Whatever Works. Woody Allen

Whatever works, Woody AllenBeaucoup ont applaudi le retour de Woody Allen à Manhattan, se sont réjouis du côté délicieusement vintage de Whatever Works.

Appréciation vraie, mais qui en même temps a tendance à balayer un peu vite la réussite de ses films précédents, les "Européens", en particulier le dernier de la série, Vicky Cristina Barcelona. Il avait une fraîcheur revigorante, due en partie à la grâce de ses actrices, mais aussi à son scénario bâti autour de ces Américaines qui découvraient avec ingénuité et tonicité une Espagne de carte postale, dont les reliefs n’étaient pas pour autant des plus attendus.

Avec Whatever Works, notre so New-Yorkais revient au bercail et si cela lui va très bien, si on passe avec ce film un moment extra, il faut tout de même reconnaître que c’est cette fois un Woody Allen beaucoup plus convenu que les précédents. Il ne s’agit pas de bouder son plaisir, mais le revers de la tradition retrouvée a une couleur quelque peu sépia…

L’histoire est celle d’un septuagénaire grincheux, hypocondriaque et misanthrope, mais non dénué de génie (génie pour quoi ? est l’une des questions du film ; on sait très vite qu’il a quand même raté de peu le Prix Nobel de physique). Notre Boris, donc – un double de Woody Allen incarné par Larry David de façon très convaincante – rencontre (ou plutôt est alpagué par) une gamine de vingt ans tout fraîchement débarquée de sa province, aussi idiote que ravissante. Comme elle a tout à apprendre, de New-York comme de la vie, elle s’attache à ce lucide vieux cinglé, adopte à sa façon sa vision désabusée et lui demande de l’épouser. Il refuse, puis il accepte, les voilà mariés et peu après débarquent les beaux-parents, séparément puisqu’ils sont désormais séparés, mais aussi ploucs républicains dégoulinants de religiosité l’un que l’autre. C’est ainsi que la galerie de portraits hilarants se complète, au fil de dialogues jubilatoires de bout en bout.

Mais ce que Whatever Works a de profondément séduisant tient en même temps à la petite philosophie qui s’en dégage, dont la pierre fondamentale est posée d’emblée par notre physicien de génie (voici donc la réponse à la question initiale) : Le tout est que ça marche. Ce qui n’est dit qu’au fur et à mesure du film, c’est l’implicite de la maxime : "Le tout est que ça marche… ici et maintenant en tout cas". Alors l’union d’une écervelée et d’un nobellisable, OK, tant que ça marche. Et le reste, idem.
Mais s’il se trouve que la vie – "le destin" ! – fait évoluer les choses, et bien tant pis, et bien tant mieux, tout est bouleversé, les personnes changent de point de vue, d’idées, d’envies, de vie… "le tout est que…".
Bref, Woody Allen ouvre ici grand la porte au hasard, fait de son anti-héros associable et angoissé un philosophe qui accepte les événements tels qu’ils viennent, et délivre dans ce film une morale des plus vivifiantes, où rien ni personne n’est figé, où ce qui fait évoluer, les surprises et les rencontres constituent tout le sel de l’existence.

Whatever Works
Une comédie de Woody Allen
Avec Larry David, Evan Rachel Wood, Ed Begley Jr., Patricia Clarkson, Henry Cavill, Michael McKean…
Durée 1 h 32

Facebooktwitter

Les mondes de l'Islam à Madrid

Los mundos del Islam en la coleccion del Museo Aga KhanMagnifique exposition à la Fondation La Caixa à Madrid, qui, autour d’une sélection de cent-quatre-vingt oeuvres issues de la collection du futur Musée de l’Aga Khan de Toronto, embrasse l’art des différentes dynasties historiques du monde islamique.

Ce sont ici plus de mille ans que l’on traverse, découvrant ou redécouvrant les différents styles, matériaux et techniques sur les diverses aires d’influence de l’islam.

