Trois coeurs. Benoît Jacquot

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C’est l’histoire classique de « Il en aime deux. Et il ne sait pas laquelle choisir ». Présentée comme ça, ça ne fait pas très envie, parce qu’on la vue cent fois. Sauf que Benoît Jacquot amène ici le dilemme fort différemment.

Prenons le début ; il est réjouissant. Crépuscule – on retrouve souvent dans « Trois cœurs » la lumière nocturne qu’on avait tant aimé dans « Les adieux à la Reine », sauf qu’ici, rien n’a encore commencé qu’on est déjà plongé dans la pénombre, comme si Benoît Jacquot annonçait dès le début l’inévitable naufrage final. Crépuscule, donc. Gare de Valence. Marc, la bonne quarantaine (Benoît Poelvoorde, ni moche ni beau, l’homme ordinaire, quoi) loupe son train. Il est mi-en boule, mi-désespéré, accoudé devant une Vittel au dernier bar avant fermeture dirait-on dans cette ville de province où plus rien ne semble se passer 21h sonné.

Entre Sylvie (Charlotte Gainsbourg, pas coiffée, habillée comme un garçon – mais  chemisier transparent – Charlotte Gainsbourg donc), achète des cigarettes, sort. Marc est captivé, la suit, l’aborde. Coup de foudre réciproque – à peine montré – ils passent la nuit à parler en marchant dans les rues et au petit matin se donnent rendez-vous à Paris dans deux jours. Sylvie monte à Paris ; Marc n’y est pas. Il a eu un malaise cardiaque. Mais elle ne le sait pas. Elle rentre en pleurs à Valence, s’en va aux États-Unis et y reste des années.

Pendant ce temps, Marc rencontre Sophie (Chiara Mastroianni, lumineuse, évidemment) sans savoir qu’elle est la sœur de Sylvie. Ils se marient, ont un fils. Et coulent des jours heureux à Valence, tout comme la maman, interprétée par Catherine Deneuve (parfaite aussi).

Mais les deux sœurs sont fusionnelles et Sophie prie Sylvie de revenir. Bien loin de se douter de la catastrophe qui va immanquablement arriver, car Marc et Sylvie n’ont rien oublié de leur nuit passionnelle – et non consommée.

Le scénario est impeccable ; tout avance pas à pas. On est presque dans un polar, à se demander ce qui va se passer quand la « rencontre » aura lieu, rencontre que Jacquot prend délectation à faire attendre, presque cruellement. La mise en scène et la direction d’acteurs sont au cordeau. Visages en gros plans, regards furtifs mais éloquents, pas de bavardage. Tout est délicat jamais démontré, jamais appuyé. Passion amoureuse contre bonheur familial, un bonheur montré en plans d’ensemble comme pour désigner ce qui risque de disparaître. Mais c’est aussi passion amoureuse contre amour tout court, car Marc et Sylvie s’aiment sincèrement. Une histoire de destruction en somme ; terrible, douloureuse. Mais de ce drame dérageant Benoît Jacquot en fait un film superbe. C’est la magie du grand cinéma.

Trois coeurs

Un drame de Benoît Jacquot

Avec Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg, Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve

Durée 1 h 46

Sorti en salle le 17 septembre 2014

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La Biennale des Antiquaires 2014

biennale_2014La Biennale des Antiquaires a démarré cette semaine dans la nef du Grand Palais à Paris, réunissant, sur 4 500 m² de stands, 84 exposants, dont 22 étrangers – seulement pourrait-on remarquer, eu égard à la vocation internationale de la manifestation.

Rappelons-le d’emblée, la Biennale est une affaire de gros sous. A plus de 10 000 euros le m² de stand, seules les plus grosses galeries peuvent se permettre d’y participer. Alors quoi d’étonnant à ce que les joailliers y occupent une place de plus en plus importante : ils ne sont pas moins de 14 cette année. Même chose évidemment côté clientèle, seule la part la plus riche de la planète en est.

Pour autant, la Biennale reste un superbe lieu d’exposition d’œuvres et d’objets d’exception qui attire aussi des visiteurs désireux de découvrir et de se régaler les yeux. D’ailleurs, ce samedi après-midi – merveilleux moment pour aller s’y promener, alors que la verrière, inondée de soleil, déployait un fond bleu d’azur – le public, sans être dense, était relativement mélangé.

Dès l’entrée, on est conquis par l’ambiance soft et classieuse des lieux. Le décor réalisé par Jacques Granges réinterprète les jardins de Le Nôtre à Versailles, avec moquette à motifs de parterres végétaux, buis sculptés et bassin à jet, lequel est parfumé par le célèbre nez Francis Kurkdjian. Le tout est clair et léger, presque aérien, se fondant à souhait avec la transparence et le vert de la verrière.

