Georges Vantongerloo, un pionnier de la sculpture moderne

Vantongerloo, Cateau-CambresisNatif d’Anvers installé très tôt en France, Vantongerloo (1886-1965), peintre et sculpteur peu connu du grand public est pourtant une figure importante de l’avant-garde européenne.

Formé à la statuaire traditionnelle, il entreprend dès 1917 un processus d’abstraction et de géométrisation des formes qui fait de lui avec ses constructions dans la sphère l’un des inventeurs de la sculpture moderne.
En peinture, dans la veine de Mondrian, Kandinsky et Malevitch, ses recherchent se portent sur la couleur, envisagée notamment comme vocabulaire musical, dans une approche théorique et doctrinaire fidèle à la "tradition" de l’avant-garde.

A la même période, dans les années 1920, son entreprise géométrique se porte également sur l’architecture et le mobilier, avec une approche mathématique aussi rigoureuse qu’utopique. Bien de son temps, il participe au groupe puis à la revue Cercle et Carré et fonde avec Herbin l’association Abstraction-Création qui donnera lieu à des publications entre 1932 et 1936.

A cette époque, l’abstraction géométrique de Vantongerloo se traduit par des tableaux "algébriques", où il joue avec les lignes, les formes et les nombres d’une façon radicale. Une extrême doctrinaire qui visiblement ne pouvait conduire qu’à la rupture. Celle-ci a lieu à la fin des années 30 ; le formalisme, épuisé, cède la place à une subjectivité enfin libérée.

Le choix de la courbe apparaît alors comme une évidence ; en peinture, de fines lignes sinueuses sur fond blanc autorisent la légèreté. Cette période annonce les dernières étapes, les plus séduisantes, de son parcours : à la fin des années 1940, ses sculptures en fil métallique puis, à partir de 1950, en plexiglas.
Avec ces objets très sphériques, spirales et astres en orbites, Vantongerloo adopte une vision cosmique, rendue proche grâce à la dimension réduite des oeuvres.
La transparence du plexiglas, qui en fait presque une non-matière dans la négation de la couleur apparaît comme l’aboutissement de la "poétisation" poursuivie par l’artiste depuis sa rupture avec l’abstraction-géométrique.
Cette poésie et cette beauté sont magnifiquement mises en valeur par les clichés en noir et blanc pris par Ernst Scheiddeger – connu pour ses photos de Giacometti – dans les années 1950.

Georges Vantongerloo : un pionnier de la sculpture moderne
"De la sphère à l’aurore boréale »
Jusqu’au 2 mars 2008
Musée Matisse Le Catau-Cambrésis
Palais Fénelon – 59360 Le Cateau-Cambresis
tél. : 00 33 (0)3 27 84 64 64
Tlj sauf le mardi, de 10 h à 18 h
Entrée 4,50 € (TR 3 €), gratuit les 1ers dimanches du mois
Visites guidées le samedi à 15 h et le dimanche à 10 h 30
Accès : à 90 km de Lille et 170 de Paris ; les week-ends et jours fériés un train Corail Intercités fait la liaison Paris/Le Cateau-Cambresis.

Image : Ernst Scheidegger, Photo de l’œuvre de Georges Vantongerloo Nucleus, 1946, Collection JaKob Bill © Neue Zürcher Zeintung, 2007

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Paupières Bleues (Párpados azules). Ernesto Contreras

Paupières bleues, Ernesto ContrerasLa solitude devient criante le jour où vous avez gagné un voyage dans un endroit idyllique, que vous n’avez personne pour vous accompagner… et que vous ne préférez pas partir seul.
Telle est la situation dans laquelle se trouve Marina, la transparente employée d’une entreprise de confection.
Marina vit à Mexico, elle a peut-être trente ans, mais l’apparence des éternelles vieilles filles, les gestes posés – pour ne pas dire anesthésiés – le visage impassible et résigné de ceux qui n’attendent plus.
Un soir, un jeune homme l’aborde : Victor, un ancien camarade du collège qui l’a reconnue. Elle, pas du tout ; elle ne le cache même pas.
Mais elle finit par lui proposer de partir avec elle en voyage…

L’inattendu du film est que l’histoire de Marina et Victor n’est pas montrée sous le soleil des tropiques. C’est au contraire le quotidien, le travail, les petites sorties, le retour dans l’appartement, ce qui fait la vie citadine des deux célibataires qui est ici extrêmement bien restitué.
Mais il y a plus inattendu encore : la situation de chacun des personnages évolue, alors que leur relation, elle, n’évolue pas vraiment.
On espère un réchauffement, une détente – disons-le : un élan -, qui ne viennent pas. Il y a bien pourtant une sorte de rapprochement, mais où est le désir ?
A cet égard, le personnage de Marina est le plus passionnant, le plus énigmatique. Son indifférence, ses maigres désirs, au demeurant artificiels, fabriqués pour les besoins de la cause, reflets de l’image du compagnon idéal, canon qu’elle s’est forgée dans la solitude et les salles de cinéma, ne semblent jamais être bousculés par la réalité, par Victor, lui davantage ancré dans le présent.

