Gretel Adorno – Walter Benjamin. Correspondance 1930-1940

walter benjamin correspondanceAu début des années 1930, l’écrivain Walter Benjamin fuit l’Allemagne pour se réfugier à Ibiza puis à Paris, en passant par le Danemark.
Ses conditions d’existence sont précaires ; son isolement, les difficultés à trouver du matériau et des soutiens pour ses travaux le minent.
Malgré ce quotidien souvent problématique, il ne cesse d’écrire, de trouver des sujets d’intérêt et d’investigation, notamment Paris et le XIXème siècle.

Gretel Karplus, diplômée de Chimie, compagne du philosophe Theodor Wiesengrund-Adorno fait la connaissance de Benjamin à Berlin peu de temps avant son départ.
Lorsque leur correspondance débute, elle vient d’être embauchée dans une manufacture de gants, dont elle prendra la direction rapidement.
Adorno enseigne à Oxford et la laisse pour l’essentiel du temps seule à Berlin, étreinte par le travail et ses responsabilités de chef d’entreprise.
Autour d’elle, la capitale allemande se dépeuple chaque jour davantage.

La correspondance de Gretel Karplus-Adorno et Walter Benjamin peut dans ce contexte apparaitre comme le trait d’union entre deux êtres écrasés par la solitude, dont chaque lettre vient alléger un peu le fardeau.

Mais elle ne ne peut être réduite à ce seul aspect.

Elle est aussi la marque d’une amitié sincère et profonde entre une femme et un homme devenus nécessaires l’un à l’autre et qui, par là-même pose la question : qu’est-ce que l’amitié entre un homme et une femme ?

Entre Gretel Karplus et Walter Benjamin, c’est d’abord une relation fraternelle, faite de protection et de dévouement mutuels, mais aussi un espace de liberté, de franchise et de respect.
Il y a cependant un autre partage : Walter Benjamin, malgré son absence de suffisance, et l’humilité à laquelle son dénuement l’astreint est aussi l’homme littéraire qui joue auprès de Gretel Karplus le rôle – et il est étonnant qu’il ait cette place à côté d’Adorno, dont Gretel Karplus future Mme Adorno est visiblement très amoureuse – de « partenaire intellectuel » .
S’il lui demande régulièrement les livres dont il a besoin pour son travail, il lui envoie sans cesse à son tour des romans, français notamment, qu’il choisit pour son amie dévoreuse de livres.

De son côté, Gretel Karplus – figure d’indépendance féminine malgré son besoin de protection – lui donne avec assurance son avis sur ses lectures, avis que son correspondant ne manque pas de solliciter le cas échéant.
Malgré l’aura de son compagnon Adorno, elle exprime franchement à Benjamin ce qu’elle pense de ses écrits et l’encourage systématiquement dans son travail.
Une estime intellectuelle extraordinairement réciproque, Benjamin regrettant souvent les « discussions sérieuses » qu’il avait avec elle. Ainsi, en 1939, alors qu’accablé tant par les difficultés personnelles que par la situation politique en Europe, il a de plus en plus de mal à écrire, il lui confie, à propos de ses travaux en cours : « Comme ce serait important pour moi d’en parler avec toi, un être sensé ! ».

Mais elle l’aide aussi matériellement autant qu’elle le peut, le conseille si elle anticipe une mauvaise direction, dans tous les sens du terme.
Lui a souvent des mots tendres, parfois poétiques, s’enquiert avec urgence de sa santé dans les périodes de migraines névralgiques qui la handicapent régulièrement.

D’un grand frère confident à une jeune femme en détresse ( « Comme toujours, je m’adresse à toi lorsque j’ai quelque chose sur le coeur dont je n’arrive pas à venir à bout » lui écrit-elle en 1937 lorsque le mariage avec Adorno qu’elle attend depuis des années lui paraît enfin possible), d’une mère protectrice à un écrivain desespéré, c’est une alchimie de forces et de fragilités qu’est faite cette singulière relation entre deux êtres dont la curiosité intellectuelle, le désir de connaître, la vivacité d’esprit sont le socle commun et inébranlable.

Jalonnée de joie, d’inquiétudes et de crises, c’est plus qu’une amitié, c’est presque une histoire d’amour : « où passe finalement la subtile limite entre amitié et amour ? ». C’est Gretel Adorno qui un jour pose ouvertement la question.

