Charlotte. Théâtre du Rond-Point

Inspiré notamment du livre de David Foenkinos, ce très beau spectacle met en scène la courte vie de Charlotte Salomon, artiste peintre née à Berlin en 1917 et morte à Auschwitz en 1943.

Raconter la vie de cette trajectoire singulière, c’est raconter tout autant celle de la famille dans laquelle elle a grandi et les temps et lieux qui furent les leurs. L’histoire de Charlotte telle qu’elle nous est montrée (et de façon si convaincante qu’on la prend entière telle que) est celle d’une petite fille devenue jeune fille comme elle a pu, et ébauche de jeune femme à l’avenant, plante un peu sauvage poussée en terre de douleurs et de silence.

Une famille où les femmes se suicident les unes après les autres, où les survivants tremblent, où les hommes ne font jamais que ce qu’ils peuvent. Mais où l’élan vital, enfin, parvient à se faufiler par le biais de l’art – introduit par le chant et la joie de sa belle-mère – poussant les murs à l’intérieur d’une Charlotte sinon prête à exploser. Lourdeur familiale mais aussi terreur de l’histoire qui se joue dans les années 30 à Berlin. Une petite fille qu’on chérit comme la survivante d’une lignée de femmes perdue, mais qu’on oublie d’écouter. Alors quoi, pour exister, sinon le dessin ?

La metteuse en scène, Muriel Coulin, a si bien empoigné le mode narratif que la pièce se regarde et s’écoute avec la même intensité que celle qui nous lie aux récits les mieux écrits. Mélodie Richard, comédienne extraordinaire, raconte et joue Charlotte Salomon, alternant avec brio et naturel la gravité et les débordements qui font tout ensemble la jeune fille. Les autres comédiens interprètent les grands-parents maternels, le père, la mère puis la belle-mère et « l’amoureux » – les femmes se démarquent nettement, rôles et jeux à la fois. Le décor est sobre mais, grâce au dispositif d’ensemble, et notamment les éclairages, puissamment évocateur. La vidéo, utilisée à propos, nous met sous les yeux l’art de Charlotte et des images d’archives de ces temps terrifiants. La musique, en partie jouée par Mélodie-Charlotte, ponctue et accompagne avec grâce.

Durant 1h40, on est charmé, captivé, touché. Pas de tire-larmes, d’outrance de jeu ni d’effet de manche de metteur en scène. Simplement une très triste histoire racontée avec douceur, intelligence et beauté : un hommage à Charlotte Salomon plein de délicatesse.

Charlotte, une libre adaptation de Vie ? ou Théâtre ? de Charlotte Salomon
et de Charlotte de David Foenkinos
Conception et mise en scène de Muriel Coulin
Avec Mélodie Richard, Nathalie Richard, Joël Delsaut, Yves Heck, Jean-Christophe Laurier et Marie-Anne Mestre

Au Théâtre du Rond-Point  jusqu’au 3 février 2019

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Bella Figura. Yasmina Reza

Il y a trois ans, on avait beaucoup aimé, du même auteur, Comment vous racontez la partie  vue dans ce même théâtre du Rond-Point à Paris. Le propos y était corrosif, la mise en scène efficace, le jeu des acteurs excellent.

Sur un thème fort différent, ces trois ingrédients de réussite sont à nouveau réunis dans cette nouvelle mise en scène par la célèbre dramaturge de l’une de ses propres pièces. Le cadre reste la province et, si on a quitté le milieu culturo-médiatique de Comment vous racontez…, Yasmina Reza nous invite une fois de plus à examiner les relations sociales. Mais ici, pas de chocs de milieux, on est dans la même marmite. Et ça bout, du début à la fin.

La situation de départ est des plus triviales : un couple illégitime s’engueule sur un parking, lui petit entrepreneur aux manières plutôt goujates, elle préparatrice en pharmacie un brin hystérique perchée sur talons vermillons, le tout « au cul » d’une voiture de sport vulgaire. Mais très vite, l’irruption accidentelle (c’est le moins qu’on puisse dire) de trois autres personnages va permettre de dépasser cette entame vaudevillesque pour dévoiler un tableau que l’auteur des Dieux du carnage excelle toujours à brosser : celui de ces petites misères humaines que la vie en société nous oblige en temps ordinaire à dissimuler.

