Macbeth au Théâtre Ranelagh

Macbeth, mise en scene Philippe PenguySoirées théâtrales contrastées en cette rentrée : d’un vendredi à l’autre, l’on a ainsi pu passer de Valère Novarina, dont L’Atelier volant est donné au théâtre du Rond-Point, à Shakespeare, dont Macbeth est joué au théâtre Ranelagh. La première est d’un ennui abyssal ; la deuxième rappelle que le théâtre peut encore captiver.

Publiée en 1971 et créée en 1974, L’Atelier volant est la première pièce de Novarina. ll la met ici en scène lui-même, et pour la première fois.
Il s’agit d’un texte sur (notamment) l’exploitation ouvrière, les tromperies de la société de consommation et les aberrations du capitalisme en général. Une pièce bien de son époque évidemment mais qui hélas sonne encore fort justement aujourd’hui. Pas plus que le thème, ni la mise en scène ni les comédiens ne semblent en cause dans l’atroce sentiment d’ennui qui pourtant terrasse trop vite le spectateur. Aussi "légitime" soit-il, le texte, imbuvable à l’écrit, passe presque aussi difficilement à la scène, en tout cas en 2012. Dans ses deux premiers tiers, il demeure compréhensible, mais souvent si théorique que l’on peine à s’y intéresser. Le dernier tiers bascule dans le "langage novarinien" comme disent ses admirateurs, c’est-à-dire, pour les autres, dans l’ésotérisme. L’on y comprend goutte, cela s’agite sous nos yeux qui se fatiguent et se ferment ; l’esprit bercé par l’incontinence verbale renonce peu à peu et l’on finit par appeler le sommeil de ses vœux pour abréger le calvaire.
Bref, une soirée à oublier, sauf les prestations des méritants comédiens, dont Olivier Martin-Salvan en M. Boucot et plus encore Myrto Procopiou, impériale et réjouissante (merci !) en affreuse Mme Bouche.

Retour fissa au théâtre classique, donc, pour tenter de raviver la flamme dramatique. C’est plutôt une bonne idée, car voici une production shakespearienne plutôt rare (Macbeth n’est pas souvent monté) et tout à fait réussie.
Ecrite en 1606 et située en Ecosse, Macbeth raconte l’histoire de ce héros (il a bouté les Norvégiens hors du royaume) qui, guidé par les prophéties des sorcières et poussé par son épouse, accomplit pour accéder au trône un premier crime, celui du roi Duncan, suivi de nombreux autres, malgré de terrifiants remords. Texte excellent, tendu comme un arc, que le metteur en scène Philippe Penguy a à peine raccourci en adaptant la traduction de Jean-Michel Déprats. Sa mise en scène est résolument dynamique : il utilise toutes les ressources du théâtre pour agrandir ce qui peut sembler un "petit" plateau pour une pièce comme celle-là. Pour figurer la lande, il recourt à une immense toile au sol dont émergent les trois sorcières en un inquiétant ballet. Pour structurer l’espace, il place un escalier, astuce classique mais ici particulièrement opportune pour situer sans montrer le premier des crimes, celui de Duncan. Les comédiens s’avancent sur un petit proscenium, relié à la salle par un escalier où ils passent à l’occasion, arrivent par les loges côtés… Il y a de la musique (écossaise) jouée sur scène, des costumes en velours noirs tels qu’on les attend, des combats à l’épée bien chorégraphiés.
Les sorcières emballent, fascinant en effrayant comme elles le doivent, et le reste de la distribution est plutôt convaincant. Au-dessus du lot, Agnès Valentin en lady Macbeth est impeccable, tant au début de la pièce où, calculatrice et sans état d’âme, elle pousse son époux au régicide, que dans la scène de somnambulisme où, dévorée par le remords, elle n’est plus que le spectre d’elle-même. L’altier Laurent Le Doyen est un Macbeth d’abord aérien, qui montre bien le contraste entre l’esprit tourmenté de son personnage et les vertus morales de ses anciens amis, eux beaucoup plus terriens et physiques, aussi bondissants que Macbeth est de plus en plus pétrifié par ses terribles forfaits.