Gretel Adorno – Walter Benjamin. Correspondance 1930-1940
Le Promeneur – Gallimard (2007)
411 p., 26,50 €

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La mer. John Banville

La mer de John BanvilleA l’aube de la vieillesse, Max perd son épouse, vaincue par la maladie.

Il décide alors de retourner à Ballymoins, le village de bord de mer où, enfant, il passait ses vacances dans un bungalow avec ses parents.
Là, il s’installe dans la maison qu’un certain été la famille Grace avait louée.
La villa des Cèdres, qui l’avait alors fait tant rêver est aujourd’hui une pension de famille, tenue par Mlle Vavasour.

Cinquante ans se sont écoulés depuis ce fameux été : presque une vie.
De cette vie, de ces cinquante années, on saura peu.

C’est sur ses « extrêmités » que Max s’attarde : sa propre enfance, et la mort de sa femme.
Comme si à chacun de ses moments, le monde avait changé (« Mais, d’ici l’ultime changement, le plus crucial, notre vie ne change-t-elle pas radicalement à chacun des moments qui nous sont donnés de vivre ? » se demande pourtant Max) ; comme si quelque chose s’était alors cristallisé.

Quoi de commun entre ces deux périodes pourtant : d’un côté, la mer, le soleil, les peaux nues de Chloé et Connie Grace ; d’un autre les cliniques, la détresse, la maladie ?
Peut-être ce sentiment de perte, d’abandon ; le deuil à faire, la culpabilité ou les culpabilités, y compris celle d’avoir fui son milieu modeste pour s’élever socialement, d’abord en côtoyant les riches Grace, puis, plus tard, en épousant la fortunée Anna ?

Sur fond de bel été finissant et de station balnéaire presque désertée, Max se « refait » les deux histoires. Il replonge dans une enfance dont la fraîcheur, les découvertes, l’envie, les émois, les troubles sont demeurés parfaitement intacts.
Et des douze derniers mois passés près de sa femme malade, il mesure l’abîme qui s’est alors creusé, insidieusement, au point qu’il se demande, malgré le beau couple qu’ils formaient, si Anna et lui se sont vraiment « connus ».

De son écriture ultra-précise et souvent poétique, John Banville cisèle les émotions au fil du récit.

Le retour, chargé d’intrigue, que le narrateur fait constamment sur son passé, sa magnifique mélancolie (« Quels petits vaisseaux de tristesse nous faisons, à voguer dans ce silence étouffé à travers la pénombre de l’automne ») font de La mer un roman beau et troublant, qui berce en permanence le lecteur entre ses deux pôles qui s’attirent autant qu’ils s’opposent, la vie dans son érotisme le plus fort, et la mort, soudaine et implacable, effrayante.

La mer. John Banville
Traduit de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch
Robert Laffont, Pavillons (2007)
247 p., 20 €

Irlandais, âgé de 62 ans, John Banville a reçu, pour La mer, le prestigieux Booker Prize.

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Elles. J.-B. Pontalis

Elles de JB PontalisDans Elles, succession de courts récits sur les femmes que J.-B. Pontalis a connues, aimées, dont il a lu ou entendu l’histoire, le célèbre psychanalyste parle-t-il véritablement des femmes ?
Rien n’est moins sûr.

Cette galerie de Elles qu’il passe en revue semble plutôt être celle des amours, dont la banalité, le « classique » laisse à penser qu’il n’existe pas d’histoire d’amour singulière mais simplement quelques grands types, destinés à se répéter inlassablement, tous essentiellement malheureux.

Car malgré Noces, conclusion du livre qui se voudrait optimiste, il ne semble pas exister pour J.-B. Pontalis d’amour heureux.
D’ailleurs, l’amour existe-t-il en dehors de la passion, que le psychanalyste prend pourtant grand soin d’opposer à l’amour car « elle exige la possession de l’autre tout en la sachant impossible et ignore qu’en retour elle fait de vous un possédé » ?
C’est dans les pas de Charles Swann que Pontalis pose ici les siens, avouant qu’il a lui aussi connu son Odette.

De références littéraires, le recueil est largement émaillé, des poèmes de Ronsard qui ont éveillé son adolescence aux maîtresses d’Ulysses dont sa préférée fut Naussicaa – qui malgré son apparence de vagabond l’accueillit d’une voix douce et le trouva beau -, en passant par une lecture psychanalytique d’une scène de Lady Chatterley de D. H. Lawrence.