Pour procéder à cette entreprise, Yasmina a une arme fatale : le personnage d’Andrea, très brillamment interprété par Emmanuelle Devos, aussi douée sur les planches que sur grand écran. C’est elle qui dérange, d’abord son amant Boris (parfait Louis-Do de Lencquesaing), puis les amis de celui-ci (interprétés tout aussi bien par Micha Lescot et Camille Japy). Tous, sauf la vieille mère Yvonne (délicieuse Josiane Stoléru), la pressent sans cesse de sortir, sans jamais y parvenir. Elle parle trop et trop fort, rit et s’enthousiasme de même. Exubérante, inconvenante, Andrea dit ce qui ne se dit pas et fait ce qui ne fait pas. Sans compter son statut de maîtresse, qui est tour à tour objet d’attraction pour le parfum de liberté qu’elle répand et de condamnation pour la trahison qu’elle incarne.

Autour d’elle, dans une atmosphère devenue étouffante et tendue à l’extrême, chacun des personnages sent le sol tanguer sous ses pieds, Boris-le-sans-vaillance vacille sous la menace d’une liquidation judiciaire, Yvonne la veuve a toujours peur d’avoir perdu son sac devenu, avec son petit calepin dedans, son (seul) compagnon. Quant au couple d’amis, il finit par céder aussi, abandonnant son souci du prochain et sa bien-séance de bon aloi, remuant la vieille mère, jetant le dessert du grand restaurant, se dessoudant un instant… La Bella figura finit par craquer de toute part. Seule Andrea, assurément la plus esseulée de tous, parvient, grâce à son apparence de légèreté et de fantaisie, à continuer à faire Belle figura. Et apparaît en définitive comme la plus lucide de tous.

Belle figura, à voir au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 31 décembre 2017

A 21h du mardi au samedi, à 15 h le dimanche – durée 1h30

Une pièce écrite et mise en scène par Yasmina Reza, avec Emmanuelle Devos, Josiane Stoléru, Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, Micha Lescot

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Interview

La dernière représentation de la saison au Théâtre du Rond-Point a été jouée dimanche 12 mars, mais le spectacle part ensuite en tournée en province, avant de revenir à Paris au Théâtre Monfort.

Il s’agit d’une pièce remarquable, quoique d’un dispositif assez réduit : deux comédiens (elle, Judith Henry, toujours excellente de fraîcheur, lui, Nicolas Bouchaud, fort différent mais très bon aussi) tantôt rejouent des interviews historiques célèbres, tantôt restituent des interviews qu’ils ont obtenues de personnalités dont le métier est l’interview.

Le choix des textes est excellent et les deux comédiens enchaînent les séquences avec une agilité et un naturel déconcertants.

C’est ainsi qu’on voit et écoute Marguerite Duras in fine clouer le bec à Bernard Pivot après avoir été malmenée sur son alcoolisme (« Mais alors vous êtes prête au pire …? » – « Ben oui, la preuve : je suis là ! »). Jean Hatzfeld parler du loupé total des journalistes sur le génocide au Rwanda, qui n’ont pas su voir les rescapés – qui ne pouvaient parler. Raymond Depardon et Claudine Nougaret son épouse évoquant  leur travail, notamment avec les paysans (cf la trilogie de documentaires, dont le dernier, La vie moderne) : comment savoir attendre pour obtenir une parole, mais aussi la place de Claudine Nougaret dans le monde médiatique – toujours vue comme l’épouse de, rarement citée par son nom et pour son travail en propre, dont on comprend pourtant l’importance dans les films de son mari, en tant qu’ingénieur du son qui sait faire oublier sa présence et celle du micro. Mais aussi Florence Aubenas qui elle aussi sait si bien s’intéresser aux personnes qu’elle interviewe, attendre, se taire, mettre en confiance et obtenir des mots vrais.