Le parcours débute avec l‘al-Andalus de l’Espagne, en suivant les pérégrinations de Cordoue et du Maghreb au Proche-Orient, avec le voyage à La Mecque et les routes qui menaient les étudiants et les érudits à Damas et à Bagdad pour y enrichir leur culture.
Après avoir exploré les développements de l’art islamique en Egypte, en Anatolie, en Syrie, en Iran… il s’achève avec l’Empire Mongol en Inde à partir du XVI° siècle.

Autant de splendeurs, pages de livres légendes illustrés, bassins et candélabres sculptés, étoffes, céramiques ornées aux couleurs lumineuses de vert, d’or et de bleu, aux motifs géométriques et végétaux à défaut d’autres figurations possibles. Naturellement, l’écriture apparaît comme l’ornementation la plus courante.
D’ailleurs, tout un espace de l’exposition est dédié au Coran, à ses différents supports manuscrits (à partir du Xème siècle, le papier remplace le parchemin, mais ces supports pouvaient aussi être des feuilles de châtaignier, des pierres ou des coquillages) et aux divers styles calligraphiques (indien, qatar, mongol, safavi…), dont les possibilités de création paraissent infinies.
L’importance du Coran comme source d’inspiration se retrouve au demeurant tout autant dans les objets mobiliers que dans l’architecture, dont on peut également admirer des éléments.

Progressif, documenté et fourni, le parcours de l’exposition se suit comme un voyage à travers le temps et les continents, et se vit à Madrid avec le regard curieux et attentif d’un pays sur un pan riche de son histoire.

Los mundos del Islam
Jusqu’au 6 septembre 2009
CaixaForum Madrid
Paseo del Prado, 36 – 28014 Madrid
TLJ de 10 h à 20 h
Entrée libre

Image : Libro de los Reyes del Shah Tahmasp. Irán, s. XVI (c) Aga Khan Trust for Culture

Facebooktwitter

Loin de Paris ? Plein d'expos encore !

Ailleurs qu’à Paris, les propositions ne manquent pas pour passer cet été tout en culture.

Rappelons tout d’abord la singulière exposition présentée en diptyque Dream-Time, temps du Rêve, Grottes, Art Contemporain & Transhistoire, un pan à Toulouse et l’autre dans l’Ariège, dans la grotte du Mas d’Azil, vivement conseillée par Andreossi.

Toujours dans le sud, il faut absolument passer par le magnifique pays cathare, et en profiter pour faire une halte au village de Montolieu : tout près de Carcassonne, s’y concentrent dans une belle humeur de nombreuses librairies – principalement de livres anciens mais sans exclusive. Ce sera peut-être pour vous l’occasion de découvrir les œuvres sur papier de Joan Jordà, peintre d’origine espagnole marqué par l’exil à la suite de la Guerre Civile et les violences totalitaires (jusqu’au 30 septembre, au Musée des Arts et Métiers du Livre).

Tout ailleurs, bien plus près de la capitale, à Giverny, vous avez jusqu’au 15 août pour vous délecter, au nouveau Musée des Impressionnismes, de l’exposition Le jardin de Monet à Giverny : l’invention d’un paysage. A partir du 23 août, ce même musée accueillera un grand peintre de l’abstraction lyrique, Joan Mitchell, ce qui ne devrait pas être mal non plus…
Pourquoi ne pas pousser encore un peu plus vers le Nord pour aller voir des dessins du sculpteur Charles Gadenne, présentés au LAAC de Dunkerque jusqu’au 20 septembre prochain ?

A l’étranger ? Direction l’Espagne : au Musée Guggenheim de Bilbao, l’exposition Cai Guo-Qiang : Je veux croire y est visible jusqu’au 6 septembre.
Quant à PHotoEspaña 2009, festival de photos et d’art visuel madrilène largement recommandé dans ces pages, bien de ses expos durent encore tout l’été (voir dans ce sens le billet du 15 juillet dernier). Quitte à être à Madrid, profitez-en pour visiter Les mondes de l’Islam, à la Fondation de La Caixa, où est réunie une splendide sélection de 180 œuvres issues de la très riche collection de l’Aga Khan.