Malgré tout, sur Elles, les femmes, J.-B. Pontalis n’a pas levé le mystère, cristallisé dans la question originelle de l’homme « à quoi rêvent nos mères ? ».

Quant à l’amour, il en souligne joliment l’énigme, rappelant qu’il est attirance pour l’Autre, qui est bien autre, avec toute la différence qu’il porte, et qui porte l’amoureux hors de soi.

Elles. J.-B. Pontalis
Gallimard (2007)
197 p., 15,50 €.

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Le temps retrouvé. Les aberrations de l'amour

Marcel Proust La RechercheLors de sa promenade solitaire dans Paris, le narrateur, après avoir rencontré par hasard M. de Charlus s’aperçoit qu’il s’est fortement éloigné de chez lui et qu’il ne pourra rentrer avant d’avoir pris quelque boisson et repos.

Dans le Paris obscur et clos des soirées de ces années de guerre, il finit par trouver une demeure éclairée pour faire une halte.
Il s’agit d’une maison de plaisirs.
Il y trouve toutes sortes d’hommes, militaires, aristocrates comme hommes du peuple.

Sa curiosité éveillée par des cris, il aperçoit à travers la petite fenêtre dissimulée d’une chambre le baron de Charlus en train de se faire fouetter par un jeune homme.

Cette scène le saisit vivement puis le conduit à de longues réflexions sur l’amour.

Dans les personnes que nous aimons, il y a, immanent à elles, un certain rêve que nous ne savons pas toujours discerner mais que nous poursuivons. C’était ma croyance en Bergotte, en Swann qui m’avait fait aimer Gilberte, ma croyance en Gilbert le Mauvais qui m’avait fait aimer Mme de Guermantes. Et quelle large étendue de mer avait été réservée dans mon amour, même le plus douloureux, le plus jaloux, le plus individuel semblait-il, pour Albertine ! Du reste, à cause justement de cet individuel auquel on s’acharne, les amours pour les personnes sont déjà un peu des aberrations.

De même, c’est aussi un rêve que poursuit le baron de Charlus, à travers son comportement amoureux qui avec l’âge l’entraîne jour après jour un peu plus loin :

Or les aberrations sont comme des amours où la tare maladive a tout recouvert, tout gagné. même dans la plus folle, l’amour se reconnaît encore. L’insistance de M. de Charlus à demander qu’on lui passât aux pieds et aux mains des anneaux d’une solidité éprouvée, à réclamer (…) des accessoires féroces qu’on avait la plus grande peine à se procurer, même en s’adressant à des matelots (…), au fond de tout cela il y avait chez M. de Charlus tout son rêve de virilité, attesté au besoin par des actes brutaux, et toute l’enluminure intérieure, invisible pour nous, mais dont il projetait ainsi quelques reflets, de croix de justice, de tortures féodales, que décorait son imagination moyenâgeuse.

Excellent week-end à tous.

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Le temps retrouvé. Prestige de la littérature !…

Marcel Proust La RechercheLors de son séjour de « retour » à Combray, au cours duquel il n’éprouve pas l’émotion qu’il avait espérée, le narrateur séjourne chez Gilberte, la fille de Swann, devenue Mme de Saint-Loup.

Le dernier soir de son séjour, Gilberte lui prête « pour lire avant de m’endormir » un volume du journal inédit des Goncourt.

Le passage qu’il en lit le laisse dans une profonde déception quant à la littérature. Du même coup, son incapacité à écrire, qu’il regrette jour après jour depuis son enfance, lui paraît soudain moins grave :

Mon absence de dispositions pour les lettres, pressentie jadis du côté de Guermantes, confirmée durant ce séjour dont c’était le dernier soir (…) me parut quelque chose de moins regrettable, comme si la littérature ne révélait pas de vérité profonde ; et en même temps il me semblait triste que la littérature ne fût pas ce que j’avais cru.