 La mise en scène est en cohérence totale avec le projet. Par exemple, lors du long passage de R. Depardon et C. Nougaret, des grandes photos, issues notamment des Profils paysans mais aussi de La France sont placées sur le devant de la scène et les comédiens tout devant elles. Cette proximité, cette intimité, le naturel de jeu de Judith Henry (davantage que Nicolas Bouchaud, qui se fait moins « oublier » que sa compagne de scène) restituent, autant que le texte, l’esprit du célèbre couple que l’on a ici envie d’appeler « d’écouteurs ». Démonstration en est faite s’il était besoin : écouter est un rare et noble métier, et c’est ainsi qu’on aimerait pouvoir qualifier tous les interviewers.

Interview
Conception et mise en scène : Nicolas Truong
Collaboration artistique et interprétation : Nicolas Bouchaud, Judith Henry
Dramaturgie : Thomas Pondevie
Scénographie et costumes : Élise Capdenat
Du 22 au 24 mars 2017 SORTIE OUEST / THÉÂTRE BÉZIERS (34
Du 6 au 14 avril 2017 MC2 / GRENOBLE (38)
Le 3 mai 2017 : L’AGORA / BOULAZAC (24)
Le 5 mai 2017 : LE LIBURNIA / LIBOURNE (33)
Le 9 mai 2017 : THÉÂTRE DES 4 SAISONS / GRADIGNAN (33)
Les 12 et 13 mai 2017 : THÉÂTRE LIBERTÉ / TOULON (83)
Le 20 mai 2017 : LA COMÉDIE DE REIMS (51)

Les 23 et 24 mai 2017 : LE QUAI CENTRE NATIONAL DRAMATIQUE / ANGERS (49)

Du 29 mai au 17 juin 2017 : LE MONFORT / PARIS

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Sur les cendres en avant. Théâtre du Rond-Point

sur_les_cendres_en_avant_giovannicittadinicesiOn aime beaucoup cette pièce de Pierre Notte, au titre un peu curieux, un peu inquiétant, à découvrir sans tarder dans l’ambiance intimiste de la salle Jean Tardieu du  théâtre du Rond-Point à Paris.

Que de la musique et du chant, mais une histoire et des personnages plus qu’attachants. Qu’est-ce donc que ce spectacle ? « Ni un opéra, ni une opérette, ni une comédie musicale, c’est une pièce de théâtre… chantée », selon Chloé Olivères, l’une des quatre (formidables) comédiennes-chanteuses. De fait, dès que la pièce démarre, où l’on voit Macha se disputer avec sa sœur adolescente qu’elle élève seule, l’on pense immédiatement à Anne Vernon et Catherine Deneuve, mère et fille se donnant la réplique dans Les parapluies de Cherbourg sous la houlette de Jacques Demy et les roulements de Michel Legrand. Une façon de chanter qui pose les personnages, un accompagnement au piano qui entraîne et – talent oblige – « nous y sommes ». La comparaison avec les maîtres doit bien sûr s’arrêter là, mais c’est pour mieux s’immerger dans l’histoire de ces quatre femmes, quatre poignantes solitudes en somme, qui au départ s’affrontent sans merci, comme si ces mots déchirants étaient tout ce qui leur restait.

pierre_notte_sur_les_cendres_en_avantMadame Rose, magnétique brune (Chloé Olivères), dont la voix rappelle à certains égards celle de la chanteuse Juliette, a tout perdu depuis que son (petit) appartement a brûlé. Ne demeurent qu’une chaise et quelques biscottes calcinées. Macha, liane aussi blonde que talentueuse (Blanche Leleu) est obligée de se prostituer pour nourrir sa petite Nina (étonnante Elsa Rozenknop), qui rêve de Broadway  et, en attendant, en veut à son corps et à l’institution.