Ce qui rend la manifestation si séduisante, c’est la possibilité d’admirer, en une seule demi-journée, aussi bien de la peinture que des sculptures archéologiques, des objets d’art décoratif que des bijoux… Le tout aussi varié (malgré les phénomènes de modes) que haut-de-gamme (ou au moins adapté au goût de la clientèle du jour, ce qui toutefois n’est pas toujours exactement synonyme).

Si les grands joailliers semblent parfois se livrer une bataille de carats, c’est plutôt la beauté de la forme et l’harmonie d’un bijou qui retiennent l’œil. Grandes réussites chez certains de ceux qui ont puissé leur inspiration aux sources des années folles et de l’Art Déco : attrayant bracelet-manchettes en camaïeux de nacres ivoires et beiges chez Bulgari ; chez Chanel, bracelet Charleston noir, or blanc et brillants très convaincant, et superbes lignes géométriques de la parure Morning in Vendôme en or blanc, brillants et onyx sertis de diamants jaunes. Ligne beaucoup plus couture et intemporelle pour Christian Dior, qui joue avec le motif du ruban : illusion de souplesse sur un collier en or blanc, diamants et émeraudes ; rigidité d’un bracelet Corolle, mais dont les nuances de verts et de roses rappellent les reflets changeant d’un taffetas.

L’Art Déco est également très présent chez les Antiquaires, avec pas moins de cinq galeries exclusivement consacrées à ce mouvement. Étonnants chevets à lampes dépliables et ensemble bureau-bibliothèque d’André Sornay chez Alain Marcelpoil. Rare commode en placage d’amarante et de lapis-lazuli de Marcel Coard chez Marcilhac. La galerie Vallois expose à titre non commercial des pièces ayant appartenu au grand couturier et collectionneur Jacques Doucet, dont la toujours surprenante Table aux chars d’Eileen Gray, qui remonte tout de même à 1915.

Pour n’évoquer que quelques uns des stands à ne pas louper, citons aussi l’impressionnant fonds du libraire Claude Vrain (éditions très anciennes voire originales, beaucoup de XXème siècle illustré, mais aussi Montaigne et Cervantès) et, côté tableaux, les galeries parisiennes Bérès (présentation assez éclectique, de Boudin à Hantai en passant par Vasarely), Sarti (très beaux Italiens anciens), Florence de Voldère (école du Nord du XVI° au XVIII°), De Jonckeere (Flamands anciens), ou encore venues de Rome (Lompronti et ses merveilleuses vues italiennes) ou de Madrid (Ana Chiclana qui présente notamment un beau Ribera).

Le tout, et mille autres choses encore à admirer jusqu’au 21 septembre seulement.

Grand Palais, entrée Grande Nef – Paris 8°
Du 11 Septembre au 21 Septembre 2014
TLJ de 11 h à 20 h (jusqu’à 23 h les jeudi 11, mardi 16 et jeudi 18 septembre)
Fermeture à 19 h le dimanche 21 septembre
Entrée : 30 € (25 € pour les groupes et pour les Amis du Louvre et des Arts Décoratifs, sur présentation de leur carte ; gratuit pour les étudiants en art et les jeunes de moins de 12 ans)
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Rentrée à Paris : sur le toit de Notre-Dame !

Vue depuis les tours de Notre-Dame
Vue depuis les tours de Notre-Dame

Les tours de Notre-Dame font partie des visites parisiennes les plus courues par les touristes de tous horizons. L’on y rencontre aussi quelques autochtones, ils ne sont pas légion mais repérables facilement… ce sont les seuls à reconnaître aussi bien certains détails du paysage !

Mais n’allons pas trop vite en besogne : il y a loin de la coupe aux lèvres. En l’occurrence, il ne s’agit pas tant des quelques 400 marches à gravir (quoique…), mais du temps d’attente tout en bas… L’astuce, c’est d’arriver bien avant 10 h, l’heure d’ouverture pour la visite des tours. La cathédrale, elle, ouvre avant, mais pas question de se disperser : se placer tout de suite dans la fille d’attente, le long de la grille rue du cloître Notre-Dame. Ainsi, on est sûr de monter assez vite, car si le dépliant annonce un rythme de 10 mn par groupe de 20 personnes, c’est tout de même un minimum !