Après avoir retranscrit le passage du journal des Goncourt, sur un dîner mettant en scène des personnages tels M. et Mme Verdurin, Charles Swann, le duc de Guermantes ou encore le professeur Cottard, que le narrateur pense avoir bien connus, mais dont il ne reconnaît pas les traits dans la description pleine de magnificence ainsi lue, il s’exclame :

Prestige de la littérature ! (…) j’éprouvais un vague trouble. Certes, je ne m’étais jamais dissimulé que je ne savais pas écouter ni, dès que je n’étais plus seul, regarder. (…) Tout de même, ces êtres-là, je les avais connus dans la vie quotidienne, j’avais souvent dîné avec eux, c’était les Verdurin, c’était le duc de Guermantes, c’était les Cottard (…) chacun d’eux m’avait semblé insipide ; je me rappelais les vulgarités sans nombre dont chacun était composé…

Mais cette déception vis-à-vis de la littérature, perçue soudain comme impuissante à exprimer la réalité ne sera peut-être que passagère :

Je résolus de laisser provisoirement de côté les objections qu’avaient pu faire naître en moi contre la littérature les pages de Goncourt.

De longues années après, pendant la guerre, lorsqu’il revient à Paris, il trouvera que la vie, même la « vie quotidienne » et la littérature ne sont pas si éloignées, remarquant, à propos du meurtre de Raspoutine…

.. meutre auquel on fut surpris d’ailleurs de trouver un si fort cachet de couleur russe, dans un souper à la Dostoïevsky, parce que la vie nous déçoit tellement que nous finissons par croire que la littérature n’a aucun rapport avec elle et que nous sommes stupéfaits de voir que les précieuses idées que les livres nous ont montrées s’étalent, sans peur de s’abîmer, gratuitement, naturellement, en pleine vie quotidienne, et par exemple qu’un souper, un meurtre, événements russes, ont quelque chose de russe.

Bonne lecture à tous.

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Le temps retrouvé. Paris pendant la guerre ou l'Orient rêvé

Marcel Proust La RechercheEn 1916, après de longues années passées à se faire soigner dans une maison de santé, le narrateur revient à Paris.

Il fait un soir une longue promenade seul dans les rues de la capitale, qu’il trouve transformée, en ces temps agités.

Il se livre alors à une magnifique description de la ville, dans laquelle il mêle l’évocation de la guerre – cette promenade succède à une visite de son ami Robert de Saint-Loup engagé sur le front – à ses rêveries, nourries des paysages maritimes dont il s’est repu à Balbec…

Dans toute la partie de la ville que dominent les tours du Trocadéro, le ciel avait l’air d’une immense mer nuance de turquoise, qui se retire, laissant déjà émerger toute une ligne légère de rochers noirs, peut-être même de simples filets de pêcheurs alignés les uns après les autres, et qui étaient de petits nuages. Mer en ce moment couleur turquoise, et qui emporte avec elle, sans qu’ils s’en aperçoivent, les hommes entraînés dans l’immense révolution de la terre, de la terre sur laquelle ils sont assez fous pour continuer leurs révolutions à eux, et leurs vaines guerres, comme celle qui en ce moment ensanglantait la France.

… mais aussi d’Histoire et de références artistiques :

Comme en 1815, c’était le défilé le plus disparate des uniformes des troupes alliées ; et parmi elles, des Africains en jupe-culotte rouge, des Hindous enrubannés de blanc suffisaient pour que de ce Paris où je me promenais je fisse toute une imaginaire cité exotique, dans un Orient à la fois minutieusement exact en ce qui concernait les costumes et la couleur des visages, arbitrairement chimérique en ce qui concernait le décor, comme de la ville où il vivait Carpaccio fit une Jérusalem ou une Constantinople en y assemblant une foule dont la merveilleuse bigarrure n’était pas plus colorée que celle-ci.

Au moment où il contemple ce défilé, il aperçoit M. de Charlus, qui l’entretient longuement sur la guerre.

Lorsque le baron, qui décidément n’a pas changé, sinon par l’accentuation de moins en moins dissimulée de ses « penchants » prend congé, « il croyait peut-être seulement me serrer la main, comme il crut sans doute ne faire que voir un Sénégalais qui passait dans l’ombre et ne daigna pas s’apercevoir qu’il était admiré ».

« Est-ce que tout l’Orient de Decamps, de Fromentin, d’Ingres, de Delacroix n’est pas là-dedans ? me dit-il, encore immobilisé par le passage du Sénégalais. (…) Mais quel malheur, pour compléter le tableau, que l’un de nous deux ne soit pas une odalisque ! ».

