Amour. Michael Haneke

Amour, Michael Haneke

C’est sans doute l’une des plus belles histoires d’amour du cinéma. Mais l’une des plus dures aussi : l’amour face à la maladie, à la déchéance, à la mort qui galope vers soi. Anne et Georges, octogénaires parisiens, intellectuels et cultivés (elle était professeur de piano) voient leur retraite complice et gaie ébranlée le jour où Anne est victime d’un accident vasculaire cérébral, qui la laisse partiellement paralysée et la conduit à s’enfoncer chaque jour davantage dans la décrépitude.
Bouleversé mais présent plus que jamais, Georges la soigne, subit ses crises, lui fait faire ses exercices de rééducation, jusqu’au jour où il doit apprendre à lui changer ses couches, jusqu’au jour où il doit la nourrir à la petite cuillère, jusqu’au jour où…

La première scène montre le couple la veille de l’accident au théâtre des Champs-Elysées, où ils sont venus écouter Alexandre Tharaud (joué par soi-même), ancien élève d’Anne, avant de rentrer en bus dans leur appartement bourgeois. A partir de ce moment, la caméra ne sortira plus de l’appartement, espace auquel se réduit désormais la vie du couple.
Haneke a le chic pour créer des ambiances étouffantes ; il aime le clos, qu’il filme en longs plans fixes. Si cette manière fait mouche pour traiter sans complaisance du naufrage de la vieillesse, elle s’avère tout aussi efficace pour montrer la force de l’amour : face à l’insistance de Anne, Georges lui fait promesse de ne plus la laisser aller à l’hôpital, il l’aide autant qu’il le peut, lui parle sans cesse, ne sortant pratiquement plus lui-même. Plus encore, il fait barrage contre le monde extérieur, infirmière peu délicate, gendre arrogant, mais surtout leur propre fille Eva, qui voudrait voir sa mère sortir de "là", sans pouvoir reconnaître que c’est pourtant "là", auprès de son aimant mari qu’elle est le mieux.
Au cours d’une scène déchirante, Georges envoie promener Eva car il n’a même plus la force de répondre à ses questions, il ne peut même plus prendre en charge l’inquiétude de l’entourage. Il n’a plus que l’énergie du dernier combat, celui de son amour pour Anne, jusqu’au bout de ses forces à elle, jusqu’au bout de ses forces lui.

Les plans interminables face à une Anne chaque jour un peu plus diminuée et toujours si aimante, face à un Georges si amoureux et chaque jour un peu plus brave et un peu plus triste à la fois sont parfois à la limite du soutenable. C’est un miroir que Michael Haneke nous tend ; c’est si frontal, donc brutal, que l’on en sort comme sidéré. En même temps, le film longtemps nous habite car la puissance de l’amour qui unit ces deux êtres-là est finalement, au-delà de leur sort commun de mortels, ce qui fait leur singularité. En cela, c’est davantage un film sur l’amour que sur la mort et aucun autre titre que celui-là ne lui aurait mieux convenu. Et aucun autre comédien n’aurait pu incarner ce personnage amoureux fou et lucide, blessé et courageux comme le fait Jean-Louis Trintignant. Il porte le film comme il porte Anne jusqu’au bout, merveilleusement.

Amour
Un film de Michael Haneke
Avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert
Durée 2 h 07min
Sorti en salle le 24 octobre 2012
Amour a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes 2012

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Skyfall. Sam Mendes

Skyfall, Sam Mendes

Pour découvrir en salles le dernier James Bond, il fallait être patient : supporter des files d’attente interminables ou bien attendre… quelques semaines de plus.

Le succès est colossal, et c’est plus que mérité.
Aucune raison de bouder son plaisir avec ce Skyfall : scénario en acier trempé, tel un câble qui jamais ne se grippe ; scènes de poursuites fidèles au canon du genre ; escapades en Orient comme James Bond les affectionne – jolie et mystérieuse étrangère comprise ; méchant très méchant, mais à la mode d’aujourd’hui – entendez pirate internet travaillé par son Oedipe.
Ajoutez, toujours dans le chapitre psychologie, un peu d’inédit : rapport fâché à la mère-patronnesse des services secrets, mais qui ne remettra pas en cause la légendaire loyauté de 007 à sa mère-patrie ; incursion dans l’enfance écossaise – et meurtrie – du plus célèbre agent secret du monde.
Si vous voulez d’autres attraits, et ce ne sont pas les moindres, il y aussi la caméra très douée de Sam Mendes qui, par exemple, en une superbe scène, montre un meurtre dans une tour de verre, nuitamment et à Shangaï, avec des jeux de miroirs et de clairs-obscurs inoubliables. Enfin, comment ne pas citer les acteurs excellents (et fort bien dirigés) que sont ici Daniel Craig, en un James Bond vieillissant et inquiet mais qui a décidé, une fois ressuscité, de ne plus rien céder, et Javier Bardem en "folle" aussi déjantée que dangereuse, mais aussi certains seconds rôles comme Ben Whishaw, impeccable dans le rôle de Q, jeune brillant des services secrets, qui oppose sa manière moderne (agir par le biais des réseau internet, en pyjama et une tasse de thé à la main) à celle à l’ancienne et sur le terrain de notre 007, qui sera quand même bien celui qui règlera son compte au traître… à coup de poignard de chasseur écossais dans le dos.
Comme quoi, même à la cinquantaine passée, ce cher bon vieux Bond peut encore utilement sortir son Aston Martin et ses costumes à la coupe parfaite… toujours accompagnés de son irrésistible humour so british, bien sûr !