A voir à Berlin en ce moment au Deutsches Historisches Museum (jusqu’au 6 août) : l’exposition 1989-2009. Le Mur de Berlin. Artistes pour la la Liberté, un choix fait par Sylvestre Verger à l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de berlin : les 40 oeuvres présentées sont des fragments de 1 m sur 1,20 m prélevés dès 1990 sur le mur sécuritaire et qui ont servi de support à des créations d’artistes internationaux comme Daniel Buren, Richard Long, Robert Longo, Arman… Après avoir été montrée en mai et juin 2009 dans les jardins du Palais Royal à Paris, l’exposition sera visible à Moscou aux mois de novembre et décembre 2009.

Pour finir avec chic et fraîcheur, on nous signale trois expositions autour du Lac Léman cet été qui s’attarderont jusqu’à l’automne : Rodin et les arts décoratifs au Palais lumières d’Evian (jusqu’au 12 septembre), De courbet à Picasso au Musée Pouchkine de Moscou à la fondation Gianadda (jusqu’au 22 novembre) et Passions partagées, 25 ans de la fondation de l’Hermitage jusqu’au 25 octobre.

Voyageurs d’un jour ou de l’été, bien du bon temps à toutes et à tous !

Image : Charles Gadenne, sans titre, 2002, collection de l’artiste Jacques Quecq d’Henriprêt

Facebooktwitter

DreamTime. Temps du rêve. Grotte du Mas d’Azil

Exposition au Mas d'AzilAprès l’univers des grottes évoquées (voire reconstituées) par l’art au Musée des Abattoirs de Toulouse, nous voici dans cette cavité aux volumes imposants qui accueille les œuvres des mêmes artistes : la grotte du Mas d’Azil en Ariège.

Voûte bien vaste ouverte par la rivière ancienne, où passent même les automobiles, sans se douter qu’elles longent les « favelas d’Azil » de Pascale Marthine Tayou, faites de centaines de petites maisons de carton, accrochées à la pente.
Bien au-dessus de la rivière, comme tracé à la craie, un dessin qui rappelle à la fois les thèmes des aborigènes d’Australie et le relevé topographique d’un réseau souterrain est projeté sur le plafond de la voûte.
Dans la fraîcheur et l’opacité du monde sous terre, Delphine Gigoux Martin a pensé à l’éclairage : deux lustres de tessons de bouteilles ont attiré les papillons pendant que l’ombre de chauves souris tourne sans cesse. La salle du chaos est immense, et permet l’installation de plusieurs œuvres. Les plus frappantes sont celles de David Altmejd. Sept êtres fantastiques, plus ou moins ailés, ressortent terriblement blancs, juchés sur des hauteurs différentes, en attente du visiteur qui vient chercher l’aire de départ pour le rêve. Paul-Armand Gette ne déroge pas à sa réputation, sa photo de figue ouverte fait bien écho à un thème exploré par les spécialistes de l’art pariétal : la représentation symbolique des sexes. Jean-Luc Parant a profité d’une pente naturelle pour installer au sommet un « Parantosaure », pondant des milliers d’œufs qui dévalent la pente. Les bronzes de Miquel Barceló sont posés sur le sol du petit musée et renvoient aux objets archéologiques de la vitrine.

Exposition Dream Time au Mas d'AzilCharley Case et Thomas Israel ont assimilé un des caractères de la peinture paléolithique : son apparence mouvante, lorsque la figure, qui a profité des reliefs de la paroi, semble bouger à la lumière vacillante des torches. Ici, point de torches, mais une vidéo intègre astucieusement dans le creux de la roche l’image d’une femme qui donne la vie. Sur une surface plus plane, passe une femme nageant. Une belle réussite. On retrouve dans un coin de la « salle des chamans » le travail de Serge Pey avec ses bâtons de mots et ses dessins à la craie. Les trois squelettes d’ours des cavernes de Mark Dion surgissent grâce à leur peinture fluo et Virginie Yassef nous fait vivre l’orage tellurique juste avant de revenir à la lumière du jour.

