Charlotte. Théâtre du Rond-Point

Inspiré notamment du livre de David Foenkinos, ce très beau spectacle met en scène la courte vie de Charlotte Salomon, artiste peintre née à Berlin en 1917 et morte à Auschwitz en 1943.

Raconter la vie de cette trajectoire singulière, c’est raconter tout autant celle de la famille dans laquelle elle a grandi et les temps et lieux qui furent les leurs. L’histoire de Charlotte telle qu’elle nous est montrée (et de façon si convaincante qu’on la prend entière telle que) est celle d’une petite fille devenue jeune fille comme elle a pu, et ébauche de jeune femme à l’avenant, plante un peu sauvage poussée en terre de douleurs et de silence.

Une famille où les femmes se suicident les unes après les autres, où les survivants tremblent, où les hommes ne font jamais que ce qu’ils peuvent. Mais où l’élan vital, enfin, parvient à se faufiler par le biais de l’art – introduit par le chant et la joie de sa belle-mère – poussant les murs à l’intérieur d’une Charlotte sinon prête à exploser. Lourdeur familiale mais aussi terreur de l’histoire qui se joue dans les années 30 à Berlin. Une petite fille qu’on chérit comme la survivante d’une lignée de femmes perdue, mais qu’on oublie d’écouter. Alors quoi, pour exister, sinon le dessin ?

La metteuse en scène, Muriel Coulin, a si bien empoigné le mode narratif que la pièce se regarde et s’écoute avec la même intensité que celle qui nous lie aux récits les mieux écrits. Mélodie Richard, comédienne extraordinaire, raconte et joue Charlotte Salomon, alternant avec brio et naturel la gravité et les débordements qui font tout ensemble la jeune fille. Les autres comédiens interprètent les grands-parents maternels, le père, la mère puis la belle-mère et « l’amoureux » – les femmes se démarquent nettement, rôles et jeux à la fois. Le décor est sobre mais, grâce au dispositif d’ensemble, et notamment les éclairages, puissamment évocateur. La vidéo, utilisée à propos, nous met sous les yeux l’art de Charlotte et des images d’archives de ces temps terrifiants. La musique, en partie jouée par Mélodie-Charlotte, ponctue et accompagne avec grâce.

Durant 1h40, on est charmé, captivé, touché. Pas de tire-larmes, d’outrance de jeu ni d’effet de manche de metteur en scène. Simplement une très triste histoire racontée avec douceur, intelligence et beauté : un hommage à Charlotte Salomon plein de délicatesse.

Charlotte, une libre adaptation de Vie ? ou Théâtre ? de Charlotte Salomon
et de Charlotte de David Foenkinos
Conception et mise en scène de Muriel Coulin
Avec Mélodie Richard, Nathalie Richard, Joël Delsaut, Yves Heck, Jean-Christophe Laurier et Marie-Anne Mestre

Au Théâtre du Rond-Point  jusqu’au 3 février 2019

Facebooktwitter

Épiphyte, des fleurs chez Artcurial

Le charme incomparable des fleurs de fin d’été, la créativité de fleuristes véritables artistes, le travail autour d’œuvres d’art somptueuses… Trois raisons d’adorer l’exposition présentée chez Artcurial jusqu’au 14 septembre.

La célèbre maison de ventes du Rond-Point des Champs-Élysées à Paris a ainsi donné carte blanche à de grands fleuristes, leur laissant le champ libre d’imaginer accompagnements, prolongements, mises en valeur de peintures et sculptures au programme des ventes de l’automne.

Ces ensembles tous plus surprenants les uns que les autres se révèlent au regard en plusieurs temps : c’est tout d’abord la décoration florale qui saute aux yeux, avant que l’œuvre d’art proprement dite ne se dévoile et qu’enfin on admire le formidable équilibre formé par la peinture ou la sculpture et son écrin.

