certes, Sorolla fit l’objet, avec Sargent, d’une magnifique exposition au Petit Palais en 2007, certes les tableaux sur lesquels le parcours s’achève – quatre Picasso – sont pour certains familiers. Mais en dehors de ces deux artistes, les peintres ibériques "de la modernité", c’est-à-dire de la période fin XIX°-début XX° si féconde où convergent vers Paris des artistes venus d’un peu partout en Europe, sont aujourd’hui bien peut connus en France.

Fruit de la collaboration initiée depuis trois ans entre le Musée d’Orsay et la Fundación MAPFRE madrilène (1) L’Espagne entre deux siècles, de Zuloaga à Picasso, 1890-1920 contribue, avec une soixantaine de tableaux, à combler ces manques. Et à démontrer que ces artistes sont représentatifs des novations picturales apparues au tournant du XXème siècle et au cours de ses deux premières décennies.

Ainsi, en premier regard, le plus évident est la proximité de nombre de ces œuvres avec celles des peintres français. La plupart des artistes exposés ont séjourné à Paris, certains durant de longues années, et s’y sont liés d’amitié avec Degas, Toulouse-Lautrec, Gauguin, Cézanne… Cela se voit !
Comment ne pas songer à Henri de Toulouse-Lautrec devant les peintures de Ramon Casas, croquant une vue de Montmartre ou une Madeleine assise seule face à son verre rempli, vêtue d’une blouse rouge et main à l’abandon sur un cigare ? Ou face à La buveuse d’absinthe de Picasso ? Comment ne pas évoquer Degas devant la si belle Paresse du même Casas, solitaire, à plat ventre sur son lit, songeuse au milieu du jour ? Et que dire de cette Mestiza desnuda de Juan de Echevarría, citation de Gauguin ? Ou d’un matissien Interior sevillano de Francisco Iturrino ?

Sorolla, La sieste, Espagne entre deux siècles, OrangerieMais l’approche la plus intéressante de l’exposition est celle faisant, au contraire, toute leur place aux spécificités de la peinture ibérique, où l’on voit tantôt comment ces artistes se sont approprié en le modernisant fondamentalement le riche héritage des grands maîtres espagnols, tantôt comment, continuateurs de la peinture moderne européenne, ils ont profondément inscrit celle-ci dans la tradition de leur culture nationale.
Appartiennent assurément à cette seconde catégorie les post-impressionnistes Santiago Rusiñol et Joaquín Sorolla, dont les tableaux déploient des couleurs claires et des effets de lumière éblouissants. A la modernité de la touche et du cadrage des compositions, Sorolla mêle deux thématiques bien hispaniques, celle du réalisme, avec la représentation des métiers du quotidien (Retour de pêche, Préparation des raisins secs), mais aussi l’inspiration "méditerranéenne", avec ses célèbres et non moins merveilleuses scènes de bord de mer.

Zuolaga, Barrès, Espagne entre deux siècles, OrangerieD’autres peintres apparaissent plus directement comme les héritiers de leurs aînés ibériques. La marque du Gréco et de Goya est très présente chez les artistes que l’exposition désigne comme révélateurs de "l’Espagne noire" (alors que les précédents appartiennent selon ce classement à "l’Espagne blanche", mais ce parti pris ne s’avère pas toujours évident au fil de la visite) : tableaux magnifiques et impressionnants, où domine une palette sombre parfois éclairée de rouge sang, tels le Portrait de Maurice Barrès devant Tolède de Ignacio Zuloaga, son Anachorète, aussi tordu par le vent sous un ciel tourmenté que les cyprès en arrière-plan, mais aussi la Paloma et les Deux gitanes au visage émacié de Isidre Nonell, ou encore les peintures de la période bleue de Picasso tel L’enterrement de Casagemas.
Impossible de citer toutes ces œuvres remarquables ! Mais il faut absolument aller découvrir ces peintres à l’Orangerie, tant leur place dans l’histoire de la peinture moderne, faite autant d’hommages que d’inventivité, est passionnante.

L’Espagne entre deux siècles, de Zuloaga à Picasso, 1890-1920
Jusqu’au 9 janvier 2012
Musée national de l’Orangerie – Jardin des Tuileries – Paris 1er
Métro Concorde
TLJ sf le mar. et le 25 déc., de 9 h à 18 h
Entrée 7,5 € (TR 5 €)

(1) On doit notamment à cette collaboration les expositions Oublier Rodin ? La sculpture à Paris 1905-1914 et Voir l’Italie et mourir, photographie et peinture dans l’Italie du XIX° siècle présentées au Musée d’Orsay à Paris et à Madrid.