Film dérageant et amer, dont l’humour demeure obstinément noir, Paupières Bleues réserve de belles scènes, dont certaines arrivent par surprise, telles celles montrant le personnage de la vieille mais magnifique patronne de la société où Marina travaille – superbement interprété par Ana Ofelia Murguia.
De la solitude urbaine, Ernesto Contreras fait ici une démonstration magistrale, qui en pose aussi les limites, tant le Mexicain, qui réalise ici son premier long métrage, traite son sujet de façon monolithique.
Mais cette obstination contribue à faire de Paupières Bleues un film fort, étrange et très troublant.

Paupières Bleues (Párpados azules). Ernesto Contreras
Avec Cecilia Suarez, Enrique Arreola, Ana Ofelia Muguia, Tiaré Scanda et Luisa Huertas
Mexique, 2007
Durée 1 h 38

A Paris au Latina et à l’Espace Saint-Michel
A Toulouse à l’ABC
A Montpellier au Capitole
A Grenoble au Club
et à Dijon au Devosges

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Steichen, une épopée photographique

Expo Steichen, Jeu de Paume, Fred AstaireL’Américain Edward Steichen (1879-1973) semble avoir tout fait, et toujours premier parmi les premiers.
Influencé par le symbolisme, l’impressionnisme et l’orientalisme, il introduit l’art dans la photographie au tout début du XXème siècle. Ses images dites pictoralistes effleurent dans une atmosphère voilée des corps nus énigmatiques, évoquent plus qu’elles ne les montrent des paysages, arbres, neige et cours d’eau dans une ambiance floue et poétique proche de la peinture.

A Paris, chez Gertrude et Léo Stein, il rencontre Toulouse-Lautrec, Renoir, Manet, Cézanne, Matisse, Picasso, Brancusi et les fait connaître de l’autre côté de l’Atlantique en les exposant dans sa galerie new-yorkaise. Il photographie Richard Strauss à la façon d’un personnage sorti du fantastique, mais aussi Matisse, Jaurès, Roosvelt et bien sûr Auguste Rodin. A Meudon, il réalise d’étranges clichés du Balzac de Rodin, mi-homme, mi-fantôme surgissant dans une lumière crépusculaire effrayante.
Il réalise de lui-même, bel homme, d’étonnants et remarquables autoportraits.

Mais cette approche "romantique" ne sera qu’une période, qu’il abandonnera résolument au cours de la Première Guerre mondiale, alors engagé dans la photographie militaire.
Avec les années 1920 débute donc la seconde manière de Steichen, dite moderniste.
Nommé photographe en chef des magazines Vogue pour la mode et Vanity Fair pour les mondanités, il devient LE photographe es-célébrités et monde du luxe. Sous son objectif, les robes des grands couturiers semblent des oeuvres d’art dont la perfection laisse encore aujourd’hui pantois ; les portraits de personnalités (toutes y sont passées) sont systématiquement réussis. Il joue avec la lumière artificielle et les ombres avec une virtuosité sans appel. Son talent pour mettre en valeur avec art et précision s’exerce jusque dans la publicité.

Sa créativité dépassera le strict champ photographique. Pour le textile, il photographie des objets insolites (riz, haricots, lunettes, boutons, fil…) en plan rapproché ; une fois transposée en couleur, l’image est répété sur l’imprimé. Les motifs abstraits qui en résultent – d’un superbe style "Arts Déco" – connaissent un grand succès.

A la fin des années 1930, ce passionné d’horticulture sera aussi le premier à faire entrer ses fleurs dans un musées – et au MoMA s’il vous plaît ! Il en sera d’ailleurs nommé directeur du département de photographie en 1946.
Présentée en 1955 après trois ans de recherche en Europe et aux Etats-Unis, l’exposition qu’il a mise en place The Family of Man, destinée à promouvoir la solidarité entre les peuples par le rapprochement d’images du monde entier, circulera dans trente-huit pays. Plus de neuf millions de personnes l’auraient vue jusqu’en 1962. Une version restaurée est aujourd’hui installée de manière permanente au Luxembourg, pays où il est né.

