Les Pyrénées des peintres. Musée Paul-Dupuy à Toulouse

Les Pyrénées des peintres, exposition, musée Paul DupuyEn cheminant, dans l’ordre chronologique, devant les dessins et peintures présentés au musée Paul Dupuy sous le thème « Les Pyrénées des peintres », nous avons incontestablement le sentiment de nous élever peu à peu vers les sommets.

Nous partons du milieu du XVIIIème siècle : c’est la verticale qui domine. Que les gorges sont hautes et étroites, que les cascades tombent de haut, que nous sommes petits (et craintifs) devant les forces naturelles qui dévalent sur nous !
Au cours du XIXème siècle le paysage s’humanise : les reliefs sont moins exagérés, un premier plan est davantage mis en valeur, les montagnes deviennent parfois seulement le cadre qui environne la scène ; bêtes et humains semblent participer à la conquête de la nature sauvage.
Et surtout le spectateur n’est plus en bas, il est à mi-chemin des sommets.

A l’orée du XXème l’homme a conquis : les tableaux de Schrader en témoignent largement, nous voyons désormais les Pyrénées d’en haut, ce sont des panoramas qui s’offrent aux yeux de celui qui a vaincu sa peur de la montagne.

L’amateur de paysage ne se satisfera pas seulement ici de réflexions sur la manière de représenter les Pyrénées et la montagne en général. Dessins et peintures ont chacun leur intérêt. Les Pyrénéistes du cru qui voulaient faire aimer « leur » montagne ont reçu la visite d’artistes illustres séduits par les reliefs et cascades : Eugène Viollet-Le-Duc, Théodore Rousseau, et surtout le héros de l’exposition, Gustave Doré qui prouve qu’il n’était pas seulement un illustrateur, et d’autres.
On retiendra les tableaux de Rosa Bonheur et de Joséphine Sarazin de Belmont, pour le « réalisme » de leur représentation. Loin d’un discours (pictural) emphatique sur la place de l’homme dans la nature, elles réalisent des œuvres « à la mesure » de ce qu’elles perçoivent.

Une bien agréable balade dans les Pyrénées en quelques salles, avant de reprendre, au printemps, les sentiers pierreux, et découvrir les paysages avec le souvenir des œuvres.

Gouffres, chaos, torrents et cimes : les Pyrénées des peintres
Musée Paul-Dupuy
3, rue de la Pleau à Toulouse (M° Esquirol)
Jusqu’au lundi 3 mars 2008
TLJ sauf le mardi de 10 h à 17 h
Entrée 5 € (TR : 2.5 €)
Catalogue aux Editions Privat, Collections Beaux-Arts, 127 p., 25 €

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La vie avec Albertine. Le poids de l'habitude

Marcel Proust La RechercheEn observant les amours de ses amis, celui de Swann pour Odette, celui de Saint-Loup pour Rachel, le narrateur, à de nombreuses occasions, a mesuré l’importance de l’habitude dans la persistance d’une histoire amoureuse.

Dans La prisonnière, partageant sa vie avec Albertine, il se rend compte, dans son propre cas cette fois, que sa situation demeure ce qu’elle est avec son amie, à savoir en partie insatisfaisante mais durable, en raison du poids des habitudes.

Par exemple, la continuelle jalousie qu’il éprouve à l’égard d’Albertine le pousse à chercher des explications sans relâche ; cela étant, il ne les demande pas, par peur de la fâcher. Il s’aperçoit à quel point il a pris l’habitude de ne pas satisfaire immédiatement ses désirs. Dans ce passage, il se remémore les désirs passés et présents qu’il s’est promis d’assouvir sans le faire jamais, comme ce soir-là il n’a pas satisfait celui d’interroger Albertine :

Peut-être que l’habitude que j’avais prise de garder au fond de moi certains désirs, désir d’une jeune fille du monde comme celles que je voyais passer de ma fenêtre suivies de leur institutrice, et plus particulièrement de celle dont m’avait parlé Saint-Loup, qui allait dans les maisons de passe, désir de belles femmes de chambres, et particulièrement celle de Mme Putbus, désir d’aller à la campagne au début du printemps revoir des aubépines, des pommiers en fleurs, des tempêtes, désir de Veise, désir de me mettre au travail, désir de mener la vie de tout le monde, – peut-être l’habitude de conserver en moi, sans assouvissement, tous ces désirs, en me contentant de la promesse faite à moi-même de les satisfaire un jour – peut-être cette habitude, vieille de tant d’années, de l’ajournement perpétuel, de ce que M. de Charlus flétrissait sous le nom de procrastination, était-elle devenue si générale en moi qu’elle s’emparait aussi de mes soupçons jaloux et, tout en me faisant prendre mentalement note que je ne manquerais pas un jour d’avoir une explication avec Albertine au sujet de la jeune fille (peut-être des jeunes filles, cette partie du récit était confuse, effacée, autant dire indéchiffrable, dans ma mémoire) avec laquelle (ou lesquelles) Aimé l’avait rencontrée, me faisait retarder cette explication.

Souffrant le plus souvent, de sa jalousie précisément, il envisage régulièrement de rompre avec Albertine. Mais il ne le fait pas. Il lui semble savoir pourquoi. Cette raison, à savoir l’habitude, le consterne :

On donne sa fortune, sa vie pour un être, et pourtant cet être, on sait bien qu’à dix ans d’intervalle, plus tôt ou plus tard, on lui refuserait cette fortune, on préfèrerait garder sa vie. Car alors l’être serait détaché de nous, seul, c’est-à-dire nul. Ce qui nous attache aux être, ce sont ces milles racines, ces fils innombrables que sont les souvenirs de la soirée de la veille, les espérances de la matinée du lendemain ; c’est cette trame continue d’habitudes dont nous ne pouvons nous dégager.

Excellentes lectures, excellent week-end à tous et à bientôt

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