Skyfall
Un film de Sam Mendes
Avec Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem, Ben Whishaw
Durée 2 h 23
Sorti en salle le 26 octobre 2012

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Le Thé – Histoires d’une boisson millénaire

Le thé à Guimet, histoires d'une boisson millénairePrésentée au musée Guimet, Le thé, histoires d’une boisson millénaire est la première exposition consacrée en France à l’histoire du thé.
Passionnante, elle raconte la naissance et la diffusion de cette boisson dont la consommation est entrée dans les mœurs chinoises au début de notre ère, avant de se répandre en Asie orientale, au Moyen-Orient, en Europe puis en Amérique.

L’introduction rappelle quelques données fondamentales, notamment botaniques, dont on retient que le théier est de la famille des camélias, arbre qui au printemps se couvre de petites fleurs blanches au cœur jaune : voir la délicate peinture sur soie chinoise du XIII° siècle représentant une branche de théier impérial en fleurs. Cultivé dans des "jardins de thé" en altitude, sous des climats chauds et humides, il est taillé en buissons ne dépassant pas 1 m 20 de haut. Ses bourgeons et feuilles tendres sont récoltés au printemps.

Un album sur papier de riz du XVIII° siècle montre les différentes étapes de la fabrication du thé : flétrissage, roulage, oxydation stoppée par chauffage. La classification chinoise selon la couleur de l’infusion résulte non pas d’espèces de théiers différentes mais du traitement des feuilles : ainsi, le thé blanc n’est que séché, alors que le thé vert est torréfié et peu oxydé et le thé noir totalement oxydé et fumé. Quant au "thé" rouge d’Afrique du sud, il n’est pas, lui, issu du théier.

Enfin, toujours en tête de parcours, La tonne de thé, œuvre monumentale (ce poids de thé compressé) de l’artiste chinois Ai Weiwei, né en 1957, introducteur de l’art contemporain en Chine où il est revenu – et désormais interdit de sortie du territoire – après avoir passé dix ans à New-York, exprme l’importance du thé, boisson après l’eau la plus consommée dans le monde.

Après un petit film sur Tseng Yu Hui, unique maître de thé femme, l’histoire du thé nous est contée à travers ses trois grands modes de préparation successifs, correspondant à trois grandes périodes : le thé bouilli, le thé battu et le thé infusé.

A chacun de ces chapitres sont montrées la naissance puis la diffusion du précieux breuvage, à travers de magnifiques objets provenant du fonds Guimet (des premiers grès jusqu’au porcelaines du XVIII° européen, en passant par les fameux céladons et bleus-blancs chinois), des peintures calligraphiées et des textes de lettrés – dont une édition du fameux Classique du thé écrit au VIII° siècle par Lu Yu.

D’abord utilisé par les moines pour ses vertus thérapeutiques (maintenir en éveil), il est ensuite adoubé par les lettrés (concurrençant alors le vin comme moyen de stimuler l’inspiration) et par eux paré d’une dimension spirituelle fondamentale, l’érigeant au rang de liturgie, que les Japonnais adopteront et adapteront plus tard. Au XVI° siècle, le Japonais Sen no Rikyu, le plus célèbre des maîtres de thé, est ainsi le créateur des cérémonies de thé. Il voit dans la cérémonie, qui doit être gouvernée selon les quatre principes de sérénité, de simplicité, de respect et d’harmonie, un acte spirituel entre le maître de thé et ses invités.

En Occident, le thé a été introduit au XVII° siècle dans les milieux aristocratiques avant de se répandre progressivement dans les autres classes sociales. Ici comme ailleurs, il est considéré comme la boisson qui a le plus influencé les mœurs sociales.
Mais c’est surtout le raffinement qui entoure sa consommation en Chine et au Japon, par les objets comme par la dimension poétique du geste, que l’on retiendra de cette très belle et savante exposition.

Le Thé – Histoires d’une boisson millénaire
Musée Guimet
6, place d’Iéna- 75116 Paris – Tél.: 01 56 52 53 00
TLJ sauf le mardi, de 10h à 18h
Fermé les 25 décembre et 1er janvier, et fermeture des salles à 16h45 les 24 décembre et 31 décembre
Entrée de l’exposition 8€ (TR: 6€)
Nombreuses activités autour de l’exposition : programme à consulter sur le site
L’exposition est prolongée Jusqu’au 28 janvier 2013

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Chaïm Soutine. L'ordre du chaos

Soutine à l'Orangerie, Le petit pâtissierQuoi de plus naturel qu’une exposition exclusivement consacrée à Chaïm Soutine (1893-1943) au Musée de l’Orangerie à Paris, où est conservée la plus grande collection d’Europe du célèbre peintre Russe, soit 22 tableaux réunis par le marchand d’art Paul Guillaume ?
Complétée par des prêts de collections publiques et privées, ce sont ici quelques 70 peintures qui sont présentées, au fil d’un parcours clair et net organisé en trois sections.

