Le Comte de Foix-Béarn Gaston III, surnommé Fébus, a voulu impressionner le Roi de France Charles VI par un somptueux festin dans le réfectoire du cloître des Jacobins à Toulouse. C’était en 1390. Quelle bonne idée d’évoquer cette fête dans les lieux mêmes de sa tenue plus de six siècles après l’événement !
Pour arriver au réfectoire, lieu de l’exposition, nous traversons l’église, remarquable par ses colonnes, en particulier son impressionnant « palmier » de 28 mètres de hauteur, aux 22 nervures qui s’ouvrent en éventail pour tenir la voûte. La lumière qui se diffuse par les vitraux élève encore davantage les colonnes.
L’exposition nous fait découvrir le banquet du XIVe siècle, avec ses 7 services, dont au moins 5 peuvent comporter des viandes. Elles étaient accompagnées de « potages », et on entendait par ce terme générique des plats de toutes consistances, comme viandes et poissons en sauce ! Cette abondance ne voulait pas dire que les convives goûtaient à tout, car les plats étaient disposés en même temps sur les tables et l’on se servait, en mangeant avec les trois doigts de la main droite et son couteau, des mets les plus proches.
Le seigneur offrait en même temps le spectacle. Au milieu d’une grande table en U se déroulaient les entremets, qui ne désignaient pas seulement des plats extraordinaires, mais des représentations de scénettes, de danses, de musiques. Ainsi Fébus était connu par la qualité de ses propres ménestrels. Ce jour- là il avait voulu impressionner le roi, en vue de la signature d’un traité (Traité de Toulouse du 5 janvier 1390) réglant le problème de sa succession, lui-même n’ayant plus d’héritiers.
Les costumes d’époque nous sont présentés, très colorés, pour les hommes comme pour les femmes, ainsi que des éléments de table, vaisselle et objets spécifiques du siècle, comme des aquamaniles, récipient servant à se laver les mains.
L’on peut prolonger la visite par diverses activités moyenâgeuses : visite costumée pour les enfants, ateliers de saveurs médiévales, ateliers théâtralisés autour de l’alimentation médiévale, et même des apéritifs médiévaux, ce qui est une excellente manière de renouer d’une part avec les expositions et d’autre part avec la convivialité après ces temps de disette culturelle.
Alors que se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris une rétrospective consacrée à Hans Hartung, le Musée des Beaux-Arts de Caen propose au même moment une exposition consacrée aux œuvres de son épouse, Anna-Eva Bergman (1909-1987), dans la continuité des deux voyages de l’artiste au nord de la Norvège, en 1950 et 1964.
Née en Suède, mais ayant vécu sa jeunesse chez sa mère en Norvège, Anna-Eva Bergman se destine très tôt à la carrière artistique. A l’occasion d’un séjour en France, elle fait la connaissance, à l’âge de 20 ans, d’Hans Hartung, qui en a cinq de plus. Ils se marient trois mois après leur première rencontre. Le couple se sépare en 1938, mais se retrouve en 1952 et se remarie en 1957. Les deux artistes ne se quitteront plus. En 1967, ils achètent un terrain sur les hauteurs d’Antibes dans l’intention d’y construire une maison. Ils s’installeront dans celle-ci, où chacun dispose d’un immense atelier, en 1973. Ce n’est que quelques années après la disparition d’Anna-Eva, en 1987, que son travail a commencé à susciter un grand intérêt. La création de la Fondation Hans Hartung-Anna Eva Bergman en 1994 est l’occasion de la découverte de la portée et de l’originalité de son œuvre.
L’exposition relate les deux voyages d’Anna-Eva Bergman dans le Grand Nord, le premier en 1950, le second en 1964, en compagnie d’Hans Hartung. Les œuvres de la première période évoquent encore l’Ecole de Paris, voire le surréalisme. Très graphiques, elles ne dissimulent pas la difficulté à rendre ces paysages ultimes. Les bleus voisinent volontiers avec des couleurs chaudes, le jaune surtout, le rouge ou l’ocre.
