
Monumenta, le cycle d’installations temporaires dans la Nef du Grand Palais à Paris, patronné par le Ministère de la Culture et la Réunion des Musées nationaux fait dans le rare, et dans l’extra-ordinaire. Trois expositions seulement en quatre ans, et d’une durée de quelques semaines seulement, à chaque fois époustouflantes.
On avait adoré Chute d’étoiles d’Anselm Kiefer en 2007, on est encore pris de vertige en pensant aux grandes stèles de la Promenade de Richard Serra en 2008.
Avec Personnes de Christian Boltanski, visible depuis mercredi et jusqu’au 21 février, on vit à nouveau une expérience unique, peut-être la plus bouleversante jamais ressentie face à une installation d’art contemporain.
Selon le principe de déambulation adopté par les artistes lorsque les volumes monumentaux de la verrière du Grand-Palais leurs sont livrés, Boltanski laisse ses visiteurs circuler librement au milieu de son œuvre. Le dispositif est aussi simple qu’efficace. Passé le "mur" de boîtes rouillées numérotées à l’entrée (qui annonce bien "l’ambiance" de ce qui suit), l’installation se dévoile d’un coup, comme par surprise.
Et c’est alors une vision de choc.
Sur le sol s’étalent sans fin des vêtements répartis dans soixante-neuf carrés, chacun surplombé d’un néon et délimités par des "piquets" rouillés, sans doute des morceaux de chemins de fer. Chacun peut y voir ce qu’il veut, mais il a peu de chance de penser à quelque chose de gai. Ce samedi matin, dans la lumière blafarde et le froid de la grande nef, on pouvait tout simplement voir ce qu’on croit être un champ de bataille lorsque les feux se sont tus, une terre jonchée de cadavres à perte de vue. Puis en regardant les petits mats de fers et les petits carrés qui se succèdent, c’est à un cimetière que l’on pense.
La vue n’est pas la seule en jeu, puisqu’une musique très particulière nous accompagne depuis qu’on a passé le "mur" : des battements de coeur, très forts. Au delà d’une expérience sonore, la vibration physique se ressent dans le corps, rejoignant notre propre pulsation.
Dans ce chant des morts, à côté de ce champs de morts, à la fois sorte de monument aux morts anonymes – ou anti-monument, comme on voudra – une gigantesque pince, au dessus d’une pyramide de vêtements, attrape une poignée de ces vestiges, avant de les relâcher de sa hauteur : ils retombent dans un souffle, avant que d’autres, au hasard, ne soient à nouveau saisis. "Et c’est la mort, la mort toujours recommencée", les paroles de l’une des plus belles chansons de Brassens viennent en tête, d’on ne sait où…Mourir pour des idées peut-être.
Monumenta 2010 – Christian Boltanski
« Personnes »
Du 13 janvier au 21 février 2010
Nef du Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Tous les jours sauf le mardi
De 10h à 19h le lun. et le mer., de 10h à 22h du jeu. au dim.
Entrée : 4 €
Photo Didier Plowy – tous droits réservés Monumenta/ministère de la Culture et de la Communication
L’étonnement tient d’abord à l’architecture de Frank O. Gehry : certaines photos peuvent faire croire à un monstre de métal.
Les expositions temporaires nous proposent des œuvres de Cai Guo-Qiang, artiste chinois connu pour ses feux d’artifice déployés au cours de la cérémonie d’inauguration des derniers Jeux olympiques, et de Takashi Murakami, peintre Japonais représentant de la génération néo-pop. Seules certaines œuvres du premier nous ont arrêté.
Ce sont celles qui témoignent d’un autre registre, celui de la longue durée, qui provoquent davantage de méditation. « De plein fouet » : 99 loups se précipitent en un grand bond contre une paroi vitrée, en ressortent plus ou moins assommés, et repartent, à terre, d’où ils viennent. Si les 99 loups sont figés dans leur mouvement, l’ensemble est perçu comme dynamique, et on entend presque le choc contre le verre.
Vous n’entrerez dans la nef du Grand Palais que pour une oeuvre seulement, constituée de cinq plaques d’acier plantées à la verticale sous la voûte. Mais vous y resterez plus longtemps que prévu, progressivement happé par cet étrange dispositif. L’installation qui au départ ne semble représenter que d’immenses stèles va peu à peu s’intégrer sous vos yeux en un vaste et changeant paysage.