Les filles du calvaire, Pierre Combescot

C’est un gros roman au titre de station de métro parisien qui a été couronné par le Goncourt 1991. Comme les stations de métro, qui paraissent insensibles aux changements d’époque, le livre de Pierre Combescot semble vieilli depuis toujours. Le lecteur s’accroche pour lire l’histoire de Maud, tenancière de café, dans un style qui rappelle le roman populaire (en moins léger) ou les œuvres d’un Francis Carco sur le « milieu » (avec moins de talent).

Dans une première partie nous sommes donc à Paris dans l’après deuxième guerre mondiale. Autour du café-tabac des Trapézistes gravitent divers personnages que le lecteur est amené à qualifier de pittoresques, venus en particulier du Cirque d’Hiver voisin. Dans une deuxième partie nous remontons le temps aux origines de la famille de Maud, à La Goulette en Tunisie. Il est question d’une lignée de femmes juives dont les rapports entre mères et filles sont complexes.

La troisième partie, la plus longue, s’attache à l’installation de Maud à Paris durant la période de l’Occupation. Le sexe est le souci principal des personnages masculins, et la prostitution, surtout masculine, donne lieu à des observations toujours aussi pittoresques. On apprend d’ailleurs pourquoi Hitler persécutait les Juifs : « Parce que comment croyez-vous que ce peintre du dimanche survivait à Vienne quand il n’avait pas trois fifrelins en poche ? Comme tout le monde il faisait le trottoir. Et pas de bol pour nous, c’est une vieille chochotte de la synagogue qui la lui a mise. Et depuis ce jour il a la rondelle en feu. Voyez-vous Léa nous sommes ses morpions ! Et les morpions cela se brûle ! ».

En dernière partie nous suivons l’histoire d’une bouchère- chanteuse plus ou moins raccordée au reste du roman. Mais le style « populaire » (du moins essaie-t-on de le croire ainsi) des propos échangés par les personnages demeure, ainsi que les stéréotypes bien campés, tel cet Allemand qui au bistrot « y faisait chaque soir la fermeture sur l’air de ‘On lui roussira les poils du cul à la youpine’… », ou ce commentaire finement théologique : « Bref, démontrer par un pilpoul ‘du feu de Dieu’ (…) que toute cette chiée de rabbis, lesquels avaient monopolisé le verbe de Celui qui, nonobstant le vertige, proféra du haut du Sinaï les Commandements funestes aux oreilles des Hébreux, n’étaient en fait que des petits branleurs ».

Il arrive toutefois qu’une scène plus touchante émerge de ce monde interlope.

Andreossi

Les filles du calvaire, Pierre Combescot

 

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Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse

Paul Signac (1863-1935), Opus 217. Sur l’émail d’un fond rythmique des mesures et d’angles, de tons et des teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890. Huile sur toile, 73,5 x 92,5 cm. The Museum of Modern Art, New York. Gift of Mr. and Mrs. David Rockefeller. © Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

Après avoir fait l’objet d’une première exposition, consacrée à sa collection d’arts lointains (Musée du Quai Branly, été 2019), Félix Fénéon occupe à nouveau l’actualité avec la présentation, au Musée de l’Orangerie, de sa collection d’œuvres néo-impressionnistes et de masques africains. Au-delà de cet affichage, l’exposition nous invite à découvrir la personnalité singulière de celui qui fut critique d’art (« le seul en cent ans » selon Jean Paulhan), journaliste, directeur artistique de galerie et collectionneur, fonctionnaire et anarchiste.

Dès 1883 (il a 22 ans), Félix Fénéon rédige des articles, surtout des critiques d’art, pour de nombreuses petites revues littéraires et artistiques. Il s’intéresse aux courants modernes et soutient les néo-impressionnistes (c’est lui qui crée le néologisme) avec lesquels il entretient des liens étroits, faits d’admiration profonde et de d’amitié sincère.

Le critique a été ainsi particulièrement impressionné par le tableau de Georges Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte, dévoilé en 1886. Cette œuvre, qui appartient aujourd’hui à l’Art Institute de Chicago, n’a pas été prêtée, mais l’exposition en présente une étude, venue du MOMA. Elle affiche aussi, au début du parcours, trois admirables petites Poseuses que Fénéon considérait comme les toiles les plus précieuses de sa collection. Principal collectionneur de Seurat, Fénéon apparaît donc tout naturellement comme le grand spécialiste de l’artiste, dont il établira le premier catalogue raisonné de l’œuvre.

Il est aussi l’ami intime de Paul Signac. Le critique défend régulièrement la production de l’artiste, et celui-ci peindra un Portrait de Felix Fénéon 1890 qui deviendra un emblème du néo-impressionnisme. Fénéon conservera ce tableau dans sa collection toute sa vie.