De ces différentes créations, on aime tout particulièrement celles de Catalina Lainé autour d’une table de Giacometti, de Rica Arai surplombant un buste de Sarah Bernhardt signé  Lalique et enfin du Collectif de la Fleur Française sous un cheval de Géricault, les trois étapes les plus poétiques du parcours. Sous ce joli titre d’Epiphyte, l’exposition coup de cœur de cette rentrée urbaine !

Épiphyte, Artcurial, 7, Rond-Point des Champs-Elysée, Paris 8ème

Jusqu’au 14 septembre 2018

Facebooktwitter

Bella Figura. Yasmina Reza

Il y a trois ans, on avait beaucoup aimé, du même auteur, Comment vous racontez la partie  vue dans ce même théâtre du Rond-Point à Paris. Le propos y était corrosif, la mise en scène efficace, le jeu des acteurs excellent.

Sur un thème fort différent, ces trois ingrédients de réussite sont à nouveau réunis dans cette nouvelle mise en scène par la célèbre dramaturge de l’une de ses propres pièces. Le cadre reste la province et, si on a quitté le milieu culturo-médiatique de Comment vous racontez…, Yasmina Reza nous invite une fois de plus à examiner les relations sociales. Mais ici, pas de chocs de milieux, on est dans la même marmite. Et ça bout, du début à la fin.

La situation de départ est des plus triviales : un couple illégitime s’engueule sur un parking, lui petit entrepreneur aux manières plutôt goujates, elle préparatrice en pharmacie un brin hystérique perchée sur talons vermillons, le tout « au cul » d’une voiture de sport vulgaire. Mais très vite, l’irruption accidentelle (c’est le moins qu’on puisse dire) de trois autres personnages va permettre de dépasser cette entame vaudevillesque pour dévoiler un tableau que l’auteur des Dieux du carnage excelle toujours à brosser : celui de ces petites misères humaines que la vie en société nous oblige en temps ordinaire à dissimuler.

Pour procéder à cette entreprise, Yasmina a une arme fatale : le personnage d’Andrea, très brillamment interprété par Emmanuelle Devos, aussi douée sur les planches que sur grand écran. C’est elle qui dérange, d’abord son amant Boris (parfait Louis-Do de Lencquesaing), puis les amis de celui-ci (interprétés tout aussi bien par Micha Lescot et Camille Japy). Tous, sauf la vieille mère Yvonne (délicieuse Josiane Stoléru), la pressent sans cesse de sortir, sans jamais y parvenir. Elle parle trop et trop fort, rit et s’enthousiasme de même. Exubérante, inconvenante, Andrea dit ce qui ne se dit pas et fait ce qui ne fait pas. Sans compter son statut de maîtresse, qui est tour à tour objet d’attraction pour le parfum de liberté qu’elle répand et de condamnation pour la trahison qu’elle incarne.

Autour d’elle, dans une atmosphère devenue étouffante et tendue à l’extrême, chacun des personnages sent le sol tanguer sous ses pieds, Boris-le-sans-vaillance vacille sous la menace d’une liquidation judiciaire, Yvonne la veuve a toujours peur d’avoir perdu son sac devenu, avec son petit calepin dedans, son (seul) compagnon. Quant au couple d’amis, il finit par céder aussi, abandonnant son souci du prochain et sa bien-séance de bon aloi, remuant la vieille mère, jetant le dessert du grand restaurant, se dessoudant un instant… La Bella figura finit par craquer de toute part. Seule Andrea, assurément la plus esseulée de tous, parvient, grâce à son apparence de légèreté et de fantaisie, à continuer à faire Belle figura. Et apparaît en définitive comme la plus lucide de tous.

Belle figura, à voir au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 31 décembre 2017

A 21h du mardi au samedi, à 15 h le dimanche – durée 1h30

Une pièce écrite et mise en scène par Yasmina Reza, avec Emmanuelle Devos, Josiane Stoléru, Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, Micha Lescot

Facebooktwitter

Interview

La dernière représentation de la saison au Théâtre du Rond-Point a été jouée dimanche 12 mars, mais le spectacle part ensuite en tournée en province, avant de revenir à Paris au Théâtre Monfort.