Steichen, une épopée photographique
Jeu de Paume – site Concorde
1 place de la Concorde – Paris 8ème
Jusqu’au 30 décembre 2007
Mar. de 12h à 21h, mer. au vend. de 12h à19h, sam. et dim. de 10h à 19h
Tél. 01 47 03 12 50

Image : Fred Astaire dans le film Top Hat, New York, 1927, Edward Steichen, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York © 1927, Condé Nast Publications

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De Kuroda à Foujita – Peintres japonais à Paris

Foujita, MCJP, Cinq nus, expositionL’histoire est au départ un choc de culture ; elle se nourrit d’échanges, donne lieu à des tâtonnements et ne finit pas.
Il y a d’abord l’ouverture : après des siècles d’autarcie, le Japon, sous l’ère Meiji (1868-1912) s’ouvre à l’Occident.
D’un côté, des objets et des estampes japonaises débarquent en Europe. L’engouement est immédiat ; la mode du Japonisme vogue très vite, et bientôt naît l’Art Nouveau, sa stylisation, sa prédilection pour les motifs floraux et végétaux…

En même temps – c’est ce que l’exposition visible à la Maison de la culture du Japon à Paris jusqu’au 26 janvier prochain met en évidence – au Japon, des artistes aspirent à sortir de leur culture ancestrale.
A partir de la fin du XIXème siècle, ils débarquent en petit nombre à Paris, puis de plus en plus nombreux dans la première partie du XXème siècle.
Ils ont découvert la peinture à l’huile seulement à l’ère Meiji grâce à l’ouverture économique de l’archipel. Ils viennent voir en Europe ce que les Occidentaux ont fait de ce qui est pour eux un nouveau matériau.
Ici, c’est l’impressionnisme, c’est Van Gogh, Cézanne, puis Picasso, Kandinksy… Les mouvements bouillonnent, les recherchent aboutissent à des formes d’expression picturale nouvelles.
Les plus belles oeuvres des avant-gardes d’hier sont depuis longtemps devenues des canons pour l’amateur d’art occidental du début du XXIème siècle.
Découvrir aujourd’hui ce que peignaient les artistes japonais à la même époque lorsqu’ils ont cherché à "occidentaliser" leur peinture provoque une étrange sensation tant ces tableaux semblent maladroits, faire pâle figure. On y lit les inspirations les plus diverses qui vont du Greco au surréalisme en passant par l’école de Fontainebleau, l’impressionnisme, Ingres, Manet, Renoir ou Picasso, traduisant la foule des maitres occidentaux que les artistes japonais ont découverts d’un seul coup. Le résultat semble bien souvent "en dessous" de leurs inspirateurs. Ce ne sont donc pas toutes les oeuvres en tant que telles qui méritent le détour, mais plutôt les recherches qu’elles traduisent, menées par des artistes qui ne connaissaient que l’estampe japonaise et se sont soudain ouverts à tout ce qui se faisait en Europe, dans une période de frénésie picturale particulièrement vive, et qui, en quelques décennies, se sont appropriés ces "modèles" totalement nouveaux pour eux.

Restent en tout état de cause des oeuvres belles et très intéressantes, telles celles, mi-académiques, mi-impressionnistes, du premier d’entre eux, Kuroda (1866-1924), chez qui la culture du levant demeure bien visible, avec ses tonalités claires et fondues, ses verts céladon et jaunes pailles éthérés, ses silhouettes impassibles et ses motifs végétaux décoratifs.

L’exposition est aussi l’occasion d’admirer les tableaux magnifiques de Foujita (1886-1868), la délicatesse de ses couleurs et de ses sujets, sa manière de souligner les contours d’un trait fin, oeuvres qui résonnent comme autant d’odes à la féminité et à la sensualité, au fantastique, au rêve et aux contes.