Images :
Ramón Casas (1866-1932), La Pereza, 1898-1900, Huile sur toile, 64,5 x 54 cm, Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya © MNAC – Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone / Photo : Calveras/Mérida/Sagristà © Droits réservés
Joaquin Sorolla y Bastida (1863-1923), La Siesta, 1911, Huile sur toile, 200 x 201 cm, Madrid, Museo Sorolla © Droits réservés
Ignacio Zuloaga y Zabaleta (1870-1945), Barrès devant Tolède, 1913, Huile sur toile, 203 x 240 cm, Nancy, Musée lorrain (dépôt de musée d’Orsay), © Collection Centre Pompidou, dist. RMN / Philippe Migeat © ADAGP, Paris 2011

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Picasso et les maîtres au Grand-Palais

Picasso et les maîtres au Grand Palais, Picasso autoportraitAu détour du XXème siècle, âgé d’à peine vingt ans, il avait déjà fait ses académies à Madrid, fréquenté les grands maîtres espagnols, Vélasquez, Goya et Zurbarán au Prado, el Greco à Tolède, côtoyé l’avant-garde barcelonaise et, à Paris, connu la peinture de Puvis de Chavannes, des impressionnistes et les chefs-d’œuvre du Louvre.
Lorsqu’il s’y installe définitivement, en 1904, le jeune Pablo Picasso se mêle à la bohème artistique, met ses pas dans ceux d’Henri-Toulouse Lautrec et d’Edgar Degas en poussant les portes des maisons closes, et, dans les grands Salons des années 1900 découvre les Fauves, Manet, Cézanne, mais aussi Le Bain turc de Dominique Ingres…

En même temps, et alors qu’il a déjà fait l’objet de sa première exposition parisienne grâce à Ambroise Vollard en 1901, il poursuit sans fatigue son exploration du Louvre.

Au cours de sa longue vie, il ne détournera jamais complètement des grands maîtres, comme il ne se détournera jamais de lui-même et de sa liberté créatrice. Point d’école pour Picasso, il le sait très tôt : "Je ne suis pas partisan de suivre une école déterminée, parce que ça n’apporte rien que le maniérisme à ceux qui suivent cette voie".
De tout ce matériau pictural absorbé dans ses jeunes années, naturellement le peintre espagnol se nourrira, certaines veines sont bien visibles, principalement dans ses premières peintures. Mais comment parler véritablement d’influences chez celui qui a tout déconstruit puis reconstruit, figures, espace, composition, qui s’est emparé de tous les sujets, a inventé et fait évolué ses styles, démultiplié ses inspirations, pour produire un œuvre à nul autre pareil, certainement le plus éclatant, le plus riche et le plus fascinant du XXème siècle ?

L’intention de l’exposition du Grand Palais est louable, qui remet ensemble ceux qui se sont fréquentés d’une manière ou d’une autre naguère, Picasso et les maîtres.
L’exploit est à saluer : plus de deux tableaux et dessins venus de partout, des plus grands musées aux collections privées, donnant ainsi l’occasion d’aller visiter une magistrale assemblée.
Picasso et les maîtres au Grand Palais, el grecoEl Greco, Vélasquez, Goya, Zurbarán, Ribera, Poussin, David, Ingres, Delacroix, Manet, Courbet, Lautrec, Degas, Puvis de Chavannes, Cézanne, Renoir, Gauguin, Douanier Rousseau, Titien, Cranach, Rembrandt, Van Gogh… se côtoient, avec, mêlés à eux, une foultitude de Picasso.
Ces grands noms ont de quoi faire tourner la tête.

Le problème est que, in situ, l’effet produit est exactement celui-là. A l’étage en particulier, les tableaux sont à touche-touche, vous n’êtes pas encore "entré" dans une œuvre que déjà le portrait d’à côté vous fait de l’œil, avant que le suivant ne détourne votre attention tout aussi vite. Drôle d’impression, comme s’il y avait trop de chefs d’œuvre au même endroit, et, finalement, presque un sentiment d’indécence.

