Ordet au théâtre du Rond-Point

Pascal Greggory dans Ordet de MunkA juger les œuvres qui parviennent jusqu’à nous, les Nordiques ne sont pas ce qu’on appelle des gais-lurons. Badinages enjouées et chroniques légères, passez votre chemin, Ordet (dont la traduction française est Parole), la pièce la plus célèbre de Kaj Munk, pasteur, poète et dramaturge danois, écrite en 1925 et adaptée au cinéma en 1955 par Dreyer ne déroge pas à la règle.

Dans une campagne reculée du Danemark, deux familles s’écharpent pour n’appartenir point au même courant religieux. Cette opposition au sein du Temple protestant est poussée à un degré tel que les deux pères s’opposent à l’union de leur progéniture éperdument énamourée, et qui plus de milieux sociaux-économiques fort distincts.
C’est grave, c’est dramatique, mais il faut avouer qu’au départ on a peu à faire de cette histoire de chapelle égrenée avec une solide lenteur.
Et pourtant ! Une force se dégage du spectacle, qui nous happe et nous fait suivre le destin de ces familles jusqu’au bout.

Il y a tout d’abord la folie de ces personnages, galerie de portraits magnifiques, avec le fils Johannes (interprétation bouleversante de Xavier Gallais) qui a perdu la raison à la mort de sa jeune épouse et depuis se prend pour Jésus, Anders le jeune prétendant à la fois embrasé par son amour et désarmé par la rigidité des pères, et Mikkel le fils aîné qui, en s’avérant agnostique a déçu son père. Père extraordinairement brossé, ambigü, aussi détestable par ses principes inflexibles, sa vanité et la façon dont il a traité sa défunte épouse (à savoir en utile ménagère) qu’il est émouvant dans l’amour constant qu’il porte à ses fils et dans son attachement à sa bru, femme merveilleuse de simplicité, de générosité et de dialogue.

Du côté de l’éventuelle promise, la cellule familiale massée sous l’autorité du père, répandant les "bienfaits" de la Mission avec une ouverture d’esprit toute relative ne manque pas de charme non plus. Car au delà de celles du poids des croyances et du rapport à la mort, Munk pose ici de douloureuses questions sur la place des femmes, la famille, l’orgueil des lignées, la puissance des patriarches et l’existence des fils.

Arthur Nauzyciel sait guider ses comédiens, tous remarquables, dans cette pièce difficile, à commencer par Pascal Greggory dans le rôle de Borgen père et Jean-Marie Winling dans celui de Peter Skaedder. La nouvelle traduction – établie avec Marie Darrieussecq – introduisant des mots triviaux d’aujourd’hui passe comme une lettre à la poste, de même qu’est judicieux le chois de Benoît Giros pour interpréter le médecin, des options qui insufflent certains moments d’humour et même un gramme de légèreté au spectacle.
C’est heureux, et aide à supporter jusqu’au bout la grande image de fond qui sert de décor, d’une laideur rare, mais aussi le dénouement de la pièce, que l’on n’ose qualifier de ridicule mais que l’on peut trouver tel, couronnant un spectacle qui s’étire bien longuement vers sa fin.

Ordet (Parole)
Une pièce de de Kaj Munk
Traduite et adaptée par Marie Darrieussecq et Arthur Nauzyciel
Mise en scène par Arthur Nauzyciel
Avec Pierre Baux, Xavier Gallais, Benoit Giros, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot, Laure Roldan de Montaud, Marc Toupence, Christine Vézinet, Catherine Vuillez, Jean-Marie Winling et les chanteurs de l’Ensemble Organum

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Jusqu’au 10 octobre 2009, à 20 h 30, durée 2 h 40
Places de 10 € à 33 €

La pièce a été créée en 2008 au Festival d’Avignon. Elle est donnée cette saison au Rond-Point dans le cadre du Festival d’Automne, qui présentera une autre mise en scène d’Arthur Nauzyciel avec Julius Caesar de Shakesperare du 21 au 24 octobre à la Maison des Arts de Créteil.
A noter également que le cinéma Le Balzac programme le film de Carl Dreyer jusqu’au 10 octobre, les mardis et samedis à 11 h 30, au tarif préférentiel de 5 € sur présentation du billet du spectacle ou de la carte du Rond-Point.

Image : Pascal Greggory © Brigitte Enguérand

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