Macbeth
De William Shakespeare
Mise en scène et direction artistique : Philippe Penguy
Avec : Laurent Le Doyen, Agnès Valentin, Emmanuel Oger, Anne Beaumond, Lionel Robert, Géraldine Moreau‑Geoffrey, Teddy Melis, Émilie Jourdan, Jean‑Michel Deliers, Denis Zaidman
Création et réalisation costumes et tissu : Marie‑Hélène Repetto
Conception et réalisation décor : Sylvain Cahen
Théâtre Le Ranelagh
5, rue des Vignes – 75016 Paris
Locations : 01 42 88 64 44 ou sur le site du théâtre
M° La Muette ou Passy, RER Boulainvilliers ou Kennedy-Radio-France
Du mar. au sam. à 21 h et le dim. à 17 h – relâches les 25 sept., 2 oct. et 6 nov. 2012
Durée : 1 h 50
Tarifs de 10 € à 35 €

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Canaletto à Venise, c'est au Musée Maillol

exposition canaletto au musee maillol

Inauguration en beauté de la série d’expositions de la rentrée, avec la présentation au Musée Maillol d’une cinquantaine de peintures du plus célèbre des vedutisti vénitiens du XVIII°, Antonio Canal (1697-1768), dit Canaletto, dont un grand nombre sont présentées en France pour la première fois.
Déjà prisées de son vivant et depuis toujours recherchées, ses vues de Venise ont participé à l’image enchanteresse de la Sérénissime, et lorsque l’on a enfin comme ici le loisir d’en admirer plusieurs dizaines à la fois, l’on comprend pourquoi.

Ce qui séduit au premier regard, c’est l’extraordinaire lumière qui inonde ses tableaux. Canaletto est en cela le digne héritier de ses prédécesseurs de la Renaissance vénitienne, tels Titien puis Véronèse, grands maîtres de la lumière.
Qui a la chance d’être allé à Venise retrouvera sur les tableaux du Canaletto les mouvantes clartés de son ciel et les insaisissables nuances de son Grand Canal, que le peintre a pourtant su si bien rendre, jouant sur toutes les teintes de l’onde, du vert céladon au gris ardoise…

Frappe tout autant l’équilibre des compositions, auquel la rigueur architecturale n’est certainement pas étrangère. Le carnet de dessins de Canaletto, qui le temps de l’exposition a exceptionnellement quitté la Galerie de l’Académie où il est jalousement gardé, montre d’ailleurs l’importance du travail sur l’architecture et la perspective dans la préparation des tableaux. L’un des charmes du soin accordé à l’architecture qui en somme fait jeu égal avec le ciel et l’eau est de souligner déjà d’une certaine manière la fragilité de Venise, dont les vastes mais délicats palais semblent érigés et tenir par une sorte de grâce.

Canaletto, le grand escalierPuis, quand on passe un peu plus de temps face aux peintures, ébloui par la douceur des couleurs, à la fois chaleureuses et délavées, mille détails échappés au premier coup d’œil apparaissent ; ici, un couple qui s’embrasse, là des gondoliers à l’œuvre, plus loin des gens qui échangent quelques mots. Souvent, le peintre emploie dans le registre des détails des couleurs tout autres, comme le noir, mais surtout le rouge vif, qui vient se poser sur le bonnet d’un marinier, la culotte d’un promeneur ou la jupe d’une dame.

Mais cette splendide exposition réserve d’autres surprises. Outre le fameux carnet de dessins, le Musée présente la chambre optique avec laquelle Canaletto travaillait. L’on y découvre aussi un aspect moins connu de l’oeuvre du vidutista : les gravures, qui montrent des endroits moins célèbres de la lagune et soulignent le mouvement des personnages. C’est peut-être en observant ses gravures et leurs lignes sinueuses que l’on perçoit mieux l’aspect vivant des tableaux de Canaletto.
A signaler enfin, une curiosité baptisée "Caprice", où Canaletto a peint une Venise imaginaire : une "vue" du pont du Rialto, mais d’après le projet de Palladio. Un aspect surnaturel inattendu, et que la lumière jaune dans laquelle baigne le tableau renforce.

Canaletto à Venise, c’est au Musée Maillol
Musée Maillol
59-61, rue de Grenelle – Paris 7°
M° rue du Bac, bus 63, 68, 69, 83, 84
TLJ de 10h30 à 19 h, le ven. jsq 21 h 30
Entrée 11 € (TR 9 €)
Jusqu’au 10 février 2012

Images :
Antonio Canal dit Canaletto, L’entrée du Grand Canal vue de la Piazzetta, 1730, huile sur toile, Grande-Bretagne, Knutsford, The Egerton of Tatton Park © NTPL/John Berthell
Antonio Canal dit Canaletto, L’escalier des Géants du Palazzo Ducale, 1755-1756, huile sur toile, Grande-Bretagne, Alnwick, Collection of the Duke of Northumberland ©Collection of the Duke of Northumberland

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Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra de Paris

Les contes d'Hoffmann, mise en scène Robert Carsen

Ce vendredi était donnée à l’Opéra Bastille la première représentation de la saison des Contes d’Hoffmann dans la production de Robert Carsen créée en mars 2000.
A tous points de vue, ce fut une soirée inoubliable.