Toutes trois n’ont pas d’autre choix que de cohabiter depuis que la cloison qui séparait les deux logis s’est effondrée (tout cela n’est qu’évoqué, dans une économie de moyens judicieusement mise en œuvre). Engluées dans leur désolation, elles ne se supportent pas. Surgit une quatrième femme, terrible Juliette Coulon, prête à tirer sur elles pour venger la trahison de son mari. Mais voici que de fil en aiguille, et contre toute attente, ces femmes-là vont rassembler leurs forces, s’unir pour reprendre courage, s’émanciper et rêver d’autre chose…

De bout en bout, le spectacle est bien fait, bien joué, bien chanté. La voix off de Nicole Croisille fait la 5ème femme de la partition, ou plutôt la 6ème, car il ne faut pas oublier Donia Berriri, qui officie au piano avec ferveur. L’ensemble,  grave et drôle à la fois, dur mais plein de tendresse et d’espoir, donne une soirée tout « en-chantée ».

Sur les cendres en avant

Texte, musique et mise en scène : Pierre Notte

Avec Juliette Coulon, Blanche Leleu, Chloé Olivères et Elsa Rozenknopp

Théâtre du Rond Point

2bis av Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

Jusqu’au 14 mai 2016

 

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Le Sorelle Macaluso. Emma Dante

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Ils sont dix comédiens, huit femmes, deux hommes. Leurs corps ne sont pas canoniques ; ils expriment d’où ils viennent. Des hommes bruns et ramassés. Des femmes aux cuisses larges, dont les visages et les chairs ont vécu. Ils sont peut-être de Palerme, cette ville de Sicile où Emma Dante, auteur, metteur en scène, a créé sa compagnie à la fin des années 1990. Une ville pauvre, des vies de misère, où la famille est la seule richesse. Où on mêle à la pasta la seule aubergine qui reste, coupée en finissimes tranches, pour nourrir les sept sœurs et leur père. Parce que la mère, elle n’est plus là. Elle reviendra, un moment, spectre blanc et riant, pour embrasser avec tendresse son mari qui manque d’air depuis qu’elle est partie. Car ici les vivants sont en noir et les défunts en blanc. Qu’elle est cruelle la Camarde, qui laisse les filles orphelines et emporte les enfants qui jouent dans la mer ou à Diego Maradona.

Mais elles rient, quand même, les sœurs Macaluso, elles rient à perdre la raison, et elles chantent. Parce qu’un jour, un seul jour, elles sont allées à la mer. Et elles étaient si heureuses d’y aller. Le jour tant attendu a finalement été tragique, et les déchire encore, mais le souvenir de la joie de l’attente, de la joie de l’instant d’avant les fait encore rire et chanter. Et danser aussi, sur ces airs mélancoliques et beaux qui rappellent cette mer si brillante « parce que le soleil s’y cogne dedans », rendent la joie plus grande et la tristesse plus douce. C’est plus que joué, c’est incarné, terriblement vivant sur un plateau nu et dans un temps très ténu. C’est du grand et beau théâtre.

 

« Le Sorelle Macaluso »

Au théâtre du Rond-Point à Paris

De Emma Dante

Avec Serena Barone, Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Italia Carroccio, Davide Celona,Marcella Colaianni, Alessandra Fazzino, Daniela Macaluso, Leonarda Saffi, Stéphanie Taillandier

Production et diffusion : Aldo Miguel Grompone
Coproduction : Teatro Stabile di Napoli, Festival d’Avignon, Théâtre National / Bruxelles,
Folkteatern / Göteborg, en collaboration avec la compagnie Atto Unico /Sud Costa
Occidentale, en partenariat avec le Teatrul National Radu Stanca / Sibiu.
Spectacle créé dans le cadre du projet Villes en scène / Cities on stage, avec le soutien du
Programme Culture de l’Union Européenne.

