Valse avec Bachir. Ari Folman

Valse avec Bachir, Ari FolmanComment traverser Valse avec Bachir sans être profondément ému par l’histoire singulière que le documentaire raconte, celle du massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth-Ouest, mais aussi par la portée universelle qu’elle contient ?

En septembre 1982, quelques jours après l’assassinat du président libanais Bachir Gemayel, les Phalangistes chrétiens entrent dans les camps de réfugiés palestiniens Sabra et Chatila au motif d’en éliminer les éléments terroristes. Le lendemain, l’on découvre qu’un véritable massacre a été perpétré, y compris contre de nombreux civils, hommes, femmes et enfants. Aux portes des camps, des soldats israéliens sécurisaient l’intervention. Au fil des heures, certains ont compris qu’une tuerie se déroulait à l’intérieur.

Le narrateur faisait partie de ces soldats israéliens en poste devant les camps. Plus de vingt après, il réalise qu’il a tout oublié de la période de la guerre du Liban.
Une scène vient pourtant le hanter : dans la nuit éclairée par des fusées, il se retrouve avec d’autres soldats, nus dans la mer au pied d’immeubles criblés de balles. Lui et ses camarades sortent lentement de l’eau, remettent leur kaki et reviennent vers la ville en guerre.
A partir de cette image, il essaie de reconstituer les évènements auxquels il a participé et les actes qu’il a commis, se faisant aider par un ami psychanalyste, allant à la rencontre des hommes qui étaient avec lui, les interrogeant, écoutant leurs souvenirs.

Tout à fait original (premier documentaire d’animation), Valse avec Bachir est d’une esthétique remarquable. Le jaune et le noir de la scène fondamentale – celle qui n’a jamais existé réellement, mais révélatrice de la peur et de la culpabilité encaissées – marquent durablement. Au dessin, sobre et stylisé, poussant parfois jusqu’à la poésie et l’onirisme, Ari Folman associe des musiques évocatrices de la jeunesse des années 1980 avec beaucoup de justesse, et suit de bout en bout une narration impeccablement écrite.

Mais son film est aussi admirable en ce qu’il dépasse l’histoire (de Sabra et Chatila) pour porter à l’écran toutes les histoires, celles des victimes des guerres, mais aussi celles de tous ces soldats, gamins de 17, 18 ou 19 ans qui y ont été impliqués, dans un mélange d’inconscience et de "peur incontrôlée", et se retrouvent vingt, vingt-cinq après, à devoir porter ces actes dont ils ne sont pas responsables mais dont ils se sentent coupables.
Valse avec Bachir est enfin un film sur le travail de mémoire, ses blancs, ses "arrangements" et sa reconstitution ; il en est en même temps le résultat magnifique et bouleversant.

Valse avec Bachir
Ari Folman
Durée : 1 h 27 mn
Année de production : 2008
Titre original : Waltz with Bashir
Distribué par Le Pacte

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Hokusai "L'affolé de son art" au musée Guimet

Hokusai, l'affolé de son artL’artiste souleva l’engouement des Européens dans le dernier quart du XIXème siècle mais ne suscita de son vivant, malgré une production prolifique, qu’une admiration éphémère dans son pays.
Il est aujourd’hui le peintre japonais le plus connu dans le monde et, par le détour de son succès occidental, sa patrie célèbre désormais son génie.

L’on connaît de lui Sous la vague au large de Kanagawa, dite La grande vague et ses Trente-six vues du Mont Fuji, devenues des classiques. Des splendeurs qui en cachent bien d’autres : jusqu’au 4 août 2008, le musée Guimet sort de son fonds d’art graphique les oeuvres de Katsushika Hokusai (1760-1849), donnant en embrasser le parcours de cet artiste qui n’a cessé d’évoluer, allant jusqu’à déclarer "C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant."

Il n’y a pourtant "rien à jeter" dans la rétrospective présentée par le musée Guimet ; au contraire, de retour chez soi, le catalogue – très réussi – donne le regret d’être passé trop vite devant certains dessins et estampes.
Ceux du début s’inscrivent dans la tradition de l’art de l’Ukiyo-e, scènes de maisons de thé, de spectacles, de geishas. Fourmillant de détails, d’actions, de personnages, ils se lisent comme des pièces de théâtre. Puis, autour des années 1830, Hokusai bascule vers le paysage. Voici donc nos "classiques", enfin vus dans leurs véritables couleurs, leur pleine beauté ; mais aussi d’autres paysages oniriques et puissamment enracinés dans la culture japonaise, dont les titres à eux seuls enchantent.