L’amateur d’art contemporain se déplace ici dans un milieu inhabituel : la température, qui reste basse, l’impression d’humidité, les odeurs de roche, l’irrégularité du sol. Les œuvres, du coup, se respirent autrement. Parfois, cet amateur devra s’échapper quelque peu de l’emprise des sympathiques guides de la grotte, dont le rôle premier est de conter la préhistoire…

DreamTime. Temps du rêve
Grotte du Mas d’Azil
09290 Le Mas d’Azil – Tél : 05 61 69 97 71
Jusqu’au 11 novembre 2009
Visites guidées de la Grotte et de l’exposition DreamTime :
En juillet et août,TLJ de 10h à 18h
En septembre, du mar. au dim. de 10h à 12h et de 14h à 18h
Visites libres de la Grotte et de l’exposition DreamTime :
En juillet et août, TLJ de 10h à 13h et de 17h à 18h30
En septembre du mar. au dim. 10h à 12h et de 16h30 à 18h
Visites guidées spécifiques « Art contemporain – DreamTime » :
En juillet et août TLJ à 17h
Tarifs : Adultes : 6,10 € (TR 4,60 €), enfants de 6 à 15 ans : 3,10 €

Cette exposition est présentée parallèlement à celle du Musée des Abattoirs de Toulouse (lire le billet du 1er juillet 2009), où sont présentés les travaux préparatoires ainsi que des œuvres existantes des mêmes artistes ou des productions conçues en écho à la grotte du Mas-d’Azil. Une contremarque « DreamTime » donnant droit au tarif réduit pour l’entrée de la Grotte est remise aux visiteurs du Musée des Abattoirs et inversement.

Facebooktwitter

PHotoEspaña. Zhao Liang. Escenas urbanas

Zhao Liang, escena urbana, photoespana 2009A Madrid, l’historique et magnifique centre culturel Círculo de Bellas Artes (expositions, théâtre, concerts, cinéma, conférences, récitals de poésie… sans compter librairie et très agréable café) accueille dans le cadre de PHotoEspaña 2009, outre le Français Patrick Faigenbaum et le Tchèque Jindrich Styrsky, le chinois Zhao Liang à travers sa vidéo City Scenes (Escenas urbanas).

Ce documentaire de 33 minutes montre de courtes scènes du quotidien qui nous plongent dans un univers effrayant, où l’homme se trouve décalé, devenu étranger dans une ville qui s’est développée sans lui, au point de constituer pour ses habitants une menace.
On voit ainsi des employés de bureaux déjeuner à même le sol, sous l’énorme pile d’un pont de béton, au milieu d’artères de circulation gigantesques.
Dans un terrain vague, entre des lignes électriques et des immeubles immenses, un homme seul, jeune, attrape un parpaing, fait quelques pas en titubant, avant de le jeter devant lui. Il le reprend, marche, recommence. Perdu mais une avec sorte d’impuissante révolte, bouleversante.
Madrid, circulo de bellas artes, terrasse café
Citadins bien habillés ici, pauvres là, parlant dans le vide, errant, assis sur le trottoir, dans un wagon de métro… Solitude extrême dans un univers de buildings, de grues et de pelles mécaniques à perte de vue dans un brouillard de pollution omniprésent. Scènes de violence aussi, la nuit, histoires sans parole dont le résultat s’étale sous nos yeux, implacable : un homme étendu, abandonné, comme laissé mort.
On est pris de malaise devant cet essor économique, cette urbanisation exponentielle dont l’humanité, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, semble la première exclue.

Zhao Liang. Escenas urbanas
PHotoEspaña 2009
Círculo de Bellas Artes
Alcalá 42 – 28014 Madrid
Jusqu’au 26 juillet 2009
Du mardi au samedi de 11 h à 14 h et de 17 h à 21 h
Le dimanche de 11 h à 14 h

Images : Zhao Liang. City Scenes
et terrasse du café du Círculo de Bellas Artes

Facebooktwitter

PHotoEspaña. Dorothea Lange. Los años decisivos

Dorotea Lange, los anos decisivos, photoespana 2009Comment clôturer cette série de billets dédiés à au festival PHotoEspaña 2009 à Madrid sans évoquer la magnifique rétrospective consacrée à Dorothea Lange au Museo de colecciones ICO ?

