Félix Vallotton, Le feu sous la glace

Felix Vallotton, Le feu sous la glaceNé à Lausanne en 1865, Félix Edouard Vallotton s’installe à Paris en 1882, fait de la France son pays d’adoption et s’y éteint en 1925 à l’âge de 60 ans.

Peintre prolifique – il laisse à sa mort plus de 1 700 tableaux – c’est d’abord par la gravure qu’il devient célèbre et ce, dès les années 1890. C’est pendant cette période également qu’il se rapproche du groupe des Nabis et entame avec Vuillard une étroite relation d’amitié. Rapidement, il se consacre essentiellement à la peinture et, bien qu’exposé avec les Nabis chez Berheim-Jeune en 1901, il ne se revendique d’aucune école.
Il ne privilégie pas davantage tel ou tel genre, embrassant aussi bien le paysage, la nature morte, la scène de genre, le portrait que la peinture d’histoire.

De cette diversité et de cette liberté, la grande rétrospective organisée par le Grand-Palais témoigne avec panache, à travers 170 œuvres, dont 110 tableaux et 60 gravures couvrant toute la carrière de Félix Vallotton. Le parcours thématique se déroule dans une scénographie sobre marquée par un resserrement progressif. Sans doute est-ce le bon choix, car à quelques exceptions près – notamment la série de six planches sur la guerre en toute fin – plus on avance dans l’exposition plus l’on a de réserves sur l’intérêt des tableaux.

Les œuvres les plus passionnantes se trouvent dans la première partie du parcours, au premier niveau. Là sont exposés de magnifiques paysages empreints de mystère, qui nous placent entre deux lumières, à la fin du jour, ou dans une brume neigeuse, où les détails bien dessinés voisinent avec des zones floues, et dont les lignes de fuite bousculées et les couleurs réinterprétées en renforcent l’étrangeté. Il y a du symbolisme là-dedans, du japonisme aussi. L’ensemble demeure fort personnel, très beau et d’une émouvante poésie.

Valloton, Le feu sous la glace

Autre point fort de Félix Vallotton : la peinture de mœurs, dans des scènes d’intérieur qui sont pour lui l’occasion d’élaborer une peinture très critique de la comédie sociale bourgeoise. Ce sont tromperies et fâcheries chez des couples, légitimes ou non, dans des salons étouffants, des chambres dissimulées derrière une enfilade de portes, des salles de spectacle où l’on s’ennuie à périr.
Dans ces scènes, le décor, très présent, y compris en termes chromatiques, concourt efficacement à la puissance de la satire.
Mais c’est par son seul dessin que Vallotton se fait dénonciateur dans ses séries de gravures où, associé à de grands aplats noirs et blancs très découpés, son trait se fait scalpel. Malgré l’éloignement graphique, l’ironie mordante ne manque pas d’évoquer celle des Caprices de Goya, un rapprochement auquel incitera à nouveau, plus loin, ses gravures sur la Première Guerre Mondiale.

Entre ces séries de gravures, encore beaucoup de tableaux, mais dont certains laissent froid. Tel est le cas de la peinture mythologique de Vallotton, qui apparaît aussi simpliste qu’anachronique. Pire encore, les tableaux au vitriol contre les femmes présentées explicitement comme de violentes et sanguinaires prédatrices des hommes : l’outrance du propos le dénue de portée.

L’on découvre avec davantage d’intérêt ses nus féminins, fort nombreux. Beaucoup d’ambiguïté, voire d’érotisme dans des œuvres où le peintre semble vouloir chercher la caution de ses aînés, Ingres et Manet très visiblement. Mais on n’est pas Manet après Manet, et n’a pas la grâce de Dominique Ingres qui veut. Et surtout, où est la sensualité dans tout cela ? Seules ou à deux, souvent entourées d’animaux ou d’objets à la charge symbolique forte, les femmes que Vallotton a peintes apparaissent moins comme de belles séductrices que comme de dangereuses provocatrices que le peintre, tout en dévorant du regard leurs courbes attirantes, semble vouloir tenir à distance en ne montrant pas leur visage et en donnant à leur chair de tristes couleurs, allant parfois jusqu’au gris blafard. Décidément très étonnant notre Vaudois de Vallotton.