L’introduction, où figurent l’autoportrait de 1918 ainsi que le portrait de Soutine par Modigliani, est dédiée aux portraits des amis et mécènes. Occasion de rappeler à grands traits la carrière de celui qui, en 1913 à l’âge de 20 ans, quitte la Lituanie qui l’a vu naître dans une communauté juive pour rejoindre Paris et les artistes expatriés installés à Montparnasse. Pendant la guerre, son ami Modigliani lui présente son marchand Zborowski qui accepte de le financer : c’est son modeste début de carrière. En 1919, Zborowski l’envoie à Céret dans les Pyrénées Orientales, d’où il rentre trois ans après avec plus de 200 toiles dont de nombreux paysages du Midi. Nous sommes en 1922, Paul Guillaume présente des tableaux de Soutine au docteur Barnes. Séduit, le riche collectionneur américain qui est en train de créer une fondation près de Phidadelphie achète pour plus de 2 000 dollars de tableaux, assurant l’aisance financière du peintre et marquant le véritable lancement de sa carrière.
Parmi les tableaux de cette partie introductive, se trouve le portrait de Madame Castaing. Ce n’est pas un hasard : les époux Marcellin et Madeleine Castaing, rencontrés en 1925, deviendront des amis intimes et de fidèles soutiens après la ruine puis la mort de Zborowski en 1932. Soutine figure aussi dans les collections de Netter, Guillaume, Bing, Doucet. Quant à ses expositions personnelles, nombreuses de son vivant comme posthumes, elles eurent lieu dès 1927 à Paris et dès 1935 aux Etats-Unis.

Soutine à l'Orangerie, Les glaieulsNé dans la misère, rongé par l’angoisse toute sa vie, Chaïm Soutine fut l’auteur d’une peinture certes tourmentée et souvent incomprise, mais qui assurément trouva tôt son public.
La visite au Musée de l’Orangerie prouve que cette séduction ne s’épuise pas. Les trois sections dédiées respectivement aux paysages, aux natures mortes et aux portraits, sobrement et efficacement présentées font le tour des trois grands genres travaillés par l’artiste et qui en tant que tels le rapprochent des maîtres anciens, dont il n’a du reste jamais caché l’inspiration qu’il y trouvait. Voir Rembrandt pour les Boeufs écorchés, Chardin pour le Lièvre pendu, Fouquet pour le Petit pâtissier, Courbet pour les Enfants de chœur.

Dans une nature tourbillonnante, ses arbres sont les plus vivants qui soient. Bavards et mystérieux, ils captent notre attention comme pour se faire écouter. Ses natures mortes qui en séries évoluent vers l’abstraction (souvent mentionné, le rapprochement avec Françis Bacon tient toujours) font de sanglantes carcasses de splendides dépouilles.
Quant aux portraits, parmi les plus bouleversants qui aient jamais été peints, ils imposent la clairvoyance du peintre expressionniste qui, tout en jouant avec la matière et la couleur avec une grande modernité, dans des compositions par ailleurs fort classiques, a montré, dans la mélancolie d’un regard, dans la moue presque tremblante d’une bouche, dans le creux de deux mains vides, toute l’impuissance, l’incompréhension et le désarroi de l’homme face à l’existence.

Chaïm Soutine
L’ordre du chaos
Musée de l’Orangerie
Place de la Concorde – Paris 1er
TLJ sf le mar., de 9 h à 18 h
Entrée 7,5 € (TR 5 €)
Jusqu’au 21 janvier 2013

Images :
Le Petit Pâtissier, 1922-23, huile sur toile 73 x 54 cm, Paris, Musée de l’Orangerie © ADAGP, Paris 2012 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski
Les Glaïeuls, vers 1919, huile sur toile 54 x 44,5 cm, Jérusalem (Israël), collection particulière © ADAGP, Paris 2012 © Photo Elie Posner

A lire également sur maglm : l’exposition de 2007 à la Pinacothèque de Paris

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Rêves de Japon : Van Gogh et Hiroshige à la Pinacothèque

Vincent van Gogh, Rêves de JaponLa Pinacothèque de Paris propose jusqu’au 17 mars 2013 deux expositions en parallèle : l’une consacrée à Vincent van Gogh (1853-1890) et l’autre à Hiroshige (1786 -1864). La première présente une trentaine de tableaux du peintre hollandais en s’attachant à montrer l’influence du japonisme dans son oeuvre. La seconde – inédite à Paris, où aucune exposition dédiée à ce maître de l’estampe japonaise n’avait jamais été organisée – expose quelques deux cents œuvres prêtées par le musée de Leyde aux Pays-Bas.

