Julien Gracq, le dernier des classiques. Le magazine littéraire

julien_gracqDans son numéro du mois de juin, le magazine littéraire consacre un très bon dossier à Julien Gracq, réunissant pour l’occasion un ensemble d’entretiens et d’articles fins et éclairés sur le célèbre romancier-essayiste.

Né le 27 juillet 1910, c’est au bord de la Loire, dans sa ville natale de Saint-Florent-Le-Vieil, que, poursuivant un choix de vie qui a toujours été sien, Julien Gracq va discrètement sur ses 97 ans.

Il n’a publié que seize livres, entre 1939 et 1992, dont une petite poignée de romans, chez un éditeur « artisanal », José Corti ; il a refusé toute édition de poche, mais a été intronisé de son vivant dans la Pléïade ; il a refusé sèchement le prix Goncourt en 1951 et s’est toujours tenu en retrait quasi-total vis-à-vis des médias … Julien Gracq fait presque figure de personnage mythique aujourd’hui.

Le portrait qui se dessine au fil du dossier du magazine littéraire (lequel s’ouvre sur un précieux entretien avec l’écrivain) est effectivement celui d’un "classique" au style impeccable, mais aussi celui d’une personnalité ferme et vivifiante.

Géographe, l’auteur du Rivage des Syrtes préfère cheminer sur les hauts plateaux désertés et défendre une vision de la littérature que l’on qualifierait aujourd’hui d’"exigeante", alors que Julien Gracq s’applique simplement à la défendre contre ce qui n’est pas elle mais tend à la noyer : certains aspects du monde moderne, telle la cristallisation de la lumière autour de personnages-écrivains, tandis que l’éventuelle qualité des textes devient secondaire.

Julien Gracq n’avait pas accordé d’interview depuis six ans. Celui qui « n’a pas cessé d’écrire en cessant de publier » a encore des choses à dire. L’écouter et le lire aujourd’hui est souverain. Voici par exemple ce que la question de sa « postérité » lui inspire :

Nul ne sait ce que sera, ou pourra être, la littérature, ou ce qui en tiendra lieu – disons en 2050 – dans sa forme, ni même dans la langue qu’elle parlera. En revanche, il est probable que son mode d’insertion dans la vie courante aura changé du tout au tout, la quantité énorme des informations instantanément disponibles refoulant impitoyablement, ne serait-ce que de sa masse opaque, le « fonds classique » qui faisait, pour un écolier du XVIIème siècle de la littérature un âge d’or dégusté en conserve, plutôt que la séduction immédiate d’un produit du « rayon frais ». (…) J’ai vu se succéder, depuis le temps que j’étais au lycée, une demi-douzaine d’écoles ou de mouvements littéraires, chacun abandonnant derrière elle davantage de disparitions précoces que de positions imprenables.
Je disais seulement, il me semble, que le public d‘En lisant en écrivant aurait sans doute disparu pour la plus grande part dès 2020, la moitié au moins des noms cités n’évoquant plus rien pour le lecteur. Conséquence d’une culture à dominante de plus en plus horizontale (toute la littérature actuelle du monde) et de moins en moins verticale (le prestige des Anciens).

Gilles Lapouge dresse une délicate cartographie de l’écrivain des espaces et du temps, qui est également celui de l’attente et du désir, comme le souligne Pierre Michon.

Evoquant le fascinant Le Rivage des Syrtes, Enrique Vila-Matas montre comment ce roman ne se contente pas de se nourrir des apports de la vie mais pousse aussi à partir d’autres livres, illustrant ainsi la thèse de Julien Gracq, selon qui « Le mimétisme spontané compte beaucoup : par d’écrivains sans insertion dans une chaîne d’écrivains ininterrompue ».