De Kuroda à Foujita – Peintres japonais à Paris
Maison de la culture du Japon à Paris
101bis, quai Branly – Paris 15ème
M° Bir-Hakeim, RER Champ de Mars
Jusqu’au 26 janvier 2008
Du mar. au sam. de 12 h à 19 h, le jeu. jusqu’à 20 h
Fermeture annuelle du 23 déc. au 3 janv. inclus
Entrée 6 € (TR 3 €)
Catalogue de l’exposition : 40 € (Ed. Fragments international)

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Les Voisines. Théâtre de Nesle

Les voisines au théâtre de NesleLa dernière scène peut être vite oubliée, elle ne gâche pas le bon moment passé en compagnie de ces Voisines. Le théâtre dans le théâtre, ça ne s’écrit pas sur un coin de table ; ça s’inscrit dans un contexte. Or, cette soirée a le contexte léger.

Succession de tableaux mettant en scène des femmes en proie à des difficultés nécessitant sans délai le secours de sa prochaine, la pièce brode avec humour sur l’épineuse question des hommes et de leur virilité : c’est toujours trop ou pas assez.

Il y a celui qui se prend pour un saint, celui qui en honore deux ; celui qui préfère une blonde, celui qui se prend pour un chien…
Pour résoudre ces cas fort problématiques, solidarité féminine oblige, ces dames trouveront bien des arrangements…

Les scènes cocasses voire farfelues tirent leur force du talent comique des comédiennes, en particulier celui de Chantal Delatour, Christine Herivan et Nathalie Geoffroy.
Un regret toutefois : que ces potentialités ne soit pas suffisamment exploitées. L’auteur-metteur en scène a tendance à faire jouer chacune d’entre elles de façon relativement monolithique d’une saynète à une autre.
C’est dommage, car il est bien évident qu’il y a "de la réserve", du talent, quoi !

Les Voisines
Comédie de Franck d’Ascanio
Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle – Paris 6ème
Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 21 h
Jusqu’au 24 novembre 2007
Places : 15 € / 20 €

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L'Epilogue : La mort d'Avignon. Philippe Caubère

L'Epilogue à l'Homme qui danse, La mort d'AvignonLa voici la der des der, la fin de l’Epilogue, la révérence de l’Homme qui danse.

La première partie de l’Epilogue, La Ficelle était d’un dénuement tel qu’elle avait laissé le spectateur déçu, triste, presque en colère.

Dans La mort d’Avignon, le vrai final, Philippe-Ferdinand nous dit au revoir avec l’art et la manière qui sont siennes : avec panache et en beauté.

1978, la Cour d’honneur du Palais des Papes : Georges Wilson et Paul Puaux racontent au jeune Ferdinand l’Avignon d’autrefois et raniment avec autant d’humour que d’émotion le souvenir de Gérard Philipe et celui de Jean Vilar.
Puis c’est au tour de notre jeune comédien d’entrer sur scène pour une interprétation – ou plutôt un massacre – de Lorenzo dans Lorenzaccio.
Sur les gradins, ils sont tous là : de Gaulle, Sartre et Mauriac, Johnny Halliday, Claudine et sa gouvernante. Toutes deux ont vieilli ; elles sont venues en chemise de nuit, elles vont prendre froid… la faute au mistral, qui va finir par tous les emporter avec lui.

Les personnages, la cour du Palais, le mistral : Philippe Caubère seul en scène les fait tous exister. La magie opère encore et toujours, jusqu’aux derniers mots de l’artiste, très beaux. Dans la nuit qui est tombée tout à coup, la missive sonne juste, elle vient de loin, elle est bouleversante.

La mort d’Avignon écrit, mis en scène et joué par Philippe Caubère.
Les jours pairs La Ficelle, les jours impairs La Mort d’Avignon
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
M° Franklin-Roosevelt, Champs-Elysées-Clemenceau
Tél. : 01-44-95-98-21
Jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 20 heures
Durée : 2 h environ sans entracte
De 10 € à 33 €

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Jean Rochefort dans "Entre autres" au théâtre de la Madeleine

Entre autres, Jean Rochefort au théatre de la MadeleineIl faut voir Jean Rochefort dire le texte de Frambroise ! de Boby Lapointe, enjoué et coquin, juvénile avec sa mèche retombant sur son grand front de 77 ans.
Il faut le voir chanter Félicie aussi, les yeux plein de malice et le corps ondulant, entraînant sans forcer le public avec lui.
Il faut l’écouter lire Primo Levi, ému et recueilli, refusant tout enchaînement musical vers le texte suivant. L’écouter ressusciter la voix nasale de Michel Audiard, le temps d’un coup de fil professionnel plus que savoureux.
Se laisser gagner par son regard d’enfant quand il évoque une rencontre avec Jacques Prévert, l’admiration encore intacte un demi-siècle plus tard.