Le critique fut aussi l’un des premiers à s’intéresser à la peinture d’Henri-Edmond Cross. Il présentera, avec un grand succès, l’œuvre de ce dernier lors d’une exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune en 1907 et deviendra l’exécuteur testamentaire du peintre après sa mort. L’exposition met en valeur le très beau tableau de Cross : Les îles d’Or.

Seurat Georges (1859-1891). Etats-Unis, New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art

Outre les œuvres de ces trois artistes, la collection personnelle de Fénéon, une des plus belles de l’époque, comportera des tableaux de Vuillard, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Luce, Matisse, Modigliani… Ces artistes sont représentés dans l’exposition de l’Orangerie, même si les tableaux accrochés n’ont pas tous appartenu au collectionneur. Cette collection sera dispersée par les ventes de 1941 et 1947.

La même clairvoyance permet à Fénéon de défendre les poètes qu’il admire : Rimbaud (soutenu très tôt), Mallarmé, Jules Laforgue, Charles Cros, Apollinaire, Verlaine, Jarry… Par discrétion, Fénéon publie peu sous son nom : aucun poème, aucun roman… mais il rédige beaucoup d’articles, souvent anonymes, dont les savoureuses Nouvelles en trois lignes, exemplaires d’humour et de concision.

Sa plume est mise aussi au service de ses convictions anarchistes, qui le rapprochent de Signac et Cross dont il partage les idéaux. L’exposition présente une réplique du tableau de Signac Au temps d’harmonie, qui s’appelait à l’origine Au temps d’anarchie, et qui peut être interprétée comme une vision pacifiée de l’anarchie. L’engagement politique de Félix Fénéon fut réel et l’amena à être inquiété (et brièvement inculpé) lors du procès des Trente en 1894. Cet épisode mit naturellement fin à l’emploi de fonctionnaire qu’il occupait, avec un grand sérieux, au Ministère de la guerre depuis 1881.

L’exposition de l’Orangerie, courte mais dense, permet donc de voir des tableaux qui figurent, pour certains d’entre eux, parmi les plus importants du néo-impressionnisme (il ne faut pas manquer les Seurat prêtés par des musées américains). Elle affiche également des représentants du futurisme italien, défendu lui aussi par Fénéon, et des masques africains ayant appartenu à sa collection.

Surtout, elle permet de (re)découvrir les multiples talents de cet esthète, peu enclin pourtant à se mettre en valeur. Distant, discret (« celui qui silence » selon Alfred Jarry), Félix Fénéon poussait l’élégance jusqu’à s’effacer derrière les artistes et les écrivains qu’il soutenait, se contentant d’être un passeur et laissant une œuvre personnelle réduite à son essai sur le néo-impressionnisme et à ses « Nouvelles en trois lignes ».

Jean-Yves

Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse

Musée de l’Orangerie

Jardin des Tuileries – Place de la Concorde – 75001 PARIS

Jusqu’au 27 janvier 2020

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Mal d’amour, Jean Fayard

Mais quelles qualités ont bien pu trouver les jurés du Goncourt 1931 à ce roman ? Peut-être celles de son éditeur, Arthème Fayard, le grand-père de Jean Fayard qui lui-même, quelques années après prendra la tête des éditions Fayard ? L’histoire de ces pauvres hommes séduits et abandonnés par l’ingrate et inconstante Florence méritait-elle de figurer au palmarès des plus beaux ratages de l’histoire du Prix ? Ce Mal d’amour a gagné contre Saint Exupéry et son Vol de Nuit

Jacques Dolent, dont le patronyme désigne toute l’énergie du caractère, rencontre Florence, et c’est le coup de foudre. Mais elle est la maîtresse d’un peintre anglais célèbre, plus âgé. Il nous faut aller de Paris à Arcachon pour assister à la réalisation de cet amour, mais de retour à Paris la dame revient près de son peintre. Divers quiproquos éloignent les deux amants. Florence finalement part aux Etats-Unis avec un troisième homme, officier de marine reconverti dans les affaires.

Le couple revient de New-York ruiné, et l’auteur, ne sachant plus que faire de son héroïne, la fait mourir. De façon à laisser la place aux acteurs pour lesquels il porte un véritable intérêt : les trois hommes abandonnés. Dans les dernières pages, le hasard (enfin presque) les fait se retrouver tous les trois à Arcachon où ils peuvent méditer sur leurs chimères.

Le roman est l’occasion de nous faire découvrir de profondes vérités sur les femmes : « Il y a des femmes intelligentes. Il n’y a pas de femmes qui aient du tact » ; « la maladie d’un être pour lequel elles éprouvent la moindre tendresse élève les femmes à leur plus haute vertu » ; « les femmes franchissent aisément le stade de la pudeur et on se demandait où celle-là s’arrêterait ».