Pierre Bergounioux, au terme d’une introduction rassemblant une vision déchirée de l’histoire de la France du XXème siècle, rappelle que Un balcon en forêt fut écrit – quinze ans après – par un de ceux, nombreux, qui connurent l’expérience militaire désastreuse de 1939, laquelle, au bout de quelques mois, fit d’eux des prisonniers :

Aux expériences cumulées dans la grande temporalité, il emprunte son rustique et profond savoir de la terre et de la guerre, de la forêt, du braconnage, le sens et le goût de la conversation, une galanterie consommée avec les dames, celles, surtout, qui sont jolies, le sentiment des paysages, infiniment divers et contrastés dans les limites exiguës, pourtant, du pays, l’attention restée de la société agraire traditionnelle, à la saveur presque ineffable des heures, aux changements saisonniers, l’attente angoissée, aux frontières, de l’antique adversaire – le Germain, le Boche, le Fritz – , le courage naturel, spontané, spirituel, serait-on tenté dire, qu’on trouvait encore dans le tempérament national, ennemi de l’esprit de sérieux, de la grandiloquence, et farouche, pourtant (l’historien Marc Bloch est un autre exemple de cet héroïsme ingénu, qu’il paya de sa vie), le goût artisanal de la belle ouvrage, hérité de l’industrie manufacturière des produits de luxe, dont profite le canon antichar, dans la soute de la maison forte.
Tout ça, ils sont un million et demi d’hommes qui en ont fait l’expérience au même moment parce qu’ils avaient le même âge, donc les mêmes penchants, les mêmes travers et les mêmes vertus. Un seul lui a conféré ce degré proprement inouïe d’exactitude, cette extraordinaire puissance de suggestion ou de révélation, parce que l’art est difficile, extrêmement, et qu’une nation ne peut guère tirer de son sein plus d’une poignée d’hommes qui en soient capables. Julien Gracq est de ceux-là.

le magazine littéraire
juin 2007, n° 465
98 p., 5,80 €
à consulter : le site du magazine littéraire
le site des éditions José Corti

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100 photos du Festival de Cannes. Reporters sans frontières

reporters sans frontières, CannesLe 3 mai dernier, à l’occasion de la 17ème Journée internationale de la liberté de la presse, Reporters sans frontières a publié un nouvel album photos, consacré aux soixante ans du Festival de Cannes.

Belle idée pour l’ouverture du 60ème Festival qui se déroulera du 16 au 27 mai.
On a immédiatement envie de l’offrir ou de se l’offrir, car les photos sont magnifiques. Elles ont été choisies parmi les archives des plus grandes agences et des meilleurs photographes qui ont couvert le festival : collection Traverso, Mirkine, Daniel Angeli, Emmanuele Scorcelletti (Gamma), les archives de Studio Magazine …

A les regarder, il semble qu’en soixante ans sont passées à Cannes les plus belles femmes du monde, les plus « stars » bien sûr : Monica Bellucci, Fanny Ardant, Sharon Stone … pour qui le mot semble avoir été inventé, star parmi les stars !

Y compris celles qui ont commencé dans le métier toutes jeunes et qui étaient déjà sur la Croisette.
Coup de coeur pour la petite Brigitte Fossey courant sur la plage, en 1953. La même année, la très jeune Brigitte Bardot se fait coiffer (ou décoiffer ?) par Kirk Douglas …

Des surprises, tels les portraits de Claudia Cardinale ou de Gérard Depardieu, photographiés comme jamais, en des instants volés (?), bouleversants de naturel.

Des photos historiques aussi, comme celle où sont assis côté à côte, en 1968, Claude Lelouch, Jean-Luc Godard et François Truffaut.

Beaucoup d’émotion enfin à retrouver des disparus d’hier, Philippe Noiret notamment, ou d’avant-hier, tels Françoise Dorléac – quel charme ! – , Patrick Dewaere, alors si lumineux, si radieux …

A lire dans la revue : la préface de Vincent Cassel, l’entretien avec Gilles Jacob, président du Festival, un petit historique du Festival, le rappel des Grands Prix et Palmes d’Or depuis 1946.

Mais aussi le triste bilan des « prédateurs de la liberté de la presse ».

Les bénéfices de la vente de l’album sont intégralement reversés à RSF pour mener des actions concrètes en faveur de la liberté de la presse : assistance aux journalistes et à leurs familles souvent démunies ainsi qu’aux médias en difficulté, investigations sur le terrain afin de déterminer les responsabilités dans les cas d’assassinat, financement de frais d’avocats lors de procès de presse, accueil de journalistes contraints de fuir leur pays, etc.