La billetterie (+ boutique) se trouve au niveau de la tour nord et correspond à la hauteur de la tribune d’orgue. On en profite pour jeter un œil au joli escalier à vis dans la tourelle ajourée, au fond de la salle. Puis la grimpette sérieuse commence, l’escalier est étroit, mais la récompense est à la hauteur, c’est vraiment le cas de le dire ! Si les tours culminent à 69 mètres du sol, c’est dans la galerie des Chimères, à 46 mètres, que le visiteur fait sa première étape. Occasion de commencer à se régaler du panorama bien sûr, mais surtout d’admirer de près les statues dessinées par Viollet-le-Duc au XIXème siècle quand il a été chargé de la restauration de la cathédrale, et notamment de la statuaire gothique brisée à la Révolution. Ces chimères, parmi lesquelles la stryge (démon ailé et féminin), si fameuse qu’elle est aujourd’hui en quelque sorte le symbole de Notre-Dame, ces gargouilles et ces arcatures finement sculptées sont en effet peu visibles depuis le parvis. Quant au panorama, voir la photo à titre d’exemple…

Mais le sommet de la tour sud, quelques dizaines de marches plus haut (on n’est plus à ça près) offre une vue plus complète, plus étourdissante encore. En tournant du nord à l’ouest : tour Saint-Jacques rénovée de frais, Sacré-Coeur, Ile Saint-Louis, BNF, vieux quartier latin, Panthéon, Saint-Sulpice, Invalides, Ile de la Cité avec la Sainte Chapelle, l’Hôtel Dieu et le Palais de Justice. Plus loin, le Louvre, l’Arc de Triomphe et la grande Arche de la Défense. Bon, heureusement qu’il y a de gentils Parisiens pour aider à nommer d’autres édifices ici ou là : c’est que, malgré les années passées à demeure, on reste, comme au premier jour, d’éternels touristes découvrant la capitale. Et c’est très bien comme ça, car c’est dans cet esprit là qu’on en profite vraiment. Alors vive Paris et vive la rentrée !

Tours de Note-Dame

Accès par le côté nord, rue du cloître Notre-Dame

TLJ à partir de 10h jsq 18h30 du 1er avril au 30 septembre et jsq 17h30 du 1er octobre au 31 mars. Dernier accès 45 mn avant la fermeture

Vérifier les horaires sur le site avant d’y aller en cliquant ici, au cas où, car il peut y avoir des changements (météo, travaux…)

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Sils Maria. Olivier Assayas

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Maria Enders  est une actrice brillante et célébrée. Alors qu’elle se rend en Suisse pour recevoir un prix au nom de Wilhelm Melchior, dramaturge et metteur en scène qui a lancé sa carrière quelques vingt ans plus tôt avec la pièce Le Serpent de Maloya, celui-ci décède avant son arrivée à Zurich.

Effondrée, elle se rend tout de même à la cérémonie, où un jeune metteur en scène en vogue lui propose de jouer à nouveau dans Le Serpent de Maloya, mais cette fois pour interpréter le rôle de la femme mûre qui se détruit, brûlée par son amour pour une toute jeune femme qui la manipule. Maria hésite : à l’époque, c’était elle qui incarnait la jeune femme triomphante… Finalement, elle se laisse convaincre et se met à répéter la pièce avec son assistante Valentine, toutes deux retirées à Sils Maria, dans la maison du dramaturge disparu et admiré.

Disons-le d’emblée : le film est une réussite totale. Plus Olivier Assayas avance dans sa carrière, plus il gagne en maîtrise, en profondeur et en subtilité dans sa façon de mettre en scène les sujets qu’il choisit.

Ici, il s’agit du métier et de la vie d’une actrice. Celle-ci, Maria Enders, est interprétée avec une justesse et un engagement époustouflants par Juliette Binoche, dont on pensait déjà connaître l’étendue du talent. Assayas fait alterner les épisodes de vie privée (dans le train, dans le chalet) et de vie publique de la star. Entre les deux, un monde bien sûr, alors même que Maria semble, en privé, des plus lucides sur son métier, son entourage et ses rouages. Mais toujours le plaisir d’être flattée, l’émulation, voire la jalousie sont susceptibles d’entrer  en jeu, y compris chez les âmes les plus sincères et franches de la trempe de Maria. Ces travers, qui rendent le personnage crédible et attachant, sont aussi la marque d’un sentiment bien plus noble et qui les couvre tous : l’amour du métier. Le désir de jouer. La délectation à interpréter, à « ressentir » un texte. La curiosité de découvrir l’autre, aussi.

Mais sur ce dernier point, c’est plus douloureux. Car à travers ce projet théâtral, Maria se confronte à une réalité qui l’éprouve durement : elle a vieilli, et une nouvelle génération d’artistes se met en place. C’est avec un jeune metteur en scène et une jeune star des blockbusters qu’elle va jouer. D’autres façons de penser la pièce, d’autres façons de se comporter en public comme en privé. Ce décalage, ce glissement générationnel est concentré dans le personnage de Valentine, son assistante personnelle. Magnifiquement, magnétiquement incarnée par Kristen Stewart, Valentine, toute jeune femme à la fois hyper professionnelle et décomplexée, admirative et en révolte contre Maria, est le premier miroir qui renvoie à celle-ci la cruelle image du temps qui passe, l’autre grand thème de Sils Maria.