Il s’agit d’une pièce remarquable, quoique d’un dispositif assez réduit : deux comédiens (elle, Judith Henry, toujours excellente de fraîcheur, lui, Nicolas Bouchaud, fort différent mais très bon aussi) tantôt rejouent des interviews historiques célèbres, tantôt restituent des interviews qu’ils ont obtenues de personnalités dont le métier est l’interview.

Le choix des textes est excellent et les deux comédiens enchaînent les séquences avec une agilité et un naturel déconcertants.

C’est ainsi qu’on voit et écoute Marguerite Duras in fine clouer le bec à Bernard Pivot après avoir été malmenée sur son alcoolisme (« Mais alors vous êtes prête au pire …? » – « Ben oui, la preuve : je suis là ! »). Jean Hatzfeld parler du loupé total des journalistes sur le génocide au Rwanda, qui n’ont pas su voir les rescapés – qui ne pouvaient parler. Raymond Depardon et Claudine Nougaret son épouse évoquant  leur travail, notamment avec les paysans (cf la trilogie de documentaires, dont le dernier, La vie moderne) : comment savoir attendre pour obtenir une parole, mais aussi la place de Claudine Nougaret dans le monde médiatique – toujours vue comme l’épouse de, rarement citée par son nom et pour son travail en propre, dont on comprend pourtant l’importance dans les films de son mari, en tant qu’ingénieur du son qui sait faire oublier sa présence et celle du micro. Mais aussi Florence Aubenas qui elle aussi sait si bien s’intéresser aux personnes qu’elle interviewe, attendre, se taire, mettre en confiance et obtenir des mots vrais.

 La mise en scène est en cohérence totale avec le projet. Par exemple, lors du long passage de R. Depardon et C. Nougaret, des grandes photos, issues notamment des Profils paysans mais aussi de La France sont placées sur le devant de la scène et les comédiens tout devant elles. Cette proximité, cette intimité, le naturel de jeu de Judith Henry (davantage que Nicolas Bouchaud, qui se fait moins « oublier » que sa compagne de scène) restituent, autant que le texte, l’esprit du célèbre couple que l’on a ici envie d’appeler « d’écouteurs ». Démonstration en est faite s’il était besoin : écouter est un rare et noble métier, et c’est ainsi qu’on aimerait pouvoir qualifier tous les interviewers.

Interview
Conception et mise en scène : Nicolas Truong
Collaboration artistique et interprétation : Nicolas Bouchaud, Judith Henry
Dramaturgie : Thomas Pondevie
Scénographie et costumes : Élise Capdenat
Du 22 au 24 mars 2017 SORTIE OUEST / THÉÂTRE BÉZIERS (34
Du 6 au 14 avril 2017 MC2 / GRENOBLE (38)
Le 3 mai 2017 : L’AGORA / BOULAZAC (24)
Le 5 mai 2017 : LE LIBURNIA / LIBOURNE (33)
Le 9 mai 2017 : THÉÂTRE DES 4 SAISONS / GRADIGNAN (33)
Les 12 et 13 mai 2017 : THÉÂTRE LIBERTÉ / TOULON (83)
Le 20 mai 2017 : LA COMÉDIE DE REIMS (51)

Les 23 et 24 mai 2017 : LE QUAI CENTRE NATIONAL DRAMATIQUE / ANGERS (49)