Belles lectures à tous…

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1996-2006, De l'Inde au Japon dix ans d'acquisitions au musée Guimet (1/2)

Guimet Bodhisattava MaitreyaC’est grâce à l’industriel lyonnais Emile Guimet (1836-1918), grand passionné de l’histoire des religions, que le musée des Arts asiatiques – à l’origine musée des Religions – a ouvert ses portes en 1889.

Il abritait au départ les oeuvres rapportées d’une mission scientifique lancée par Emile Guimet au Japon, en Chine et en Inde.

Devenu national en 1928, le musée a accueilli les sculptures khmères du musée Indochinois du Trocadéro, puis, en 1945, a échangé ses pièces classiques et égyptiennes contre les collections d’Extrême-Orient du Musée du Louvre.

Par la suite, de nouvelles acquisitions et donations n’ont cessé de l’enrichir, au point d’en faire l’institution offrant en Occident le panorama le plus complet des arts d’Asie.

Les travaux réalisés de 1998 à 2001 ont conduit à une réorganisation complète de la présentation des oeuvres, qui permet désormais différents parcours autour de la diffusion historique des religions et selon les grandes aires géographiques.
L’éclairage à la lumière naturelle de l’époque d’Emile Guimet a été restitué.

Aujourd’hui, le musée souhaite valoriser l’enrichissement particulièrement abondant et de qualité dont ses collections ont été l’objet entre 1996 et 2006, en mettant en place jusqu’au 13 décembre, l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisitions au Musée Guimet.

Beau motif pour aller se perdre dans ses salles magnifiques, en repérant, au fil de sa visite, les quelques 200 oeuvres spécifiquement signalées pour l’occasion.

Petit aperçu au gré des sections.

Terre de naissance du bouddhisme, c’est naturellement par l’Inde que débute le parcours, avec l’art religieux bouddhique.

On y découvrira, notamment, un beau torse de Buddha du style d’Amaravati (IIIe siècle) en calcaire marmoréen ainsi qu’un bodhisattva Maitreya (image) du Ier ou IIème siècle, sculpture en grès rouge représentant Maitreya, bodhisattva (1) messianique prédestiné à devenir le futur Buddha, dont le culte se répandit vers le début de l’ère chrétienne et fut adopté par toutes les sectes bouddhiques.

Si dans le royaume du Champa, le long de la côte orientale du Vietnam, se développe à partir du IXème siècle un art essentiellement bouddhique, la découverte de sculptures du VIIème siècles dans un temple dédié à Shiva témoignent d’une assimilation antérieure de la culture indienne.

Un étrange objet de culte, cylindre surmonté d’un visage, attire l’attention. Il s’agit d’un étui couvre-linga en or et argent (VIIIème siècle) : dans les sanctuaires consacrés à Shiva, l’image la plus sacrée, symbolique et abstraite affectait la forme d’un cylindre, le linga (qui signifie « signe »), pierre d’aspect phallique insérée dans un piédestal mouluré. Elle pouvait, comme le montre cet objet, être magnifiée par un élément d’orfèvrerie destinée notamment à protéger le linga.

Poursuite de l’exposition-parcours très bientôt avec notamment les arts décoratifs indiens, la peinture japonaise et chinoise…

1996-2006, de l’Inde au Japon dix ans d’acquisitions au musée Guimet
Musée national des Arts asiatiques
Exposition-parcours du 13 juin au 13 décembre 2007
6, place d’Iéna – Paris 16ème
M° Iéna, Boissière – RER Pont de l’Alma
Tlj sauf le mardi de 10 h à 18 h
Entrée 6,50 € (TR 4,50 €)

(1) bodhisattva : dans la religion bouddhique, sage ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui fera de lui un bouddha.

Image : bodhisattva Maitreya Epoque kushâna. Fin du Ier siècle ou première moitié du II ème siècle. Inde du Nord. Uttar Pradesh. Région de Mathurâ. Grès rouge. © Thierry Ollivier / RMN

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1996-2006, De l'Inde au Japon dix ans d'acquisitions au musée Guimet (2/2)

Inde pendentif en forme d'oiseauPoursuite de la visite de l’exposition-parcours De l’Inde au Japon, dix ans d’acquisitions au Musée Guimet mise en place au Musée des Arts asiatiques jusqu’au 13 décembre pour valoriser plus de 200 acquisitions effectuées entre 1996 et 2006.

La galerie des arts décoratifs de l’Inde, (galerie Jean et Krishna Riboud, du nom des donateurs) rassemble textiles, armes, objets décoratifs et bijoux du XVIème au XIXème siècle. Ils mettent en évidence la splendeur des cours royales et princières de l’Inde et le savoir-faire de leurs artistes et artisans.