Mais surtout elles sont la cause de douleurs (morales nous dit l’auteur) que les hommes subissent : « Aujourd’hui, la douleur a les cheveux coupés et elle va en costume tailleur. Le métro, les taxis et les cinémas permanents ne comportent plus les beaux atours, ni le langage des dieux, ni les attitudes éplorées. Elle sait se conformer à chaque siècle ; et la ville d’aujourd’hui ne lui fait pas peur. Elle est devenue un peu canaille, elle traîne aux abords des gares, et elle fume, je crois bien. Moins prétentieuse qu’autrefois, elle n’est pas moins tyrannique ».

Ainsi la société change en ces années 30 du XXème siècle, mais la Femme reste éternelle dans sa constance à faire souffrir les hommes.

Andreossi

Mal d’amour, Jean Fayard

 

 

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Au musée d’Orsay, l’hommage de Valéry à Degas

Edgar Degas (1834-1917), Danseuse assiseEntre 1881 et 1883, Pastel sur papier marron contrecollé sur carton H. 62 ; L. 49 cm Paris, musée d’Orsay Legs de Gustave Caillebotte, 1894© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

C’est une petite danseuse qui entre deux entre-chats vient se poser quelques instants sur une chaise et, penchée vers l’avant, se masse la cheville gauche. Le bras droit, replié sur le genoux semble prêt à donner l’impulsion pour un nouveau bond, alors que le dos est totalement courbé et le visage absorbé. Derrière l’énergie, on sent la fatigue, la douleur même, la tension, la brièveté de la pause.

Un dessin réalisé au pastel et signé Edgard Degas (1834-1917), dont on admire sans cesse la spontanéité, le cadrage photographique, la vivacité du trait. Une sensibilité et une efficacité dans la saisie des corps et des mouvements que le grand écrivain Paul Valéry (1871-1945) a merveilleusement louées.

Le poète sétois a entretenu avec le peintre parisien une intense amitié et une admiration qui l’ont conduit à concevoir un livre de dessins intitulé « Degas Danse Dessin », finalement publié par Ambroise Vollard en 1936, près de vingt après la mort de l’artiste.

Deux danseuses au repos Edgar Degas 1898 / Musée d’Orsay RMN

Le Musée d’Orsay nous propose, ce qui sera pour beaucoup une découverte, de parcourir cet ouvrage au fil d’une très belle exposition réunissant dessins et pastels de Degas, mots toujours ciselés de Valéry, et témoignages de l’amitié entre les deux hommes. Les œuvres de formation du peintre (splendides copies de classiques), son travail sur la danse (ses incomparables sculptures, dont la fameuse « Petites danseuse de quatorze ans » viennent compléter les œuvres graphiques) mais aussi sur le cheval raviront les amateurs de cet artiste inclassable. Cette présentation permettra aussi sans doute de mieux faire connaître le trait de plume de Paul Valéry, dont la singularité et la poésie sont toujours un régal : « Le cheval marche sur les pointes. Quatre ongles le portent. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l’étoile du corps de ballet, comme un pur-sang en parfait équilibre, que la main de celui qui le monte semble tenir suspendu, et qui s’avance au petit pas en plein soleil. »

Degas Danse Dessin

Hommage à Degas avec Paul Valéry

Musée d’Orsay, Paris

Jusqu’au 25 février 2018

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Hartung et les peintres lyriques

Jean-Yves nous ramène de Bretagne une belle idée d’excursion en cette fin d’hiver : l’exposition consacrée à Hartung et d’autres peintres lyriques à Landerneau. Merci Jean-Yves de nous faire partager ce coup de coeur !

Mag

Le Fonds pour la Culture Hélène et Edouard Leclerc qui avait organisé, à Landerneau, une très belle rétrospective Chagall en 2016, récidive dans la qualité en proposant, cet hiver et jusqu’au 17 avril, une exposition consacrée à Hans Hartung et à quelques autres peintres lyriques.

L’accrochage chronologique des œuvres de l’artiste commence par ses tableaux de jeunesse, dans les années 1930, quand il s’engage délibérément et sans retour vers la non-figuration. S’ils n’ont pas la maîtrise des œuvres ultérieures, ces tableaux, souvent moins exposés que le reste de la production d’Hartung, demeurent intéressants, notamment quand ils illustrent la technique du report adoptée alors par le peintre, consistant à reproduire exactement sur tableaux les dessins sur papier.

L’exposition se poursuit en survolant la production d’Hartung dans l’immédiat après-guerre pour s’attarder sur les réalisations de la fin des années 1950 et des années 1960 lorsque la technique du peintre évolue : plus sûr de son geste, l’artiste explore une nouvelle méthode de mise à distance et n’hésite pas à employer divers instruments inattendus (pistolets de carrossier, lames ou râteaux). La recherche constante de nouvelles méthodes le conduira plus tard à employer un spray pour pulvériser de la peinture acrylique sur la toile, voire à frapper celle-ci au moyen de balais de genêt…

Les accrochages rendent très bien compte de ces évolutions, les griffures et zébrures laissant progressivement la place aux masses sombres, puis à un renouveau jubilatoire de la gamme chromatique.