Les 140 tirages relatent son travail des années décisives, 1930 et 1940 dans les Etats-Unis en crise.

Les plus connus sont ceux montrant les conséquences de la grande dépression de 1929, où l’on voit des files d’attentes pour trouver un emploi, la misère dans laquelle se retrouvent un grand nombre d’Américains, les déplacements de travailleurs du monde agricole.

L’empathie et le regard humaniste de Dorothea Lange semblent tout entier concentrés dans les portraits ultra-célèbres de cette Mère migrante entourée de ses enfants, dans la pauvreté et la détresse la plus absolue, dont le visage est déjà marqué par de profonds sillons alors qu’elle est âgée d’à peine trente ans.

Beaucoup moins connue en revanche est la série consacrée au déplacement forcé des personnes d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Le gouvernement décide en effet de regrouper et d’interner dans des camps tous ces hommes, femmes et enfants, même ceux de citoyenneté américaine. Dans un contexte de racisme anti-japonais affiché, des familles entières sont forcées des plier bagage, de quitter leurs biens pour aller s’entasser dans des centres précaires.
De format beaucoup plus réduit, ces photos sont tout aussi poignantes tant elles montrent elles aussi la résignation et la souffrance. Si ces images sont restées longtemps cachées, c’est parce qu’elles étaient bien peu glorieuses pour l’image de marque du gouvernement. C’est d’ailleurs la première fois, ici à Madrid, plus d’un demi-siècle après qu’elles aient été prises, que ces 28 photographies sont exposées.

Dorothea Lange. Los años decisivos
PHotoEspaña 2009
Jusqu’au 26 juillet 2009
Museo de colecciones ICO – Zorrilla, 3 – 28014 Madrid
Du mar. au sam. de 11 h à 20 h et le dim. de 10 h à 14 h

Image : Dorothea Lange, Migrant mother, © Dorothea Lange

Facebooktwitter

PHotoEspaña. Años 70. Fotografía y vida cotidiana

William Eggleston, anos 70, photoespana 2009, Madrid
Dans l’immense Centro de Arte de la Fundación Banco Santander à Madrid (Teatro Fernán Gómez), PHotoEspaña 2009 présente une passionnante exposition réunissant une vingtaine d’artistes qui dans les années 1970 se sont consacrés au thème du quotidien. Dans cette prolifique veine de la photographie du "commun", la singularité des artistes fait mouche. Et la diversité de l’ensemble transforme la visite de ce "banal" en un enchaînement de surprises et de reliefs.

L’espagnole Fina Miralles montre ainsi des moments insignifiants, de ceux où l’on n’accomplit aucune action importante, sans même faire rien de particulier, mais qui sont certainement les plus fréquents et parfois même les plus agréables de la vie : toucher le bois de la rampe d’escalier, regarder le soleil par la fenêtre, se laver, boire, respirer…

Christian Boltanski, lui, a constitué L’album photographique de la famille D.. Dans cet ensemble de photos de la famille de l’artiste Marcel Durand, les plus ordinaires qui soient (tous les membres alignés en rang d’oignon pour les besoins de la cause ; famille dans le jardin, à la plage ; repas…), on a l’impression de voir les clichés éculés de sa propre famille. Sous nos yeux, le particulier devient quelconque, mais immensément partagé, tellement inscrit dans un temps et une société donnés…

Karen Knorr, photoespana 2009, anos 70Quotidien vu très différemment avec Karen Knorr et sa série Belgravia : ici est montrée la bourgeoisie anglaise cantonnée dans une zone résidentielle du centre de Londres. Chaque photo est accompagnée d’un texte court qui n’en est pas la description, mais résulte de l’entrevue au cours de laquelle le cliché a été soigneusement préparé. La tranquillité, l’assurance, pour ne pas dire l’arrogance d’une situation et d’un mode de vie privilégiés sont mis en scène avec revendication. Un homme assis dans une chambre tirée à quatre épingles (couvre-lit, tête de lit, murs et plafonds tendus du même tissu) affirme : "Chaque matin, je me lève et je fais 50 pompes. Je mange du müesli et du germe de blé au petit déjeuner. Tu es ce que tu manges."