Entre 1950 et 1964, Bergman fait évoluer les grands principes de son œuvre : elle vise une extrême simplification, que la redécouverte du Grand Nord conforte. Désormais, le paysage se focalise dans ses tableaux sur un seul élément, massif et statique: fjords, glaciers, barques, falaises ou horizons. Les grands formats sont peints dans des gris ou, le plus souvent, des bleus sombres rehaussés par des feuilles de métal qui donnent à l’ensemble une très belle luminescence. En témoignent, par exemple, les superbes « Fjord n°2-1968 » et « Montagne transparente n°4-1967 ». Selon la formule d’Anna-Eva Bergman elle-même, cette utilisation très personnelle de métaux permet à ses toiles, sans user du recours à des artifices de perspective, de bénéficier d’effets visuels inédits, effets que le spectateur est en mesure de provoquer en bougeant devant la toile.
L’exposition se termine par l’affichage de petits « acryliques et feuilles de métal », chefs d’œuvre de concision et de pureté.
Cette visite constitue donc une très belle introduction à l’œuvre d’Anna-Eva Bergman, qui invite à la méditation et au recueillement, dans l’attente de la rétrospective que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris lui consacrera en 2021.
Dès l’entrée de ce musée intimiste, les œuvres de Zadkine, longs personnages de bois, sans tête, en forme de totems, rassemblés sur le même socle, évoquent la forêt. La thématique de l’exposition vient des mots mêmes de l’artiste (1888-1967), qui a sculpté le bois en laissant la matière exister après le passage du ciseau.
Parmi les quelques quarante artistes représentés ici, des plus anciens (Rodin, Gauguin…) aux plus jeunes (Hicham Berrada, Ariane Michel…), les rapports de l’humanité à la forêt se déclinent en plusieurs versions, suscitant la réflexion du visiteur d’aujourd’hui, qui a ainsi l’occasion de rêver à la place qu’il occupe dans une nature formatrice.
Pour Zadkine ou Giacometti le rapport est étroit entre les hommes et la forêt, par une représentation analogique : le second façonne des personnages-arbres, tandis que le premier fait surgir les corps des troncs. Avec le « Torse » Zadkine montre bien que c’est l’humanité qui reconnaît sa parenté avec les arbres. Laure Prouvost insiste en greffant des seins sur les branches.
Ce sont les productions de l’arbre qui intéressent d’autres plasticiens : une feuille d’aucuba est mise en valeur par Marc Couturier, tandis que Dubuffet signe un tableau d’écorces et de feuilles (« Chaussée boiseuse ») et Germaine Richier fait des ramures et du feuillage une chauve- souris. L’énergie dont fait preuve la croissance végétale est soulignée par les œuvres d’Arp, d’Hicham Berrada ou de Giuseppe Penone : celui-ci enserre l’arbre par une main de bronze et le laisse croître autour de la main.
Certains artistes éloignent la forêt de l’humanité : difficile de faire entrer les humains dans les forêts d’Hicham Berrada ou d’Eva Jospin, parce qu’elles semblent parfaitement se passer d’eux ou parce qu’elles apparaissent impénétrables. La « Dernière Forêt » de Max Ernst, envahie par les formes végétales n’a pour témoin que la lune.
Passé dans l’atelier de Zadkine en traversant le jardin, à côté d’autres œuvres, on retiendra l’installation d’Ariane Michel : une vidéo aux tons sombres montre un homme imitant les bruits de la forêt, la nuit, à l’aide de divers instruments. On retrouve ceux-ci déposés au pied de l’écran, la plupart objets d’un quotidien trivial qui contraste fortement avec l’image des mystères de la forêt, la nuit. Si la forêt est inimitable, c’est qu’elle est irremplaçable.
Après avoir fait l’objet d’une première exposition, consacrée à sa collection d’arts lointains (Musée du Quai Branly, été 2019), Félix Fénéon occupe à nouveau l’actualité avec la présentation, au Musée de l’Orangerie, de sa collection d’œuvres néo-impressionnistes et de masques africains. Au-delà de cet affichage, l’exposition nous invite à découvrir la personnalité singulière de celui qui fut critique d’art (« le seul en cent ans » selon Jean Paulhan), journaliste, directeur artistique de galerie et collectionneur, fonctionnaire et anarchiste.
Dès 1883 (il a 22 ans), Félix Fénéon rédige des articles, surtout des critiques d’art, pour de nombreuses petites revues littéraires et artistiques. Il s’intéresse aux courants modernes et soutient les néo-impressionnistes (c’est lui qui crée le néologisme) avec lesquels il entretient des liens étroits, faits d’admiration profonde et de d’amitié sincère.