Hartung continuera à peindre quasiment jusqu’à la fin de sa vie, à 85 ans, dans une approche toujours très physique de son art… C’est dans son œuvre finale qu’il parvient à la plus grande amplification de son geste, dans des tableaux de grande taille.

La visite est ponctuée d’îlots ouverts à d’autres peintres lyriques. Le premier expose des œuvres de quelques représentants de la Nouvelle Ecole de Paris (Simon Hantaï, dont on retrouve avec plaisir deux tableaux, Gérard Schneider, Georges Mathieu) et met leurs contributions en résonance avec celle d’Hartung… Le second, occupé essentiellement par des peintres américains (Cy Twombly, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler), annexe aussi Jean Degottex, dont on apprécie le très beau « L’adret ». Le dernier, enfin, permet de découvrir certains « héritiers » d’Hartung (Jaffe, Traquandi, Polke…), même si la filiation ne saute pas toujours aux yeux du néophyte.

L’exposition, la première de cette importance consacrée en France au peintre depuis 2008, souligne donc la grande diversité de la production d’Hartung et la hauteur de son influence. Elle permet de deviner comment, dans sa volonté d’exploration, la démarche du peintre reste marquée par une grande rigueur, davantage peut-être que par l’effusion qui s’attache souvent au lyrisme. Elle donne enfin à retrouver quelques-uns des principaux acteurs de ce mouvement, l’abstraction lyrique, qui constitue l’une des étapes majeures de la peinture au cours de la seconde partie du 20ème siècle.

Jean-Yves

Hartung et les peintres lyriques

Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture

Les capucins – 29800 LANDERNEAU

Jusqu’au 17 avril 2017

 

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Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Gauguin, Eh quoi, tu es jalouse ? (1892)
Aha oé feii ? (Eh quoi, tu es jalouse ?), Paul Gauguin, Tahiti, Papeete, été 1892. / Musée Pouchkine, Moscou

Jean-Yves est allé admirer la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton à Paris. Son coup de cœur est tout à fait partagé : les Cézanne à eux seuls valent le détour! Mag

S’il y a un événement qu’il ne faut pas manquer aujourd’hui, c’est bien l’exposition Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Cette exposition réunit, en effet, 130 œuvres faisant partie de la collection que le riche industriel russe avait constituée dans son palais de Moscou entre 1898 et 1914. Après avoir été nationalisée en 1918, la collection fit l’objet d’une partition entre le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, d’une part, et le musée Pouchkine à Moscou, d’autre part. Après une longue mise à l’index, certains tableaux refirent leur apparition vers la fin des années 1950, quelques-uns d’entre eux étant même autorisés à être présentés à l’étranger. Mais c’est la première fois qu’autant d’œuvres majeures voyagent en si grand nombre et c’est en cela que l’événement est exceptionnel.

L’exposition est organisée en différentes séquences, chacune dédiée à un thème particulier. Dès la première galerie, le ton est donné. A l’enseigne des « peintres et le collectionneur », on peut d’emblée admirer des autoportraits de Cézanne et Gauguin, le portrait de Benet Soler par Picasso, dans sa période bleue, un Van Gogh et le superbe « Homme à la pipe »  de Cézanne.

Se succèdent ensuite des salles aux accrochages les plus admirables. « Le déjeuner sur l’herbe » (Monet) figure avec deux Pissarro, un Sisley et un Signac dans l’ensemble « Paysages Impressions ». La salle suivante (« Paysages constructions ») est, selon nous, l’une des plus belles, puisqu’elle propose deux tableaux de Cézanne (dont « La Montagne Sainte-Victoire vue des Laures », annonciatrice du cubisme et de l’art abstrait) et un mur cubiste composé de trois Picasso, d’un Braque et d’un Derain.

Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016
Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016

La visite se poursuit dans un ensemble constitué exclusivement d’œuvres de Gauguin, qui se prolonge par une série de « Portraits de la peinture » faisant l’état des lieux des inventions plastiques qui bouleversent alors l’art contemporain (Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Picasso, Matisse…).

Le « Salon rose » est un hommage à Matisse, dont le collectionneur a acquis 37 toiles, avec qui il dialogua et qui le guida dans ses choix. Si les emblématiques « La danse » et « La musique » ne sont pas présentes dans l’exposition, on peut néanmoins voir « La desserte – harmonie en rouge », commandée par l’industriel en tons bleus, mais que le peintre réalisera, selon sa propre volonté, dans un rouge explosif.