La mise en scène de Carsen, qui a succédé notamment à Patrice Chéreau en 1974 et à Roman Polanski en 1992, est un ravissement. Elle enracine l’aspect littéraire des Contes, en positionnant l’ensemble de l’opéra dans un théâtre. Robert Carsen joue ainsi deux cartes à fond, d’une part celle du clin d’œil – pour ne pas dire l’hommage – d’Offenbach à Mozart avec la représentation de Don Giovanni qui encadre l’histoire, et d’autre part celle de l’illusion de l’amour, en montrant en permanence les dessous du décor, comme pour rappeler à chaque instant que toutes les histoires d’amour ne sont que jeux d’apparence trompeurs qui ne mèneront qu’à la désillusion. Sa mise en scène fait enfin sa juste part au fantastique et à la balance des sentiments, tantôt gais, tantôt déchirants, qui participent au charme du célèbre opéra.

Le prologue qui voit les amis d’Hoffmann se réunir au café pour écouter ses contes est une merveille de joie, teintée d’un peu d’inquiétude et d’ironie, vu l’état d’ébriété d’Hoffmann, mais aussi de la suite qui s’annonce. Le bar est magnifique, les chorégraphies parfaites, la musique et les voix, y compris les chœurs exactement en place : cela démarre fort.
L’apothéose du plaisir vient au premier acte, au cours duquel la canadienne Jane Archibald nous offre une Olympia mécanique aussi talentueuse que tordante ; celle de l’émotion au deuxième où Antonia interprétée par la Portoricaine Ana Maria Martinez, plongée dans la pénombre de la fosse, errant entre les instruments, nous bouleverse quand sa défunte mère apparaît au dessus d’elle dans une lumière lunaire presque surnaturelle. Il y a là peu après l’un des plus émouvants trios qui soient.

La direction, le sens du jeu et surtout l’homogénéité des voix ne sont pas pour rien dans cette réussite. Les sopranos Jane Archibald et Ana Maria Martinez (Olympia et Antonia), la mezzo-soprano américaine Kate Aldrich dans les rôles de La Muse et du compagnon Nicklausse, la Française Sophie Koch, mezzo également dans celui de Giulietta, le ténor Stefano Secco dans celui d’Hoffmann, le baryton niçois Franck Ferrari dans les terribles rôles de Lindorf, Coppélius, Dapertutto et dr Miracle, sans oublier bien sûr le baryton toulousain Jean-Philippe Lafont (dans ceux de Luther et de Crespel le père d’Antonia) mirent dans leurs sublimes interprétations, seuls ou ensemble, une générosité qui enthousiasma un public ravi de sa rentrée lyrique.

Les Contes d’Hoffmann
Un opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue
de Jacques Offenbach (1819-1880)
Livret de Jules Barbier d’après le drame de Jules Barbier et Michel Carré
Créé à l’Opéra-Comique de Paris le 10 février 1881

Direction musicale : Tomas Netopil
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Michael Levine
Lumières : Jean Kalman
Mouvements chorégraphiques : Philippe Giraudeau
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert

Distribution :
Jane Archibald Olympia
Sophie Koch Giulietta
Ana Maria Martinez Antonia
Kate Aldrich La Muse, Nicklausse
Qiu Lin Zhang Une voix
Stefano Secco Hoffmann
Fabrice Dalis Spalanzani
Cyrille Dubois Nathanaël
Jean-Philippe Lafont Luther, Crespel
Eric Huchet Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz
Franck Ferrari Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Miracle
Damien Pass Hermann
Michal Partyka Schlemil

Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris

Durée 3 h 30 avec 2 entractes
Places de 5 euros à 180 euros
Jusqu’au 3 octobre 2012
Opéra National de Paris – Opéra Bastille

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Laurent Grasso. Uraniborg au Jeu de Paume

Laurent Grasso, Jeu de PaumeCette exposition, parce qu’elle est la première d’envergure du Français Laurent Grasso, sera pour beaucoup une révélation.

Que ceux qui ignorent son travail s’y rendent sans délai – attention, elle finit le 23 septembre – car l’on affaire à un grand artiste, si l’on accepte de qualifier ainsi celui qui, en nous en offrant une lecture à la fois singulière et universelle, re-créé le monde, voire l’univers.

Le dispositif paraît sophistiqué ; l’appréhension en est pourtant fort simple.
Le parcours présente deux axes, que l’on suit ensemble sans se poser de questions. D’un côté, ce sont des oeuvres "matérielles", d’un autre, des films.