Le critique a été ainsi particulièrement impressionné par le tableau de Georges Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte, dévoilé en 1886. Cette œuvre, qui appartient aujourd’hui à l’Art Institute de Chicago, n’a pas été prêtée, mais l’exposition en présente une étude, venue du MOMA. Elle affiche aussi, au début du parcours, trois admirables petites Poseuses que Fénéon considérait comme les toiles les plus précieuses de sa collection. Principal collectionneur de Seurat, Fénéon apparaît donc tout naturellement comme le grand spécialiste de l’artiste, dont il établira le premier catalogue raisonné de l’œuvre.
Il est aussi l’ami intime de Paul Signac. Le critique défend régulièrement la production de l’artiste, et celui-ci peindra un Portrait de Felix Fénéon 1890 qui deviendra un emblème du néo-impressionnisme. Fénéon conservera ce tableau dans sa collection toute sa vie.
Le critique fut aussi l’un des premiers à s’intéresser à la peinture d’Henri-Edmond Cross. Il présentera, avec un grand succès, l’œuvre de ce dernier lors d’une exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune en 1907 et deviendra l’exécuteur testamentaire du peintre après sa mort. L’exposition met en valeur le très beau tableau de Cross : Les îles d’Or.
Outre les œuvres de ces trois artistes, la collection personnelle de Fénéon, une des plus belles de l’époque, comportera des tableaux de Vuillard, Bonnard, Toulouse-Lautrec, Luce, Matisse, Modigliani… Ces artistes sont représentés dans l’exposition de l’Orangerie, même si les tableaux accrochés n’ont pas tous appartenu au collectionneur. Cette collection sera dispersée par les ventes de 1941 et 1947.
La même clairvoyance permet à Fénéon de défendre les poètes qu’il admire : Rimbaud (soutenu très tôt), Mallarmé, Jules Laforgue, Charles Cros, Apollinaire, Verlaine, Jarry… Par discrétion, Fénéon publie peu sous son nom : aucun poème, aucun roman… mais il rédige beaucoup d’articles, souvent anonymes, dont les savoureuses Nouvelles en trois lignes, exemplaires d’humour et de concision.
Sa plume est mise aussi au service de ses convictions anarchistes, qui le rapprochent de Signac et Cross dont il partage les idéaux. L’exposition présente une réplique du tableau de Signac Au temps d’harmonie, qui s’appelait à l’origine Au temps d’anarchie, et qui peut être interprétée comme une vision pacifiée de l’anarchie. L’engagement politique de Félix Fénéon fut réel et l’amena à être inquiété (et brièvement inculpé) lors du procès des Trente en 1894. Cet épisode mit naturellement fin à l’emploi de fonctionnaire qu’il occupait, avec un grand sérieux, au Ministère de la guerre depuis 1881.
L’exposition de l’Orangerie, courte mais dense, permet donc de voir des tableaux qui figurent, pour certains d’entre eux, parmi les plus importants du néo-impressionnisme (il ne faut pas manquer les Seurat prêtés par des musées américains). Elle affiche également des représentants du futurisme italien, défendu lui aussi par Fénéon, et des masques africains ayant appartenu à sa collection.
Surtout, elle permet de (re)découvrir les multiples talents de cet esthète, peu enclin pourtant à se mettre en valeur. Distant, discret (« celui qui silence » selon Alfred Jarry), Félix Fénéon poussait l’élégance jusqu’à s’effacer derrière les artistes et les écrivains qu’il soutenait, se contentant d’être un passeur et laissant une œuvre personnelle réduite à son essai sur le néo-impressionnisme et à ses « Nouvelles en trois lignes ».
Jean-Yves
Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse
Cent ans après la naissance de l’artiste suisse Gérard de Palézieux (1919-2012), la Fondation Custodia lui rend un très bel hommage avec un accrochage centré sur son œuvre graphique. L’exposition déploie plus d’une centaine d’œuvres sur papier dans les techniques privilégiées par Palézieux : l’estampe, le dessin, le lavis et l’aquarelle.
Né à Vevey (Suisse), Palézieux commença des études classiques qu’il interrompit à seize ans pour s’inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts de Lausanne. En 1939, il étudia à l’Académie de Florence, où il s’initia à l’art de la Renaissance et découvrit le paysage toscan. C’est à ce moment qu’il fit la découverte de la peinture de Giorgio Morandi, à qui il rendit visite plus tard, et qui eut une importance décisive sur sa propre production.