Au rez-de-chaussée, l’on respire davantage, avec une galerie de natures mortes (dont de splendides Chardin, qui permettent enfin de se poser "quelque part"), mais aussi un ensemble de nus absolument magnifiques devant lesquels on n’a plus le cœur à se plaindre, non vraiment pas.
Alors, même si on n’est plus proche du pudding que du digeste bouillon du soir, on ne se permettra pas de "cracher dans la soupe". Mais ce qui est sûr, c’est qu’en sortant de cette plantureuse et frénétique exposition, l’on a très envie d’aller arpenter, au calme, les musées de Paris, de France, de Navarre et d’ailleurs, pour déguster tranquillement la belle peinture française, italienne et espagnole dont ceux-ci regorgent, en choisissant "ses maîtres », selon son envie, son lieu et son moment, et non pas en roulant des yeux comme des billes comme si tout l’art de la terre, allait, l’instant d’après, disparaître à jamais.

Picasso et les maîtres
Jusqu’au 2 février 2009
Galeries nationales du Grand Palais
3 avenue du Général Eisenhower – Paris 8ème
Entrée par le Square Jean Perrin
M° Franklin-Roosevelt ou Champs-Élysées-Clemenceau
TLJ sf le mardi, de 10 h à 22 h, le jeudi jusqu’à 20 h
Ouverture 24h/24, du vendredi 30 janvier 9 h au lundi 2 février 20 h
Entrée 12 € (TR 8 €)

Images : Pablo Picasso, L’artiste devant sa toile, Paris, musée Picasso © RMN, Gérard Blot et Portrait d’un artiste, El Greco, Séville, Museo de Bellas Artes © Photo Scala

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Picasso / Manet : Le déjeuner sur l'herbe, Musée d'Orsay

Picasso, Manet, le déjeuner sur l'herbeCette exposition, l’un des volets du triptyque "Picasso et les maîtres" présenté en même temps au Louvre, au Grand Palais et au Musée d’Orsay, constitue une formidable démonstration de la créativité de Picasso, de sa faculté, non pas de copier ou d’imiter, mais de repenser une œuvre, en cherchant, en s’amusant, avec liberté et obstinément.

Combien de versions du Déjeuner sur l’herbe a-t-il réalisées ? Pas moins de vingt-six, entre février 1960 et août 1961, dont la moitié est ici visible. De l’œuvre d’Edouard Manet, il a tiré l’essentiel, comme le côté un peu artificiel, ou du moins "prétexte" du cadre de plein air : en la démantelant, puis en l’effaçant de plus en plus, Picasso fait apparaître cette clairière comme un simple écrin qui permet de concentrer toute l’attention sur les personnages.
Avec ceux-ci, Picasso va aborder de multiples possibilités, tout en conservant sa prééminence au personnage central, le nu féminin, qui, à l’époque, placé à côté des deux hommes vêtus, fit scandale.

Picasso, Manet, le déjeuner sur l'herbe, exposition au Musée d'Orsay Objet de son obsession chez le peintre qui n’a cessé toute sa vie de figurer des femmes, il s’en empare pour mieux enfler, parfois jusqu’à la démesure, réduire ou déplacer ses rondeurs féminines. Ce qui ne l’empêche pas de faire subir à ses voisins toutes sortes de variations quant à leur emplacement, leurs accessoires ou leurs vêtements (dans les cas où il conserve ces derniers)…

Déformés, déstructurés, on pourrait se dire que ces Déjeuners n’ont plus rien à voir avec l’œuvre de 1863. Pourtant, la rupture n’est pas tout à fait consommée. La vision d’ensemble que permet la scénographie de l’exposition, fraîche, aérée et bien pensée, avec le tableau de Manet au centre, donne une frappante impression de continuité. Peut-être tient-elle aux couleurs qui, malgré les différences de tonalités, plus ou moins foncées voire très claires, se retrouvent toujours (vert sombre, blanc, noir, gris, une touche de bleu) ; peut-être tient-elle surtout à la charge érotique du tableau, que Picasso, à travers ces jeux de recompositions, a longuement, passionnément réinterprétée.