En italien et palermittan et surtitré en français

Durée 1 h 10

Jusqu’au 25 janvier 2015

Puis en tournée :

les 28 et 29 janvier 2015 à Montluçon, Le Fracas

les 27 et 28 mai 2015 à Aix-en-Provence, Opéra Pavillon Noir

les 30 et 31 mai 2015 à Toulon, Théâtre Liberté

Spectacle créé pour la 68ème édition du Festival d’Avignon

 

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Comment vous racontez la partie. Yasmina Reza

COMMENT VOUS RACONTEZ LA PARTIE

On découvre en ce moment à Paris la dernière pièce de Yasmina Reza, créée en Allemagne et rodée en province avant d’y poursuivre sa tournée fin 2014-début 2015.
On se demande d’ailleurs si l’accueil est différent, dans ces villes de province, dont l’une d’entre elles – fictive en son nom ,Vilan-en-Volène, mais partout réelle – est le lieu de la pièce. Car dans la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point à Paris, pourtant comble, le public est de bout en bout figé. Endormi ou pétrifié ? On l’ignore, mais cette sorte d’indifférence a du mal à s’expliquer tant la pièce, plus corrosive qu’elle n’y paraît, fait mouche. Et rire.

Yasmina Reza, qui assure également la mise en scène, y montre une écrivaine célèbre, Nathalie Oppenheim (Zabou Breitman) qui se rend à Vilan-en-Volène pour participer à une rencontre littéraire organisée en son honneur par Roland (Romain Cottard) jeune responsable culturel local. Nathalie est interviewée par Rosanna (Dominique Reymond), critique littéraire très en vue et originaire du bourg en question. Le maire (Michel Bompoil ce soir du 14) apparaît au moment du pot qui conclut la soirée. Quatre rôles aux dialogues ciselés que l’excellence de leur interprétation rendent délectables.

Tout dans le jeu des comédiens comme dans la mise en scène bien tenue contribue à la mise en relief de ce texte mordant. Car c’est la réalité que l’on croit voir en découvrant les joutes entre Rosanna la journaliste et Nathalie l’écrivaine. Rosanna apparaît en effet comme la star davantage que ne l’est l’artiste. Ou comment le brillant et le creux l’emportent sur la pensée et la création. C’est que, snob et suffisante, Rosanna veut avoir la vedette et ne s’en prive pas. Tics de langage en vogue (comme elle dit : « Nathalie Oppenheim, … », en accentuant le grave de sa voix, la virgule et le silence qui suivent…), prononciation prétentieuse (cette manière de dire « thriller » ou « Philip Roth »…), façon de regarder le public en coin pour créer avec lui une (fausse) complicité, détournement, en définitive, de l’interview pour en faire un moment d’auto-promotion de sa culture et de sa célébrité… Rosanna semble la parfaite synthèse de différentes personnes vues et entendues dans le monde médiatique réel.

En face d’elle, Nathalie, qui habituellement fuit les interviews et les causeries, est très mal à l’aise pour répondre aux questions de la journaliste de plus en plus agressive au fur et à mesure que l’écrivaine résiste en quelque sorte à l’exercice malgré sa bonne volonté de pour une fois s’y soumettre. Que ce soit pour lire un extrait de son livre, pour le commenter ou pour parler d’elle-même, on voit bien la vanité, voire pire, qu’elle trouve à tout cela (ne s’écrit-elle pas dans un moment de découragement « Chaque fois que je parle de mon livre je l’affaiblis ! »).

Entre les deux, Roland, l’animateur culturel, est moins snob que le départ le laisser présumer. Il apparaît comme une victime – mais encore vibrante d’authenticité – de la mode (de pensée comme syntaxique) culturelle actuelle dans son mouvement de décentralisation et de démocratisation : ce qui à Vilan-en-Volène peut paraître comme précieux et prétentieux n’est en réalité que la déclinaison locale et récente d’un snobisme centralisé et ancien. Car en réalité Roland est avant tout un amoureux des lettres, admirateur de Nathalie et de bien d’autres, poète à ses heures et passionné par son travail de médiateur. On peut dire qu’entre lui et Nathalie, la rencontre a vraiment lieu. Avec le maire aussi, d’une certaine manière, dont une forme de mélancolie rejoint la solitude de Nathalie. Il incarne le terrien qui se réclame du bon sens et du bien être de ses administrés, et dont la sensibilité à la littérature, réelle, ne veut s’étaler. Forme de pudeur, ou de timidité.