Deux expositions complémentaires en quelque sorte, que l’on peut visiter successivement avec beaucoup de plaisir, mais aussi séparément tant les œuvres exposées sont de premier plan.

Van Gogh a découvert l’art de l‘ukioy-e, littéralement "image du monde flottant" dans les galeries parisiennes au cours des années 1870, essentiellement chez Sigfried Bing du côté de la rue de Provence. L’influence que cet art a eu sur son œuvre – cela est manifeste à la découverte de l’exposition – tient à l’éclaircissement de sa palette et au travail de composition de ses tableaux. Sur ce dernier point, les quelques dessins et gravures présentés sont éloquents, notamment sur le travail sur la profondeur et les perspectives, des caractéristiques forts de la peinture de paysage japonaise.
Le ravissement est à chaque tableau renouvelé : issues de la remarquable collection du musée néerlandais Kröller-Müller à Otterlo, ces oeuvres sont pour la majorité du public une découverte. Couleurs splendides – jaunes et bleus bien sûr, mais aussi de ces verts ! -, ici un champ cultivé, là un carré d’herbes fleuri, plus loin tout un paysage savamment structuré autour d’un chemin et de cyprès… quel calme ! Même ses noueux oliviers ne révèlent pas la tourmente qui hantait van Gogh : tout n’est que lumière, quiétude et harmonie.

Hiroshige à la Pinacotheque de ParisUne sérénité que l’on retrouve en poursuivant avec l’exposition consacrée à Hiroshige, intitulée L’art du voyage. Après la scénographie chatoyante du premier parcours, ici l’ambiance est plus sobre – les estampes souffriraient irrémédiablement d’un excès de lumière – mais l’ensemble présenté est d’une très grande richesse.
Après des vues urbaines d’Edo – l’ancien Tokyo – l’on découvre les étapes du voyage d’Edo à Tokyo par deux routes mythiques (Tokaido par le sud et Kisokaido par le nord). Autant de "prétextes" pour peindre les différentes saisons (ah, cette façon qu’avaient les Japonais de représenter les scènes de neige, quelle poésie !), les rivières, la mer, les montagnes, les arbres… cette immense diversité de paysages qu’offre le Japon. Les détails des personnages sont parfois amusants (tels ces comédiens qui portent de drôles de masques sur leur dos), et la construction des paysages peut être d’une grande audace. Une fois de plus, l’on est frappé par la modernité de l’art ukioy-e, et l’on ne peut s’empêcher de penser que c’est sans doute aussi cette modernité-là qui a tant séduit les peintres impressionnistes lorsqu’ils l’ont découvert, un art si simple (par son économie de moyens) et si riche à la fois.

Van Gogh, Rêves de Japon
Pinacothèque "2" – 8, rue Vignon 75009 Paris
Hiroshige, L’art du voyage
Pinacothèque "1" – 28, place de la Madeleine 75008 Paris
Pinacothèque de Paris
TLJ de 10h30 à 18 h, les mer. et ven. jsq 21 h
Le 25 déc. et le 1er jan., de 14h à 18h30
Billet pour les deux expositions : 17 € (TR 14 €)
Billet pour l’une des expositions ou les collections : 10 € (TR 8 €)
Billet pour les deux expositions + les collections : 22 € (TR 18 €)
Jusqu’au 17 mars 2013

Images :
Vincent van Gogh, Route de campagne en Provence, la nuit / 12-15 mai 1890 (huile sur toile) © Collection Kröller-Müller Museum, Otterlo, The Netherlands
Utagawa Hiroshige, Porte d’entrée du sanctuaire de Sanno à Nagatababa ©Museum Volkenkunde, Leiden / Musée national d’Ethnologie, Leyde

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L'impressionnisme et la mode

La mode et l'impressionnisme à OrsayGuy Cogeval, le président du musée d’Orsay, aime faire vibrer les arts entre eux ; pour preuve, la partie dédiée aux arts décoratifs inaugurée l’an dernier (voir Le nouvel Orsay), pour preuve encore cette exposition présentée depuis fin septembre à Orsay, avant d’aller faire étapes au Metropolitan Museum of Art de New York puis au Art Institute de Chicago, deux institutions co-organisatrices de l’événement avec le musée d’Orsay, auquel participe également Galliera, le Musée de la Mode de la ville de Paris.