Dans la première catégorie, extrêmement bien mis en scène, points de lumière plongés dans l’obscurité que l’on observe à travers de petites ouvertures comme l’on découvrirait le contenu d’un cabinet de curiosités, ce sont des peintures (de la main de l’artiste) façon Renaissance italienne ou des pays du Nord, mais avec quelques détails anachroniques – si peu finalement – ; ce sont des livres (comme une édition originale de De re militari de Roberto Valturio de 1483, ou un livre d’astronomie daté de 1646, italien également) ; le fragment d’une vipère enroulée en terre vernissée de Bernard Palissy (1560) ; ou encore une inscription au néon prévenant Visibility is a Trap (Le visible est un piège)…

Dans la seconde catégorie, cinq films de Laurent Grasso réalisés entre 2008 et 2012, d’une durée de 15 mn environ chacun, que l’on peut regarder (notamment) dans des salles dédiées. L’un montre le jardin extraordinaire de Bomarzo en Italie, peuplé de sculptures aussi monumentales que fantastiques issues de de la mythologie ; un autre des nuées d’étourneaux mouvantes dans un ciel romain aux couleurs somptueuses ; un autre offre tour à tour les étoiles, la lune, la mer et le soleil à partir de l’île de Ven située entre le Danemark et la Suède. Le 4ème suit le vol d’un faucon à l’aide d’une caméra attachée au volatile, quelque part au dessus de paysages désertiques d’Arabie, tandis que le dernier filme la côte de Carthagène au sud de l’Espagne et ses installations militaires plus ou moins dissimulées.

Uranibord, GrassoLe propos de l’exposition tourne autour de la perception, du visible et du caché ; de l’observation et des croyances.
Ce que l’on voit est avant tout d’une admirable cohérence : historique, avec un ancrage puissant dans la Renaissance, qui a modelé notre culture, nos connaissances, notre perception de l’espace et de sa représentation. Cohérence aussi de l’objet montré, qui n’est pas moins que le cosmos, avec l’intervention des dieux dans la vie terrestre, dans le jardin créé par le comte Orsini au XVIème siècle et ses drôles de créatures dans le premier film ; avec le ciel dans les trois suivants, exploré avec les télescopes autant qu’à travers le vol des oiseaux ; mais aussi la mer, que ce soit au large de l’île de Ven ou au bord des côtes espagnoles.

Uranibord nous emmène dans le royaume de la curiosité, de l’observation, de la découverte et du mystère propre aux XV° et XVI° siècles européens. Dans celui du rêve aussi, et de l’imaginaire (fortement sollicité devant les nuées d’oiseaux migrateurs filmés depuis la Villa Medicis), dans celui de la contemplation enfin face aux mondes céleste, marin et minéral. Un peu comme si Laurent Grasso avait aboli les frontières historiques comme géographiques, nous invitant à regarder ce qui est et à deviner ce qui se cache, avec un esprit libre de toute limite et disponible à toutes les re-créations visuelles.

Laurent Grasso. Uraniborg
Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Le mardi de 11 h à 21 h, du mer. au dim. de 11 h à 19 h
Entrée de 5,50 € à 8,50 €
Jusqu’au 23 septembre 2012

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Magic Mike. Steven Soderbergh

Magic Mike, Steven Soderbergh

Mike est un très beau mec, aux traits doux et au corps sculptural. Ses yeux et son sourire sont bons et ses épaules larges.
Le jour, il fait tout un tas de boulots classiques. Le soir, il devient strip-teaseur dans la boîte dirigée par Dallas.
Nous sommes à Tampa, en Floride et la vie de Mike y est facile : l’argent rentre, la fête est quotidienne et les filles à ses pieds. Quant à ses numéros de strip-tease, ils ont un succès fou. Il est le meilleur employé de Dallas et espère devenir bientôt son associé.
Un jour, il rencontre Adam, un jeune beau gosse un peu paumé. Il le prend sous sa protection, le fait entrer dans la boîte de Dallas et fait la connaissance de sa grande sœur. Ces rencontres ne seront pas sans conséquence.
C’est ce moment que filme Soderbergh : une sorte de point de bascule de la vie de Mike qui atteint la trentaine ; une bascule souterraine, douce et irrépressible, presque brutale. Que veut-il vraiment faire de sa vie, qu’est-ce qui compte vraiment pour lui ?…