En vente chez les marchands de journaux, dans les Fnac,
les librairies, les grandes surfaces …
Au prix de 8,90 €

Site de Reporters sans frontières
Site officiel du Festival de Cannes

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Scandaleusement célèbre

scandaleusement celebreSorti l’an dernier, Truman Capote, réalisé par Bennett Miller retraçait l’aventure de Truman Capote et de De sang-froid, le livre sur l’assassinat d’une famille de fermiers dans le Kansas en 1959, qui a valu à l’écrivain un immense succès.

Scandaleusement célèbre, de Douglas McGrath, a exactement le même sujet.
Aussi réussi que le film de Bennett Miller, il est encore plus réjouissant.

Le personnage de Capote y est dessiné tout en nuances.

Au début du film, Truman Capote est une « petite langue de vipère » que l’on voit évoluer dans le milieu intellectuel et ultra-mondain de Manhattan.
Homosexuel, il est aussi le confident de ses amies, ses « cygnes » comme il les appelle, qui lui livrent leurs peines de coeur. Fou de joie de recueillir et colporter des potins, il est en même temps toujours prêt à réchauffer ses bien-aimées de sa présence, de ses paroles, et d’un verre de Martini …
L’ambiance new-yorkaise des années 1950, les personnages et leurs répliques … Le tout est délicieusement croqué.

Mais voici le même Truman Capote qui part, toutes affaires cessantes, pour enquêter sur le quadruple meurtre de la famille de fermiers : il débarque au fin fond du Kansas, accompagné de son amie Harper Lee, également écrivain, qu’il surnomme Nelle.
Toque, manteau long et cinquante valises : on l’appelle Madame et ne le prend pas au sérieux.
Les scènes sont tordantes, les dialogues aux petits oignons.

On assiste alors au déploiement du charme aux multiples facettes de l’insupportable Truman Capote : humour pince sans-rire, aplomb incroyable, civilité extrême, dans un mélange de mise en scène et de naturel irrésistible.
L’inspecteur chargé de l’enquête et sa famille y succombent. Truman Capote, ayant désormais accès aux informations dont il a besoin peut se mettre au travail sans délai.

Commence ainsi la partie la plus mythique de la vie de Truman Capote, lorsque l’idée du reportage cède à l’évidence d’un roman : l’expérience d’écriture exceptionnelle que constitue De sang-froid, qui le conduira à travailler comme un fou pendant des années, à rechercher le moindre détail – rien de moins que la perfection.

La relation que Truman établit avec l’un des assassins, Perry, dont il a besoin pour nourrir son livre est captivante. A la stratégie de l’apprivoisement succède la nécessité d’un investissement plus profond : pour gagner la confiance de Perry, il est obligé de donner de sa personne. Va se nouer entre les deux hommes un lien très particulier dont l’ambiguïté n’est jamais totalement éclaircie.

Scandaleusement célèbre dresse de Truman Capote un portrait chargé de mystères et de contradictions, infiniment humain.
Il est magnifiquement interprété par Toby Jones, mais aussi par Sandra Bullock dans le rôle de Harper Lee, l’auteur de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

Scandaleusement célèbre (titre original : Infamous)
Film américain de Douglas McGrath
Avec Toby Jones, Sandra Bullock, Sigourney Weaver, Daniel Craig …
Durée : 1h 58min.

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J'attends quelqu'un. Jérôme Bonnell

j'attends quelqu'unJ’attends quelqu’un se passe dans une petite ville de province ; dans un petit bar-restaurant, Le café de la paix ; dans une voiture ; dans une petite chambre d’hôtel ; au seuil des maisons, parfois à l’intérieur, lorsque l’intimité s’installe, et le danger qui va avec …

Des personnages s’y croisent, s’y rencontrent, peuvent s’y aimer.

Hormis Stéphane, le plus jeune mais pas le moins mélancolique, tous sont ordinaires, installés dans "quelque chose" ; et ce quelque chose, c’est leur vie.

Petit à petit, Jérôme Bonnell nous fait découvrir ces vies-là, ces personnages banals et pourtant infiniment singuliers, les liens qui les unissent et ce qui les sépare.
Ce sont précisément ces liens-là, tels qu’ils sont tracés, mais aussi dans ce qu’ils ont de mouvants, qui vont révéler les failles et les manques.

Car sans se plaindre une seule seconde, ils semblent pourtant tous espérer quelque chose de plus. Ou autre chose. Ou différemment. Quelqu’un.