Du 29 mai au 17 juin 2017 : LE MONFORT / PARIS

Facebooktwitter

Le Sorelle Macaluso. Emma Dante

emma_dante_sorelle

Ils sont dix comédiens, huit femmes, deux hommes. Leurs corps ne sont pas canoniques ; ils expriment d’où ils viennent. Des hommes bruns et ramassés. Des femmes aux cuisses larges, dont les visages et les chairs ont vécu. Ils sont peut-être de Palerme, cette ville de Sicile où Emma Dante, auteur, metteur en scène, a créé sa compagnie à la fin des années 1990. Une ville pauvre, des vies de misère, où la famille est la seule richesse. Où on mêle à la pasta la seule aubergine qui reste, coupée en finissimes tranches, pour nourrir les sept sœurs et leur père. Parce que la mère, elle n’est plus là. Elle reviendra, un moment, spectre blanc et riant, pour embrasser avec tendresse son mari qui manque d’air depuis qu’elle est partie. Car ici les vivants sont en noir et les défunts en blanc. Qu’elle est cruelle la Camarde, qui laisse les filles orphelines et emporte les enfants qui jouent dans la mer ou à Diego Maradona.

Mais elles rient, quand même, les sœurs Macaluso, elles rient à perdre la raison, et elles chantent. Parce qu’un jour, un seul jour, elles sont allées à la mer. Et elles étaient si heureuses d’y aller. Le jour tant attendu a finalement été tragique, et les déchire encore, mais le souvenir de la joie de l’attente, de la joie de l’instant d’avant les fait encore rire et chanter. Et danser aussi, sur ces airs mélancoliques et beaux qui rappellent cette mer si brillante « parce que le soleil s’y cogne dedans », rendent la joie plus grande et la tristesse plus douce. C’est plus que joué, c’est incarné, terriblement vivant sur un plateau nu et dans un temps très ténu. C’est du grand et beau théâtre.

 

« Le Sorelle Macaluso »

Au théâtre du Rond-Point à Paris

De Emma Dante

Avec Serena Barone, Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Italia Carroccio, Davide Celona,Marcella Colaianni, Alessandra Fazzino, Daniela Macaluso, Leonarda Saffi, Stéphanie Taillandier

Production et diffusion : Aldo Miguel Grompone
Coproduction : Teatro Stabile di Napoli, Festival d’Avignon, Théâtre National / Bruxelles,
Folkteatern / Göteborg, en collaboration avec la compagnie Atto Unico /Sud Costa
Occidentale, en partenariat avec le Teatrul National Radu Stanca / Sibiu.
Spectacle créé dans le cadre du projet Villes en scène / Cities on stage, avec le soutien du
Programme Culture de l’Union Européenne.

En italien et palermittan et surtitré en français

Durée 1 h 10

Jusqu’au 25 janvier 2015

Puis en tournée :

les 28 et 29 janvier 2015 à Montluçon, Le Fracas

les 27 et 28 mai 2015 à Aix-en-Provence, Opéra Pavillon Noir

les 30 et 31 mai 2015 à Toulon, Théâtre Liberté

Spectacle créé pour la 68ème édition du Festival d’Avignon

 

Facebooktwitter

Comment vous racontez la partie. Yasmina Reza

COMMENT VOUS RACONTEZ LA PARTIE

On découvre en ce moment à Paris la dernière pièce de Yasmina Reza, créée en Allemagne et rodée en province avant d’y poursuivre sa tournée fin 2014-début 2015.
On se demande d’ailleurs si l’accueil est différent, dans ces villes de province, dont l’une d’entre elles – fictive en son nom ,Vilan-en-Volène, mais partout réelle – est le lieu de la pièce. Car dans la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point à Paris, pourtant comble, le public est de bout en bout figé. Endormi ou pétrifié ? On l’ignore, mais cette sorte d’indifférence a du mal à s’expliquer tant la pièce, plus corrosive qu’elle n’y paraît, fait mouche. Et rire.