Mais c’est finalement une autre forme d’art, plus populaire, qui réunira tout le monde, un peu enivré, fatigué, las, peut-être aussi et surtout lucide et enfin décomplexé dès lors qu’il est mis à nu : la chanson « Nathalie » à quatre voix, achevée dans une désopilante chorégraphie. Qui a dit que la salle polyvalente de Vilan-en-Volène était sinistre ?

Comment vous racontez la partie

Théâtre du Rond-Point

2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8°

Jusqu’au 6 décembre 2014

Puis en tournée

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Le Roi Lear au théâtre de la Ville

Après l’avoir créé au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône) dont il est le directeur, le metteur en scène Christian Schiaretti montre « son » Roi Lear au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’à la fin du mois. Il ne reste qu’une poignée de dates, alors précipitez-vous pour réserver la vôtre car cette production est une réussite totale. Une soirée de plus de trois heures de pur plaisir.

roi-lear

A la base, un texte formidable : la renversante pièce de Shakespeare – drame, humour et poésie tout mêlés – dans la traduction ciselée d’Yves Bonnefoy. Pour le servir, de superbes comédiens, avec une sorte d’OVNI au milieu (on adore quand Schiaretti dit à son propos : « Il est d’un métal inconnu », tant ceci est vrai), dans le rôle-titre : Serge Merlin, 81 ans à ce qu’on dit, un corps frêle et agile comme celui d’un oiseau, une barbe de philosophe grec, des yeux brillants comme l’émeraude et vifs comme l’éclair. Il interprète un Roi Lear des plus humains, aveuglé par son orgueil et d’une susceptibilité sans mesure, qui se comporte comme un vieillard retombant en enfance. La fragilité croissante du roi, de plus en plus démuni – et lucide – au fil de la pièce, Serge Merlin la restitue parfaitement, dans un jeu d’une variété inouïe, de l’être hurlant son ire à travers la lande, mains et regard interpellant les cieux, à la pauvre silhouette qui ne tient debout que par la force de son amour paternel lorsqu’à la fin il retrouve Cordélia.

Princes, filles, chevaliers, fou, sbires : ils sont tous excellents aussi, avec peut-être des coups de cœur tout particuliers pour Pauline Bayle, touchante à point dans le rôle de la pure Cordélia, Vincent Winterhalter dans celui du fidèle Kent, Philippe Duclos, parfait comte de Gloucester ou encore Christophe Maltot dans le rôle de son loyal fils Edgar.

La mise en scène est impressionnante de simplicité et d’efficacité : une scène circulaire ceinturée de murs percés de larges ouvertures, le tout d’un même bois clair, tient lieu d’unique décor. Des costumes d’époque, quelques accessoires et un jeté de terre fraîche complètent ce cadre sobre. Lumières, son et direction d’acteurs font le reste. Quand on doit être à la Cour, on y est (spectaculaires entrées en scène), quand on doit être dans la lande on y est (quel orage !… puis quel clair de lune…). Comme si la duperie sur laquelle est fondée la pièce de Shakespeare fondait aussi la mise en scène. Mais comme il est bon d’y « croire » aussi facilement, de se laisser emporter si loin et aussi longtemps par cette duperie merveilleuse qu’est le théâtre !

Le Roi Lear

de Shakespeare

Mise en scène de Christian Schiaretti, scénographie et accessoires de Fanny Gamet

Théâtre de la Ville

2 place du Châtelet – Paris 4e

Tél. 01 42 74 22 77

Jusqu’au 28 mai 2014

Puis au Bateau Feu, à Dunkerque, les 4, 5 et 6 juin 2014

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Prélude à l'agonie au théâtre du Rond-Point

Prélude à l'agonie au Théâtre du Rond Point

Après la désespérante soirée du Tigre en décembre, on poursuit dans le grotesque avec Prélude à l’agonie de la Compagnie du Zerep (Sophie Perez et Xavier Boussiron) donnée au théâtre du Rond-Point jusqu’au 25 janvier.

La comparaison n’a pas à être poussée plus avant car ici nous sommes dans un autre genre, beaucoup plus trash.