Le film est à la fois très beau et très séduisant.
La séduction, c’est d’abord celle de toutes les scènes de spectacle de strip-tease ; c’est le succès, celui de Dallas avant tout, qui voit sa boîte prospérer au point de s’installer à Miami ; c’est aussi la vie joyeuse au soleil le jour et euphorisante le nuit ; c’est enfin, et bien sûr, la séduction de ces corps magnifiques.
La beauté, c’est celle du personnage de Mike, plus complexe qu’il n’y paraît – son rêve n’est-il pas de créer une entreprise afin d’éditer les meubles qu’il dessine ? -, qui doute et qui doit faire des choix.
C’est évidemment la justesse de la mise en scène de Soderbergh, la profonde intelligence avec laquelle il traite son sujet, en demeurant toujours à l’exacte hauteur de ses thèmes et de ses personnages, sans moraliser jamais.

Magic Mike, Soderbergh, McConaugheyC’est encore la beauté d’une photo très douce, à la lumière vintage et chaleureuse qui pourtant n’enjolive pas tout, Soderbergh montrant la Floride telle qu’elle est, y compris dans ce qu’elle a d’un peu triste.
C’est enfin la beauté du jeu des acteurs, dont deux crèvent littéralement l’écran : Channing Tatum bien sûr dans le rôle de Mike, mais aussi Matthew McConaughey, impeccable dans celui de Dallas, à la fois mâle dominant cynique et bête de scène lascive qui se voit artiste.

Magic Mike
Un film de Steven Soderbergh
Avec Channing Tatum, Alex Pettyfer, Matthew McConaughey
Durée 1 h 50 min
Sorti le 15 août 2012

Images © ARP Sélection

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Au frais dans les salles !

Et voilà les vacances qui s’achèvent au moment où la canicule bat son plein… bigre ! Où aller se rafraîchir en ville ? Dans les salles de cinéma, pardi… En cette saison, il y en a un peu pour tous les goûts, alors autant en profiter pour se concocter un programme varié.

Sorti mercredi dernier, Cornouaille d’Anne Le Ny, avec Vanessa Paradis et Samuel Le Bihan notamment, se laisse regarder avec d’autant plus de plaisir qu’il permet de rester au bord de la mer – on en reparlera, avec des réserves toutefois. Autre sortie du 15 août, pas vu encore, Magic Mike de Steven Soderbergh est bien tentant – à suivre donc.

Le Amiche, AntonioniMais on peut aussi découvrir ou redécouvrir des films plus anciens, comme le dernier Ken Loach ou le Batman, voire très anciens, comme Femmes entre elles daté de 1955 et ressorti ce 1er août.
Récompensé du Lion d’argent à la Mostra de Venise 1955, de son titre original Le amiche (Les amies), Femmes entre elles est le troisième long métrage d’Antonioni. Il met en scène une Romaine célibataire venue ouvrir un atelier de couture à Turin, où elle fait la connaissance d’une bandes d’amies suite à la tentative de suicide de l’une d’entre elles, pour cause d’amour bien entendu. Car entre illusions et cynisme, les rapports hommes-femmes sont ici loin de mener au bonheur. Femmes entretenues, femmes possessives, femmes indépendantes… hommes volages, machos, hommes un peu paumés finalement… l’ensemble est complet. Et dans ce potage-là, l’amitié des femmes "entre elles" n’a pas toujours la sincérité requise pour remonter le moral à notre jeune suicidée…
Inspiré d’une nouvelle néoréaliste de Cesare Pavese, Femmes entre elles est un terrible portrait de la bourgeoisie italienne des années 1950. Porté par une magnifique mise en scène, à laquelle une très belle photo et un casting nickel (féminin en particulier) ne gâchent rien, il montre jusqu’où le poids du "paraître" et l’hypocrisie du jeu mondain peuvent mener : à l’aveuglement et au désastre.

La part des anges, Ken LoachA voir aussi La part des anges de Ken Loach. Il commence dans le misérabilisme le plus poisseux qui soit pour évoluer rapidement vers une intrigue aussi singulière que délicieuse, à laquelle on s’arrime sans forcer, d’autant moins que le personnage principal, admirablement joué par Paul Brannigan, et ses compagnons, tout aussi bien interprétés, sont des plus attachants. Pour finir, ce film constitue une comédie très haute en saveurs…

The Dark Knight Rises, Christopher NolanEnfin, dans un tout autre style, The Dark Knight Rises, le dernier épisode de la saga Batman signée Christopher Nolan est un très bon film d’actions, certes un poil long (la fin aurait pu être allégée d’une bonne vingtaine de minutes), mais évitant la surenchère d’effets spéciaux et bénéficiant de plans superbes, d’un scénario bien ficelé et d’une distribution très honorable : Christian Bale, Gary Oldman, Anne Hathaway et Morgan Freeman entre autres…