Malgré la bonne humeur qui se dégage du film, avec ses moments d’humour complice entre les deux femmes, les moments de plaisir partagé au cours d’une randonnée en montagne ou d’une soirée arrosée, et les irrésistibles éclats de rire de Maria/Binoche, il y a aussi beaucoup de noirceur : entre la femme jeune et celle d’âge mûr, se joue un combat implacable.

Et si Maria, semble, contre Valentine, gagner la première manche, ce sera au prix de sa perte. Quant au face-à-face avec la jeune starlette (extrêmement bien jouée également par Chloë Grace Moretz) avec laquelle elle s’apprête à partager l’affiche, il est d’une redoutable cruauté.

Mais, en élevant sa caméra, Olivier Assayas met aussi du baume sur cette dureté. Montrant la splendeur des neiges éternelles malgré le passage des saisons, la magie sans cesse renouvelée des nuages qui s’enroulent autour des sommets, phénomène local, ancien et immuable appelé Le serpent de Mayola, le réalisateur suggère que tout passe certainement, mais peut-être pas la beauté des massifs alpins, ni celle d’un nuage qui vient inexplicablement se lover entre les montagnes, fut-ce pour quelques minutes seulement.

 

Sils Maria

Un film d’Olivier Assayass

Avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz

Durée 2 h 3 mn

Sorti en salles le 20 août 2014

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Proust contre Cocteau. Claude Arnaud

proust_contre_cocteauNovembre 2013 a célébré le centenaire de la publication de Du côté de chez Swann, le 1er tome de A la recherche du temps perdu dont l’édition complète s’est étalée jusqu’en 1927, cinq ans après la mort de son auteur Marcel Proust.

Cet anniversaire a naturellement donné lieu à moult nouveaux essais sur La Recherche, dont le brillant Proust contre Cocteau de Claude Arnaud, récipiendaire de la Madeleine d’Or le 23 novembre dernier.

Tous les deux ans, à l’initiative du Cercle Littéraire Proustien de Cabourg-Balbec, le prix de la Madeleine d’Or vient récompenser un texte en français relatif à l’œuvre de Marcel Proust. La cérémonie se déroule au Grand Hôtel de Cabourg, lieu de villégiature de Proust, et dont il s’est inspiré pour décrire celui de Balbec dans son roman. Le jury, placé sous la présidence d’Evelyne Bloch-Dano, est composé de Michel Blain, Jérôme Clément, Laurent Fraisse, Jean-Paul Henriet et Gonzague Saint Bris.

Lorsqu’ils font connaissance, fin 1909-début 1910, Cocteau a 21 ans, deux recueils de poèmes à son actif et des dons à revendre, déjà célébrés par le Tout-Paris. Proust approche la quarantaine, et demeure « un chroniqueur mondain fait pour décrire interminablement les fêtes du comte de Montesquiou dans Le Figaro, ou l’un de ces amateurs fortunés habiles à commenter l’œuvre d’autrui, bien plus qu’à produire la leur ».

Issus tous deux de la bourgeoisie et des classes du lycée Condorcet, ils parlent la même langue et partagent avec leurs amis Hahn et Daudet fils un même humour moqueur. Malgré la différence d’âge, ils ont les même références artistiques, celles du passé exclusivement car, ainsi que le disait Paul Morand « 1914, c’était encore 1900, et 1900, c’était encore le second Empire ».

Littérairement, si l’aîné est aussi lent que son cadet véloce, chacun estime l’autre plus doué que soi ; l’admiration est réciproque, de même que l’amitié, malgré la tyrannie à laquelle Proust, exclusif à l’extrême et maladivement susceptible, soumet tous ses proches, mais contre laquelle Cocteau résistera quelque peu.

C’est par étapes éditoriales que la déchirure viendra : après son refus de publier Du côté de chez Swann, dont Cocteau fut un ardent défenseur (alors « qu’ils ne sont pas nombreux à crier au génie »), La NRF se rallie à la cause proustienne ; mais elle refuse de publier Cocteau. Après la guerre, ce dernier, comprenant que le monde a changé et qu’il est contraint à « la modernité », bouleverse son style pour épouser l’avant-garde. Malgré cette évolution, et le soutien de Proust, La NRF continue de rejeter celui qui reste à ses yeux un héritier salonnard d’un autre temps.

