Le Jardin des dieux. Edmond Gojon.

C’est un poète qui a reçu le prix Fémina en 1920. Ne nous étonnons pas : dès l’origine, le prix pouvait être attribué à une œuvre en langue française écrite en prose ou en vers, et en 1906 c’est une poétesse qui est couronnée. Edmond Goron ne semble pas avoir eu de successeur dans l’histoire du prix, du moins pour ce qui est d’un texte versifié. Il vivait en Algérie et son pays constitue le thème principal de son inspiration, avec des évocations de paysages méditerranéens, de nuits chaudes, de grenades, de lézards et de couleur bleue.

Les formes des poèmes sont strictes : beaucoup d’alexandrins, des sonnets, des vers plutôt riches. Malgré l’épigraphe en tête du livre (une citation de Stéphane Mallarmé) l’ambiance est davantage symboliste qu’hermétique. Les références à la mythologie sont nombreuses et nous croisons dans ces jardins Pégase, Circé ou Orphée. On se lasse un peu de ce monde émollient où l’humanité se fond dans un paysage intemporel. Parfois des portraits plus précis nous arrêtent, ainsi dans le texte « Juifs » :

« Ainsi c’est donc toujours cette querelle obscure…

Sans doute, loin de nous, votre orgueil vous emmure,

Mais moi qui vous connus furtifs et sans murmure,

Puis-je oublier l’horreur dont vos regards sont pleins ? »

Les images dénotent souvent leur siècle d’existence :

« Par moments, un éclair traverse la soirée

Comme si, tout chargé de l’extase des nuits,

Le Silence entr’ouvrant sa robe déchirée

Montrait son corps stellaire aux jardins éblouis. »

Cependant, la monotonie de la lecture est brusquement rompue vers la fin du recueil par le poème « Les conquérants » que l’on ne peut s’empêcher de citer dans son intégralité :

« Nous apportons au fond de nos caisses profondes

L’amertume et l’alcool

Et nous venons vers eux, las de courir le monde,

Pour un suprême viol !

Notre ivresse, déjà, d’une haleine fétide

Empeste les jardins

Où les femmes rêvaient, jaunes cariatides,

Sous les arbres à pain.

Bientôt, elles viendront toucher loin de la hutte

Nos casques d’hommes blancs,

Bientôt, nous les aurons dans nos poignes de brute,

Les doux poignets tremblants,

Et les hommes, bientôt pour nos laines communes,

Donneront sans compter

Tous leurs barils de nacre où le lait de la lune,

A jamais est resté !

Et nous leur offrirons de belles carabines

-Nos Winchester charmants-

Afin que dans les soirs où l’absinthe embobine

Ils se tuent promptement.

Nous construirons un bar lourd comme ceux de Londres,

En acajou massif,

Et là, tout à loisir, comme nous saurons tondre

Ces grands diables naïfs !

Que l’Océan rageur sur les brisants déferle,

Malmenant nos engins,

Nous aurons son corail et ses plus grosses perles

Pour un verre de gin.

Allons ! faisons puer de notre gazoline

Le lac si bien conquis

Et que notre remords à tout jamais décline

A l’aube du wisky ! »

Il paraît que le poète, malgré ces vers, est devenu un chantre de l’Algérie française…

Andreossi

Facebooktwitter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Loading Facebook Comments ...