Femmes entre elles (Le Amiche)
De Michelangelo Antonioni
Avec Eleonora Rossi Drago, Gabriele Ferzetti, Valentina Cortese…
Sorti en 1955, repris le 1er août 2012
Durée 1h 44min

La Part des anges
De Ken Loach
Avec Paul Brannigan, John Henshaw, Gary Maitland…
Sorti le 27 juin 2012
Durée 1h 41min

The Dark Knight Rises
De Christopher Nolan
Avec Christian Bale, Gary Oldman, Tom Hardy…
25 juillet 2012
Durée 2h 44min

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Cornouaille. Anne Le Ny

Cornouaille, Anne Le Ny

Jolie trentenaire, Odile vit à Paris où elle a réussi sa vie professionnelle en créant sa propre agence de voyages. Célibataire, elle passe ses "13 à 15" dans une chambre d’hôtel du 20ème arrondissement avec Fabrice, marié et père de famille, .
Gaie, vive et déterminée, c’est plutôt de bonnes grâces qu’elle se rend seule dans le Finistère, le temps d’expédier une affaire successorale : vider et vendre la maison de sa tante dont elle vient d’hériter.
Mais une fois sur place, les choses ne se déroulent pas aussi simplement que prévu : sitôt arrivée, Odile est saisie par le souvenir de son père mort dans cette maison alors qu’elle avait douze ans. Un ami d’enfance s’invite chez elle et l’amène à réfléchir sur elle-même.
Tout le passé qu’elle avait voulu effacer lui revient en mémoire et ses fantômes viennent la hanter. Mais n’est-ce pas là l’occasion de renouer avec son enfance pour mieux se trouver et choisir enfin la vie d’adulte qui lui correspond vraiment ?

Sur un scénario bien bâtit au départ mais que l’on sent au fur et à mesure du film de plus en plus hésitant, la réalisatrice a voulu développer de belles et fortes thématiques, celles de la mort, du poids des souvenirs, de la fidélité aux disparus mais aussi de la difficulté de s’en libérer pour enfin devenir soi.
Pour l’essentiel, elle y est parvenue mais parfois sur le fil du rasoir, entre scénario un peu bancal et mise en scène trop conventionnelle.
Pour autant, les paysages envoûtants de Cornouaille et le jeu très juste des acteurs, à commencer par Vanessa Paradis dans le rôle principal, mais également les hommes qui l’accompagnent, Samuel Le Bihan et Jonathan Zaccaï (et de brèves mais toujours délicieuses apparitions de Laurent Stocker en notaire complexé), parviennent à faire passer ces émotions qui, surgies des temps anciens, viennent tour à tour bouleverser, illuminer et apaiser nos vies présentes.

Cornouaille
Un film d’Anne Le Ny
Avec Vanessa Paradis, Samuel Le Bihan, Jonathan Zaccaï, Laurent Stocker
Durée 1 h 36
Sorti en salles le 15 août 2012

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Yutaka Takanashi à la Fondation HCB à Paris

Yutaka Takanashi, fondation HCBPlus que deux semaines pour découvrir l’exposition consacrée à Yutaka Takanashi, photographe né à Tokyo en 1935 et l’un des plus importants du XXème siècle japonais.
Pour cette première en France réunissant plus de quatre-vingt clichés, la Fondation Henri Cartier-Bresson présente des séries majeures de l’artiste.

Au premier étage, Toshi-e (Vers la ville) est composée de photos en noir et blanc de formats assez réduits, datées de 1965 au début des années 1970 : comme prises sur le vif (Takanashi en a pris beaucoup en roulant en voiture), elles se caractérisent par leur cadrage audacieux, leurs contrastes forts et parfois leur flouté. En cela, elles sont bien représentatives du mouvement de la photographie japonaise à cette époque, et dont Yutaka Takanashi fut l’un des précurseurs. Fondateur après les contestations de 1968 (contre la guerre du Viêt Nam notamment) de la revue Provoke, il fit évoluer avec quelques autres la photographie documentaire loin de ses canons classiques en lui imprimant une marque plus brute et plus spontanée. Si Provoke s’est dissoute dès 1970 après la publication de son 3° numéro, le travail de Takanashi sur la ville et ses environs fut rassemblé dans Toshi-e, un très beau livre publié en 1974 et qui fera date.
L’on y perçoit tout un environnement en mutation, ville et abords, engagé dans une modernisation qui parfois semble laisser l’homme livré à lui-même. D’autres fois, le photographe s’attarde sur des détails que l’on dirait insignifiants, pour en souligner la poésie.