Cela débute plutôt bien : sur une mince bande de scène à l’avant du plateau, une courte pièce de Courteline raconte la triste histoire d’un enfant du Connecticut à qui ses parents font croire qu’il possède un royaume, jusqu’à ce qu’il découvre le pauvre lopin de terre marécageux avec lequel on l’a trompé pendant des années. La pièce est interprétée par des nains. C’est une petite merveille, cruelle et jouée de façon délicieusement décalée.

Ce prologue annonce le thème de la soirée (le far west), le regard qui y est porté (la critique) et la méthode utilisée (l’humour noir).
Enfin, en théorie. Car en pratique, une fois le cœur du spectacle enclenché, les moyens mis en œuvre se résument à la provocation : non seulement à travers un mauvais goût revendiqué, mais surtout à travers l’obstination à montrer de bout en bout toutes sortes de violences, avec une prédilection pour l’humiliation, le gore et l’obscénité. Hommes et femmes laids, enlaidis et à poil se roulant dans la poussière pour des séquences orgiaques ; jeu de la banane, prétexte à s’en enduire, s’en farcir et en vomir ; le tout ponctué
de coups de pistolet tirés dans l’hilarité. On danse avec un cheval mort et on fait surgir d’une pauvre et monstrueuse créature une giclée de sang bien frais, quand une autre aux cuisses larges et aux seins tombants s’exhibe comme une bête de foire.

On a compris la démonstration. Le monde fascinant du far west est cruel. Oui oui.

Il est à croire que pour dénoncer, le théâtre contemporain n’a plus foi au texte, préférant s’engouffrer systématiquement dans des outrances de représentations dont les moyens, de Rodrigo Garcia à Angelica Liddell, sont toujours les mêmes, des provocations plus ou moins régressives à la violence sous toutes ses formes brandie comme un étendard. Répétés à l’envie de spectacle en spectacle, après avoir frappé les esprits, ces excès ne font désormais résonner que leur vanité.

Prélude à l’agonie

Théâtre du Rond-Point
2 bis, av. Franklin-D.-Roosevelt (VIIIe)
Tél.: 01 44 95 98 21

A 21 h, dim. à 15 h
Places: de 11 à 36 €
Durée: 1 h 40

Jusqu’au 25 janvier

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El Tigre au Théâtre du Rond-Point

El Tigre au Théâtre du Rond-PointDe ce que l’on comprend, quelque part sur le delta du Tigre dans un marais argentin où sévissent les caïmans, une poignée de folles honorent la fée cinéma, dans l’adoration de Lana
Turner, star des temps reculés, qui eut sept mariages et une fille, et se se trouve aujourd’hui, selon les scènes, entre vie et trépas.

Peut-être ceci n’est pas tout à fait exact ; plus sûrement ceci est incomplet…

Comment savoir ? La langue tient de l’absurde, du surréalisme et du fantastique, en un mot du loufoque, ce qui autrement pourrait avoir son charme mais ici n’en a aucun. Il y a donc pléthore de jeux de mots, on entend « D comme dé de couture » (avant il y a eut « H comme… » mais on a oublié quoi), « saucisse de Toulouse » (le comparatif nous a également échappé), ou encore « les poils pubiens sont des antennes » (si elles le disent).

Comme c’est un genre de comédie musicale, une mini-fosse a été aménagée au pied de la scène, où officie un quatuor à cordes.

On en prend grande pitié, au vu et à l’ouïe de ce qu’il subit chaque soir. La musique est inspirée du tango argentin – le créateur du spectacle n’est autre que le metteur en scène d’origine argentine Alfredo Arias, habitué des lieux depuis plusieurs saisons. Elle accompagne des morceaux chantés par deux comédiens (jouant des travestis, avec le folklore hispano-argentin en jupons habituel) et quatre comédiennes (dont Arielle Dombasle qui minaude comme la poupée qu’elle n’est plus depuis longtemps) non dénués de talent mais dirigés comme au café-théâtre. La mise en scène est du même acabit, et le décor réduit à sa plus simple expression.

