Les Amants d'Avignon. Elsa Triolet

Les Amants d'AvignonSous l’occupation, Juliette Noël, dactylo, vit avec tante Aline à Lyon. Toutes deux élèvent José, le petit orphelin catalan que Juliette a adopté.

Discrète, réservée, un peu distante, peut-être même secrète, elle est aussi une grande rêveuse.

Mais après la mort de son frère, tombé en Lybie, elle s’engage dans la résistance.

La jeune Juliette devient alors Rose Toussaint ; elle arpente les fermes, dort dans des hôtels sordides, voyage dans des trains bondés, fait passer des documents et de l’argent au réseau de la résistance. Elle rencontre des inconnus qu’elle doit pourtant connaître. Prend des risques. A souvent froid mais rarement peur. Et aime aussi beaucoup.

Telle est le fil de la nouvelle Les Amants d’Avignon, extraite du recueil Le premier accroc coûte deux cents francs, qu’Elsa Triolet (1896-1970) a écrit pendant la guerre et pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt en 1945.

Elsa Triolet, immortalisée pour avoir été la muse du poète engagé Louis Aragon (1897-1977), fut aussi femme de lettres et femme engagée. Elle livre ici une fiction largement autobiographique : fin 1942 elle commence à participer activement au mouvement de la résistance, fait passer des informations, se cache au gré des consignes, va et vient entre la zone libre et la zone occupée.

Elle écrit Les Amants d’Avignon début 1943 à Lyon, ville dont elle trace un terrible tableau et qu’elle déteste effectivement. La nouvelle est éditée clandestinement aux Editions de Minuit sous pseudonyme à l’automne 1943.

L’écriture d’Elsa Triolet va au rythme de son héroïne : rapide, sans apprêt, à la « lis-la comme elle court ». Il faut faire vite, et s’arrêter, de temps en temps, à l’abri d’une salle de cinéma, ou sur les hauteurs de la ville, pour se réchauffer, rêver un peu.

Il se dégage de ce phrasé sans labeur ni prétention un élan de vie irrésistible et un inexprimable charme.

L’officier allemand était toujours là, le gendarme au comptoir, aussi. Deux types jouaient aux cartes. L’acajou des meubles, le jaune éteint des murs, le marron des des banquettes et des vestes de cuir des eux joueurs, la cravate de l’un, le cache-nez jaune de l’autre … juste une pointe de jaune pour illuminer ce tableau de grand maître : Les Joueurs de cartes.
Il y avait un train dans l’après-midi. Juliette déjeuna dans une gargote, triste, rance et bondée. Elle prit un café, ailleurs. Il faisait froid, il y avait de la neige à moitié fondue sous les pieds et cela sentait déjà l’après-fêtes, pénible comme une rentrée à l’aube, après une nuit de bombe, comme une table avec les restes du repas. Juliette s’arrêta devant un cinéma : il y avait une séance dans l’après-midi, tout de suite … Elle entra.

Dans Préface à la clandestinité écrit en 1964 et ajouté à la fin du volume, Elsa Triolet, en éclairant Les Amants d’Avignon, rend hommage aux femmes et hommes qui se sont engagés dans la résistance :

Le souffle des événements avait soufflé le destin de toutes les femmes, de tous les hommes et avait mis à nu leur véritable nature. Des circonstances fantastiques avaient révélé les possibilités insoupçonnées des êtres. La vie quotidienne des dactylos, horlogers, apiculteurs, couturières, vendeuses, savants, instituteurs, concierges, le train-train de leur vie, ils le laissaient soudain se muer en danger permanent, prenant des risques insensés jusqu’à l’héroïsme. Les voilà, ces gens ordinaires, devenus chefs de maquis, agents de liaison, les voilà qui abritent des résistants, portent des paquets, cachent des armes, les prennent, se laissent torturer sans flancher, vont à la mort. La dactylo Juliette Noël est une fille comme une autre, banale comme tant d’autres. En temps ordinaire. Mais voilà venir le temps d’apocalypse et Juliette se conduira comme si le péril était la règle habituelle de l’existence et le courage allait de soi. Dans la nuit et le brouillard, il y avait beaucoup de filles banales comme Juliette.

Les Amants d’Avignon. Elsa Triolet
Folio/Gallimard, collection Femmes de lettres (2007)
Edition établie et présentée par Martine Reid
130 p., 2 €

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