Ici, aux chefs d’œuvres de l’impressionnisme et autres admirables tableaux du XIXème français, il associe ce que nous aimons appeler « l’étoffe » au sens large, à savoir robes, costumes, mais aussi souliers, chapeaux, gants et ombrelles… Et, dans la même aventure, tout ce qui à l’époque en faisait la promotion, intéressée ou simplement passionnée : catalogues de modes édités par les grands magasins qui ouvrent au même moment ; revues ; gravures ; photos, mais aussi écrits des artistes qui rendaient compte de leurs temps, Mallarmé, Baudelaire et bien sûr Zola dans le Bonheur des dames. L’on découvre ainsi que c’est dans ce second XIX° siècle que la « mode » a été inventée. Le processus d’élaboration d’une robe, passionnant, nous est expliqué : du dessin général jusqu’à la réalisation sur mesure, en passant par l’adaptation du modèle et le choix du tissu, si les grandes tendances étaient diffusées et suivies (comme le passage de la crinoline à la tournure), chaque robe était alors individualisée, unique.
Des merveilles de finitions, ruchés, galons et broderies, sur de fines toiles de coton pour le jour et la belle saison, sur des soieries unies ou façonnées pour le soir ; des corsages fermés jusqu’aux décolletés réservés au bal et à l’opéra ; des accessoires qui faisaient tout autant le geste et l’allure que la fonction… tout nous est montré, raconté, au fil d’un éblouissant parcours en neuf « tableaux » mis scène par Robert Carsen, le célèbre metteur en scène d’opéra (voir Les contes d’Hoffmann notamment).

Exposition la mode et l'impressionnisme au musee d'OrsayCeci est une lecture de l’exposition : elle pourrait être la seule, on serait déjà ravi. Mais sa profonde originalité vient de ce qu’à la mode elle fait répondre les Impressionnistes, ces grands fous du XIXème qui se sont mis en tête de peindre l’air du temps, la vibration de la lumière, la sensation fugitive et l’émotion de l’instant… Scènes de la vie urbaine croquée sur le vif, attitudes naturelles et spontanées, ils renouvellent la scène de genre et le portrait. Ce faisant, ils rendent aux étoffes leurs mouvements, leurs reflets, leur transparence, qu’il s’agisse d’une modiste chez Degas, d’un costume masculin chez Caillebotte, d’une riche robe chez Renoir et d’une blanche mousseline chez Monet… tout cela vit, prend la lumière éclatante du soleil ou joue avec la fée électricité sous les lambris du soir et, en définitive, montre toute une société – huppée – dans son époque au quotidien.

Ceux que la mode assomme ne verront dans cette « dramaturgie » que le prétexte à mettre en valeur de magnifiques tableaux, dont beaucoup ont – exceptionnellement – traversé l’Atlantique pour retrouver, pour un temps seulement hélas, leur place toute naturelle, là où sont nés en même temps les deux grands modernismes que furent la peinture impressionniste et… la mode.

L’impressionnisme et la mode
Musée d’Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur – Paris 7°
Ouverture de 9h30 à 18h du mar. au dim. et jsq 21h45 le jeu.
Fermeture le lun., les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Entrée 12 euros (tarif réduit 9 euros)
Jusqu’au 20 janvier 2013

Images :
Pierre-Auguste Renoir, Danse à la ville, 1883, huile sur toile 180 x 90, Paris, Musée d’Orsay c/ RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Anonyme, Robe de Madame Bartholomé porté dans le tableau d’Albert Bartholomé, 1880, Paris, Musée d’Orsay, don de la galerie Charles et André Bailly, 1991 c/ Musée d’Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt

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Macbeth au Théâtre Ranelagh

Macbeth, mise en scene Philippe PenguySoirées théâtrales contrastées en cette rentrée : d’un vendredi à l’autre, l’on a ainsi pu passer de Valère Novarina, dont L’Atelier volant est donné au théâtre du Rond-Point, à Shakespeare, dont Macbeth est joué au théâtre Ranelagh. La première est d’un ennui abyssal ; la deuxième rappelle que le théâtre peut encore captiver.

Publiée en 1971 et créée en 1974, L’Atelier volant est la première pièce de Novarina. ll la met ici en scène lui-même, et pour la première fois.
Il s’agit d’un texte sur (notamment) l’exploitation ouvrière, les tromperies de la société de consommation et les aberrations du capitalisme en général. Une pièce bien de son époque évidemment mais qui hélas sonne encore fort justement aujourd’hui. Pas plus que le thème, ni la mise en scène ni les comédiens ne semblent en cause dans l’atroce sentiment d’ennui qui pourtant terrasse trop vite le spectateur. Aussi "légitime" soit-il, le texte, imbuvable à l’écrit, passe presque aussi difficilement à la scène, en tout cas en 2012. Dans ses deux premiers tiers, il demeure compréhensible, mais souvent si théorique que l’on peine à s’y intéresser. Le dernier tiers bascule dans le "langage novarinien" comme disent ses admirateurs, c’est-à-dire, pour les autres, dans l’ésotérisme. L’on y comprend goutte, cela s’agite sous nos yeux qui se fatiguent et se ferment ; l’esprit bercé par l’incontinence verbale renonce peu à peu et l’on finit par appeler le sommeil de ses vœux pour abréger le calvaire.
Bref, une soirée à oublier, sauf les prestations des méritants comédiens, dont Olivier Martin-Salvan en M. Boucot et plus encore Myrto Procopiou, impériale et réjouissante (merci !) en affreuse Mme Bouche.