Après avoir traversé les salles consacrées aux « Natures mortes » et aux « Totems et tabous », on arrive à la Cellule Picasso : Chtchoukine avait décidé de consacrer une salle entière de son palais à l’œuvre du peintre, malgré les fortes réticences que celle-ci soulevait alors.

La visite se termine par trois salles où est mise en exergue l’influence que la collection Chtchoukine exerça sur la peinture russe avant-gardiste de l’époque (Malevitch, Klioune, Tatline, Rozanova…). A la fois collectionneur au goût très sûr, mécène, amateur (il ne revendait pas les œuvres acquises), Chtchoukine souhaitait, en effet, donner une large expansion aux mouvements artistiques qu’il défendait et il n’avait pas hésité, à cet effet, à rendre son palais accessible au public dès 2008.

L’exposition est donc aussi un hommage à Serguei Chtchoukine, dont la vie fut traversée par des circonstances familiales tragiques et qui trouva peut-être dans sa collection une échappatoire à la douleur. On retiendra, enfin, qu’après avoir fui la Russie en 1918, ce grand visionnaire s’exila en France où il est mort en 1936 sans avoir revu sa collection.

Jean-Yves

Fondation Louis Vuitton

Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Entrée 16 euros (tarifs réduits 5 et 10 euros)

L’exposition est prolongée jusqu’au 5 mars 2017

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Admirable Frédéric Bazille au Musée d’Orsay

Frédéric Bazille, Réunion de famille dit aussi Portraits de famille (1867) H. 152 ; L. 230, Paris, musée d'Orsay, acquis avec la participation de Marc Bazille, frère de l'artiste, 1905© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Frédéric Bazille, Réunion de famille dit aussi Portraits de famille (1867) H. 152 ; L. 230, Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Pour mettre en valeur un artiste insuffisamment (re)connu, rien de tel que de mettre en perspective ses œuvres avec celles de ses contemporains que la postérité a glorifiés. Telle est la démarche – fort convaincante – adoptée par le Musée d’Orsay pour cette première exposition consacrée par un musée national français au peintre Frédéric Bazille (1841-1870).

Fils aîné d’une famille de la grande bourgeoisie protestante montpelliéraine, Frédéric Bazille était promis à la médecine. Mais, sitôt « monté » à Paris pour y poursuivre ses études, il s’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre et décide de changer radicalement de destinée pour s’adonner à l’une de ses passions, la peinture – l’autre étant la musique.

Frédéric Bazille, La robe rose (1864) H. 147 ; L. 110 cm, Paris © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Frédéric Bazille, La robe rose (1864) H. 147 ; L. 110 cm, Paris © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

D’emblée, il côtoie la génération de Monet, Renoir, Sisley et s’élance sur la voie de la modernité. Avec ses amis, et suivant le mouvement de Monet (une fréquentation que l’exposition restitue), il prend le chemin de la peinture sur le motif à Fontainebleau, en Normandie, à Chailly… C’est toutefois lorsque, l’été, il retrouve son midi natal, que la singularité de son talent se révèle. Voyez ses vues d’Aigues-Morte, dont il restitue l’atmosphère si particulière, baignée autant de soleil que d’immobilité et d’oubli. Admirez la fine lumière de sa Réunion de famille, les traits réalistes et la présence de ses proches. Succombez à l’une des plus belles toiles de l’exposition, La robe rose, où Bazille a su capter l’extrême douceur du soir d’une journée de fin d’été, qui éclaire encore les pierres blanches du hameau, laissant le personnage féminin assise dans l’ombre les contempler.

Frédéric Bazille, Les Remparts d'Aigues-Mortes, du côté du couchant (1867) H. 60 ; L. 100 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images
Frédéric Bazille, Les Remparts d’Aigues-Mortes, du côté du couchant (1867) H. 60 ; L. 100 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images

Forts admirables aussi sont les tableaux montrant ses ateliers, notamment celui de la rue Condamine, que l’artiste, comme ses autres logements, partage généreusement avec ses amis peintres. Lorsque l’argent manque pour payer les modèles, ils posent les uns pour les autres. Ainsi Bazille peint Renoir et inversement. Il peint des Baigneurs avant Cézanne et à dix mille lieux des nus académiques de son compatriote Cabanel. Mais aussi une Toilette féminine façon Manet ou Delacroix. Il peint des natures mortes très réussies – c’est avec des Poissons qu’il est admis pour la première fois au Salon d’automne en 1866, mais on aime bien aussi son Héron. Citons encore une Jeune femme aux pivoines en deux versions, toutes deux magnifiques, une mélancolique Tireuse de cartes, un Autoportait à la palette, à la fois fort bien ajusté et débordant de tempérament.