Cocteau en veut à Proust, qui lui en veut de lui en vouloir. Quand en 1922, « épuisé par quinze années d’écriture, de maladies récurrentes et d’insomnies », l’auteur de La Recherche finit par rendre l’âme, il ne recevait plus son cadet depuis plusieurs mois.

Finalement, La NRF proposera à Cocteau d’écrire un texte sur son ami disparu. Puis elle achèvera son « mea culpa » envers Cocteau en publiant Thomas l’Imposteur

Si, en retraçant cette amitié faite d’admiration réciproque, Claude Arnaud fait le récit d’une « lutte impitoyable pour la survie qui anime les espèces, y compris littéraires », il suggère que le plus cannibale des deux fut sans doute celui qui paraissait le plus lent, le plus faible et le plus tourmenté… Mais il ne manque pas non plus, en une synthèse superbe, de rappeler le talent de ce « dévoreur » : « Proust sera l’unique rescapé de cette révolution qui relègue le Paris d’avant-guerre au Musée Grévin (…). L’héritier assumé qu’est Proust n’aura même pas à faire l’effort de devenir moderne : il en aurait été incapable. En pleine furie dadaïste, on ne lui demandera que d’achever d’embaumer les princes et les cocottes de cette Belle Epoque deux fois déchue, en les ridiculisant pour toujours : c’est en brûlant ce qu’il avait adoré qu’il s’assurera une postérité royale ».

 

Proust contre Cocteau

Claude Arnaud

Grasset, Septembre 2013, 203 pages

 

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Les expos à Paris au mois d'août

1900_expositionQue voir à Paris au mois d’août ? La ville, bien sûr, un magnifique spectacle en soi ! Mais si on a envie de découvrir des expositions, les propositions ne manquent pas. Voici une petite sélection… pas eu le temps de les voir toutes, loin de là :

Paris 1900 au Petit Palais jusqu’au 17 août (vue, non chroniquée, mais tout à fait conseillée !)

Unedited History (Iran 1960-2014) au Musée d’art moderne de la Ville de Paris jusqu’au 24 août

L’Orient-express à l’Institut du Monde arabe jusqu’au 31 août

Le mythe Cléopâtre à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 7 septembre

L’Envol du dragon – Art royal du Vietnam au Musée Guimet jusqu’au 15 septembre

Mapplethorpe-Rodin au Musée Rodin jusqu’au 21 septembre

Masques, mascarades et mascarons au Musée du Louvre jusqu’au 22 septembre

Martial Raysse au Centre Pompidou jusqu’au 22 septembre

Libération de Paris : août 1944, Le combat pour la liberté, à l’Hôtel de Ville jusqu’au 27 septembre

Les plages à Paris selon Daumier – Parisiens en Seine d’hier à aujourd’hui à la Maison de Balzac jusqu’au 28 septembre

Jean-Baptiste Carpeaux au Musée d’Orsay jusqu’au 30 septembre

Les années 1950 au Palais Galliera jusqu’au 2 novembre

Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé au Musée Carnavalet jusqu’au 8 février 2015

Liste non exhaustive bien sûr…

Très bel été à tous, à Paris ou ailleurs !

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Il était une fois l'Orient-Express

exposition_orient-express_afficheL’Orient-Express… le nom est mythique et fait encore rêver aujourd’hui, tant il évoque les attraits de l’ailleurs et l’exotisme de l’Orient, le confort, le luxe et le raffinement… mais aussi le charme d’un voyage qui prend son temps, à l’opposé de la vitesse contemporaine que l’avion autorise et que d’aucuns regrettent presque.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes : quand, en 1883, l’Express d’Orient quitta la gare de Strasbourg (ancien nom de la gare de l’Est) à Paris pour rejoindre Istanbul, l’une des principales révolutions que ce train apportait était la rapidité du trajet. Pensez donc : relier la capitale de l’Empire ottoman en 4 jours à peine, quand jusqu’alors il en fallait 15 au départ de Marseille !

