Le testament français. Andreï Makine

C’est Charlotte qui a séduit le jury du prix Goncourt 1995. Elle est l’attachante grand-mère du narrateur du « Testament français », celle qui été si importante pour lui dans sa passion pour la langue grand maternelle, pour la littérature française, et au bout du compte pour l’écriture.

Charlotte, qui a passé sa jeunesse en France, accueille tous les étés ses petits-enfants dans son village de Sibérie. Le narrateur est fasciné par les récits de ses souvenirs et par les documents qu’elle extraie d’une vieille valise, photos et vieux journaux du début du vingtième siècle, ou les petits cailloux enveloppés dans des papiers qui portent les noms de villes françaises. L’inondation de Paris de 1910, la mort du président Félix Faure dans les bras de sa maîtresse, la visite du couple tsariste dans la capitale française sont les éléments-clés que retient le jeune garçon.

Et le lecteur est conquis par la puissance d’évocation dont fait preuve Makine pour nous faire vivre l’intensité de ces étés avec Charlotte. Le roman est un éloge au pouvoir de la langue : « La langue, cette mystérieuse matière, invisible et omniprésente, qui atteignait par son essence sonore chaque recoin de l’univers que nous étions en train d’explorer ».

Très habilement l’auteur intègre les éléments de la vie de Charlotte, que le jeune garçon reconstitue, dans l’histoire de l’URSS, de la Révolution de 1917 à la chute de l’empire soviétique. Mais l’adolescent comprend que tout ne peut pas être connu de la biographie de sa grand-mère : « L’indicible ! Il était mystérieusement lié, je le comprenais maintenant, à l’essentiel. L’essentiel était indicible. Incommunicable. Et tout ce qui dans ce monde, me torturait par sa beauté muette, tout ce qui se passait de la parole me paraissait essentiel ».

A cheval entre deux cultures, la russe et la française, il reconnaît dans la langue de sa grand-mère « cette langue d’étonnement par excellence », et a appris avec Charlotte « cette mystérieuse consonance des instants éternels », ce qui ouvre aux potentialités de l’écriture : « Il fallait, par un travail silencieux de la mémoire, apprendre les gammes de ces instants. Apprendre à préserver leur éternité dans la routine des gestes quotidiens, dans la torpeur des mots banals. Vivre, conscient de cette éternité… »

Mais le livre est aussi un roman, avec son lot de tragédies, et de révélations finales. La figure de Charlotte restera le modèle d’un « mystérieux regard français ».

Andreossi

Le testament français. Andreï Makine

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Les flamboyants. Patrick Grainville

Si le flamboyant est un arbre africain très coloré, le style du Goncourt 1976 est autant flamboyant que coloré. L’histoire qui nous est contée est assez mince mais les mises en scène sont tellement enflées par l’exubérance de l’écriture que le roman paraît bien long.

Torok Yali Yulmata est le général roi fou du royaume imaginaire Yali. Il est ainsi présenté : « Le barbare Yumalta ! Le forcené sexuel, le violeur des chaudes guenons de la brousse, le féticheur infâme, enchanteur, dardant la prunelle fameuse et malachite sur le troupeau dodu des faibles filles frémissantes ». Il se décide à aller guerroyer contre les Doré, davantage par fascination pour la violence que par raison politique. Il enrôle un Ecossais dans son épopée, très pâle et très falot, qu’il surnomme d’ailleurs le Néant Blanc.

A côté de cet ectoplasme, l’Afrique apparaît comme extraordinairement vivante, et l’auteur s’emploie à faire passer cette luxuriance africaine, sur tous les plans, du végétal au sentimental, par une écriture où la mesure ne compte plus : « Le quartier coulait de sèves, de graisses, de fanges profondes et de jus sanguin. Parfois une gorge libre et jeune, gonflée sous le tissu écorché. Puis ces bouquets de souillonnes, de poissardes en fleurs lançant leurs bras fantasques et sonnaillant de bracelets, vous attirant vers leur camelote, vous nasillant des propos d’oiseaux : caquets, grelots, perruches ».

Le général roi fou est finalement renversé par l’opposition marxiste, mais il a eu auparavant le temps d’exercer violence sur violence et l’auteur, à force d’allitérations (comme on l’a vu dans les citations précédentes ou encore dans « un jardin grouillant de guenilles geignardes ») et de copieuses images, réussit à nous donner le tournis et l’envie de paysages zen.

Certes parfois l’alliance de l’image et de la musique des mots peut retenir l’attention : « Impression de feuilleté, de duvet, de désassemblage doux sur lesquels contrastait la saillie d’une barre de fer noire, le profil d’un rostre de caillou carbonisé ». Certaines évocations, comme celles des Ludies, être utopiques au caractère sacré, font décoller l’imaginaire. Mais on peut aussi poser la question : Que gagne l’Afrique à être décrite sous des aspects au bout du compte puisés dans une pensée très commune : la violence, l’irrationnel, la démesure ?

Andreossi

Les flamboyants. Patrick Grainville

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