De retour en Suisse en 1943, Palézieux s’établit à Veyras, près de Sierre, dans le Valais, dans une petite maison vigneronne qu’il habitera jusqu’à sa mort. Exception faite de ses excursions régulières en Provence et en Italie, il ne quittera pratiquement plus le Valais. Ses lavis, dessins et eaux-fortes représentent collines et forêts, bâtiments et corps de ferme, calmes et solides, baignés dans une lumière frémissante, paysages de neige… Autre thème privilégié de son art, les natures mortes avec leurs compositions sobres, presque minimalistes.
A partir de 1975, l’artiste s’exerça assidûment à l’aquarelle, technique coïncidant avec la découverte de Venise où Palézieux se rendit désormais régulièrement.
L’exposition fournit un bel aperçu de ce trajet. On constatera les progrès accomplis par le graveur depuis ses premières eaux-fortes encore tributaires de l’exemple admiré de Morandi, jusqu’aux ultimes essais à l’aquatinte. On admirera les variations du crayon qui vont d’une approche scrupuleuse à la pointe jusqu’aux grandes craies lithographiques. Enfin, sommet de l’œuvre sur papier, les aquarelles dans lesquelles Palézieux exprime la saisie de l’instant : paysages et villages du Valais enfouis dans la neige, dont l’artiste pressent qu’ils sont voués à une dégradation inéluctable, Venise dans la brume bleue de la lagune…
Les poètes dont il était l’ami, et avec lesquels il a beaucoup dialogué dans de superbes livres d’artiste (Philippe Jaccottet bien sûr, Yves Bonnefoy, Gustave Roud), ont été les premiers à aimer l’œuvre de Palézieux, la commentant volontiers, dans l’indifférence presque générale des historiens de l’art.
Si on accepte de se laisser saisir par cette œuvre « aussi évidemment attachée aux perceptions silencieuses, aux sentiments et aux expériences qui répugnent à se dire » (Yves Bonnefoy), on ne pourra qu’apprécier l’exposition de ce travail discret qui, dans le calme et le recueillement, loin des bouleversements et des modes, vise à préserver une harmonie qui peu à peu nous échappe.
Jusqu’au 15 décembre 2019 – heures d’ouverture : tous les jours sauf le lundi, de 12h à 18h
L’exposition Palézieux (1919-2012). Œuvres sur papier est organisée en partenariat avec le Musée Jenisch Vevey (Suisse), où elle sera montrée du 7 février au 10 mai 2020.
Pour cet artiste dont les galeries sont les murs des villes il peut paraître paradoxal d’être exposé à l’intérieur de la Grande Chapelle du Palais des Papes en Avignon. Pourtant il fallait bien présenter un jour ce parcours artistique de 60ans pour mesurer l’importance d’une œuvre par définition dispersée, mais présentant une très grande cohérence.
Ernest Pignon-Ernest explique sa découverte d’une photo d’Hiroshima « où l’on voit que l’éclair atomique a brûlé le mur, décomposant un passant dont il ne reste que l’ombre portée, littéralement photogravée, pyrogravée sur la paroi ». C’était en 1966 et depuis il n’a cessé d’utiliser les murs pour y apposer des dessins de corps en lien avec une préoccupation politique et sociale. Et toujours les lieux où il colle ses sérigraphies sont soigneusement choisis en fonction du sens qu’il donne à son propos.
Pour cet art éphémère (car l’affiche sur les murs se dégrade vite) la photographie est nécessaire pour rendre compte du travail réalisé. Du coup on comprend que l’œuvre est l’ensemble de ce que l’artiste propose : dessin, mur, ville, photo sont inséparables. La force qui se dégage des dessins tient, on le voit bien dans cette exposition, à l’alliance entre lieu et images des corps.
Ainsi la souffrance représentée des femmes avortées dans la clandestinité renvoie à la loi répressive par le biais de la mention « Défense d’afficher » à côté du dessin. La dénonciation des accidents du travail, aussi dans les années 70, par le portrait d’un homme touché à la tête, est d’autant plus marquante que le mur support est crevassé. Il aurait fallu piétiner les corps des fusillés de la Commune pour monter les marches du Sacré Cœur à Paris.
Les interventions d’Ernest Pignon-Ernest réveillent les consciences aussi bien à Alger avec le portrait de Maurice Audin, « disparu » à 25 ans sous les coups des militaires français, en Afrique du Sud avec cette émouvante femme portant un homme dans ses bras, par les images de celles et ceux qui sont passés par la prison Saint Paul de Lyon durant l’Occupation, ou bien encore en affichant la solitude contemporaine dans les cabines téléphoniques.