Mais le train bleu et or présentait bien d’autres nouveautés, qui étaient autant d’atours à une époque où la soif de modernité et la foi dans le progrès étaient infinis. La première idée de génie de Georges Nagelmackers, l’ingénieur belge inventeur du projet, fut d’importer en Europe une innovation américaine de taille : le wagon-lit. Il l’améliora toutefois considérablement. Alors que les trains de George Pullman n’offraient qu’une intimité relative – les couchettes n’étaient isolées les unes des autres que par des rideaux, ce qui gênait quelque peu la clientèle, en particulier féminine – ceux de la Compagnie des wagons-lits proposaient de véritables cabines individuelles, ce qui évidemment change tout…

exposition_orient_express_salonDe plus, Georges Nagelmackers voulait offrir le must en matière de confort et de décor. Il fait appel aux meilleurs artisans, choisit les matériaux les plus nobles, soigne les moindres détails. Le cuir vient de Cordoue, le tissu de Gênes, les tapisseries des Gobelins ; la vaisselle est en argent, les verres en cristal, les draps damassés. Dans les années 1920, il fait appel au décorateur René Prou et au joaillier et maître verrier René Lalique qui conçoivent un écrin Art déco qui deviendra emblématique du style « Orient-Express ». Ainsi, c’est dans un cadre prometteur de luxe, de calme et même de volupté qu’une poignée de privilégiés gagnaient un Orient encore largement fantasmé, en ce siècle marqué par la vogue de l’Orientalisme.

Evidemment, l’entreprise n’aurait pu aboutir sans une autre grande réussite, et qui ne se fit pas sans effort ni opiniâtreté : faire traverser à l’Orient-Express de multiples frontières. Celles de Bavière, Autriche, Serbie, Bulgarie et Roumanie sont effet franchies sans aucune formalité administrative pour les passagers qui au départ remettent simplement leur passeport au personnel. Après la Première guerre mondiale, un autre trajet est mis en place, grâce au tunnel du Simplon, qui permet de contourner l’Allemagne et de gagner encore en efficacité.

exposition_orient_express_cabinet_toiletteEnfin, à défaut de pouvoir tout raconter ici (ce que l’exposition fait de toutes façons merveilleusement), un autre coup de génie de l’ingénieur belge mérite d’être souligné : pour le voyage inaugural de 1883, monte à bord un groupe d’hommes (exclusivement…) soigneusement triés sur le volet, savant dosage d’artistes, de souverains et de journalistes. Ces derniers, fort enthousiastes, assureront, pour le prix du voyage qui leur a été offert, une publicité extraordinairement efficace. Bref, Georges Nagelmackers a aussi inventé le voyage de presse !

En visitant l’exposition présentée à l’IMA à Paris jusqu’à fin août, on découvre d’authentiques wagons de l’Orient-Express « dans leur jus », mais aussi une multitude de documents et d’objets qui font revivre toute une ambiance, des personnages (y compris ceux, nombreux, liés au spectacle, à la littérature et au cinéma), une époque  – en particulier celle de l’Entre-deux-guerres, âge d’or de l’Orient-Express marquée par les artistes des Années folles et le style Art déco -, mais aussi une aventure et, plus encore peut-être, un rêve.

 

Il était une fois l’Orient-Express

Institut du monde arabe

1, rue des Fossés-Saint-Bernard – Paris 5ème

Jusqu’au 31 août 2014

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Maestro. Léa Fazer

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C’est le film le plus joli, sensible et intelligent vu depuis longtemps.

Henri, un jeune comédien en mal de rôle, tempérament sûr de lui et potache, toujours prêt à amuser la galerie et à flamber, se voit engagé par un grand réalisateur, Cédric Rovère, respecté et admiré pour le cinéma d’auteur auquel il est resté fidèle depuis le début de sa longue et belle carrière. A l’origine du scénario, une histoire vraie : celle du jeune Jocelyn Quivrin (aujourd’hui disparu) qui découvre Eric Rohmer en jouant dans ce qui sera en fait la dernière œuvre du cinéaste, Les amours d’Astrée et de Céladon, un film en costumes et quelque peu pastoral tiré du roman du XVIIème siècle d’Honoré Urfé. Film qu’on avait adoré soit dit en passant.

Maestro raconte ainsi la rencontre de deux personnages et à travers eux de deux mondes. L’un est jeune, inculte et croit que la culture ne sert à rien. L’autre est âgé, nourri de culture classique, amoureux de la langue, de la poésie, de la beauté d’un paysage ou d’un sentiment. L’un est bien l’enfant de son époque, l’autre semble être l’un des derniers survivants d’un temps révolu.

Plongé dans l’univers rohmérien, où il découvre des congénères fort différents de ceux qu’il fréquente d’habitude, recevant les conseils du vieux cinéaste, Henri va peu à peu évoluer, comprendre qu’une belle voiture n’est pas la seule manière de séduire une fille et que pour la beauté de l’art certains sont prêts à sacrifier leur confort, oublier leurs problèmes de fins de mois et à se passer de portable…

Superbe chemin initiatique conduit par la grâce de la transmission et conforté par l’exemple des pairs, le film – et c’est notamment ce qu’il a de merveilleux – ne ressemble pas à une « leçon ». Le regard porté sur le vieux cinéaste, mêlant admiration et recul dans un subtil équilibre, est d’une tendresse incroyable. Dans cette ode à la beauté, à la littérature et à la culture, il n’y a pas une once de prétention. D’un bout à l’autre, au fil d’une tout aussi tendre moquerie, l’humour nous fait aimer tous les personnages. Et à travers Cédric Rovère on découvre avec un ravissement absolu les émouvantes coulisses d’un tournage de Rohmer – où par exemple et comme de naturel, les lectures se font dans la crypte d’une chapelle médiévale… Dieu que tout cela est bien écrit, bien fait, bien joué. Et si beau.