Exposition Takanashi à ParisLes séries Machi (La ville) et Golden-gai Bars exposées au deuxième étage sont peut-être plus émouvantes encore, bien qu’elles ne montrent que des lieux. Mais c’est peut-être aussi le contraste entre les deux parties de l’exposition qui contribue à cette émotion. Il s’agit ici de photos en couleurs de plus grands formats, prises au milieu des années 1970 et au début des années 1980 dans des quartiers populaires et traditionnels de Tokyo : boutiques, bars, échoppes d’artisans.
La définition des images est d’une netteté somptueuse (elles sont prises à la chambre et non plus au Leica) et leur teinte ambrée participe de cette beauté. Nous sommes cette fois face à ce qui est resté, dans une certaine fixité du temps qui colore ce travail d’une dimension nostalgique. L’on pense soudain à la manière dont Raymond Depardon a photographié la France il y a quelques années, montrant parfois des lieux qui paraissaient inchangés depuis les années 1950, alors que la série Toshie-e faisait elle plutôt penser aux Américains de Robert Frank.

Yutaka Tkanashi
Fondation Henri Cartier-Bresson
2, impasse Lebouis, Paris 14e (M° Gaîté)
Du mar. au dim. de 13 h à 18 h 30, le sam. de 11 h à 18 h 45, nocturne le mer.
Entrée de 6 € et 4 €
Jusqu’au 29 juillet

Catalogue, 92 pages, Editions Toluca, 38 €.

Images : Gare de Tokyo, quartier de Chiyoda, 1965, crédits YUTAKA TAKANASHI/Galerie Priska Pasquer, Cologne
Et Yutaka Takanashi / Courtesy Alexis Fabry (Toluca Editions), Paris

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Hippolyte et Aricie. Opéra Garnier

Hippolyte et Aricie, Diane et l'Amour

A-t-on jamais vu spectacle lyrique aussi ravissant ? Décors, lumières, costumes, danses, tout concourt à nous plonger dans le merveilleux baroque XVIIIème dont cet Hippolyte et Aricie, premier opéra de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) est issu.
Le compositeur l’a créé en 1733 ; il avait déjà 50 ans. Ce coup d’essai précéda bien d’autres œuvres du genre, parmi lesquelles les fameux Platée, Les Indes galantes, Castor et Pollux, Dardanus ou encore Zoroastre.

La production présentée pour la première fois cette saison à Paris a été créée au théâtre du Capitole de Toulouse en 2009, alors que Nicolas Joël – aujourd’hui à la tête de l’Opéra national de Paris – en était le directeur. Trois ans après, les ors du palais Garnier accueillent ce très beau spectacle, mis en scène par Ivan Alexandre et dirigé par Emmanuelle Haïm venue avec sa formation Le concert d’Astrée.

Le livret puise à la source de la tragédie racinienne, avec la passion de Phèdre pour son beau-fils menaçant les amours d’Hippolyte et d’Aricie, tandis que dieux et déesses négocient et arbitrent, ici Diane contrainte de faire la place à l’Amour, là Pluton condamnant aux enfers, plus loin Neptune imposant sa loi par les flots.
Dans ce monde implacable où les divinités président aux destinées humaines, l’intervention de divertissements dansés au coeur de chacun des cinq actes vient insuffler une légèreté qui fait de la pièce une merveille d’équilibre entre tension et détente.

Le phrasé précis, le timbre cristallin et nuancé de la soprano belge Anne-Catherine Gillet nous fait ressentir toute la tendresse d’Aricie. Jaël Azzaretti interprétant l’Amour nous emporte au sommet de la joie amoureuse, tandis que la mezzo-soprano Sarah Connolly en Phèdre et le baryton Stéphane Degout en Thésée imposent de leur haute maîtrise vocale l’autorité puis la faiblesse de leurs personnages. Seul Hippolyte déçoit, les mots en français semblant sortir comme étouffés de la bouche du finlandais Topi Lehtipuu.

Les chorégraphies de Nathalie van Parys recréent la légèreté des ballets de cour, quand la musique tout en finesse de Rameau dirigée avec énergie et tranquillité par Emmanuelle HaÏm porte le tout avec délices.
Les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz sont fastueux. Vert amande, rose chair, vieil or, les couleurs sont poudrées, comme délicatement fanées au soleil, les jupes sont à paniers et les bustes hautement corsetés, quand franges, galons et broderies animent taffetas et brocards de soie.

