Le Goncourt de l’année 1978 est plus intéressant que captivant. L’interrogation de Guy Roland sur son passé ne s’effectue pas sous le registre de l’émotionnel, car il agit plutôt comme si une simple curiosité le motivait dans ses recherches. Cette distance avec une quête qu’on aurait pu imaginer vécue avec davantage de trouble donne sa portée originale au roman.
Guy est amnésique et profite de la perte de son emploi de détective privé pour entreprendre une enquête qui lui est toute personnelle, tenter de retrouver qui il était avant de s’appeler Guy Roland. Au départ les indices sont bien faibles : juste un serveur de bar qui pense l’avoir connu. Ensuite il se reconnaît sur une photo et peut remonter la piste des personnes avec lesquelles il a été photographié.
S’il poursuit sa quête malgré les déconvenues, c’est qu’il n’est pas toujours persuadé qu’une seule identité le satisferait : « Je crois qu’on entend encore dans les entrées d’immeubles l’écho des pas de ceux qui avaient l’habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l’on capte si l’on est attentif. Au fond, je n’avais peut-être jamais été ce Pedro McEvoy , je n’étais rien, mais des ondes me traversaient, tantôt lointaines, tantôt plus fortes et tous ces échos épars qui flottaient dans l’air se cristallisaient et c’était moi ».
Les souvenirs affleurent peu à peu, parfois suscités par des lieux, parfois par d’anciennes connaissances. Ce n’est ni les uns ni les autres qui sont déterminants, mais plutôt ce qui relève de l’air du temps: « Hier soir, en parcourant ces rues, je savais bien qu’elles étaient les mêmes qu’avant et je ne les reconnaissais pas. Les immeubles n’avaient pas changé, ni la largeur des trottoirs, mais à cette époque la lumière était différente et quelque chose d’autre flottait dans l’air ».
La période de l’Occupation émerge, et avec elle la mémoire d’une fuite devant le nazisme avec des amis et sa compagne. Des pensées de bonheur surgissent : « Ces nuits-là tout paraissait simple et rassurant et nous rêvions à l’avenir. Nous nous fixerions ici, nos enfants iraient à l’école du village, l’été viendrait dans le bruit des cloches des troupeaux qui paissent… Nous mènerions une vie heureuse et sans surprises ».
Mais le dernier indice est une adresse à Rome, rue des Boutiques Obscures. Le lecteur ne saura rien de la suite, la quête d’identité ne connaît pas de fin.
Andreossi
Rue des Boutiques Obscures. Patrick Modiano