Viennent ensuite de magnifiques estampes de grandes fleurs associées à un petit animal, oiseau à la posture pour le moins acrobatique, insecte, voire grenouille qui disparaît dans les feuilles. Les cadrages évoquent la photographie moderne et les bouquets n’ont aucune apparence de composition. Economie de moyens, audace, épure, douceur des teintes… dans la suite des paysages, cette série souligne la sensibilité à la fois esthétique, enjouée, spirituelle et poétique du maître japonais.

Le clou de l’exposition figure dans la dernière salle, juste à côté d’un paravent grandiose : le diptyque des Tigre sous la pluie et Dragon, composés par Hokusai à la toute fin de se vie et dont le lien n’a été établi que récemment (la première de ces deux oeuvres appartenant au musée Ota de Tokyo et l’autre faisant partie d’une donation récente au musée Guimet). Avec le beau jeu de diagonales, les regards croisés des animaux, l’opposition lumineuse et chromatique, la symétrie et la complémentarité des deux pièces sont fascinantes. On dit qu’il s’agit du testament d’Hokusai. Et l’on ne peut s’empêcher de songer avec émotion à cet homme mort dans la misère dans sa quatre-vingt-dixième année alors qu’il pensait qu’il avait encore beaucoup à apprendre…

Hokusai "L’affolé de son art"
Jusqu’au 4 août 2008
Musée national des Arts asiatiques Guimet
6, place d’Iéna – Paris 16ème
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Catalogue Hokusai 1760-1849, « l’affolé de son art », sous la direction d’Hélène Bayou
Coédition musée Guimet / RMN, 2008, (245 p., 39 €)

Image : Trente-six vues du Mont Fuji, Vent frais par matin clair (1830-32), legs Charles Jacquin, 1938, AA 380 © musée Guimet / Thierry Ollivier

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Le Sacre du printemps à La Villette

Le sacre du printemps de Stravinsky par Heddy MaalemHeddy Maalem a déplacé le célèbre ballet sur le continent africain, dans une pièce créée en 2004 et présentée jusqu’au 12 juillet dans la Grande Halle de la Villette dans le cadre du festival Afrique(s).

Cette réinterprétation des rites universels du Sacre du printemps résonne avec une force formidable dans les rythmes et mouvements des cultures africaines. La chorégraphie de Maalem, à la fois très écrite et brute associe dans un bel équilibre les "classiques", si l’on peut dire, de la danse contemporaine, des passages de danse "tribale" déchaînée et des moments très lents de pure sensualité. Son langage permet à chacun des quatorze danseurs de s’exprimer selon une gestuelle propre, même dans les tableaux d’ensemble. Malgré les rythmes parfois insensés, malgré la folle énergie, le spectacle demeure dans l’épure. Une qualité qui ne tient pas seulement à la chorégraphie, mais également aux choix de mise en scène extrêmement sobres. Après un magnifique prélude dans la semi-obscurité, où un couple de danseur se dessine comme des ombres chinoises sur un fond d’écran de feuillages africains, place à la lumière franche, murs et sol blancs sans autre décor. Les six danseuses et huit danseurs africains sont simplement vêtus de maillots. La vidéo ne revient qu’aux moments clés du ballet, toujours de façon simple et juste.Quant à la musique de Stravinsky vieille de près d’un siècle, elle semble avoir trouvé un nouveau souffle et même redoublé de puissance, portée par le vent de ce fascinant continent noir.

Le Sacre du printemps
Chorégraphie de Heddy Maalem
Musique de Igor Stravinsky
Grande Halle de la Villette – Salle Charlie Parker
Festival Afrique(s)
Jusqu’au samedi 12 juillet 2008
A 20 h, durée 1 h
De 8 € à 15 €

Photo © Patrick Fabre

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Festival Voies Off. Arles

Edgar Marin, Festival Voies Off, Arles
En parallèle et en complément de la semaine d’ouverture des prestigieuses Rencontres photographiques d’Arles, à partir du 8 juillet, le Festival Voies Off offrira cinq jours de découvertes et de soutien à la jeune photographie française et internationale.

Pour sa treizième édition, cette manifestation constituera une vitrine de choix pour les soixante artistes sélectionnés, à travers des soirées de projections photographiques sur grand écran dans la Cour de l’Archevêché, des ateliers et débats et des lectures de portfolios.