Picasso / Manet : Le déjeuner sur l’herbe
Jusqu’au 1er février 2009
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur, Paris 7ème
TLJ sf le lundi de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45
Entrée avec le billet du Musée (9,50 €, TR 7 €)

Images : Picasso Pablo (dit), Ruiz Blasco Pablo (1881-1973), Le Déjeuner sur l’herbe d’après Manet, 27 février 1960, Huile sur toile, 114 x 146 cm, Collection Nahmad © Succession Picasso 2008 et Edouard Manet, Le déjeuner sur l’herbe, 1863, Huile sur toile, 2,080 x 2,645 m, Paris, musée d’Orsay © Patrice Schmidt, Paris, musée d’Orsay

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Ambroise Vollard : parcours d'un marchand d'art exceptionnel

vollardA la fin du XIXème siècle, Ambroise Vollard (1866-1939), marchand d’art établi à Paris, fit des choix audacieux et éclairés qui, associés à un sens des affaires certain, lui assurèrent une place importante sur la scène artistique.

C’est le parcours exceptionnel de cet homme parti de rien mais entreprenant et visionnaire que l’exposition présentée au musée d’Orsay jusqu’au 16 septembre se propose de visiter.

Débarqué à Paris en 1890 après une enfance passée sur l’Ile de la Réunion, il monte sa première "galerie" dans un deux-pièces au pied du Sacré-Coeur. Il n’a alors ni fortune, ni relation, ni expérience dans le monde de l’art.
Il commence donc par revendre des dessins et estampes achetés sur les quais.

Assez rapidement, il expose un ensemble de dessins et esquisses à l’huile acquis auprès de la veuve de Manet. A cette occasion, il fait la connaissance de Renoir et Degas. C’est ainsi qu’il commence à mettre en place une technique – l’achat par lots – et un positionnement – la proximité avec les artistes – qui seront des éléments-clés de son succès commercial.

Mais c’est aussi et surtout à son goût pour l’avant-garde qu’il doit sa réussite ; un goût qui, associé à une vision sûre le conduit à lancer Cézanne, Gauguin, Picasso, Derain et les autres fauves, mais aussi les Nabis (Bonnard, Vuillard, Roussel).
L’accrochage des oeuvres de Paul Cézanne qu’il organise en 1895 marque un tournant dans sa carrière : première exposition monographique consacrée à l’artiste aixois, elle séduit immédiatement, à défaut des critiques, les artistes et les collectionneurs.
Ambroise Vollard prend alors sa véritable assise : d’une part parce qu’il s’est assuré le monopole des oeuvres de Cézanne, d’autre part parce qu’il commence à se constituer un réseau international d’acheteurs.

L’année suivante il peut installer sa galerie au coeur du marché de l’art parisien, rue Laffitte.
C’est à cette époque qu’il se lance dans l’exposition et l’édition d’albums d’estampes, en particulier avec les Nabis .
S’il tente (en vain) de faire connaître Van Gogh, en organisant deux accrochages, il expose également Matisse et Gauguin dont il est le mécène, entretient une profonde et durable amitié avec Renoir … mais il est aussi celui qui fait découvrir au public parisien, en 1901, un jeune artiste âgé de 19 ans : Pablo Picasso !

Force est de constater, face à un tel panorama, que peu de ceux qui devinrent les maîtres de l’art moderne les plus reconnus échappèrent aux mains de Vollard …

Visite de certaines salles de l’exposition très bientôt : promesse de "chefs d’oeuvre" tenue !

De Cézanne à Picasso, chefs-d’oeuvre de la galerie Vollard
Musée d’Orsay
Jusqu’au 16 septembre 2007
Du mardi au dimanche de 9h30 à 18h
nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
RER C, bus 24, 68 et 69, M° ligne 12
Entrée 7,50 € (TR 5,50 €)

Catalogue d’exposition
Collectif, sous la direction d’Anne Roquebert
Musée d’Orsay / RMN, 56 €

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Picasso / Carmen, Sol y Sombra. Musée Picasso

Picasso, Carmen, Sol y SombraL’influence du personnage de Carmen dans l’oeuvre de Picasso (1881-1973) : tel est le chemin que l’exposition Sol y Sombra organisée au Musée Picasso jusqu’au 24 juin propose de suivre.

Passion, fascination de la femme, du tragique, combats, tauromachie … sont effectivement des thèmes que l’artiste espagnol a explorés dans ses peintures, ses gravures et ses sculptures.