Le scénario de J’attends … est impossible à raconter mais tient la route de bout en bout.
Jérôme Bonnell évite tous les écueils dans lesquels ce film choral aurait pu tomber, le côté tribu-tous ensemble, la démagogie générationnelle, le tableau de province éculé, les bons sentiments…

Rien de torturé pourtant, rien d’excessif, simplement de la sensibilité, de la joie, de l’attente et de l’espoir, des sourires, des rires, des yeux qui se baissent et d’autres regards qui se croisent, des larmes qui montent aux yeux et parfois débordent.
La vie, fraîche et mélancolique, telle qu’elle est.


Coup de coeur : 

Pour les comédiens, extraordinaires de justesse : Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca et, encore à part, Florence Loiret-Caille

J’attends quelqu’un. Jérôme Bonnell
Avec Jean-Pierre Darroussin, Emmanuelle Devos, Eric Caravaca, Florence Loiret-Caille, Sylvain Dieuaide …
Durée : 1h 36min.

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Familia Tortuga. Rubén Imaz Castro

 Un vieil homme cherche un animal dans un jardin, ne le trouve pas.
Il rentre, fait le tour de la maison, entrouvre les portes des chambres encore occupées, énumère pour lui-même les tâches à faire et prononce le prénom de chacun des siens.

Puis il se met à préparer le petit-déjeuner.
Petit à petit, chacun des membres de la famille passe ou s’arrête dans la cuisine, qui est désormais celle de Manuel – comme toute la maison d’ailleurs : depuis la mort de la mère un an plus tôt, c’est le vieil oncle Manuel qui prend en charge la bonne marche du foyer.
Apparaissent donc le fils, José, adolescent, puis Luisa, l’aînée, dix-huit ans peut-être ; beaucoup plus tard, le père.

La journée qui ainsi commence et sera le temps du film, n’a rien de particulier, si ce n’est qu’elle est la veille des "un an de maman", comme le dit l’un des personnages : le premier anniversaire de la mort de la mère.
De cette disparition, on ne saura rien. De cette soeur, épouse, mère, on ne parlera pas.

Car chacun sort de la maison pour se plonger dans ses soucis et joies personnels : plutôt que d’aller en cours, Luisa préfère rejoindre son fiancé, petit dealer qui ne sait pas le cœur tendre qu’il tient entre ses bras ; José pousse dans son adolescence ; le père tente de se tirer de sa situation financière délicate ; Manuel s’affaire sans relâche à la maison.
Tous vont et viennent, s’activent, chacun à sa manière et à son rythme ; parlent peu et ne se livrent jamais.
Mais ces personnages expriment une palette de sentiments et d’émotions subtile, une tristesse qui se tait et, pudique, se dissimule derrière une vie bien remplie et parfois gaie.
Une gravité qui cohabite avec une soif de vivre, de se construire – pour les enfants -, de reconstruire – pour le père – de continuer – pour le vieil oncle, pour n’apparaître qu’au détour d’un geste, d’un regard, d’un mot.

Avec la famille "tortue" – métaphore aux multiples facettes, toile de fond du film dont la trame reste toujours très fine -, Ruben Imaz crée d’un trait léger et délicat un univers, une ambiance, des personnages. Ils sont tous formidablement bien interprétés. Luisa Pardo, dans le rôle de la fille, est impressionnante, Dagoberto Gama, dans celui du père, excellent (il jouait le rôle du capitaine amateur de musique dans El Violin), tout comme Manuel Plata López (qui est le propre oncle du réalisateur).
Épargnant au spectateur toute démonstration, Ruben Imaz le fait entrer dans son monde et l’y attache par une force d’évocation des sentiments parfaitement maîtrisée.

On ne peut que remarquer le talent du jeune cinéaste mexicain (âgé de 27 ans) et se féliciter du choix du jury du festival des cinémas d’Amérique Latine de Toulouse. Grâce au Grand prix Coup de Cœur, ce premier long métrage, sélectionné l’année dernière par Cinéma en Construction, pourra être distribué en France.