Le classicisme de son trait entretient le lien avec la peinture des musées, et c’est à Naples qu’il a évoqué le plus explicitement cette reconnaissance par la reprise en particulier d’œuvres du Caravage. C’est l’occasion pour cette exposition de présenter aussi les travaux préparatoires de l’artiste, qui montrent la précision de sa recherche afin d’obtenir le résultat le plus saisissant.
Le charme incomparable des fleurs de fin d’été, la créativité de fleuristes véritables artistes, le travail autour d’œuvres d’art somptueuses… Trois raisons d’adorer l’exposition présentée chez Artcurial jusqu’au 14 septembre.
La célèbre maison de ventes du Rond-Point des Champs-Élysées à Paris a ainsi donné carte blanche à de grands fleuristes, leur laissant le champ libre d’imaginer accompagnements, prolongements, mises en valeur de peintures et sculptures au programme des ventes de l’automne.
Ces ensembles tous plus surprenants les uns que les autres se révèlent au regard en plusieurs temps : c’est tout d’abord la décoration florale qui saute aux yeux, avant que l’œuvre d’art proprement dite ne se dévoile et qu’enfin on admire le formidable équilibre formé par la peinture ou la sculpture et son écrin.
De ces différentes créations, on aime tout particulièrement celles de Catalina Lainé autour d’une table de Giacometti, de Rica Arai surplombant un buste de Sarah Bernhardt signé Lalique et enfin du Collectif de la Fleur Française sous un cheval de Géricault, les trois étapes les plus poétiques du parcours. Sous ce joli titre d’Epiphyte, l’exposition coup de cœur de cette rentrée urbaine !
Épiphyte, Artcurial, 7, Rond-Point des Champs-Elysée, Paris 8ème
C’est un art sur papier, fragile, sensible à la lumière et aux chocs. Les œuvres au pastel ne peuvent pas être exposées en permanence au public et ne doivent pas l’être sous un éclairage trop vif.
Aussi, c’est avec le sentiment de profiter d’un moment rare que l’on parcourt l’exposition organisée jusqu’au 8 avril au Petit Palais, dans une ambiance presque crépusculaire qui incline au recueillement.
Le Petit Palais, riche d’une collection de quelques 200 œuvres au pastel, en présente ici plus de 130. Ce faisant, il nous fait appréhender la diversité stylistique permise par cette technique, mais aussi l’extrême virtuosité qu’elle autorise.
Après l’âge d’or du pastel au XVIII° siècle (dont le portrait de la Princesse Radziwill par Elisabeth Vigée-Lebrun témoigne en début de parcours), les artistes du XIX°, surtout dans sa seconde moitié, se sont emparé de cette simple « boîte à craies », facile à transporter et peu coûteuse, pour s’exprimer dans les veines, aussi modernes fussent-elles, qui étaient les leurs.
On découvre ainsi, à côté de représentations naturalistes, telle La moisson de Léon Augustin Lhermitte, des œuvres impressionnistes (Berthe Morisot, Paul Gauguin, Edgar Degas pour ne citer que les plus connus) mais aussi symbolistes (Odilon Redon, Alphonse Osbert, Charles Léandre…). Toute une section est également dédiée aux portraitistes mondains comme James Tissot et Victor Prouvé.
A travers des artistes aussi différents, l’exposition montre l’extraordinaire pouvoir du pastel, que ce soit dans le fondu des couleurs et des éléments du paysage, la douceur de la lumière, le rendu des volumes, celui des chairs, au velouté incomparable, tout autant que des expressions (insondable regard de la Berthe de James Tissot, étonnante vigueur de L’Auto-portrait de Jean-Baptiste Carpeaux). Quant aux symbolistes, dont un remarquable ensemble d’Odilon Redon est ici réuni, ils semblent avoir trouvé dans le pastel un médium de prédilection : à eux la profondeur des couleurs, notamment violines et orangées, fondues entre elles, quand elles ne viennent pas accentuer les contrastes ombre / lumière, à eux le poudré des chairs d’oniriques créatures, le trait qui suggère plus qu’il n’affirme et ouvre la voie au mystère.