Le parcours (labyrinthique) s’ouvre sur une petite salle regroupant des cartes postales anciennes montrant la belle et envoûtante Carmen, l’héroïne créée par Prosper Mérimée dans une nouvelle écrite en 1845 puis sublimée par Georges Bizet en 1875 dans le célèbre opéra.
La carte bariolée et brodée Femme à la mantille et quelques autres constituent une entrée en matière placée sous le signe de ce qui demeure du personnage de Carmen : une certaine hispanité faite de corrida, gitane, mantille et éventail …

Puis, dans la large rampe sont exposés de grands tableaux que Picasso a peints entre 1904 et 1918, en une belle galerie de portraits de femmes en costume espagnol, avec notamment des peintures de ce qu’on a appelé la « période bleue » de l’artiste.
A la suite de la mort de son ami Carlos Casagemas, Picasso choisit à partir de 1901 des tonalités à dominante bleue, où il exprime tristesse et douleur, et met en scène des personnages seuls et déshérités.
Ainsi de la borgne entremetteuse Célestine (1904).
Certainement inspiré par Fernande Olivier qu’il rencontre au Bateau-Lavoir à Paris en 1904 et qui sera sa compagne pendant sept ans, il peint en 1905 Fernande à la mantille en camaïeux de gris et de marrons, qu’il couvre d’un voile superbe de tristesse et de mélancolie.

A peine plus loin, Olga au fauteuil (1918) ne manque pas de surprendre : voici que celui qui a inventé le cubisme avec les Les Demoiselles d’Avignon en 1907 revient à une figuration toute classique, on pourrait presque dire « ingresque ». Cet épisode de la peinture de Picasso a été initié par le voyage qu’il a effectué à Rome en compagnie de Jean Cocteau en 1917 pour la création du ballet Parade, où il a rencontré la danseuse des ballets russes Olga Koklova, qui deviendra sa femme en 1918.

Dans le même espace, on fait un saut dans le temps pour détailler un objet admirable : Carmen, la nouvelle de Mérimée illustrée par Picasso en 1948-1949, puis réimprimée quelques années plus tard et enrichie de dessins : La Carmen des Carmen. Les pages libres et les marges sont ornées de splendides dessins au lavis dans un travail d’illustration particulièrement réussi.

La thématique de Carmen, dont le meurtre au dernier acte a pour toile de fond la mise à mort du taureau peut naturellement se lire dans les abondantes variations de Picasso autour de la tauromachie.

Tel est le cas des magnifiques eaux-fortes réalisées dans les années 1930, où le mythe du Minotaure, corps d’homme et tête de taureau, occupe une grande place. Qu’il triomphe sauvagement, qu’il se repose avec l’artiste, ou qu’il mette la femme en danger … la figure mythologique n’en finit pas de fasciner Picasso. Dans une très belle pointe-sèche de 1934, il le met en scène de façon émouvante : Minotaure aveugle guidé par une petite fille aux Fleurs

Mais c’est la violence qu’on retrouve dans certaines peintures de la même époque (1933) tels La mort de la femme torero et La mort du torero : taureaux tranquilles, mais corps meurtris, mais chevaux torturés, qui ne sont pas sans annoncer l’immense Guernica.

Le parcours Sol y Sombra s’achève par des photos montrant Picasso à la corrida, à Arles et à Vallauris, accompagné de sa femme Jacqueline, de ses enfants, du torero Luis Miguel Dominguin, de Jean Cocteau … et même de Michel Leiris (1901-1990), à qui on laisse le mot de la fin :

Le peintre et son modèle, la femme et son reflet, l’amant et son amante, le picador et le taureau ne sont-ils pas – s’il est permis de tresser pareils fils pour se guider dans l’oeuvre dédaléen de Picasso – les avatars de deux pôles d’une sorte de dialectique où tout se fonderait sur l’opposition, non résolue, de deux êtres qui se font face, vivante image de cette dualité tragique : la conscience affrontée à ce qui lui est étranger.

(Romancero du Picador, 1960, dans le recueil Un génie sans piédestal et autres textes sur Picasso, Ed. Fourbis, 1992)

Sol y Sombra. Picasso / Carmen
Musée National Picasso
Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny – Paris 3ème
Jusqu’au 24 juin 2007
Tlj sauf le mardi, de 9 h 30 à 18 h
Entrée 7,70 € (TR : 5,70 €)
Exposition organisée avec la Réunion des musée nationaux
Catalogue : 193 p., 45 € (Flammarion/RMN)

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Au temps des cubistes 1910-1920

cubisteEn 1907, Picasso et Braque initient le cubisme, impressionnés par les oeuvres de Cézanne.