Il est projeté à Paris ce soir mardi 27 mars :
A 17 h 30 au Latina, 20 rue du Temple, 75004 Paris – M° Hotel de Ville
et à 19 h à l’Institut du Mexique, 119 rue Vieille du Temple – 75003 Paris

Familia Tortuga (Famille Tortue)
Rubén Imaz Castro
Mexique, 2006, 2 h 09
Avec José Ángel Bichir, Luisa Pardo, Manuel Plata López, Dagoberto Gama

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Pascale Ferran. Lady Chatterley

lady_chatterleyLady Chatterley est un film sur le désir, la découverte de l’autre, la découverte de soi, la transformation, la renaissance. On en sort sous l’emprise d’un charme – qui n’est peut-être autre que le charme de la vie-même – et, longtemps, durable, son empreinte demeure.

Après avoir été conquis par ce film magnifique, on découvre sa réalisatrice, Pascale Ferran. Elle apparaît comme une dame simple, sincère, dont la timidité s’efface derrière la détermination.

Sa voix, singulière, semble venir d’un autre monde, qui n’est pas celui du cinéma. Pourtant, qui mieux qu’elle au cours de ces dernières années a aussi justement parlé du cinéma ?

Que ce soit à l’émission Le Masque et la Plume sur France-Inter, dont les auditeurs ont désigné Lady Chatterley meilleur film français de l’année, ou lors de la soirée de remise des Césars, dont le jury de professionnels a confirmé le choix du – d’un certain – public, Pascale Ferran, après son film, a elle-même séduit.

Avec le numéro du mois de mars, Les cahiers du cinéma offrent à leurs lecteur un petit « Carnet d’une cinéaste » contenant des notes de Pascale Ferrand, des croquis, photos qui ont servi à la préparation et à la réalisation du film.

Tout y est beau, simple, extraordinairement précis, délicat.

Notamment, on peut lire une longue « note d’intention en forme de lettre au futur coscénariste du film ».
La lettre est une telle merveille qu’on ne peut que conseiller de la lire dans son intégralité.
Elle commence par des considérations – passionnantes – purement cinématographiques pour se clôturer sur de très belles réflexions personnelles de la cinéaste. En voici tout de même des extraits.

4. (…) Il me semble de la plus haute importance d’arriver à restituer cinématographiquement l’extraordinaire impression de première fois qui se dégage du livre :
La première fois que cette histoire a été racontée.
La première fois que cet homme et cette femme se sont rencontrés.
La première fois qu’un homme et une femme se sont aimés.
(Il y a quelque chose d’archaïque dans ce projet, de pré-moderne. Je pense tout le temps à Blissfully Yours et aux films de Boris Barnett. Je ne sais pas grand-chose et pourtant j’ai souvent l’impression que c’est un projet pour lequel il me faudrait encore désapprendre).
5. Etre le plus possible dans le présent des choses, dans l’espoir d’arriver à faire venir au premier plan la présence des choses et des gens. C’est évidemment l’un des motifs souterrains du livre (et du film à venir) : le miracle de l’incarnation. L’émerveillement devant la pure présence de l’autre. Mais on n’a pas le droit d’en parler. C’est comme la poésie pour Cocteau.
8.Il n’empêche, c’est un projet fou. La tâche paraît, par moments, écrasante. Mais la beauté du projet tient tout entier dans son étranger paradoxe : l’ambition la plus folle n’est accessible ici qu’au moyen de la plus grande modestie.

Carnet d’un cinéaste. Pascale Ferran, Lady Chatterley
Supplément au dernier numéro des Cahiers du Cinéma (mars, n° 621)
A lire également : le discours de Pascale Ferran lors de la cérémonie des Césars
sur le site du journal Le Monde

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19èmes Rencontres Cinémas d'Amérique Latine de Toulouse. Palmarès

rencontresGrand Prix Coup de Coeur: FAMILIA TORTUGA
de Rubén Imaz Castro (Mexique, 2h09, 2006)

Le Grand Prix Coup de Cœur est un prix d’aide à la distribution en France, d’une valeur de 6100 euros qui se répartissent sur trois domaines : dotation de 3000 euros pour le distributeur, aide au sous-titrage d’une copie, d’une valeur de 2500 euros offert par Titra Film et aide à la traduction de ce sous-titrage d’une valeur de 600 euros par Fila 13.