Maestro

Un film de Léa Fazer

Avec Pio Marmai, Michael Lonsdale, Déborah François

Sorti en salles le 23 juillet 2014

Durée 1 h 25

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L’Homme qu’on aimait trop. André Téchiné

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Toussaint 1977, Agnès Leroux disparaît. Elle est la fille de Renée Leroux, propriétaire du Palais de la Méditerranée, célèbre casino niçois. Le corps de la jeune femme n’est jamais retrouvé. Accusé de meurtre, l’avocat Maurice Agnelet est acquitté à l’issue d’un procès intervenu des décennies après. Ce n’est que cette année, en 2014, qu’il a finalement été condamné.

André Téchiné ne raconte pas ce rocambolesque feuilleton judiciaire, mais ce qui le précède : comment ce drame a pu arriver. Comment Agnelet a séduit Agnès Leroux, comment il l’a dressée contre sa mère, comment il a fait main basse sur son argent. Montrant le jeu de séduction et de pouvoir dont la riche héritière fut la victime, Téchiné se garde de conclure. Mais après une telle démonstration, le spectateur n’a pas de mal à imaginer comment le jeune arriviste a aussi pu la faire assassiner.

Pour autant, et avec beaucoup de subtilité, Téchiné ne fait pas de son film un portrait à charge contre ce « petit avocat qui n’a pas les moyens de ses ambitions » ainsi que le qualifie Renée Leroux dans l’une de ses tentatives de mettre sa fille en garde contre lui. Il s’agit plutôt – domaine dans lequel le réalisateur excelle – de la mise à nu de la relation entre les êtres. Eclairage frontal, qui ne révèle pas, loin s’en faut, que de belles choses. Si Maurice Agnelet est dépourvu de talent (et donc de clientèle), il a une sorte de grâce (comment l’expliquer autrement ?) : celle de plaire aux femmes. Il utilise donc cette seule qualité pour satisfaire son ambition dévorante, d’abord auprès de la mère, la flattant afin d’entrer à son service – ce qui lui vaut un échec cuisant – , puis s’en prenant à sa fille, et cette fois avec un succès au-delà de toute espérance. Agnès est fragile, en opposition avec sa mère malgré beaucoup d’amour de part et d’autre, très adolescente dans le fond. On la voit se jeter dans la gueule du loup avec un empressement qui fait mal. Agnelet n’a finalement pas beaucoup de mérite à prendre sur la jeune femme une emprise totale, alimentée par l’amour fou et à sens unique que celle-ci lui porte. Une emprise qui ira très loin, non sans l’aide de la mafia locale, dont l’avocat apparaît finalement comme un opportuniste maillon.

Ce triangle-là est magnifiquement mis en scène. Lointaine observation, coup de téléphone, tête-à-tête, lettre : André Téchiné utilise tous les moyens de rencontre entre eux avec une égale force, comme pour mieux montrer l’incompréhension soldant toutes ces tentatives de communication, que ce soit entre la mère et la fille Leroux ou entre Agnès et Maurice. En toile de fond de ce drame, les paysages et la lumière sont d’une splendeur presque indécente ; le réalisateur souligne les mille nuances de la lumière naturelle de la côte d’Azur comme il montrait celles du sud-ouest dans Ma saison préférée. L’interprétation du trio est proprement magnifique : Catherine Deneuve, tout en détermination, impeccable, Guillaume Canet très convaincant en manipulateur qui ne se force pas, et une Adèle Haenel qui, entre rires enfantins, larmes d’angoisse et rage écumante, va très loin dans son jeu et s’expose avec un engagement très impressionnant.

L’Homme qu’on aimait trop, d’André Téchiné

Sorti en salles le 16 juillet 2014

Durée 1 h 56 mn

 

 

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Le mythe Cléopâtre à la Pinacothèque de Paris

Portrait de Cléopâtre VII, Milieu du Ier siècle av. J.-C. Musée des antiquités, Turin
Portrait de Cléopâtre VII, Milieu du Ier siècle av. J.-C.
Musée des antiquités, Turin

Les calendriers des manifestations parisiennes sont parfois plutôt bien accordés.