Retour fissa au théâtre classique, donc, pour tenter de raviver la flamme dramatique. C’est plutôt une bonne idée, car voici une production shakespearienne plutôt rare (Macbeth n’est pas souvent monté) et tout à fait réussie.
Ecrite en 1606 et située en Ecosse, Macbeth raconte l’histoire de ce héros (il a bouté les Norvégiens hors du royaume) qui, guidé par les prophéties des sorcières et poussé par son épouse, accomplit pour accéder au trône un premier crime, celui du roi Duncan, suivi de nombreux autres, malgré de terrifiants remords. Texte excellent, tendu comme un arc, que le metteur en scène Philippe Penguy a à peine raccourci en adaptant la traduction de Jean-Michel Déprats. Sa mise en scène est résolument dynamique : il utilise toutes les ressources du théâtre pour agrandir ce qui peut sembler un "petit" plateau pour une pièce comme celle-là. Pour figurer la lande, il recourt à une immense toile au sol dont émergent les trois sorcières en un inquiétant ballet. Pour structurer l’espace, il place un escalier, astuce classique mais ici particulièrement opportune pour situer sans montrer le premier des crimes, celui de Duncan. Les comédiens s’avancent sur un petit proscenium, relié à la salle par un escalier où ils passent à l’occasion, arrivent par les loges côtés… Il y a de la musique (écossaise) jouée sur scène, des costumes en velours noirs tels qu’on les attend, des combats à l’épée bien chorégraphiés.
Les sorcières emballent, fascinant en effrayant comme elles le doivent, et le reste de la distribution est plutôt convaincant. Au-dessus du lot, Agnès Valentin en lady Macbeth est impeccable, tant au début de la pièce où, calculatrice et sans état d’âme, elle pousse son époux au régicide, que dans la scène de somnambulisme où, dévorée par le remords, elle n’est plus que le spectre d’elle-même. L’altier Laurent Le Doyen est un Macbeth d’abord aérien, qui montre bien le contraste entre l’esprit tourmenté de son personnage et les vertus morales de ses anciens amis, eux beaucoup plus terriens et physiques, aussi bondissants que Macbeth est de plus en plus pétrifié par ses terribles forfaits.

Macbeth
De William Shakespeare
Mise en scène et direction artistique : Philippe Penguy
Avec : Laurent Le Doyen, Agnès Valentin, Emmanuel Oger, Anne Beaumond, Lionel Robert, Géraldine Moreau‑Geoffrey, Teddy Melis, Émilie Jourdan, Jean‑Michel Deliers, Denis Zaidman
Création et réalisation costumes et tissu : Marie‑Hélène Repetto
Conception et réalisation décor : Sylvain Cahen
Théâtre Le Ranelagh
5, rue des Vignes – 75016 Paris
Locations : 01 42 88 64 44 ou sur le site du théâtre
M° La Muette ou Passy, RER Boulainvilliers ou Kennedy-Radio-France
Du mar. au sam. à 21 h et le dim. à 17 h – relâches les 25 sept., 2 oct. et 6 nov. 2012
Durée : 1 h 50
Tarifs de 10 € à 35 €

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Canaletto à Venise, c'est au Musée Maillol

exposition canaletto au musee maillol

Inauguration en beauté de la série d’expositions de la rentrée, avec la présentation au Musée Maillol d’une cinquantaine de peintures du plus célèbre des vedutisti vénitiens du XVIII°, Antonio Canal (1697-1768), dit Canaletto, dont un grand nombre sont présentées en France pour la première fois.
Déjà prisées de son vivant et depuis toujours recherchées, ses vues de Venise ont participé à l’image enchanteresse de la Sérénissime, et lorsque l’on a enfin comme ici le loisir d’en admirer plusieurs dizaines à la fois, l’on comprend pourquoi.

Ce qui séduit au premier regard, c’est l’extraordinaire lumière qui inonde ses tableaux. Canaletto est en cela le digne héritier de ses prédécesseurs de la Renaissance vénitienne, tels Titien puis Véronèse, grands maîtres de la lumière.
Qui a la chance d’être allé à Venise retrouvera sur les tableaux du Canaletto les mouvantes clartés de son ciel et les insaisissables nuances de son Grand Canal, que le peintre a pourtant su si bien rendre, jouant sur toutes les teintes de l’onde, du vert céladon au gris ardoise…

Frappe tout autant l’équilibre des compositions, auquel la rigueur architecturale n’est certainement pas étrangère. Le carnet de dessins de Canaletto, qui le temps de l’exposition a exceptionnellement quitté la Galerie de l’Académie où il est jalousement gardé, montre d’ailleurs l’importance du travail sur l’architecture et la perspective dans la préparation des tableaux. L’un des charmes du soin accordé à l’architecture qui en somme fait jeu égal avec le ciel et l’eau est de souligner déjà d’une certaine manière la fragilité de Venise, dont les vastes mais délicats palais semblent érigés et tenir par une sorte de grâce.