Au cours de la soirée de clôture, samedi 12 juillet, Christophe Laloi, directeur artistique du Festival, présentera un montage réunissant une vingtaine de photographes autour du thème Mutations ainsi que le travail des artistes nominés pour le prix Voies Off. Celui-ci sera ensuite remis au lauréat 2008 en présence du jury.

Pour mémoire, le prix Voies Off 2007 a été remis à Mohamed Bourouissa, exposé ce printemps à la Galerie du Château d’Eau à Toulouse et représenté à Paris à la Galerie des Filles du Calvaire.

Voies Off – Arles
Projections dans la Cour de l’Archevêché les mardi 8 et jeudi 10 juillet de 22 h 30 à minuit
Matinées professionnelles du mercredi 9 au vendredi 11 de 11 h 30 à 12 h
Lectures de portfolios de mercredi à samedi à 14 h
Entrée libre

Image : © Edgar Martins (Royaume-Uni)

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Pascal Cribier, les racines ont des feuilles

Exposition les feuilles ont des racines, Pascal Cribier, espace EDF ElectraIl y a quelque chose d’un peu curieux à aller chercher du vert dans l’espace clos de l’impasse Récamier à Paris, l’espace EDF Electra.
Par ces belles journées, l’on est plutôt tenté de pousser jusqu’au fond du passage pour admirer le fatras végétal du square.(D’ailleurs, à l’entrée, une brochure façon planche de botaniste avec noms et dessins des espèces nous y invite vivement.)

Dans l’obscurité, des images des créations de l’architecte-paysagiste Pascal Cribier défilent très lentement sur de grands écrans. Un ici, un là, d’autres encore là et là, l’oeil est attiré par tous à la fois. Des tabourets en mousse nomades permettent de se poser et de contempler. Les réalisations sont séduisantes, hautes en couleurs, et le procédé réussi.

Laurent Le Bon, commissaire de l’exposition explique que Pascal Cribier n’a accepté de présenter que des plantes qui pourraient vivre naturellement dans les conditions de l’espace d’exposition. D’où davantage de photos et de films que de vivant… mais d’où aussi, au sous-sol, de véritables champignons (à la fois embaumantes pleurotes et magnifiques sculptures).
Et d’où aussi, à l’étage, cette fois à la lumière naturelle, d’imposantes et fascinantes racines d’arbres sorties d’un marais indépendant de toute nappe phréatique et au système de développement propre, des doubles couronnes étonnantes. Il s’agit de montrer l’invisible, mais aussi d’expliquer que les racines ont un fonctionnement proche de celui des branches, des sortes de feuilles qui, comme elles, « tombent » (où ?) à l’automne…
Pascal Cribier, qui installe en ce moment des socles végétaux dans la Cour de l’Hôtel Dassault (Artcurial) n’est pas sans intriguer. Architecte de jardins inventifs et souvent très beaux , il se défend de toute approche artistique. Il considère que ses paysages font partie d’une économie – son obsession : se servir des éléments du lieux, aussi bien de l’eau que du bitume – et ne sont pas décoratifs.
Il demande « qu’on arrête de convoquer la nature » et revendique une démarche citoyenne. Un doux rêveur ? Tout au contraire, la présentation de ses réalisations et de ses travaux en cours font montre d’un solide pragmatisme. A paraître en septembre, l’ouvrage Pascal Cribier, itinéraires d’un jardinier nous en dira davantage sur cet architecte-paysagiste singulier.

Pascal Cribier, les racines ont des feuilles
Jusqu’au 28 septembre 2008
Espace EDF Electra
6, rue de Récamier – Paris 7ème
M° Sèvres-Babylone
TLJ sf lun. et jours fériés, de 12 h à 19 h
Entrée libre

Image : Woolton (Berkshire, Angleterre), 1994

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Bamboo Blues. Pina Bausch

Bamboo Blues, Pina Bausch au Theâtre de la VillePina Bausch est allée en Inde avec sa troupe pour créer son dernier spectacle, dans le Kerala et à Calcutta. Elle en a ramené ses couleurs, ses parfums, sa musique, dans une pièce dansée inspirée et dénuée de kitch.

Les représentations de Bamboo Blues, montré en primeur au Théâtre de la Ville à Paris selon une tradition établie depuis près de trente ans, se sont achevées mercredi dernier à guichet fermé.