Frédéric Bazille, Jeune femme aux pivoines (1870) H. 60 ; L. 75 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images
Frédéric Bazille, Jeune femme aux pivoines (1870) H. 60 ; L. 75 cm, Washington, National Gallery of Art © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images

Le tout en sept ans de carrière seulement. Il est en effet emporté sur le front de la Guerre de 1870 à quelques jours de son 29ème anniversaire. Il a eu le temps de peindre une petite soixantaine de tableaux.

Le Musée d’Orsay en montre 47 et une série de dessins, ainsi que de nombreuses toiles de ses contemporains tels Courbet, Monet, Corot, Cézanne, Sisley, Renoir, Fantin-Latour…

L’exposition est le fruit d’un judicieux partenariat entre les trois plus importantes collections mondiales d’œuvres de Frédéric Bazille, le Musée d’Orsay, la National Gallery or Art de Washington (où elle fera sa dernière étape à partir d’avril 2017) et bien sûr le Musée Fabre à Montpellier, où elle a été inaugurée et qui compte le plus grand nombre d’œuvres de cet artiste dont on découvre l’étendue du talent avec emballement.

Frédéric Bazille, La jeunesse de l’impressionnisme

Musée d’Orsay – Paris 7°

TLJ sauf le lundi, de 9h30 à 18h, le jeudi jsq 21h45

Entrée 12 euros (TR 9 euros), gratuit pour les – de 26 ans de l’UE

Jusqu’au 5 mars 2017

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Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

modigliani_femme_assise_robe_bleueNotre ami Jean-Yves s’est rendu au LaM dans le Nord pour visiter la rétrospective consacrée à Modigliani… Ce qu’il en dit nous fait pâlir d’envie ! Merci Jean-Yves de partager ainsi ce magnifique moment de peinture !

Mag

Le LaM à Villeneuve d’Ascq, qui détient une collection exceptionnelle de peintures, sculptures et dessins de Modigliani propose une très belle traversée de l’œuvre de l’artiste, né en Italie en 1884 et arrivé à Paris en 1906.

modigliani_lamCette présentation est construite en trois parties, à la fois thématiques et chronologiques. La première s’attache à démontrer la diversité des sources d’inspiration de Modigliani : il est fou d’art égyptien qu’il consulte régulièrement au Louvre, mais sa sensibilité s’imprègne aussi des références khmères, cycladiques et africaines. S’essayant à la sculpture malgré un manque de formation dans cette discipline, il s’entoure des conseils de Brancusi qu’il a rencontré à Montparnasse, mais il doit abandonner cet art pour des raisons de santé et financières (il ne parvient pas à trouver de mécène). De cette époque, on admire une très belle « Tête de femme », la seule sculpture en marbre de l’artiste, mais aussi des dessins et une superbe « Cariatide » sur fond bleu, dessinée au crayon et lavis d’encre.

tete_rouge_amedeo_modiglianiLa deuxième partie met en évidence l’importance du portrait d’artiste dans sa production. Dès 1915-1916, Modigliani cherche à définir son style, immédiatement reconnaissable : figures de forme ovoïde, yeux le plus souvent sans pupilles et de hauteurs distinctes, nez aux arrêtes tranchées, cous en pur cylindre, fonds minimaux et abstraits… Côtoyant les peintres de la future Ecole de Paris (Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Pinchus Kremègne), Modigliani dresse leur portrait dans des tableaux et croque aussi (au crayon ou au graphite) Max Jacob, Pablo Picasso (qui le sous-estimait) et Jean Cocteau qui, n’aimant pas la représentation faite de lui par le peintre italien, s’en séparera rapidement. Toutes ces œuvres sont intéressantes, mais on se permettra une préférence pour la « Tête rouge » qui synthétise à la fois l’art africain, le cubisme, le fauvisme et l’art de Cézanne. L’exposition ne manque pas de rappeler que ce dernier est la référence absolue de Modigliani.

modigliani_jeune_filleLa fin de l’exposition est consacrée aux dernières années de l’artiste. Soutenu par le marchand d’art Léopold Zborowski, dont il dressera deux beaux portraits, accrochés aux murs du musée, Modigliani parvient à une peinture plus sereine. Les couleurs s’éclaircissent, la ligne des corps s’arrondit et devient plus voluptueuse, comme en témoigne le « Nu assis à la chemise », dont le dessin raffiné et la touche délicate restituent toute la fragilité de la femme. La présentation de ses nus lors d’une exposition de décembre 1917 fera scandale. Mais la préoccupation première du peintre reste le visage. Modigliani continue à représenter ses amis artistes et ses proches, mais il donne aussi une place plus importante aux anonymes. Il ne peindra des paysages (qui demeureront rares dans sa production) qu’à partir de 1918, lors d’un séjour dans le sud de la France organisé par Zborowski.

