Dans la brume électrique. Bertrand Tavernier

Dans la brume électrique, Bertrand TavernierBertrand Tavernier est allé en Louisiane pour tourner son dernier film, et il y a mis tout ce qui fait l’histoire et l’essence des Etats-Unis : la guerre de Sécession, la justice privée, les armes, les inégalités sociales, les rapports raciaux, l’alcool, la drogue, la mafia, le cinéma, l’argent, la prostitution, l’immigration mexicaine, les flics et le FBI.

Et, sur le bayou, pour accompagner son héros, inspecteur aux prises d’une méchante enquête criminelle, interprété par Tommy Lee Jones, il y a ajouté les fantômes.
Brumeuse, troublante communication avec les morts. Ce n’est pas pour rien si "dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants". Même bien plus tard, on n’est jamais à l’abri de la visite d’un défunt.

L’assemblage de tant d’éléments aurait pu donner un film brouillon, frôlant tous les thèmes sans en aborder aucun et assommant pour le spectateur.
Il n’en est rien. Dès les premières scènes, dès les premiers mots de la voix off – le récit de l’inspecteur Robicheaux – le plaisir de cinéma est là. La fluidité et l’efficacité de la caméra de Bertrand Tavernier embarquent immédiatement dans le "ici et maintenant" du film, à savoir l’enquête de Robicheaux, mais aussi son passé, son règlement avec les morts. Autant dire qu’il est difficile de démêler ce qui captive le plus, de la macabre énigme – crimes atroces commis contre de jeunes femmes belles et pauvres -, ou du cheminement personnel de l’enquêteur.
Plus encore, il est impossible, après avoir suivi passionnément Tommy Lee Jones pendant deux heures, d’imaginer une seule seconde un autre acteur dans la peau de Robicheaux.
Poliment, il est dit ici que le comédien a collaboré de façon très serrée non seulement à la manière de jouer, mais aussi au scénario du film de Tavernier. Ailleurs, on comprend qu’il a été des plus pénibles à diriger. Ce que l’on voit à l’écran est une interprétation qui semble aller de soi, magnifique, juste, émouvante. Elle est au service d’un vrai regard de cinéaste, original, humaniste, et, visiblement, envers et contre tout, amoureux fou des Etats-Unis.

Dans la brume électrique
Un film de Bertrand Tavernier
Adapté du roman de James Lee Burke
Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard
Durée : 1 h 57

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No country for old men. Joel et Ethan Coen

No country for old men, frères CoenDe Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, effroyable roman de Cormac McCarthy revenu pour l’occasion à son titre original No country for old men, les frères Coen ont fait un film magistral.
Tirant de l’histoire sa substantifique moelle, leur film est aussi sec que les déserts du Texas où elle se déroule.

Trafic de drogue qui tourne mal, gros sous qui tombent dans les mains du premier chasseur d’antilopes qui passe par là – lequel, soudain, se verrait bien retraité à trente ans avec sa belle, … le règlement de comptes ne fait que commencer.

Mais les lignes se brouillent avec un grand cinglé, non pas de la gâchette comme le tout venant du narcotrafiquant, mais de la bonbonne à oxygène, qui tue net, en silence et sans bavure.
Sauf que si l’on peut tuer sans balle, perforer un crâne fait toujours couler du sang. Même dans le monde sans âme du glaçant Anton Chigurh. Alors dans ce pays qui n’est vraiment plus pour le vieil homme, l’on voit le sang couler en un flot calme et inéluctable, à l’image de la flaque d’hémoglobine que Chigurh évite en soulevant délicatement ses bottes après avoir réglé son compte à Carson Wells.

L’on assiste à ce carnage que rien ne semble pouvoir arrêter, endossant l’impuissance de Bell, le chérif de l’ancien temps.
Tommy Lee Jones l’interprète à merveille, sobre et émouvant, débarrassé de la couche de "gras existentiel" un peu collante dont l’avait tartiné Cormac McCarthy. L’épure des frères Coen est admirable, qui se contentent de souligner avec subtilité la perplexité et la douleur du vieux chérif face à l’absurdité d’une telle violence.

Quant au personnage d’Anton Chigurh, sous la coiffure, disons, juvénile, dont Javier Bardem se trouve affublé, il est encore plus effrayant que dans le roman. Les gestes lents mais implacables d’une machine à tuer, la conversation et l’esprit d’un humain, qui le rendraient presque raffiné, et, pire encore, un air parfois enfantin, il obéit à une logique qui nous échappe, qui est autre, qui n’est pas de ce vieux monde.
Même le jeu de mot de Sugar pour Chigurh, même l’humour noir des frères Coen ont du mal à nous faire déserrer la mâchoire…

No country for old men. Joel et Ethan Coen
Avec Tommy Lee Jones, Javier Bardem, Josh Brolin, Kelly MacDonald
Durée 2 h 03

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