A l’image des splendides voiles blancs parcourus d’une légère brise en fond de scène, du début à sa fin, la soirée est bercée d’une douce beauté. Les robes des femmes, le poli des corps, les chorégraphies en rondeurs et rapprochements créent une sensualité d’ensemble, mise en évidence avec plus de force et toujours beaucoup de simplicité dans certains tableaux, siestes tranquillement balancées sur des rondins de bois ou scène de toilette dans une brume d’eau.

Pina Bausch explore à nouveau les thèmes qui lui sont chers, comme celui des rapports entre les hommes et les femmes, faits d’attraction, d’amour, mais aussi de jeux de domination et de cruauté. Peu de violence pourtant dans Bamboo Blues ; la séduction est elle omniprésente. Elle atteint son apogée lorsqu’apparaît Shantala Shivalingappa, d’une finesse et d’une grâce incroyables, exécutant un solo qui semble renvoyer tous les autres au rang de gestuelles éculées et incarner à elle seule tout le charme et toute la féérie de l’Inde, lumineuse, délicate, magnifiquement "posée".

A réserver : Pina Bausch reviendra l’année prochaine au Théâtre de la Ville, d’abord avec une reprise, Wiesenland, du 7 au 14 janvier, puis avec une création du 19 au 29 janvier 2009.
A lire : Pina Bausch vous appelle par Leonetta Bentivoglio et Francesco Carbone (traduction de Leonor Baldaque, L’Arche, 2007)

Site de Pina Bausch
Site du Théâtre de la Ville

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Figaro divorce de von Horvath. Comédie-Française

Figaro divorce, à la Comédie-FrançaiseC’est un texte sur la Révolution, sur les bouleversements politiques et sociaux, mais aussi sur l’exil et les passions, vus à hauteur d’homme. Un texte magnifique et d’une grande justesse qui fait une entrée magistrale à la Comédie-Française grâce à une mise en scène des plus fines et une troupe au sommet de son art.
Au début du XXème siècle, quelque part dans la vieille Europe de l’Empire Austro-hongrois, la Révolution éclate. Le Comte et la Comtesse Almaviva fuient leur pays, accompagnés de Figaro et de Suzanne, devenus époux. Privé de biens, l’aristocrate continue malgré tout à mener grand train, persuadé qu’il reviendra bien vite "dormir dans son lit". Mais Figaro sait qu’il n’en sera rien, et sent qu’il est temps de prendre son indépendance et de s’établir. Retrouvant l’un de ses nombreux anciens métiers, il s’installe coiffeur dans une petite ville de Bavière. Là, il flatte la petite-bourgeoisie locale par ses façons empressées, et prospère. Mais Suzanne, qui ne reconnaît plus son Figaro sous tant d’hypocrisie le quitte. Le Compte Almaviva est lui ruiné, las, mais atteint d’une certaine douceur. D’une façon ou d’une autre, tous traverseront à nouveau la frontière.
Chassé de l’Allemagne nazie dans les années 1930, Odon von Horvath a écrit Figaro divorce alors qu’il errait en Europe avec l’espoir de gagner les Etats-Unis. Il ne put aller plus loin, tué à l’âge de 37 ans par la chute d’une branche d’arbre à la sortie du théâtre Marigny à Paris.
Imprégné des craintes nées de la montée de la révolution brune, son texte dénonce autant les ravages de l’autoritarisme politique que ceux des mentalités petites bourgeoises, xénophobes et hypocrites.
Il fallait beaucoup d’intelligence pour monter ce texte subtil et en donner à voir toutes les facettes. Un pari que Jacques Lassalle a absolument réussi, avec des comédiens qui font ressortir tout ce que cette pièce a de bouleversant, sur cette humanité bien sombre, sur la douleur de l’exil et la permanence des passions.

Figaro divorce
Comédie en trois actes d’Odon von Horvath
Traduit de l’allemand par Henri Christophe et Louis Le Goeffic
Avec Bruno Raffaelli, Michel Vuillermoz, Florence Viala, Claude Mathieu, Denis Podalydès… Jusqu’au 19 juillet 2008
Reprise à la rentrée, du 3 octobre au 15 décembre 2008
Comédie-Française
A 20 h 30, matinée à 14 h
Durée : 3 h env. avec entracte
De 5 € à 37 €