Comment évoquer ce monde grec antique, dans lequel chacun et chacune vivait dans la proximité des dieux, de la manière la plus sensible pour le spectateur d’aujourd’hui ? Tout simplement en faisant appel, aussi, aux autres sens que la vue. L’exposition offre au visiteur l’occasion d’exercer son oreille aux sons de l’époque, de toucher les matières utilisées alors, de flairer les parfums et liquides privilégiés lors des rituels, éventuellement de goûter quelque mets favoris.
La présentation se fait selon un parcours des moments les plus importants de la vie des Grecs, moments qui sont strictement ritualisés, parce qu’il était essentiel de se concilier la participation la plus favorable des dieux aux étapes marquantes de son existence, et plus généralement de ne pas se faire oublier d’eux.
Ainsi un grand tournant de la vie est le mariage : si nous pouvons découvrir sur les vases les peintures représentant des scènes des cérémonies, si de beaux objets de parure sont exposés dans les vitrines, nous pouvons aussi, casques sur les oreilles, écouter les musiques interprétées, entendre les textes dits. Dans des coupelles ont été préparées les mixtures qui servaient de cosmétiques, que nous pouvons sentir, et apprécier les textures et les couleurs.
Les sacrifices animaux en l’honneur des divinités étaient, comme les banquets, le moyen de se rapprocher des dieux afin de communiquer et de partager avec eux. On voit comment la victime (porc, chèvre…) était bien préparée, bien ornée, de guirlandes en particulier, avant le geste sanglant sur l’autel. Assez raisonnables finalement, les convives humains consommaient la viande bouillie ou rôtie et réservaient les viscères à leurs invités divins. Le public d’aujourd’hui peut humer le vin au calament ou l’huile aromatique au laurier, et même le parfum du cochon rôti.
Avant le rôti, le Grecs pouvaient commencer par des amuses bouches bien aromatisés : olives, pois chiches, mûres de mûrier, figues, pignons. La musique accompagne chacun de ces rites et nous pouvons entendre le son de l’aulos en observant l’instrument lui-même, tuyau en os ou bois de roseau percé de trous. Les funérailles avaient leurs propres chants et leurs prières, et pendant l’exposition du cadavre et les processions les agents purificateurs faisaient leur office, qu’ils soient minéraux (souffre, sel) ou végétaux (verveine officinale, potentille).
Si l’on ne devient pas totalement un Grec ancien au sortir de l’exposition, on mesure bien qu’une société s’imagine mieux selon une approche de tous les sens.
Andreossi
Rituels Grecs. Une expérience sensible
Musée Saint Raymond, Toulouse
C’est une petite danseuse qui entre deux entre-chats vient se poser quelques instants sur une chaise et, penchée vers l’avant, se masse la cheville gauche. Le bras droit, replié sur le genoux semble prêt à donner l’impulsion pour un nouveau bond, alors que le dos est totalement courbé et le visage absorbé. Derrière l’énergie, on sent la fatigue, la douleur même, la tension, la brièveté de la pause.
Un dessin réalisé au pastel et signé Edgard Degas (1834-1917), dont on admire sans cesse la spontanéité, le cadrage photographique, la vivacité du trait. Une sensibilité et une efficacité dans la saisie des corps et des mouvements que le grand écrivain Paul Valéry (1871-1945) a merveilleusement louées.
Le poète sétois a entretenu avec le peintre parisien une intense amitié et une admiration qui l’ont conduit à concevoir un livre de dessins intitulé « Degas Danse Dessin », finalement publié par Ambroise Vollard en 1936, près de vingt après la mort de l’artiste.
Le Musée d’Orsay nous propose, ce qui sera pour beaucoup une découverte, de parcourir cet ouvrage au fil d’une très belle exposition réunissant dessins et pastels de Degas, mots toujours ciselés de Valéry, et témoignages de l’amitié entre les deux hommes. Les œuvres de formation du peintre (splendides copies de classiques), son travail sur la danse (ses incomparables sculptures, dont la fameuse « Petites danseuse de quatorze ans » viennent compléter les œuvres graphiques) mais aussi sur le cheval raviront les amateurs de cet artiste inclassable. Cette présentation permettra aussi sans doute de mieux faire connaître le trait de plume de Paul Valéry, dont la singularité et la poésie sont toujours un régal : « Le cheval marche sur les pointes. Quatre ongles le portent. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l’étoile du corps de ballet, comme un pur-sang en parfait équilibre, que la main de celui qui le monte semble tenir suspendu, et qui s’avance au petit pas en plein soleil. »