Il ne reste plus que ce week-end pour y aller. Il faut absolument le faire, et pas seulement pour égayer cette rentrée pluvieuse : tout simplement parce que la peinture de Peter Doig est fascinante et merveilleusement belle.
D’ailleurs, c’est une visite que l’on a envie de refaire dès le lendemain.
Si les grandes toiles du peintre écossais séduisent d’emblée – toutes, sans exception -, en même temps, elles ne se donnent pas entièrement, loin s’en faut, au premier regard, aussi long et attentif soit-il.
Un phénomène est significatif : une fois le circuit terminé, lorsqu’on revient en arrière, on a l’étrange impression de voir certains tableaux pour la première fois, comme si la représentation ne s’était pas vraiment imprimée dans notre iris.
Il y a d’évidence quelque chose qui échappe dans les toiles figuratives de celui qui compte désormais parmi les peintres les plus chers du marché de l’art : au delà de la splendeur des couleurs, de l’intemporalité des paysages, des compositions exceptionnelles, au delà de la sérénité et du sentiment d’empathie avec la nature qui s’en dégagent, subsiste presque toujours une ambiguïté, un mystère. Non, cette peinture-là ne se livre pas entièrement. Et c’est le spectateur qui se met alors à "travailler" irrésistiblement, en se racontant des histoires à partir du tableau.
Regardez par exemple Figures in red boat, représentant un sympathique groupe de jeunes gens en train de canoter. Le reflet de la barque rouge dans l’eau s’étale bizarrement, bien au delà de la proportion visuelle attendue ; ainsi dilué, il se met à évoquer une mare de sang. Et à côté du moteur, l’un des personnages semble être assis à l’extérieur du bateau… enfin, rien n’est moins sûr ; tandis que les palmiers, en partie absorbés par la toile, sont sur le point de disparaître.
Quant à Girl in white with trees, l’un des nombreux très gros coups de coeur de l’exposition, féérique et émouvante fillette perchée dans les arbres sous un ciel nocturne, ce tableau laisse pourtant apparaître, dans le bas, la silhouette d’un homme : juste un bras, une ceinture. A peine esquissé, comme dans un rêve.
Les thématiques de Peter Doig sont récurrentes : ciel étoilé, neige, lac, nuit ou lumière, les deux à la fois, et parfois entre les deux, arbres déclinés à l’infini – arbres qui voilent ; arbres "écrins" ; arbres qui se fondent à l’homme et vice-versa ; arbres "refuges" – et, souvent, un être isolé peuple comme il peut ce paysage.
Vers la fin de l’exposition, voici Pelican Island, l’un des tableaux aux dimensions beaucoup plus réduites que la plupart des toiles de Peter Doig : montagnes brunes venant "mourir" dans l’eau rouge profond dont la ligne d’horizon est finement soulignée de rose, barque bleue, ciel mauve, végétaux émeraude et iris et, au beau milieu de ce ciel du soir, un seul oiseau blanc. Impossible de quitter ce paysage des yeux. D’où vient cet effet d’hypnose ? Il s’agit certainement, pour reprendre le titre d’un livre de Siri Hustvedt évoqué ici, de l’un de ces mystères du rectangle ; on aussi envie de parler, parce que tout à coup l’expression prend son sens, de perfection faite paysage.
Peter Doig
Jusqu’au 7 septembre 2008
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
11, avenue du Président Wilson – Paris 16ème
Du mardi au dimanche de 10 à 18 h et le jeudi jusqu’à 22 h
Entrée : 5 €
Image : Peter Doig, Girl in White with Trees (2001-2002), Oil on Canvas, 300×200 cm, Collection – Bonnefanten Museum Maastricht