modigliani_nuL’exposition rend également hommage à Roger Dutilleul que Modigliani rencontre en 1919 et qui deviendra un collectionneur assidu du peintre (il achète et échange 35 peintures et 26 dessins) et ne cessera de défendre son œuvre bien au-delà de la mort de l’artiste en 1920. La donation par son neveu Jean Masurel de quatorze pièces de la collection est à l’origine de la création du LaM, qui a donc toute légitimité pour monter cette rétrospective, la première d’importance depuis celle organisée au Musée du Luxembourg en 2002. Au-delà de la qualité des pièces présentées, l’exposition est passionnante par son côté didactique qui permet de suivre l’évolution du parcours de l’artiste au travers de ses influences, de ses rencontres…

La visite donne aussi l’occasion de s’attarder dans les collections permanentes du musée, riches de quelques tableaux cubistes de Picasso et de Braque, d’œuvres de Fernand Léger, de Miro, de Jenkins, et de pièces représentatives de l’abstraction lyrique : Manessier, Poliakoff, Staël, Estève, Ubac…

Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

LaM

1, allée du Musée – Villeneuve d’Ascq (59)

Jusqu’au 5 juin 2016

Jean-Yves

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Hubert Robert. Musée du Louvre

Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, Hubert Robert, 1788. Huile sur panneau de chêne. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Jean-Gilles Berizzi
Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, Hubert Robert, 1788. Huile sur panneau de chêne. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Jean-Gilles Berizzi

Plus qu’à la simple visite d’une exposition, c’est à une profonde immersion dans l’œuvre d’Hubert Robert (1733-1808) que le musée du Louvre nous invite avec cette large rétrospective, qui réunit quelques 140 œuvres de cet artiste complet du siècle des Lumières, peintre, dessinateur, décorateur, architecte, paysagiste.

Il y avait pour le Louvre du temps à rattraper et un hommage à rendre à l’égard de cet ancien directeur du Musée, qui n’avait pas été exposé depuis 1933. Grande figure de son temps, on le décrit comme un homme enjoué, sociable, amateur des plaisirs de la vie. Le parcours s’ouvre d’ailleurs sur un témoignage d’amitié, celui de Louise Elisabeth Vigée Le Brun, qui a fait du peintre un majestueux portrait.

C’est à Rome que tout démarre véritablement. Arrivé en 1754, très vite pensionnaire de l’Académie de France à Rome, avec Fragonard pour compagnon, il étude Piranèse, écume les monuments et dessine la ville éternelle pendant une bonne dizaine d’années, emmagasinant un formidable répertoire de motifs dans lequel il puisera durant toute sa carrière.
Robert Hubert, Projet pour la Transformation de la Grande Galerie. 1796. Huile sur toile. H. 113; l. 143 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi
Robert Hubert, Projet pour la Transformation de la Grande Galerie. 1796. Huile sur toile. H. 113; l. 143 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Puis c’est Paris, avec son atelier installé dans le Louvre, sa réception à l’Académie royale de peinture dès 1766 grâce à son Port de Ripetta, patchwork associant différents monuments de Rome. La France se pique alors d’Antiquités, Robert est pile dans l’air du temps.

Mais Hubert Robert ne s’est pas contenté de peindre les ruines Antiques. Bien plus, celles-ci ont été une sorte de tremplin pour son imaginaire, sa fantaisie et sa sensibilité. D’un pinceau alerte, il compose, avec un sens du cadrage souvent spectaculaire, presque photographique, des scènes narratives, parfois non dénuées d’humour, et des vues qui paraissent créées de toutes pièces, exceptés les éléments architecturaux qui en sont le point de départ – ou le prétexte ?
Des jeunes filles dansent autour d’un obélisque brisé ; des personnages étendent un linge dans une baie de la basilique Saint-Pierre de Rome ; des visiteurs découvrent des antiquités dans une cavité à la lumière d’une torche ; les cascades de Tivoli ressemblent aux chutes du Niagara.
Hubert Robert, Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome. 1763. Huile sur bois. H. 48,5; l. 37 cm. Valence, musée de Valence © Musée de Valence, photo Éric Caillet
Hubert Robert, Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome. 1763. Huile sur bois. H. 48,5; l. 37 cm. Valence, musée de Valence © Musée de Valence, photo Éric Caillet

Sa passion des ruines semble aller au-delà de cette mode de la fin du XVIII°, pour annoncer, dans cet attrait pour ce qui est menacé d’engloutissement, le Romantisme du siècle suivant. Il y a certes ces petites personnages qui ont l’air de s’amuser autour des ruines, ce linge étendu partout, ces petits chiens, autant de clins d’œil à la vie quotidienne comme elle va. Mais le grandiose et le sublime s’effondrent. Rome est incendiée dans un impressionnant brasier. Paris la médiévale est démolie. A Versailles, ce sont les arbres que l’on abat. La Révolution française arrive (par miracle, Hubert Robert lui survit). La Bastille brûle. Les tombeaux des rois sont saccagés.