Il est impossible de citer tous les grands artistes présents dans cette captivante exposition-fleuve : y sont ainsi notamment réunis des clichés très seventies de l’Américain William Eggleston mais aussi de belles et mystérieuses photos de rue du Tchèque Viktor Kolar.

La série Les dormeurs de Sophie Calle mérite elle aussi une jolie petite pause.
Du 1er au 9 avril 1979, elle a invité chez elle 28 hommes et femmes à dormir à tour de rôle pendant 8 heures dans son propre lit (elle exclue, bien entendu…). Sophie Calle observe, photographie, note les mots, les occupations et le sommeil de chacune de ces personnes qui ne font que se croiser à chaque "relève". Faisant la narration écrite et photographique de cette réalité-fiction, elle montre comment ses "invités", certains connus d’elle, d’autres pas, non seulement se comportent pendant l’expérience, mais aussi ce qu’ils en disent avant et après. On voit un tout jeune Fabrice Luchini succéder à une jeune belle personne. Petite conversation à l’occasion de cette "passation de lit" ; commentaire de Sophie Calle : "L’entretien commence de bonne humeur et finit dans la tension ; Béryl semble agacée". Le dernier dormeur est Roland Topor, venu accompagné. Il s’est ainsi décrit : "Roland Topor, pseudonyme de Jean-Pierre Clément. Célibataire à la force du poignet. L’âge… 40… 2 ans"

Años 70. Fotografía y vida cotidiana
Jusqu’au 26 juillet 2009
PHotoEspaña 2009
Teatro Fernán Gómez – Centro de Arte de la Fundación Banco Santander
Plaza de Colón 4 – 28001 Madrid
Du mar. au sam. de 10 h à 21 h et le dim. de 10 h à 19 h

Images : William Eggleston. Los setenta Volumen dos 1970
et Karen Knorr, Belgravia

Facebooktwitter

Pour les Parisiens de l'été : beau choix d'expos !

Exposition Maurice Utrillo et Suzanne Valadon à la Pinacotheque de ParisFaire le plein de culture pendant l’été à Paris, c’est possible, et même chaudement recommandé !

Pas mal d’expositions se prolongent encore, comme au Musée d’Orsay, où on peut voir jusqu’au 23 août Italiennes modèles : Hébert et les paysans du Latium et L’Italie des architectes. Du relevé à l’invention.
Surtout, il ne faut pas y manquer l’époustouflante exposition des collages originaux de "Une semaine de bonté" de Max Ernst : l’occasion de les admirer dans leur ensemble ne se représentera peut-être pas de si tôt (Orsay, jusqu’au 13 septembre).

Il ne reste en revanche plus que quelques jours pour profiter de l’exposition Filipo et Filippino Lippi. La Renaissance à Prato au Musée du Luxembourg (elle ferme le 2 août), et s’y régaler des trois grands et splendides tableaux religieux de Lippi père, dont la célèbre Vierge à la ceinture.

Le temps commence à presser aussi pour découvrir la plus belle exposition de peinture vue ces derniers mois à Paris : la rétrospective Kandinsky organisée au Centre Pompidou jusqu’au 10 août – car ensuite, en septembre, il faudra aller au Guggenheim de New-York pour la voir…

N’oublions pas non plus, toujours en peinture, le chouette feuilleton Au tournant du siècle à Montmartre que nous propose la Pinacothèque de Paris autour du couple mère-fils Valadon-Utrillo jusqu’au 15 septembre. A noter que durant l’été, le musée organise des visites-ateliers pour les enfants (les mercredis et samedis à 14 h et 16 h, sur réservation) et, les 5 août et 2 septembre des soirées culturelles avec la projection du film de Sacha Guitry Donne-moi tes yeux au cinéma 5 Caumartin.