Dessinés par Antoine Fontaine, éclairés d’une lumière couleur de miel évoquant tour à tour la douceur d’une fin d’après d’après-midi d’été et la chaleur de la chandelle, les décors participent de la mise en scène absolument baroque qui joue sur une double magie : celle de recréer un opéra comme à la Cour de Versailles et celle de mettre en scène la tragédie elle-même. Ainsi il en descend des cintres (non seulement des décors, mais aussi des dieux et des déesses), il en monte de dessous la scène, il en pousse des deux côtés… Tout en trompe-l’oeil et grandioses, comme pour prévenir tout risque de préciosité par ailleurs : un savant équilibre en somme, pour un régal de la vue comme de l’ouïe pendant près de trois heures.

Hippolyte et Aricie
Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue
Musique de Jean-Philippe Rameau
Livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin
Opéra national de Paris – Palais Garnier

Dernière représentation lundi 9 juillet 2012 à 19 h 30

Emmanuelle Haïm Direction musicale
Ivan Alexandre Mise en scène
Antoine Fontaine Décors
Jean-Daniel Vuillermoz Costumes
Hervé Gary Lumières
Natalie Van Parys Chorégraphie

Sarah Connolly Phèdre
Anne-Catherine Gillet Aricie
Andrea Hill Diane
Jaël Azzaretti L’Amour / Une Prêtresse / Une Matelote
Salomé Haller Oenone
Marc Mauillon Tisiphone
Aurélia Legay La Grande Prêtresse de Diane / Une Chasseresse / Une Prêtresse
Topi Lehtipuu Hippolyte
Stéphane Degout Thésée
François Lis Pluton / Jupiter
Aimery Lefèvre Arcas / Deuxième Parque
Manuel Nuñez Camelino Un Suivant / Mercure
Jérôme Varnier Neptune / Troisième Parque

Orchestre et choeur du Concert d’Astrée

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Survage. Les années Collioure 1925-1932

Les années Collioure, Survage

Dans cette petite ville dont le nom évoque si bien couleurs et lumière, entrez, au pied du moulin à vent qui sait encore extraire son huile d’olive, au Musée d’Art Moderne : tout l’été une exposition vous introduit dans l’imaginaire de Léopold Survage, peintre d’origine russe mais installé à Paris dès 1908, inventeur les années suivantes des « Rythmes colorés », et qui visita Collioure régulièrement de 1925 à 1932.

Comme Matisse, Derain et bien d’autres (vous aurez vu des œuvres de certains de ces « autres » en buvant un pot au fameux bar des Templiers aux murs couverts de tableaux), Survage découvre alors la Méditerranée et l’éclat de son soleil, son cadre si propice à l’exposé des mythes antiques.

Les quelques soixante œuvres, en majorité toiles peintes mais aussi dessins, peuvent être relativement diverses par les formes, mais singulièrement homogènes par les thématiques. Les personnages sont des figures qui traversent le temps : dans un fond qui paraît plus ou moins cubiste, les visages des « Pêcheuses » semblent issus de la Renaissance. Les « Porteuses » passent sans cesse dans la ville, allégorie de l’éternel féminin.

Cette permanence des images féminines est interrogée par la présence obsédante de la feuille et de l’oiseau. L’oiseau vole de ses propres ailes, la feuille attend le vent qui l’entraîne. La porteuse et son panier sur la tête, la pêcheuse et son poisson dans la main, semblent incapables de vraiment s’arrêter dans leur course dans la ville et dans le temps. Pourtant, dans le magnifique « Femme à la fenêtre » de 1931, le visage est alors immobile et médite devant la feuille prête à s’envoler, poussée par le vent venu de la mer qu’on aperçoit à l’horizon.

Hommes et taureaux sont associés dans leur tentative de maîtriser les forces. Eléments perturbateurs, qui inquiètent les femmes, ils apparaissent rarement dans cet univers de porteuses et de pêcheuses qui se suffit à lui-même.

Les dessins de Survage mettent en relief ses recherches formelles sur le trait (perceptibles aussi dans sa peinture) : le trait, aussi continu que possible sans lever la main relie les éléments afin qu’ils forment un monde bien cohérent.

Au bord de la Méditerranée, à Collioure, on peut s’arrêter sur la beauté d’une œuvre qui fera aussi rêver.

Survage. Les années Collioure 1925-1932
Musée d’Art Moderne de Collioure
Villa Pams, Route de Port Vendres – 66190 Collioure
Tous les jours de 10h à 12h et de 14h à 18h
Entrée 5 € (TR 3 €)
Jusqu’au 30 septembre 2012

Image : Leopold Survage – La femme a la fenêtre, 1931

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