Canaletto, le grand escalierPuis, quand on passe un peu plus de temps face aux peintures, ébloui par la douceur des couleurs, à la fois chaleureuses et délavées, mille détails échappés au premier coup d’œil apparaissent ; ici, un couple qui s’embrasse, là des gondoliers à l’œuvre, plus loin des gens qui échangent quelques mots. Souvent, le peintre emploie dans le registre des détails des couleurs tout autres, comme le noir, mais surtout le rouge vif, qui vient se poser sur le bonnet d’un marinier, la culotte d’un promeneur ou la jupe d’une dame.

Mais cette splendide exposition réserve d’autres surprises. Outre le fameux carnet de dessins, le Musée présente la chambre optique avec laquelle Canaletto travaillait. L’on y découvre aussi un aspect moins connu de l’oeuvre du vidutista : les gravures, qui montrent des endroits moins célèbres de la lagune et soulignent le mouvement des personnages. C’est peut-être en observant ses gravures et leurs lignes sinueuses que l’on perçoit mieux l’aspect vivant des tableaux de Canaletto.
A signaler enfin, une curiosité baptisée "Caprice", où Canaletto a peint une Venise imaginaire : une "vue" du pont du Rialto, mais d’après le projet de Palladio. Un aspect surnaturel inattendu, et que la lumière jaune dans laquelle baigne le tableau renforce.

Canaletto à Venise, c’est au Musée Maillol
Musée Maillol
59-61, rue de Grenelle – Paris 7°
M° rue du Bac, bus 63, 68, 69, 83, 84
TLJ de 10h30 à 19 h, le ven. jsq 21 h 30
Entrée 11 € (TR 9 €)
Jusqu’au 10 février 2012

Images :
Antonio Canal dit Canaletto, L’entrée du Grand Canal vue de la Piazzetta, 1730, huile sur toile, Grande-Bretagne, Knutsford, The Egerton of Tatton Park © NTPL/John Berthell
Antonio Canal dit Canaletto, L’escalier des Géants du Palazzo Ducale, 1755-1756, huile sur toile, Grande-Bretagne, Alnwick, Collection of the Duke of Northumberland ©Collection of the Duke of Northumberland

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Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra de Paris

Les contes d'Hoffmann, mise en scène Robert Carsen

Ce vendredi était donnée à l’Opéra Bastille la première représentation de la saison des Contes d’Hoffmann dans la production de Robert Carsen créée en mars 2000.
A tous points de vue, ce fut une soirée inoubliable.

La mise en scène de Carsen, qui a succédé notamment à Patrice Chéreau en 1974 et à Roman Polanski en 1992, est un ravissement. Elle enracine l’aspect littéraire des Contes, en positionnant l’ensemble de l’opéra dans un théâtre. Robert Carsen joue ainsi deux cartes à fond, d’une part celle du clin d’œil – pour ne pas dire l’hommage – d’Offenbach à Mozart avec la représentation de Don Giovanni qui encadre l’histoire, et d’autre part celle de l’illusion de l’amour, en montrant en permanence les dessous du décor, comme pour rappeler à chaque instant que toutes les histoires d’amour ne sont que jeux d’apparence trompeurs qui ne mèneront qu’à la désillusion. Sa mise en scène fait enfin sa juste part au fantastique et à la balance des sentiments, tantôt gais, tantôt déchirants, qui participent au charme du célèbre opéra.

Le prologue qui voit les amis d’Hoffmann se réunir au café pour écouter ses contes est une merveille de joie, teintée d’un peu d’inquiétude et d’ironie, vu l’état d’ébriété d’Hoffmann, mais aussi de la suite qui s’annonce. Le bar est magnifique, les chorégraphies parfaites, la musique et les voix, y compris les chœurs exactement en place : cela démarre fort.
L’apothéose du plaisir vient au premier acte, au cours duquel la canadienne Jane Archibald nous offre une Olympia mécanique aussi talentueuse que tordante ; celle de l’émotion au deuxième où Antonia interprétée par la Portoricaine Ana Maria Martinez, plongée dans la pénombre de la fosse, errant entre les instruments, nous bouleverse quand sa défunte mère apparaît au dessus d’elle dans une lumière lunaire presque surnaturelle. Il y a là peu après l’un des plus émouvants trios qui soient.

La direction, le sens du jeu et surtout l’homogénéité des voix ne sont pas pour rien dans cette réussite. Les sopranos Jane Archibald et Ana Maria Martinez (Olympia et Antonia), la mezzo-soprano américaine Kate Aldrich dans les rôles de La Muse et du compagnon Nicklausse, la Française Sophie Koch, mezzo également dans celui de Giulietta, le ténor Stefano Secco dans celui d’Hoffmann, le baryton niçois Franck Ferrari dans les terribles rôles de Lindorf, Coppélius, Dapertutto et dr Miracle, sans oublier bien sûr le baryton toulousain Jean-Philippe Lafont (dans ceux de Luther et de Crespel le père d’Antonia) mirent dans leurs sublimes interprétations, seuls ou ensemble, une générosité qui enthousiasma un public ravi de sa rentrée lyrique.