Témoin d’un passé disparu (la Rome Antique), ce peintre de l’Ancien Régime se fait à la fin du siècle chroniqueur d’un présent qui engloutit une époque. Il y a là comme une mélancolie, une gravité, une méditation, que l’une des adorables sanguines exposées, Jeune homme lisant, appuyé sur un chapiteau corinthien semble résumer, avec, pour le coup, la plus grande simplicité.

Hubert Robert, un peintre visionnaire
TLJ sf le mar., de 9h à 18h, mer. et ven. jusqu’à 21h45
Jusqu’au 30 mai 2016
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Le Douanier Rousseau, l’innocence archaïque

rousseau_charmeuse_de_serpentsUn dessin de Giorgio de Chirico montrant Picasso avec trois autres convives dînant sous un tableau du Douanier Rousseau ouvre l’exposition. Ce choix n’a rien de fortuit : Picasso et d’autres modernes tels que Delaunay, Kandinsky, Léger ou encore Morandi ont trouvé dans la création d’Henri Julien Félix Rousseau (1844-1910) une approche plastique nouvelle qui a séduit ceux-là mêmes qui allaient développer une œuvre d’avant-garde.

Au tournant du siècle, le Douanier Rousseau parvient en effet à s’imposer avec un style bien à lui, auquel il est resté fidèle tout au long de sa carrière (qui toutefois ne dura qu’une vingtaine d’années) et qui rend sa peinture immédiatement reconnaissable : un dessin aux contours nets mais souvent « maladroit », avec un affranchissement des lois de la perspective, un goût marqué pour la couleur, une impression de grande fraîcheur.

L’histoire d’Henri Rousseau pourrait évoquer celle d’un peintre du dimanche : ce natif de Laval issu d’une famille modeste, qui s’installe à Paris où il devient commis d’Octroi, commence à peindre en autodidacte à près de 40 ans. Pour toute formation : les conseils de quelques peintres tels que Bourguereau, l’exécution de copies au Louvre, et un travail acharné. C’est ainsi que malgré les moqueries que sa peinture naïve ne manque pas d’attirer, il parvient à exposer régulièrement au Salon des Indépendants à partir de 1886 et à vendre des tableaux, peut-être moins à des collectionneurs (Jean Walter fut l’un d’eux) qu’aux jeunes peintres qui l’admiraient.

rousseau_la_carriole_pere_junierAujourd’hui, le Douanier Rousseau (c’est son ami Alfred Jarry qui l’avait baptisé ainsi) est essentiellement connu pour ses « jungles », grandes compositions mettant en scène des animaux sauvages dans une végétation luxuriante. Celles-ci viennent achever merveilleusement cette belle exposition. Elles donnent d’ailleurs envie de s’y arrêter car elles sont significatives de la perplexité dans laquelle peut plonger l’œuvre du peintre. Car si le choix des sujets peut trouver à s’expliquer (la fascination pour l’exotisme d’un homme qui n’a jamais voyagé et fut marqué par les pavillons de l’Exposition universelle de 1889 et les espèces qu’on pouvait admirer au Jardin des plantes), les expressions recèlent un mystère plus grand.

Les yeux ronds des singes comme tout étonnés ou ceux des fauves dévorant leur proie sont difficiles à déchiffrer, comme le sont les regards des enfants que l’on découvre plus tôt dans le parcours : des expressions si adultes, si mélancoliques, sur ces visages potelés ! Quels sentiments animaient l’âme du Douanier Rousseau, capable de l’auto-portrait le plus « décomplexé », des compositions les plus fantastiques, des paysages les plus poétiques, des portraits de femmes les moins séduisants ?… On aime qu’au-delà d’une apparence naïve tout ne soit pas livré.

rousseau_pecheurs_a_la_ligneLes rapprochements effectués par le Musée d’Orsay et la Fondazione Museil Civici de Venise (où l’exposition fit une première étape l’an dernier) avec des œuvres fort variées au fil des salles thématiques sont souvent parlants bien que parfois surprenants : Picasso, Gauguin, Ernst, Morandi, Bourguereau, Ucello, Carpaccio… Ces rapprochements qui permettent d’éclairer avec davantage de relief l’œuvre du Douanier Rousseau, sont aussi la preuve de son inscription dans une tradition picturale – celle du rejet de l’académisme – et de l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à (re)découvrir ses tableaux, y compris en dehors de ses fascinantes « jungles ».

Musée d’Orsay

62 rue de Lille – Paris 7°

Entrée : 12 euros (TR 9 euros)

Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h45

Jusqu’au 17 juillet 2016

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