Yasmina Reza, qui assure également la mise en scène, y montre une écrivaine célèbre, Nathalie Oppenheim (Zabou Breitman) qui se rend à Vilan-en-Volène pour participer à une rencontre littéraire organisée en son honneur par Roland (Romain Cottard) jeune responsable culturel local. Nathalie est interviewée par Rosanna (Dominique Reymond), critique littéraire très en vue et originaire du bourg en question. Le maire (Michel Bompoil ce soir du 14) apparaît au moment du pot qui conclut la soirée. Quatre rôles aux dialogues ciselés que l’excellence de leur interprétation rendent délectables.

Tout dans le jeu des comédiens comme dans la mise en scène bien tenue contribue à la mise en relief de ce texte mordant. Car c’est la réalité que l’on croit voir en découvrant les joutes entre Rosanna la journaliste et Nathalie l’écrivaine. Rosanna apparaît en effet comme la star davantage que ne l’est l’artiste. Ou comment le brillant et le creux l’emportent sur la pensée et la création. C’est que, snob et suffisante, Rosanna veut avoir la vedette et ne s’en prive pas. Tics de langage en vogue (comme elle dit : « Nathalie Oppenheim, … », en accentuant le grave de sa voix, la virgule et le silence qui suivent…), prononciation prétentieuse (cette manière de dire « thriller » ou « Philip Roth »…), façon de regarder le public en coin pour créer avec lui une (fausse) complicité, détournement, en définitive, de l’interview pour en faire un moment d’auto-promotion de sa culture et de sa célébrité… Rosanna semble la parfaite synthèse de différentes personnes vues et entendues dans le monde médiatique réel.

En face d’elle, Nathalie, qui habituellement fuit les interviews et les causeries, est très mal à l’aise pour répondre aux questions de la journaliste de plus en plus agressive au fur et à mesure que l’écrivaine résiste en quelque sorte à l’exercice malgré sa bonne volonté de pour une fois s’y soumettre. Que ce soit pour lire un extrait de son livre, pour le commenter ou pour parler d’elle-même, on voit bien la vanité, voire pire, qu’elle trouve à tout cela (ne s’écrit-elle pas dans un moment de découragement « Chaque fois que je parle de mon livre je l’affaiblis ! »).

Entre les deux, Roland, l’animateur culturel, est moins snob que le départ le laisser présumer. Il apparaît comme une victime – mais encore vibrante d’authenticité – de la mode (de pensée comme syntaxique) culturelle actuelle dans son mouvement de décentralisation et de démocratisation : ce qui à Vilan-en-Volène peut paraître comme précieux et prétentieux n’est en réalité que la déclinaison locale et récente d’un snobisme centralisé et ancien. Car en réalité Roland est avant tout un amoureux des lettres, admirateur de Nathalie et de bien d’autres, poète à ses heures et passionné par son travail de médiateur. On peut dire qu’entre lui et Nathalie, la rencontre a vraiment lieu. Avec le maire aussi, d’une certaine manière, dont une forme de mélancolie rejoint la solitude de Nathalie. Il incarne le terrien qui se réclame du bon sens et du bien être de ses administrés, et dont la sensibilité à la littérature, réelle, ne veut s’étaler. Forme de pudeur, ou de timidité.

Mais c’est finalement une autre forme d’art, plus populaire, qui réunira tout le monde, un peu enivré, fatigué, las, peut-être aussi et surtout lucide et enfin décomplexé dès lors qu’il est mis à nu : la chanson « Nathalie » à quatre voix, achevée dans une désopilante chorégraphie. Qui a dit que la salle polyvalente de Vilan-en-Volène était sinistre ?

Comment vous racontez la partie

Théâtre du Rond-Point

2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8°

Jusqu’au 6 décembre 2014

Puis en tournée

Facebooktwitter

Prélude à l'agonie au théâtre du Rond-Point

Prélude à l'agonie au Théâtre du Rond Point

Après la désespérante soirée du Tigre en décembre, on poursuit dans le grotesque avec Prélude à l’agonie de la Compagnie du Zerep (Sophie Perez et Xavier Boussiron) donnée au théâtre du Rond-Point jusqu’au 25 janvier.