Le peintre d’Aix-en-Provence en rétablissant son importance au modelé, qui avait été « sacrifié » par l’impressionnisme, a en effet contribué à l’avènement de ce mouvement.
« Le cubisme descend de Cézanne, qui disait que tout est cylindre ou cube » écrit Henri Matisse.

L’idée de ses fondateurs est de rendre compte du réel, sans chercher à imiter le visible. Pour ce faire, ils coupent les plans, bouleversent les perspectives. Ils transforment totalement la représentation.

Ce qui ne les empêchent pas de revenir à des principes classiques tels que la géométrie, la solidité des volumes, la discipline constructive.

Si les oeuvres cubistes de Picasso et Braque sont connues, on ignore en revanche qu’un grand nombre de peintres ont suivi ce mouvement et y ont contribué de manières variées.

C’est ce que prouve le formidable travail réalisé par la galerie Berès, réunissant, dans ses deux espaces, des peintres cubistes de sensibilités très différentes.
C’est un ensemble de 250 oeuvres qui est ainsi exposé : de très belles gouaches et aquarelles, mais aussi des dessins au fusain et à l’encre de Chine, regroupés dans une salle en une harmonie de noirs, gris et blancs très réussie.

Du trait géométrique d’Albert Gleizes au raffinement et la sobriété de Marcoussis, des toiles à la gamme chromatique restreinte, en camaïeux de beiges et gris de Henri Laurens, Jacques Lipchitz, et surtout de Juan Gris, au travail sur la couleur de Delaunay, en passant par un très beau pastel de Franz Kupka, mais aussi des oeuves de Fernand Léger, Picasso et bien d’autres, l’harmonie des formes et des couleurs, l’impression de cohérence sont toujours présentes.

On est séduit par ces découvertes, par ce cubisme-là, fécond, varié. C’est une exposition rare, à ne surtout pas manquer.


Le coup de coeur Mag :

Les toiles de Serge Ferat, souvent de dimensions modestes, au dessin finement travaillé et aux couleurs riches, qui dégagent une poésie et une fraîcheur inattendues. (ci-dessus, Nature morte au chapeau et au raisin).

Galerie Berès – 25 quai Voltaire et 35 rue de Beaune Paris 7ème
Jusqu’au 27 janvier, de 10h à 19h sauf dimanche et fêtes
Catalogue de l’exposition : 90 €
Affiche : 10 €
Entrée libre

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De Manet à Picasso

gauguinThe National Gallery à Londres propose du mois de septembre 2006 au mois de mai 2007 une exposition riche et resserrée, qui balaie les années 1860 à 1905.

Période féconde et séduisante s’il en est : Manet, Renoir (superbes Parapluies bleus qui s’entrechoquent), Van Gogh, Seurat, Pissarro et ses émouvants paysages, Degas, Toulouse-Lautrec, Monet, Gauguin (ci-contre), Cézanne, Signac, Picasso bien sûr. Partout beaucoup de grâce et de couleur.

Uniquement des grands maîtres, mais des tableaux que nous n’avons pas déjà forcément vus en original …c’est à la fois la sensation de retrouver des peintres extrêmement populaires et la joie d’en découvrir de « nouvelles » toiles .

Le parcours de l’exposition est chronologique ; il ne mérite pas davantage de complication : on passe de chef d’oeuvre en chef d’oeuvre tout en embrassant les différents mouvements qui se sont succédés ou chevauchés : de l’impressionnisme aux débuts de l’Art moderne en passant par le post-impressionnisme. Bref, c’est presque un « cours », un véritable condensé de ce qui s’est fait de plus significatif et certainement de plus beau en peinture pendant cette période.

C’est aussi Londres : on est agréablement étonnés de voir toutes les catégories de populations se mêler pour arpenter les salles avec enthousiasme et respect. Cela confère à l’exposition, de très haut niveau artistique, une ambiance simple et vivante que l’on aimerait connaître plus souvent dans nos musées …

The National Gallery – Trafalgar Square, London
Catalogue de l’exposition : 7,95 £
Entrée gratuite

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