Certaines personnes rient, on les entend bien, d’autres partent, on les comprend mieux, tout en s’obstinant jusqu’au bout et en silence, en se demandant ce qu’on est venu faire là.

El Tigre
Théâtre du Rond-Point

Salle Renaud-Barrault
2 bis, av. Franklin D. Roosvelt – Paris 8°

Livret et mise en scène : Alfredo Arias
Composition musicale : Bruno Coulais
Avec Denis D’Arcangelo, Carlos Casella, Arielle Dombasle, Alejandra Radano,
Andrea Ramirez, Alexie Ribes
Violons : Christophe Guiot et Elisabeth Pallas, alto : Françoise
Gneri, violoncelle : Jean-Philippe Audin

Durée 1 h 30
Jusqu’au 12 janvier 2014

Photo © Alejandra Lopez

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Anna au théâtre du Rond-Point

Anna, Théâtre du Rond-PointChère Cécile de France ! Heureusement que nous l’avons pour jouer Anna, ainsi que Florence Pelly et Crystal Shepherd-Cross qui interprètent les deux complices Marie-Anne et Anne-Marie. Ce sont vraiment elles trois qui donnent sa saveur au spectacle.
Anna, c’est l’adaptation scénique du téléfilm de 1967 réalisé par Pierre Koralnik, avec Anna Karina et Jean-Claude Brialy, sur des musiques de Serge Gainsbourg. Tout le monde ne l’ayant pas forcément vu, les Parisiens pourront se rattraper au cinéma Le Balzac où il sera diffusé lundi 23 septembre à 20h30.

S’agissant pour l’heure du spectacle d’Emmanuel Daumas, sans y périr d’ennui, on est loin d’en redemander tant il est perfectible. Un des principaux regrets tient à l’occupation de l’espace : au lieu de profiter du grand plateau de la salle Renaud-Barrault pour y déployer le jeu des acteurs-chanteurs, le metteur en scène l’a encombré de cloisons mobiles et autres inutilités, si bien que la place échue aux comédiens est bien exiguë et le regard du spectateur frustré, et même gêné par un tel bazar.

Conséquence – quoique le problème ne tienne hélas pas seulement à cela -, les comédiens ont des jeux assez limités. Seules les inséparables Marie-Anne et Anne-Marie nous gratifient d’une scène amusante et inspirée. Pour le reste, la direction d’acteurs est bien à la peine et il faut avoir la fraîcheur, le naturel et l’intelligence du personnage comme les a Cécile de France pour faire palpiter le cœur des spectateurs… Grégoire Monsaingeon joue un Serge hystérique et monolithique, comme une caricature permanente de lui-même, qui au mieux ne suscite qu’indifférence.
Quant à la musique, essentielle ici évidemment, il eût été trop simple (et trop chouette) de respecter les compositions originales de Gainsbourg. Il a fallu réaménager tout ça à une autre sauce, quelques notes ici, quelques arrangements là. Parfois ça fait un peu "soupe", on a tendance à perdre l’esprit pop anglaise des sixties. Parfois ça reste très sympa, comme quand Cécile de France interprète "Sous le soleil exactement"

Bref, le tout flotte un peu, on ressort de cette comédie musicale – ici appelée "théâtre musical pop", ce qui change tout – certes sans avoir passé un mauvais moment, mais avec une assez désagréable impression d’approximation, notamment d’époque : 2013, sixties, seventies mais aussi années 90, il y a un peu de tout dans ce spectacle qui aurait mérité un ancrage temporel clair et assumé, ne serait-ce que pour lui donner, sinon un peu plus de chair, au moins davantage de cohérence.

Anna
Adaptation et mise en scène Emmanuel Daumas
Composition musicale et arrangements Guillaume Siron et Bruno Ralle
Avec Cécile de France, Gaël Leveugle, Grégoire Monsaingeon, Florence Pelly, Crystal Shepherd-Cross
Théâtre du Rond-Point
2 bis, av. Franklin D. Roosvelt – Paris 8°
A 21 h, dimanche à 18 h 30, relâche le lundi
Durée 1 h 30
Jusqu’au 6 octobre 2013

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