La comparaison n’a pas à être poussée plus avant car ici nous sommes dans un autre genre, beaucoup plus trash.

Cela débute plutôt bien : sur une mince bande de scène à l’avant du plateau, une courte pièce de Courteline raconte la triste histoire d’un enfant du Connecticut à qui ses parents font croire qu’il possède un royaume, jusqu’à ce qu’il découvre le pauvre lopin de terre marécageux avec lequel on l’a trompé pendant des années. La pièce est interprétée par des nains. C’est une petite merveille, cruelle et jouée de façon délicieusement décalée.

Ce prologue annonce le thème de la soirée (le far west), le regard qui y est porté (la critique) et la méthode utilisée (l’humour noir).
Enfin, en théorie. Car en pratique, une fois le cœur du spectacle enclenché, les moyens mis en œuvre se résument à la provocation : non seulement à travers un mauvais goût revendiqué, mais surtout à travers l’obstination à montrer de bout en bout toutes sortes de violences, avec une prédilection pour l’humiliation, le gore et l’obscénité. Hommes et femmes laids, enlaidis et à poil se roulant dans la poussière pour des séquences orgiaques ; jeu de la banane, prétexte à s’en enduire, s’en farcir et en vomir ; le tout ponctué
de coups de pistolet tirés dans l’hilarité. On danse avec un cheval mort et on fait surgir d’une pauvre et monstrueuse créature une giclée de sang bien frais, quand une autre aux cuisses larges et aux seins tombants s’exhibe comme une bête de foire.

On a compris la démonstration. Le monde fascinant du far west est cruel. Oui oui.

Il est à croire que pour dénoncer, le théâtre contemporain n’a plus foi au texte, préférant s’engouffrer systématiquement dans des outrances de représentations dont les moyens, de Rodrigo Garcia à Angelica Liddell, sont toujours les mêmes, des provocations plus ou moins régressives à la violence sous toutes ses formes brandie comme un étendard. Répétés à l’envie de spectacle en spectacle, après avoir frappé les esprits, ces excès ne font désormais résonner que leur vanité.

Prélude à l’agonie

Théâtre du Rond-Point
2 bis, av. Franklin-D.-Roosevelt (VIIIe)
Tél.: 01 44 95 98 21

A 21 h, dim. à 15 h
Places: de 11 à 36 €
Durée: 1 h 40

Jusqu’au 25 janvier

Facebooktwitter

El Tigre au Théâtre du Rond-Point

El Tigre au Théâtre du Rond-PointDe ce que l’on comprend, quelque part sur le delta du Tigre dans un marais argentin où sévissent les caïmans, une poignée de folles honorent la fée cinéma, dans l’adoration de Lana
Turner, star des temps reculés, qui eut sept mariages et une fille, et se se trouve aujourd’hui, selon les scènes, entre vie et trépas.

Peut-être ceci n’est pas tout à fait exact ; plus sûrement ceci est incomplet…

Comment savoir ? La langue tient de l’absurde, du surréalisme et du fantastique, en un mot du loufoque, ce qui autrement pourrait avoir son charme mais ici n’en a aucun. Il y a donc pléthore de jeux de mots, on entend « D comme dé de couture » (avant il y a eut « H comme… » mais on a oublié quoi), « saucisse de Toulouse » (le comparatif nous a également échappé), ou encore « les poils pubiens sont des antennes » (si elles le disent).

Comme c’est un genre de comédie musicale, une mini-fosse a été aménagée au pied de la scène, où officie un quatuor à cordes.

On en prend grande pitié, au vu et à l’ouïe de ce qu’il subit chaque soir. La musique est inspirée du tango argentin – le créateur du spectacle n’est autre que le metteur en scène d’origine argentine Alfredo Arias, habitué des lieux depuis plusieurs saisons. Elle accompagne des morceaux chantés par deux comédiens (jouant des travestis, avec le folklore hispano-argentin en jupons habituel) et quatre comédiennes (dont Arielle Dombasle qui minaude comme la poupée qu’elle n’est plus depuis longtemps) non dénués de talent mais dirigés comme au café-théâtre. La mise en scène est du même acabit, et le décor réduit à sa plus simple expression.