Alors que les Galeries nationales du Grand Palais présentent jusqu’au 19 juillet une exposition consacrée à l’empereur romain Auguste, la Pinacothèque de Paris en organise une dédiée à la belle Cléopâtre. Elle est visible jusqu’au 7 septembre 2014.

Les deux sont en quelque sorte complémentaires, avec pour points communs César et Marc-Antoine.

César fut le premier des empereurs romains avec lesquels la reine d’Egypte s’associa, afin de sauvegarder l’indépendance de son pays. Elle donna à César un fils et, en -46, s’installa à Rome, dans sa villa du Trastevere. Elle y mena un train de vie luxueux et raffiné qui inspira une société romaine frappée d’Egyptomania.

L’assassinat de César en -44 prive Cléopâtre de son protecteur et elle retourne à Alexandrie. L’année suivante, Antoine, fidèle compagnon de César et Octavien, fils adoptif de ce dernier et futur Auguste, bien que rivaux, unissent leur force pour combattre Brutus et Cassius les assassins de César. Ils se partagent l’Empire : à Antoine l’Orient, à César l’Occident.

C’est ici que réapparaît Cléopâtre, qui en -41, devient la maîtresse d’Antoine. Tous deux partagent alors durant une année à Alexandrie une vie digne de celle des dieux : « la vie inimitable » ainsi que l’a désignée Plutarque. En dépit de bien des péripéties, cette histoire d’amour durera jusqu’à leur mort.

En -31 effet, la rivalité entre Antoine et Octavien trouve son dénouement dans la bataille d’Actium, avec la victoire de la flotte romaine dirigée par Agrippa sur celle d’Antoine et de Cléopâtre. L’année suivante, après l’entrée d’Octavien dans Alexandrie, Antoine se suicide. Quelques jours après, c’est au tour de Cléopâtre de se donner la mort, à l’âge de 39 ans.

Le mythe de Cléopâtre, alors déjà en marche, n’a cessé depuis de se perpétuer.

Pour aborder ce personnage fascinant, la Pinacothèque n’a pas fait les choses à moitié, réunissant pas moins de 350 pièces. Son exposition se déploie en deux parties.

La première présente de nombreuses œuvres archéologiques venue des grandes institutions italiennes (Musées du Vatican, Musée archéologique National de Naples, Musée des Antiquités de Turin…), mais aussi de la fondation Gandur pour l’Art en Suisse ou, plus proche de nous, de la Bibliothèque nationale de France. Des pièces appartenant au collectionneur Guy Weill Goudchaux sont présentées au public pour la première fois.

Manteau royal de Cléopâtre, rôle tenu par Elisabeth Taylor dans le film de Joseph Mankiewicz, Cléopâtre (1963). Tissu lamé de soie et d’or. (Collection Costumi d’Arte- Peruzzi- Rome).
Manteau royal de Cléopâtre, rôle tenu par Elisabeth Taylor dans le film de Joseph Mankiewicz, Cléopâtre (1963). Tissu lamé de soie et d’or. (Collection Costumi d’Arte- Peruzzi- Rome).

Statues et objets mobiliers de toutes sortes restituent l’histoire de la dernière Reine d’Egypte, Cléopâtre VII. Sont notamment rappelées l’origine grecque de la dynastie – les Ptotémée – à laquelle elle appartient, ainsi que la durée de son règne : 22 ans, après avoir accédé au trône à l’âge de 18 ans !

Les personnages romains évoqués plus haut sont également abondamment illustrés, mais la part la plus belle est faite naturellement à la culture égyptienne, avec des œuvres relatives aux cultes funéraires, aux cultes divins et aux arts, le tout à travers statues, statuettes, amulettes, vases, bijoux… tous plus splendides les uns que les autres.

Toute une séquence montre l’influence de la civilisation égyptienne sur la civilisation romaine : adoption de certains cultes comme celui d’Isis, reprise de motifs iconographiques traditionnels….

La seconde partie de l’exposition, plus courte, est consacrée à la représentation du mythe de Cléopâtre dans les arts visuels : peintures des XVI° au XIX° siècles illustrant son suicide, le sein mordu par un aspic ; décors de théâtre issus de la pièce de Shakespeare ; costumes de cinéma… Parmi ces derniers, on admirera notamment les robes portées par Elizabeth Taylor dans le film de Mankewicz en 1963 : du très grand art également !

 

Le mythe Cléopatre

Pinacothèque de Paris

Place de la Madeleine et rue Vignon – Paris 8° et 9°

TLJ de 10h30 à 18h30, nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h

Entrée 12,50 euros, tarif réduit 10,50 euros

Jusqu’au 7 septembre 2014

 

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