On y découvre ce pendentif en forme d’oiseau (peut-être Inde moghole, XVIIème siècle), en or, diamants, rubis, émeraudes, perles et cristal de roche. Il s’agit d’un perroquet aux ailes déployées, certainement doté d’un caractère emblématique, mais dont l’origine demeure matière à conjectures.
Sans nul doute, un splendide bijou.

On profite du passage à la galerie Riboud pour admirer également un lé de soierie avec scènes vishnuites (daté de la fin du XVIème au début du XVIIIème siècle). Provenant du Nord-Est de l’Inde, cette pièce a été retrouvée au Tibet. Elle servait à couvrir les autels ou à envelopper les manuscrits.

Autre beau textile, un Kalamkari avec scènes du Ramayana (Inde du Sud, fin du XVIIIème siècle) en toile de coton teinte, une tenture de temple décorée de scènes mythologiques.

Dans la section du Pakistan et de l’Afghanistan, la collection d’art Gandhara, souvent dit art gréco-bouddhique, s’est enrichie d’oeuvres rares, notamment d’une pièce unique à ce jour, un bodhisattva Avalokitesvara Gandhara (IIIème-Vème siècle) : superbe sculpture en bronze aux incrustations d’argent, montrant un bodhisattva au torse dévêtu et richement paré. (1)

En Chine, impossible de louper la monumentale statue d’un bodhisattva debout (VIème siècle) sculpture en grès rosé de 2,40 mètres de hauteur. Pièce-phare de l’art bouddhique chinois, fidèle à une iconographie fixée en Inde, le bodhisattva, être d’Eveil, distinctement des images du Bouddha, porte le costume et les attributs princiers.

Dans la salle consacrée à la peinture chinoise se déploie le Sûtra du Diamant (1477, « Sûtra de la Perfection de Sagesse coupante comme le diamant ») : livre plié en accordéon de 258 feuillets, il est la copie du Sûtra du Diamant tel qu’il fut donné dans sa première traduction chinoise du sanscrit en 402. Il s’ouvre par une grande illustration en frontispice, figurant le « Buddha prêchant son assemblée brillante ».

De la Chine, on passe à la Corée pour adorer le petit Roi-gardien ou musicien céleste (époque Silla, IX-Xème siècle), superbe sculpture en bronze de l’art bouddhique, représentant un roi gardien au visage enfantin coiffé d’une peau de lion, peut-être un Gandharva, musicien céleste. Une des pièces majeures de la section des arts de Corée.

Toujours en Corée, on peut prendre connaissance des Dix diagrammes du Savoir royal (1568), album de dix pages réalisé à l’époque Choson par Yi Hwang (1501-1570) pour le roi Sonjo, alors âgé de 17 ans. Le Confucianisme est alors érigé en idéologie officielle et Yi Hwang, l’un des artisans les plus actifs de cette « révolution » n’a de cesse de promouvoir le royaume idéal, qui ne peut se faire que par l’éducation du roi. Le système repose sur trois principes fondamentaux : piété filiale, fidélité conjugale et dévouement envers le prince.

On peut terminer ce beau parcours avec la peinture japonaise, devant par exemple le magnifique triptyque Le voyage de vers l’Est de Ariwara no Narihira, encre et couleurs sur soie de Maruyam Okyo (1733-1795), qui a joué un rôle déterminant sur le développement de la peinture japonaise d’époque Edo. Il illustre l’exil du poète Ariwara no Narihira quittant Kyoto et faisant halte au pied du Mont Fuji.
Superbe verticalité, paysage très poétique, on ne peut que savourer cet arrêt majestueux à pied de montagne.

1996-2006, de l’Inde au Japon dix ans d’acquisitions au musée Guimet
Musée national des Arts asiatiques
Exposition-parcours du 13 juin au 13 décembre 2007
6, place d’Iéna – Paris 16ème
M° Iéna, Boissière – RER Pont de l’Alma
Tlj sauf le mardi de 10 h à 18 h
Entrée 6,50 € (TR 4,50 €)

(1) bodhisattva : dans la religion bouddhique, sage ayant franchi tous les degrés de la perfection sauf le dernier qui fera de lui un bouddha.