Les Contes d’Hoffmann
Un opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue
de Jacques Offenbach (1819-1880)
Livret de Jules Barbier d’après le drame de Jules Barbier et Michel Carré
Créé à l’Opéra-Comique de Paris le 10 février 1881

Direction musicale : Tomas Netopil
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Michael Levine
Lumières : Jean Kalman
Mouvements chorégraphiques : Philippe Giraudeau
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert

Distribution :
Jane Archibald Olympia
Sophie Koch Giulietta
Ana Maria Martinez Antonia
Kate Aldrich La Muse, Nicklausse
Qiu Lin Zhang Une voix
Stefano Secco Hoffmann
Fabrice Dalis Spalanzani
Cyrille Dubois Nathanaël
Jean-Philippe Lafont Luther, Crespel
Eric Huchet Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz
Franck Ferrari Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Miracle
Damien Pass Hermann
Michal Partyka Schlemil

Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris

Durée 3 h 30 avec 2 entractes
Places de 5 euros à 180 euros
Jusqu’au 3 octobre 2012
Opéra National de Paris – Opéra Bastille

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Laurent Grasso. Uraniborg au Jeu de Paume

Laurent Grasso, Jeu de PaumeCette exposition, parce qu’elle est la première d’envergure du Français Laurent Grasso, sera pour beaucoup une révélation.

Que ceux qui ignorent son travail s’y rendent sans délai – attention, elle finit le 23 septembre – car l’on affaire à un grand artiste, si l’on accepte de qualifier ainsi celui qui, en nous en offrant une lecture à la fois singulière et universelle, re-créé le monde, voire l’univers.

Le dispositif paraît sophistiqué ; l’appréhension en est pourtant fort simple.
Le parcours présente deux axes, que l’on suit ensemble sans se poser de questions. D’un côté, ce sont des oeuvres "matérielles", d’un autre, des films.

Dans la première catégorie, extrêmement bien mis en scène, points de lumière plongés dans l’obscurité que l’on observe à travers de petites ouvertures comme l’on découvrirait le contenu d’un cabinet de curiosités, ce sont des peintures (de la main de l’artiste) façon Renaissance italienne ou des pays du Nord, mais avec quelques détails anachroniques – si peu finalement – ; ce sont des livres (comme une édition originale de De re militari de Roberto Valturio de 1483, ou un livre d’astronomie daté de 1646, italien également) ; le fragment d’une vipère enroulée en terre vernissée de Bernard Palissy (1560) ; ou encore une inscription au néon prévenant Visibility is a Trap (Le visible est un piège)…

Dans la seconde catégorie, cinq films de Laurent Grasso réalisés entre 2008 et 2012, d’une durée de 15 mn environ chacun, que l’on peut regarder (notamment) dans des salles dédiées. L’un montre le jardin extraordinaire de Bomarzo en Italie, peuplé de sculptures aussi monumentales que fantastiques issues de de la mythologie ; un autre des nuées d’étourneaux mouvantes dans un ciel romain aux couleurs somptueuses ; un autre offre tour à tour les étoiles, la lune, la mer et le soleil à partir de l’île de Ven située entre le Danemark et la Suède. Le 4ème suit le vol d’un faucon à l’aide d’une caméra attachée au volatile, quelque part au dessus de paysages désertiques d’Arabie, tandis que le dernier filme la côte de Carthagène au sud de l’Espagne et ses installations militaires plus ou moins dissimulées.

Uranibord, GrassoLe propos de l’exposition tourne autour de la perception, du visible et du caché ; de l’observation et des croyances.
Ce que l’on voit est avant tout d’une admirable cohérence : historique, avec un ancrage puissant dans la Renaissance, qui a modelé notre culture, nos connaissances, notre perception de l’espace et de sa représentation. Cohérence aussi de l’objet montré, qui n’est pas moins que le cosmos, avec l’intervention des dieux dans la vie terrestre, dans le jardin créé par le comte Orsini au XVIème siècle et ses drôles de créatures dans le premier film ; avec le ciel dans les trois suivants, exploré avec les télescopes autant qu’à travers le vol des oiseaux ; mais aussi la mer, que ce soit au large de l’île de Ven ou au bord des côtes espagnoles.

Uranibord nous emmène dans le royaume de la curiosité, de l’observation, de la découverte et du mystère propre aux XV° et XVI° siècles européens. Dans celui du rêve aussi, et de l’imaginaire (fortement sollicité devant les nuées d’oiseaux migrateurs filmés depuis la Villa Medicis), dans celui de la contemplation enfin face aux mondes céleste, marin et minéral. Un peu comme si Laurent Grasso avait aboli les frontières historiques comme géographiques, nous invitant à regarder ce qui est et à deviner ce qui se cache, avec un esprit libre de toute limite et disponible à toutes les re-créations visuelles.

Laurent Grasso. Uraniborg
Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Le mardi de 11 h à 21 h, du mer. au dim. de 11 h à 19 h
Entrée de 5,50 € à 8,50 €
Jusqu’au 23 septembre 2012

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