Côté photos, toutes les occasions sont bonnes pour aller faire le plein du très chéri HCB : Henri Cartier-Bresson à vue d’œil à la Maison européenne de la photographie en est une excellente (jusqu’au 30 août).

A signaler aussi, non vue encore, mais a priori passionnante, l’exposition du Musée des Arts et Métiers présentée jusqu’au 18 octobre 2009, L’avion de l’exploit : 1909, Louis Blériot traverse la Manche. Elle retrace la grande première réalisée par Louis Blériot le 25 juillet 1909, à bord du Blériot XI, un avion qu’il avait lui-même conçu. Cet appareil est suspendu sous la voûte de l’église Saint-Martin-des-Champs réaménagée pour l’occasion, ce même avion qui a permis de franchir les 38 km séparant l’Angleterre du continent il y a cent ans. Le parcours est dédié à Blériot, à ses recherches et à ses innovations techniques, mais aussi à l’évocation poétique et à la place de l’imaginaire dans la conquête de l’air…

Bref, Parisiennes, Parisiens, très bel été à toutes et à tous !

Facebooktwitter

Train de nuit pour Lisbonne. Pascal Mercier

Train de nuit pour Lisbonne, Pascal MercierUn livre peut-il changer le cours de la vie ? Assurément oui pour Raimond Gregorius, professeur de littérature ancienne, proche de la soixantaine, qui découvre dans une librairie la phrase : « S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une petite partie de ce qui est en nous –qu’advient-il du reste ? ».

Il vit à Berne depuis longtemps, le livre qu’il vient de découvrir est écrit en portugais, langue qu’il ne comprend pas. Mais une femme, rencontrée brièvement plus tôt, est Portugaise. Deux bonnes raisons pour prendre le train de nuit pour Lisbonne dès le lendemain. Ses quêtes ne vont pas aboutir de la même façon.

Il arrive à approcher la figure du poète, en menant une enquête patiente auprès des personnes qui l’ont connu. Il se passionne de plus en plus pour une œuvre et un personnage qu’il arrive à traduire en apprenant la langue. Amadeu do Prado est mort, mais les témoins de sa vie, particulièrement ceux de sa famille, souvent hauts en couleur, permettent de reconstituer un portrait fascinant de cet homme qui a été médecin, écrivain, philosophe. Sans cesse Gregorius passe de la trace écrite aux souvenirs laissés par l’écrivain, au risque de rendre l’image de plus en plus complexe. Quand à la Portugaise du début du livre, nulle nouvelle.

Si Raimond Gregorius s’intéresse tant à l’œuvre d’Amadeu, c’est qu’elle fait profondément écho à sa vie intérieure. L’ombre de Fernando Pessoa, l’écrivain des identités multiples, n’est jamais bien loin, en particulier dans sa dimension temporelle lorsque Mercier fait écrire à Amadeu : « Et la confiance craintive que je lis dans les regards de ceux qui cherchent de l’aide me force à y croire tant qu’ils sont devant moi. Mais à peine sont-ils partis que je voudrais leur crier : je suis quand même encore ce garçon anxieux sur les marches de l’école, c’est totalement sans importance, c’est même un mensonge que je sois assis en blouse blanche derrière l’énorme bureau et que je distribue des conseils, ne vous laissez pas tromper par ce que nous appelons, avec une superficialité ridicule, le présent ».
Pascal Mercier nous donne l’occasion de belles rencontres : ses personnages, la ville de Lisbonne, la réflexion sur le temps. Le tout intimement mêlé avec beaucoup de talent.

Train de nuit pour Lisbonne
Pascal Mercier
Editions Maren Sell, 2006 (visiblement épuisé)
Disponible chez 10/18 depuis 2008 (10 €)

Facebooktwitter