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Eldorado. Bouli Lanners

Bouli Lanners, EldoradoL’on se souviendra longtemps de cette terre belge, de ses forêts, de ses rivières, et aussi de son ciel, de ses lumières et de ses nuages aux nuances infinies. Bouli Lanners a, selon son expression, « repoussé les frontières » de son petit pays et a donné à son road movie la splendeur des grands espaces nord-américains avec la subtilité des maîtres flamands. Immédiatement, les dons du réalisateur crèvent l’écran : son sens du graphisme, son goût pour l’étrangeté, son talent pour faire surgir l’inattendu, l’humour, le surréalisme, et soudain l’émotion. Quant à l’acteur, il a non seulement un visage et une corpulence bien à lui mais encore une façon de se mouvoir, de parler et de regarder, bref ce qu’on appelle une présence.
Il n’a pas l’air, comme ça, avec son histoire de revendeur de « belles américaines » qui un soir trouve sous son lit Didier, un voleur à la petite semaine qu’il finit par embarquer dans sa Chevrolet. Les rencontres et les situations cocasses se succèdent ; mine de rien, les personnages se dessinent, une relation se noue, les blessures refont surface, le passé vient retourner les coeurs, à l’image du jardin de la mère de Didier que les deux hommes bêchent dans une magnifique scène. Transmission, humanisme, culpabilité, il y a tout cela dans l‘Eldorado de Bouli Lanners, mais il y a aussi l’élégance d’un cinéaste qui économise les dialogues, choisit soigneusement ses plans et caresse les demi-teintes avec une singulière douceur.

Eldorado. Bouli Lanners
Avec Bouli Lanners, Fabrice Adde, Philippe Nahon
Durée 1 h 15

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Aquarelle : atelier et plein air. Musée d'Orsay

Musée d'Orsay, accrochage aquarelles, Cézanne, le four à plâtreIl faut le reconnaître, une aquarelle ne séduit pas forcément du premier coup d’oeil. Contrairement à la peinture à l’huile et à la gouache, plus hautes en couleurs, plus pleines, plus aguicheuses, le fin lavis de l’aquarelle a le charme si discret que l’on pourrait passer devant sans le remarquer.
Un petit tour à la Galerie des Arts graphiques du Musée d’Orsay jusqu’au 7 septembre rectifiera cette erreur. Le choix parmi le fonds du Musée est resserré – deux salles : bonne raison pour s’y attarder un peu.

Alors que les artistes anglais en étaient friands et maîtres depuis le XIXème siècle, en France l’aquarelle était traditionnellement réservée à l’exercice du peintre, à l’étude qui précédait l’exécution de la toile en atelier. Il en est ainsi des croquis et des esquisses de Pierre Bonnard, Jules Elie Delaunay, Edgar Degas, Edouard Manet. Ces deux derniers, contrairement à leurs contemporains plus franchement au coeur du mouvement impressionniste ne furent jamais des peintres de plein air ; leurs aquarelles ne resteront que des sortes de notes préparatoires à leurs travaux d’atelier.
Mais passons dans la seconde salle, et nous voici "dehors" avec le peintre de marines Eugène Boudin (1824-1898), Normand resté fidèle toute sa vie à Honfleur : scènes de bord de mer, élégantes sur la plage à Trouville, vues de port. Il fut l’un des précurseurs en France d’un genre nouveau qui allait connaître un grand succès avec les impressionnistes : la saisie des paysages en extérieur.
Tout près, les belles aquarelles du néerlandais Johan Barhold Jongkind (1819-1891) : marines et scènes côtières également, mais dont se dégage l’impression que la présence de l’eau n’est qu’un prétexte. Le motif qui attire irrésistiblement l’oeil est le ciel. Immense, toujours différent, parfois d’une couleur inattendue, il joue l’harmonie avec les autres teintes (superbe vert mousse du jardin qui fait écho au jaune du ciel dans Jardin de la ferme Toutin à Honfleur) et constitue l’écrin idéal, faisant magistralement ressortir la beauté et l’harmonie des compositions.
Quelques mètres plus loin, éblouissement avec Paul Signac et notamment sa Vue de Bayonne toute multicolore. Fi des teintes délavées, voici de l’orange, du jaune vif, du bleu Majorelle. Quelle audace, et quel équilibre remarquable, avec son bouquet de lignes sinueuses pour définir l’eau et les arbres, et emporter le regard loin des lignes géométriques du bateau et du pont sur l’autre partie du tableau.
Avant de partir, un regard pour les esquisses de Cézanne, notamment ce Four à plâtre très épuré mais où la recherche des lignes et des volumes est tout à fait présente. Au fond, la montagne Sainte-Victoire non peinte apparaît comme l’émouvante annonce de ce qui suivra. En une cinquantaine d’aquarelles, ce très bel accrochage nous fait parcourir, discrètement, un chemin fondamental et passionnant de l’histoire de la peinture.