Image : pendentif en forme d’oiseau Inde moghole ( ?), XVII ème siècle ( ?). Donation Jean et Krishnâ Riboud, 2000 ( MA 6768) © Thierry Ollivier / RMN

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Check up au Théâtre des Mathurins

Check upFin de journée, fatigue, lassitude : assise à une table, la tête dans les mains, vêtue de noir, une vieille dame vient d’enterrer son mari.
Tristesse, désespoir ?

Verve gouailleuse et colère intacte, la fraîche veuve ne regrette au contraire rien du défunt.
A peine soulagée de son fardeau de mari, elle se lance dans une diatribe impitoyable contre cet époux « minable ».

Résigné, son fils – selon elle le pire portrait de son père – écoute le récit qu’il connaît par coeur : celui de la sinistre rencontre de ses parents et de leur non moins triste vie de couple.

Mais bientôt Micheline Dax, qui incarne cette veuve révoltée quitte le plateau : les scènes qui lui succèdent vont se charger de nous convaincre que si le mari ne brillait guère, ses ascendants étaient tout aussi gratinés…
En somme, une revue des hommes de la famille édifiante.

D’une réjouissante causticité, la pièce dépeint les hommes en êtres suffisants et terribles profiteurs des femmes.
Mais le meilleur est bien entendu la chute, où l’on voit que les victimes ne sont pas finalement celles que l’on croit !

Cette comédie riante et savoureuse se garde pourtant de la caricature de genre en n’omettant pas d’épingler au passage une certaine hystérie féminine…

Porté par des comédiens à l’ardeur communicative – Yvan Varco excelle à interpréter ces personnages masculins misérables –, ce Check up est merveilleusement conduit par une Micheline Dax qui, du haut de ses 83 ans paraît tout à fait déterminée à ne rien céder au temps.
On rit beaucoup ; et on est tout ému.

Check up
Théâtre des Mathurins
une comédie de Serge Serout
mise en scène : Daniel Colas, assistante : Sonia Sariel
avec : Micheline Dax, Yvan Varco, Anne Deleuze, Claire Chastel, Gaëlle Lebert
décors : Miguel Arents, costumes : Isa Demidoff
Du mardi au samedi à 21 h
Places : 28 € (TR : 15 €)

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Le cuir des arbres. Marc Fumaroli. Maison européenne de la photographie

Le cuir des arbres, Marc Fumaroli« Les arbres, a dit un sage un peu misanthrope, me consolent des hommes mieux que les animaux, avec lesquels ils ont trop de ressemblance.

J’ai été tenté de faire des portraits photographiques d’arbres. Aucun n’a répondu au sentiment qu’ils m’inspirent. Alors je me suis rabattu sur la vue rapprochée, et j’ai découvert que la photographie pouvait du moins fixer ce que l’on ne regarde le plus souvent qu’en passant et distraitement, le cuir des arbres.

Par la brève anthologie que propose cette exposition, je souhaite partager avec les promeneurs en forêt, les visiteurs de jardins botaniques, les explorateurs de pays lointains, les joies esthétiques que donne l’incroyable et infaillible génie plastique de la Nature, graveur et peintre " abstraits " sur le cuir de nos amis les arbres… ».

C’est ainsi que Marc Fumaroli présente lui-même ses clichés exposés à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 2 septembre.

Tout semble être dit.
Il ne reste plus qu’à contempler tranquillement les très grands tirages en couleur et laisser son imagination prendre son envol à la surface des arbres.

Apparaîtront alors peut-être des vues du ciel, ici terre découpée et archipel d’îles vertes, là chemins ocres tracés dans la forêt.
Ou encore, dans un camaïeux de verts et de gris, la peau d’un serpent, à moins que cela ne soit celle d’un autre reptile ; ailleurs, couleur chair, voici une parcelle de peau humaine, quand plus loin deux photos côte à côte, « oeils » sur les troncs d’arbres forment ensemble un visage humain creusé de sillons et de rides.

Tout cela est peut-être gravé dans le cuir des arbres.
C’est aussi simple que poétique.
Il n’y a qu’à regarder.

Le cuir des arbres. Marc Fumaroli
Maison européenne de la photographie
Jusqu’au 2 septembre 2007
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
M° Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Du mercredi au dimanche de 11 h à 19 h 45
Entrée 6 € (TR 3 €)

Image : Le cuir des arbres, Marc Fumaroli, 2006

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