Félix Valloton
Le feu sous la glace
Grand Palais, entrée Clemenceau
Jusqu’au 20 janvier 2014

Crédits photos :
© Kunsthaus Zurich et © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

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Georges Braque au Grand Palais

Braque au Grand PalaisSuperbe. Tel est le mot qui vient aux lèvres en sortant, émerveillé et ravi, de la rétrospective à voir absolument au Grand Palais d’ici le 6 janvier prochain.

Première grande exposition depuis 40 ans de l’œuvre du peintre (mais aussi graveur et sculpteur) disparu il y a 50 ans, l’exposition, en près de 240 pièces, essentiellement des peintures, est une découverte pour une grande partie du public.
Non que la peinture moderne soit absente des grandes manifestations parisiennes – loin de là – mais ces dernières décennies ont bien davantage mis en valeur des artistes comme Picasso ou Matisse que Georges Braque, dont la production, déroulée sur plus de 50 ans, de 1907 à sa mort en 1963 a été extraordinairement riche.

Héritier d’abord des Fauves, puis surtout de Cézanne, Braque a été avec Picasso l’inventeur du Cubisme, le pionnier dans le collage sur toile, initié dès les années 1910, puis n’a cessé de poursuivre ses recherches formelles sans jamais se couper de la figuration.

Ce qu’il y a de passionnant dans son œuvre, c’est qu’elle échappe à toute simplification, au résumé. Elle reste ambiguë, mystérieuse, à explorer encore et encore.
Alors même qu’il est un chercheur habité de thématiques obsessionnelles, il n’y a rien de systématique, de prévisible dans l’œuvre de Braque.
Il semble rejeter la couleur au profit de la forme et du modelé ? Il laisse pourtant la place à de superbes camaïeux de bruns et de verts, avant de laisser revenir sur sa toile des contrastes de couleurs, non pas vives comme à ses débuts empreints de l’influence de Matisse, mais néanmoins très présentes, comme le jaune citron ou le rouge amarante.
Il bouscule la figuration pour rechercher à travers le Cubisme la représentation multi-dimensionnelle ? C’est pour mieux, quelques années plus tard, plaquer sur la toile des papiers peints puis des lettres, motifs à plat s’il en est.
Il semble, dès sorti de sa période fauve, abandonner définitivement le paysage ? Que nenni, il y reviendra – et avec quel talent, quelle épure – dans ses dernières années.
Il rejette le classicisme avec force ? C’est pour mieux rendre hommage, toile après toile, après Chardin puis Cézanne, à la nature morte, avec moult compotiers, pichets et autres poissons morts.
Quant à l’esthétisme de la peinture, que tout moderne qu’il est il jette aux orties, il le ménage malgré tout en plaçant parfois sur ses toiles de belles plages décoratives.
Et, à côté de cela, il a ses récurrences, comme l’omniprésence de la musique – guitares, mandolines et pianos à foison – mais aussi de la poésie ou encore de la peinture elle-même, avec palettes et tableaux, très présents dans sa série des Ateliers évidemment.
Quand il peint des personnages, ce sont soit des nus féminins (magnifiques, auxquels ont peut ajouter les étonnants Canéphores), soit des hommes mélancoliques (poignantes toiles peintes pendant l’Occupation), soit des héros grecs (quelle puissance !).

Son amitié avec Picasso, compagnon de route du Cubisme, avec Paulhan (qui l’a baptisé "le Patron") et avec Satie, Normand comme lui, sa collaboration, à travers des recueils illustrés, avec les poètes Pierre Reverdy et René Char sont rappelées. Son installation à Varengeville (où il est enterré, dans le cimetière marin) est également évoquée.
Le thème de l’oiseau (qu’il a introduit au Louvre en 1953) et son absolu lyrisme concluent joliment cette rétrospective en tous points réussie, au parcours chronologique et à la scénographie claire et sobre qui laissent toute leur place, sinon à la compréhension, du moins à l’admiration des œuvres de cet immense peintre.

Georges Braque
Galeries nationales du Grand Palais
Av. Winston-Churchill – Paris 8ème
Jusqu’au 6 janvier 2014

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Image : Grand Nu, hiver 1907- juin 1908. Huile sur toile ; 140 x 100 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, dation Alex Maguy-Glass, 2002. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.RmnGrand Palais / Philippe Migeat, © Adagp, Paris 2013

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