Aquarelle : atelier et plein air
Musée d’Orsay
Jusqu’au 7 septembre 2008
TLJ sf le lundi de 9 h 30 à 18 h et le jeudi jusqu’à 21 h 45
Entrée 8 € (TR : 5,5 €)

Image : Paul Cézanne (1839-1906), Le Four à plâtre (au fond, la montagne Sainte-Victoire). Vers 1890-1894. Crayon noir et aquarelle sur papier vélin, trous d’épingles aux angles, 42 x 52,9 cm © Photo RMN / © Jean-Gilles Berizzi

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Annie Leibovitz, A photographer's life 1990-2005

Expositon Annie Leibovitz à la Maison européenne de la photographie, ParisAmple, passionnante, l’exposition consacrée à Annie Leibovitz jusqu’au 14 septembre à la Maison européenne de la photographie est aussi très surprenante. La célèbre photographe des couvertures glacées américaines, de Rolling Stone à Vogue en passant par Vanity Fair a choisi de mêler à ses portraits les plus connus toute une série d’images personnelles.

Photos intimes de ses voyages à Venise avec sa grande amie l’écrivaine Susan Sontag, photos de ses enfants, de son frère, de sa mère débordante de vie dans son large maillot, de ses parents endormis, confiants, abandonnés, pris avec une tendresse infinie par le regard de leur fille.
Le regard, regarder : tout est là bien sûr. On dirait qu’il n’y a même que ça : quand Annie Leibovitz tire un portrait, elle ne parvient pas à converser en même temps. « Je suis trop occupée à regarder mon sujet (…). J’ai le même problème avec mes enfants. Je sais que je devrais plus m’impliquer, interragir, mais j’aime tellement les regarder. »
En suivant ses commentaires apposés aux photographies, l’on court de surprise en surprise, tout en comprenant mieux son choix de photos familiales, pleines de mouvements, de plein air et de naturel : « Je ne suis pas une grande portraitiste de studio (…). Je trouve cela faux et artificiel. En même temps, trop de dénuement fait peur. Je ne suis pas faite pour ce genre de travail. » Difficile à croire, tout de même, lorsque l’on revoit les photos des stars américaines, magnifiques, dont ressort un puissant érotisme, presqu’une animalité dans leur extrême sophistication. Ce sont des bombes de sensualité qu’elle photographie le plus souvent étendus ou à demi-couchés sur lits ou divans, comme Scarlett Johansson, Mick Jagger, Brad Pitt, Cindy Crawford, Demi Moore…
Mais les tirages les plus beaux de la sélection sont peut-être ceux du jardin de la maison de Vanessa Bell – la soeur de Virginia Woolf – à Charleston en Grande-Bretagne, jardin tout en fleurs et sauvage, photographies en noir et blanc on ne peut plus simples, mais qui échappent à toute banalité et témoignent une fois encore d’un voyage qu’Annie Leibovitz a fait avec son amie Susan Sontag, fan de Wirginia Woolf.
De son amie disparue en 2004, Annie Leibovitz a choisi, de façon extrêmement émouvante, de montrer la photographie qu’elle a prise d’elle sur son lit de mort, alors qu’elle l’avait revêtue de foulards ramenés de Venise et d’une robe en plissé couleur or « en hommage à Fortuny. »
Elle confesse aussi l’importance de son regard : « Si vous l’accompagniez dans un musée où elle voyait quelque chose qui lui plaisait, elle vous demandait de venir vous placer exactement à l’endroit où elle se tenait pour être sûre que vous voyiez la même chose qu’elle ». Avant d’ajouter, comme une ultime preuve d’amour : « J’ai préparé le livre pour la publication en songeant à elle comme si elle regardait par dessus mon épaule et me dictait mes choix. » (1).

Annie Leibovitz, A photographer’s life, 1990-2005
Maison européenne de la photographie
TLJ sauf lundi, mardi et jours fériés, de 11 h à 20 h
5/7 rue de Fourcy – 75004 Paris
Téléphone: (33) 1 44 78 75 00
Fax: (33) 1 44 78 75 15
M° Saint-Paul
Entrée 6 € (TR 3 €)
Gratuit tous les mercredis de 17 h à 20 h

(1) Annie Leibovitz, La vie d’une photographe, 1990-2005, éditions La Martinière, 480 p., 105 €

Image : Brad Pitt, Las Vegas, 1994

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