Un homme se penche sur son passé. Maurice Constantin-Weyer

Un bon roman d’aventures que ce prix Goncourt 1928. Nous voici entraînés d’abord dans la Prairie des Etats-Unis puis au cœur du Canada pour suivre le narrateur, Monge, dans ses essais de vie plus sédentaire après un temps de coureur des bois, mais aussi dans ses mésaventures sentimentales. C’est l’occasion, pour cet homme qui fait le bilan de sa vie, d’offrir des réflexions plus générales : « Dès que nous échappons à l’artificielle construction de la Civilisation, nous nous heurtons à un monde qui ne vit que par le meurtre et l’amour, sans qu’on puisse dire lequel des deux est le plus fatal ».

Venu vendre des chevaux sauvages au Canada, le Français Monge s’arrête dans la ferme des O’Molloy et est retenu par le rire d’Hannah, laquelle flirte avec Archer. Notre héros part chasser dans le Nord avec Paul, le fiancé de l’autre fille O’ Molloy, Magd. Paul meurt dans la neige canadienne. Monge, pour échapper à la pression des loups, enveloppe le corps de son ami dans un cercueil de glace ! De retour à la ferme il trouve Magd fiancée à un autre, et Hannah prête à l’épouser.

Le couple s’installe, a une petite fille, mais Monge perçoit des divergences entre les désirs de sa femme et les siens. Et Archer, l’ancien rival, revient au village. Tentative de meurtre, poursuite et fin tragique se succèdent, mais l’atmosphère du récit reste mélancolique, on n’oublie pas le titre du roman. Cet aventurier est malgré tout amateur de livres, et Shakespeare, Shelley, Milton, Dickens l’accompagnent dans son équipée.

Comme dans les grands romans du Nord canadien, la nature est très concrète, mais toujours évaluée à l’aune d’une pensée darwiniste : « Voici cette charmante petite mésange, qui chante si gentiment que ce serait pitié de la tuer. Elle plonge de sa branche d’arbre, décrit un arc de parabole qui l’amène au ras de la terre, traverse la toile de l’araignée, remonte d’un autre arc de parabole, l’araignée dans son petit ventre satisfait… Et jusqu’aux plantes, et jusqu’aux plantes ! …Les arbres s’étouffent, s’écrasent et se jugulent mutuellement. La Forêt est pleine de guet-apens végétaux, de crimes botaniques ! »

Le narrateur trouve dans la Nature matière à tirer enseignement dans les épreuves qu’il traverse : « Cette grande leçon que m’avait donnée la vie sauvage, je veux dire cette constatation, de tous les instants, que la vie est naturellement un sublime et tragique mélange de volupté et de douleur, -dites, si vous voulez, d’amour et de mort !- j’en retrouvais ici une application singulière ».

Andreossi

Un homme se penche sur son passé. Maurice Constantin-Weyer

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Le Roi Lear au théâtre de la Ville

Après l’avoir créé au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône) dont il est le directeur, le metteur en scène Christian Schiaretti montre « son » Roi Lear au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’à la fin du mois. Il ne reste qu’une poignée de dates, alors précipitez-vous pour réserver la vôtre car cette production est une réussite totale. Une soirée de plus de trois heures de pur plaisir.

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A la base, un texte formidable : la renversante pièce de Shakespeare – drame, humour et poésie tout mêlés – dans la traduction ciselée d’Yves Bonnefoy. Pour le servir, de superbes comédiens, avec une sorte d’OVNI au milieu (on adore quand Schiaretti dit à son propos : « Il est d’un métal inconnu », tant ceci est vrai), dans le rôle-titre : Serge Merlin, 81 ans à ce qu’on dit, un corps frêle et agile comme celui d’un oiseau, une barbe de philosophe grec, des yeux brillants comme l’émeraude et vifs comme l’éclair. Il interprète un Roi Lear des plus humains, aveuglé par son orgueil et d’une susceptibilité sans mesure, qui se comporte comme un vieillard retombant en enfance. La fragilité croissante du roi, de plus en plus démuni – et lucide – au fil de la pièce, Serge Merlin la restitue parfaitement, dans un jeu d’une variété inouïe, de l’être hurlant son ire à travers la lande, mains et regard interpellant les cieux, à la pauvre silhouette qui ne tient debout que par la force de son amour paternel lorsqu’à la fin il retrouve Cordélia.

Princes, filles, chevaliers, fou, sbires : ils sont tous excellents aussi, avec peut-être des coups de cœur tout particuliers pour Pauline Bayle, touchante à point dans le rôle de la pure Cordélia, Vincent Winterhalter dans celui du fidèle Kent, Philippe Duclos, parfait comte de Gloucester ou encore Christophe Maltot dans le rôle de son loyal fils Edgar.

La mise en scène est impressionnante de simplicité et d’efficacité : une scène circulaire ceinturée de murs percés de larges ouvertures, le tout d’un même bois clair, tient lieu d’unique décor. Des costumes d’époque, quelques accessoires et un jeté de terre fraîche complètent ce cadre sobre. Lumières, son et direction d’acteurs font le reste. Quand on doit être à la Cour, on y est (spectaculaires entrées en scène), quand on doit être dans la lande on y est (quel orage !… puis quel clair de lune…). Comme si la duperie sur laquelle est fondée la pièce de Shakespeare fondait aussi la mise en scène. Mais comme il est bon d’y « croire » aussi facilement, de se laisser emporter si loin et aussi longtemps par cette duperie merveilleuse qu’est le théâtre !

Le Roi Lear

de Shakespeare

Mise en scène de Christian Schiaretti, scénographie et accessoires de Fanny Gamet

Théâtre de la Ville

2 place du Châtelet – Paris 4e

Tél. 01 42 74 22 77

Jusqu’au 28 mai 2014

Puis au Bateau Feu, à Dunkerque, les 4, 5 et 6 juin 2014

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