Certes, il concède, parce que cela l’amuse apparemment beaucoup, de mémorables imitations du caméléon, du singe ou du coït du lion. Il est tordant dès qu’il le veut ; il le sait, ce qui le dispense d’en rajouter.

Mais le spectacle de Jean Rochefort, ouaté par les quelques notes attentives de l’accordéon de Lionel Suarez est avant tout un hommage aux grandes plumes et aux artistes qu’il a aimés. De Philippe Noiret à Michel Serrault en passant par Fernand Raynaud, le comédien convoque une armée de talentueux disparus, en se gardant de manifester une quelconque nostalgie. Il fait d‘Entre autres une harmonie de teintes douces, assourdies par la tendresse des souvenirs, que sa visible sincérité et son élégance mettent merveilleusement en lumière.

Entre autres. Jean Rochefort
Lionel Suarez à l’accordéon
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène, Paris 8ème
du mardi au samedi à 21h
matinée le dimanche à 15h
Places de 15 € à 50 €

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A l'abri de rien. Olivier Adam

A l'abri de rien, Olivier Adam, l'OlivierOlivier Adam a l’art de décrire les souffrances intimes, les moments de vide, la solitude, la détresse, l’errance, la perte de soi. Il le fait avec finesse, sobriété, de son écriture courte qui oscille entre délicatesse et coup de poing.
Dans son dernier roman, A l’abri de rien, il prend une nouvelle fois le chemin des écorchures et des drames mais surtout celui de l’ordinaire et des médiocrités de l’existence.
Dans un village du bord de la mer du Nord, malgré l’amour de son mari et de ses deux jeunes enfants, Marie est en train de perdre le goût à la vie. Elle contemple son pavillon acheté à crédit, les enseignes lumineuses des centres commerciaux, son couple dont la passion a disparu sous les problèmes du quotidien, ses congénères et leur sort ordinaire semblable au sien, sans plus trouver sa place dans ce qui est sa vie.
Un soir où elle est venue se garer tout près de la mer, au pied de l’immeuble de son enfance, et penser en fumant à ses bonheurs perdus, elle croise les silhouettes erratiques et abîmées de réfugiés clandestins. Elle va aussitôt s’engouffrer auprès d’eux, les aider en leur donnant tout ce qu’elle peut, et bien au-delà.

Comme les précédents romans d’Olivier Adam, A l’abri de rien est un livre poignant. Mais cette fois certains passages sont moins convaincants, notamment lorsque Marie se trouve près des malheureux "kosovars". L’auteur mêle à la description de ses gestes de plus en plus fous les réflexions qu’il lui prête et qui sont elles très censées. Le lecteur a du mal à y croire car l’état psychologique de son personnage semble incompatible avec de telles analyses.
La lecture terminée, l’on a l’impression que l’histoire de l’aide aux réfugiés était un prétexte. Un prétexte pour réussir à décrire, ici encore, à travers cette femme, mère et épouse qui perd pied, une sorte de perdition de l’âme et du corps, une violence contre soi et l’impossibilité de communiquer avec l’autre.

A l’abri de rien. Olivier Adam
Editions de l’Olivier
228 p., 18 €

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Chaïm Soutine à la Pinacothèque de Paris

Chaim Soutine, vue de Cagnes, Pinacothèque de ParisNé à la fin du XIXème siècle en Biélorussie, Chaïm Soutine émigre à Paris en 1913.

A la Ruche, atelier de Montparnasse, ses contemporains sont Chagall, Kikoïne, Lipchitz – le groupe appelé Ecole de Paris.

Il noue avec Modigliani une amitié qui durera jusqu’à la mort du peintre italien en 1920.
Le même Modigliani le présente au marchand d’art Léopold Zborowski : grâce à lui, tiré de la misère la plus noire, Soutine pourra vivre confortablement de son art durant le reste de sa vie, jusqu’à ce que son estomac malade ait raison de lui en 1943.

Ce parcours n’explique pas la tourmente qui caractérise la peinture de Soutine, qualifiée souvent d’expressionniste. Enfance très pauvre dans une famille juive orthodoxe, souffrances passées, repli sur soi, solitude et dépression : beaucoup de choses ont été écrites, parfois tout et son contraire, sur un artiste qui n’a laissé aucun écrit pour confirmer ou infirmer les hypothèses, lever ce voile de mystère qui couvre en grande partie sa vie intime.