Certaines personnes rient, on les entend bien, d’autres partent, on les comprend mieux, tout en s’obstinant jusqu’au bout et en silence, en se demandant ce qu’on est venu faire là.

El Tigre
Théâtre du Rond-Point

Salle Renaud-Barrault
2 bis, av. Franklin D. Roosvelt – Paris 8°

Livret et mise en scène : Alfredo Arias
Composition musicale : Bruno Coulais
Avec Denis D’Arcangelo, Carlos Casella, Arielle Dombasle, Alejandra Radano,
Andrea Ramirez, Alexie Ribes
Violons : Christophe Guiot et Elisabeth Pallas, alto : Françoise
Gneri, violoncelle : Jean-Philippe Audin

Durée 1 h 30
Jusqu’au 12 janvier 2014

Photo © Alejandra Lopez

Facebooktwitter

J’avais un beau ballon rouge au Théâtre du Rond-Point

J'avais un beau ballon rouge

La pièce écrite par la dramaturge et comédienne italienne Angela Dematté dresse une fresque historique qui se déroule du début des années 1960 au milieu des années 1970 en Italie.

Margherita Cagol, fille de la petite bourgeoise catholique, entreprend des études de sociologie – qui s’appelaient alors pudiquement "sciences-politiques" -, découvre le système de classes et les institutions qui verrouillent la société, la possibilité d’un combat collectif et aspire à la Révolution.
Son père, bon fond et ouvert sur son prochain, demeure un conservateur qui n’entend pas que l’on puisse remettre en cause les valeurs et l’autorité – notamment celles de l’Eglise – sur lesquelles il a fondé sa vie et l’éducation de sa fille.
Mais plus le temps passe, plus Margherita s’enthousiasme pour les luttes radicales à mener pour transformer la société. De Léniniste, elle évolue vers le Maoïsme, puis participe à la fondation des Brigades Rouges, où elle laissera sa vie, tombée sous les balles des carabiniers lors d’affrontements de plus en plus violents.

Sur scène, Richard et Romane Bohringer, complémentaires, sont tout simplement parfaits : extrêmement justes, ils rendent leurs personnages tirés d’histoires réelles plus que crédibles.
Portée par une mise en scène classique et efficace, la pièce, fort bien écrite, évite le simplisme, la prise de parti facile. Aucun des deux personnages n’a totalement tort ni raison. Et, ce qui est sans doute le plus beau, malgré les affrontements incessants et inévitables, jamais le dialogue ne se rompt totalement. Toujours, la tendresse demeure, et avec elle la tentative de continuer à se comprendre mutuellement.

Loin du "gueulard" auquel on pourrait s’attendre, Richard Bohringer montre tous les questionnements intérieurs d’un père tiraillé entre l’idée qu’il se fait du bonheur pour sa fille et la réalité où il la voit s’épanouir dans une lutte altruiste, où elle s’oublie elle-même.
Romane Bohringer, habitée à 200 % par son personnage, restitue son extraordinaire engagement et sa foi inébranlable en la Révolution, mais aussi sa gravité lorsqu’elle voit son père vieillir, au point de devoir lui cacher certaines choses pour l’épargner.
A l’image de cette relation forte dans cette période plus que chamboulée en Italie comme ailleurs, la pièce non dénuée d’une résonance universelle dans l’affrontement des générations, conquiert vite le public, et finit par l’émouvoir profondément.