Restent ses tableaux. Il en a peint et détruit beaucoup.
De l’exposition visible à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 27 janvier prochain, les plus fascinants sont les paysages peints à Cagnes et à Céret. Au départ, des coups de brosse aux aplats larges et rapides, un sens de la composition très séduisant, des couleurs éclatantes et des contrastes très maîtrisés : point de tourmente encore, mais des paysages singuliers, un peu bousculés, où l’élément central, route montante ou escalier monumental, fait déjà tanguer les constructions.

Puis, à partir des années 1920, les couleurs et la matière se densifient, s’entremêlent ; les coups de pinceau sont de plus en plus mouvants. Sous les rafales du mistral, les arbres se tordent et poussent les maisons vers l’extérieur du cadre, carrément menacées d’effondrement.
Il frise alors parfois l’abstraction, mais au bénéfice d’une formidable puissance. Et l’énergie dévastatrice est bien souvent contrariée par des couleurs chaudes ici ou là qui viennent évoquer un élan vital qui refuse de céder.

Si le thème de la violence, ou du moins de la menace, est constant dans une grande partie de l’oeuvre de Soutine – comme en témoignent ses personnages osseux à l’oeil noir et aux longs doigts noueux, ses animaux morts et parfois même écorchés –, dans les années 1930 puis 1940, le peintre semble avoir trouvé la voie de l’apaisement. Âne, porc, taureau sont désormais montrés vivants et tranquilles dans leur milieu naturel.

Surtout, le très beau Paysage de Champigny (1942-1943) vient contredire tout ce que Soutine a exprimé des années auparavant : sur la crête d’une montagne, un enfant assis dans un cadre idyllique aux splendides couleurs froides regarde une blanche chèvre paître paisiblement.
Comme ici la tourmente semble loin…

Chaïm Soutine
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
L’exposition est prolongée jusqu’au 2 mars 2008
Tlj de 10 h 30 à 18 h
Entrée 9 € (TR 7 €)

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L'Epilogue à l'Homme qui danse : La Ficelle. Philippe Caubère

L'Epilogue à l'Homme qui danse : La Ficelle, Philippe Caubère« Ce spectacle est un gruyère dont les trous sont à combler par l’imagination du spectateur », énonce Philippe Caubère dans La Ficelle, premier volet de L’Epilogue, le dernier tour de piste de L’Homme qui danse.

« L’imagination du spectateur » : Dieu sait si elle peut être bonne fille, l’imagination du spectateur.
Mais encore faut-il lui proposer un personnage, une situation, n’importe quoi qui suggère une histoire.
Hélas ! Philippe Caubère n’a cette fois-ci qu’une ficelle à nous tendre.
Le spectateur peut essayer de la saisir, il ne trouvera rien au bout.
Et c’est triste car il est un des artistes qui nous ont fait le plus rire ces dernières années lorsqu’il nous racontait l’histoire de Philippe-Ferdinand, entouré d’une armée de personnages qu’il parvenait à incarner d’un geste, d’une mimique, d’une voix avec un talent comique exceptionnel.
Alors, de quelle folie l’ami Caubère a-t-il été pris ?
« Ce spectacle est très différent des autres épisodes. Il est beaucoup moins consensuel » avait-il prévenu avant la saison.
Finalement, il a carrément éliminé tous ses personnages. Plus de Claudine, plus d’Ariane Mnouchkine, plus de tonton Charles ni de Johnny.
Sur scène, il ne joue plus qu’un Philippe-Ferdinand au chômage, qui tente de s’inventer un scénario à partir d’un bout de ficelle.
Et le constat est cruel : c’est comme s’il n’y avait rien ni personne.

Philippe Caubère semble avoir perdu son rythme trépidant, son énergie hors du commun. Certains soirs, il "savonne" sans cesse. Mais la limite n’est certainement pas physique. Caubère n’a plus de souffle parce qu’il n’a pas de personnage à porter, parce qu’il n’a rien à dire. C’est un problème évident d’écriture.
Et que faire, sans texte, à part s’agiter en vain et bavarder sans fin : endormir le spectateur, dont l’imagination ne tarde pas à s’échapper dans un autre monde. Bonne fille, mais pas folle.

L’Epilogue de et avec Philippe Caubère.
Les jours pairs La Ficelle, les jours impairs La Mort d’Avignon
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
M° Franklin-Roosevelt, Champs-Elysées-Clemenceau
Tél. : 01-44-95-98-21
Jusqu’au 2 novembre, du mardi au samedi à 20 heures
Durée : 2 h environ sans entracte
De 10 € à 33 €

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