J’avais un beau ballon rouge
de Angela Dematté
mise en scène Michel Didym
avec Richard Bohringer et Romane Bohringer
Théâtre du Rond-Point
A 18 h 30, durée 1 h 25
Jusqu’au 5 mai 2013

Facebooktwitter

Pieds nus, traverser mon cœur. Michèle Guigon

Michèle Guigon, Pieds nus traverser mon coeurPour son quatrième solo, voici une Michèle Guigon effectivement pieds nus sur scène, au propre comme au figuré ; une Michèle Guigon désarmée, au sens le plus noble, pacifique du terme.

Elle a lutté contre la maladie, expérience qu’elle évoquait, entre crudité et pudeur, de façon très touchante dans son précédent spectacle La vie va où ?, joué 8 mois à Paris, au Lavoir Moderne Parisien, au Lucernaire puis au théâtre du Rond-Point, et dont la tournée continue (le texte est désormais édité en livre CD chez Camino Verde).

Après le combat et la peur, Michèle Guigon veut désormais passer à autre chose, ce qu’elle explique à son public (fidèle) et montre avoir parfaitement réussi. Elle traverse son cœur pour découvrir et faire partager ce qu’il contient : beaucoup d’amour.
Elle raconte son mauvais caractère et comment elle a réalisé à quel point elle pouvait se montrer meilleure.
Ce bien joli chemin, c’est peut-être à travers le deuil de ceux qu’elle a le plus aimés, ses parents, qu’elle peut enfin le suivre tranquillement.

Elle a ainsi compris pourquoi, alors qu’elle était tout enfant, son père qui avait perdu son propre père exécuté par la Gestapo, l’a emmenée voir un camp de concentration pour lui montrer de quoi l’homme était capable. Sa mère recueillant sa fillette effrayée par ce qu’elle voyait et entendait avait alors dit à son mari : "Mais tu es fou !". Michèle Guigon sans se départir de son merveilleux sourire conclut : "Oui, il était fou, il était fou de douleur", avant d’ajouter : "On est tous fous de douleur quelque part".
C’est parce que son père n’avait jamais trouvé les mots pour parler de ce tragique épisode qu’il l’avait conduite devant les douches funestes.

Les mots, Michèle Guigon, elle, les chérit, les tourne dans tous les sens comme un joailler ses pierres précieuses. Et cela s’entend : ce spectacle est magnifiquement écrit (à quatre mains, avec son amie et complice de travail Susy Firth). C’est un petit bijou de délicatesse, d’élégance, de profondeur, de sagesse et, par la grâce de ces plumes inspirées, tout autant de légèreté.
Car Michèle Guigon ponctue cette façon de récit autobiographique de délicieux aphorismes qui, comme il se doit, disent juste tout en provoquant irrésistiblement rires et sourires. On n’en livrera ici aucun, tant doit rester entier le plaisir de les découvrir de la bouche de Michèle Guigon, cette artiste qui s’espère un peu poète – on la rassure – et trouve ainsi le moyen de transformer la douleur. En voici la preuve avec cette très poignante chanson que Michèle accompagne du souffle doux de l’accordéon :

Dis Maman
Cette cloche qui sonne le glas Maman
Voilà qu’aujourd’hui c’est pour toi Maman
Tu vas connaître l’Au Delà Maman
Peut-être tu me raconteras
(…)
Dis Maman
Maint’nant que t’as laissé ta place Maman
Je me prends le vent de pleine face Maman
J’sais pas toujours ce qu’i’faut qu’j’fasse Maman
Dis Maman
Cett’ vie qui coule entre nos doigts Maman
T’a permis de m’élever deux fois Maman
La premièr’ quand j’étais enfant Maman
Et la seconde maintenant

Pieds nus, traverser mon cœur
Texte Michèle Guigon et Susy Firth
Mise en scène Anne Artigau
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris
Jusqu’au 23 octobre 2011
Du mardi au samedi à 20h, et à partir du 11 septembre, les dimanches à 17h
Durée 1 h 15
Places 30 € (TR à 15 € et 25 €)

Facebooktwitter