Mention spéciale pour le film : MADRIGAL
de Fernando Pérez (Cuba, 1h52, 2006)

Composition du Jury : Cristián Sánchez Président du Jury, réalisateur (Chili), Jacques Bouquin, chef opérateur (France), Lina Echeverri, productrice (Colombie), Sebastián Lelio, réalisateur (Chili) et Gilles Rousseau, Forum des Images (France)

Prix du Public Intramuros : CIUDAD EN CELO de Hernán Gaffet (Argentine, 1h44, 2006)

Prix Découverte de la Critique Française : CAPITAL, TODO EL MUNDO VA A BUENOS AIRES de Augusto González Polo (Argentine, 1h50, 2007)
Composition du Jury : Christophe Chauville (Repérages), Heike Hurst (Jeune Cinéma) et Dominique Martinez (Positif)

Prix Fipresci de la première œuvre : LA MAREA de Diego Martinez Vignatti (Argentine, 1h23, 2006) Composition du Jury : Lotfi Ben Khalifa (Le Temps, Tunisie), Dana Duma (Caiete Critice, Roumanie) et joan Millaret Valls (L’Enllaç, Espagne)

Prix SIGNIS du documentaire : EL TELÓN DE AZUCAR de Camila Guzmán Urzúa (Cuba/France, 1h23, 2007)
Mention spéciales pour les films documentaires : SABA de Thereza Menezes et Gregorio Grazios (Brésil, 15mn, 2006) et LOS PRÓXIMOS PASADOS de Lorena Muñoz (Argentine, 1h06, 2006)
Prix SIGNIS du court-métrage : 30 ANS de Nicolas Lasnibat (Chili, 20mn, 2006)
Composition du Jury : Anca Berlogea (Roumanie), Ernesto Cabellos (Pérou) et Nathalie Roncier (France)

Prix Courtoujours : VENUS de José Alvarez (Mexique, 20mn, 2005)
Composition du Jury : Felipe Zalamea (étudiant en Sciences économiques – Président du Jury), Maeva Chaplin (étudiante en Arts Appliqués), Mélanie Kaba (étudiante en philosophie) et Norbert Lapierre-Galtier (étudiant en psychologie)

Rail d’Oc : LA PUNTA DEL DIABLO de Marcelo Paván (Argentine, 1h30, 2006) Le Jury était composé de cheminots cinéphiles

Par ailleurs le Prix de Cinéma en construction 11 Toulouse a été attribué au film POR SUS PROPIOS OJOS de Liliana Paolinelli (Argentina) et une mention spéciale a été accordée au film EL ASALTANTE de Pablo Fendrik (Argentina).

Coups de cœur absolument partagés pour FAMILIA TORTUGA, le premier long métrage du Mexicain Rubén Imaz Castro et pour le documentaire de Camila Guzmán EL TELÓN DE AZUCAR. On y reviendra.

Tous les détails des 19èmes Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse et du palmarès sur :
cinelatino.com

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Rencontres Cinémas d'Amérique Latine de Toulouse

rencontresLes 19èmes Rencontres Cinémas d’Amérique Latine se dérouleront à Toulouse du vendredi 16 au dimanche 25 mars.

Réunissant professionnels et amateurs, elles mettront en lumière et distingueront des longs métrages inédits en France, des documentaires et des courts-métrages.

Seront ainsi décernés notamment le Grand Prix Coup de Coeur, le Prix Découverte de la critique française de cinéma, le Prix SIGNIS du meilleur documentaire.

Cette année, une rétrospective est consacrée au réalisateur Raoul Ruiz et un hommage est rendu à un autre cinéaste chilien, "disciple" de Ruiz : Cristian Sanchez.

Les projections Noir Brésil mettront à l’honneur les acteurs noirs brésilien, avec un hommage à Lazaro Ramos, le comédien le plus caméléon de sa génération selon un critique de son pays.

Cette fête aux cinémas d’Amérique Latine, qui associe des hauts lieux de l’activité culturelle toulousaine, tels la Cinémathèque de Toulouse, le cinéma ABC, les librairies Terra Nova et Ombres Blanches, l’Instituto Cervantés … sera aussi l’occasion de manifestations autour des cultures sud-américaines : expositions, concerts, rencontres littéraires.

Des Rencontres qui auront lieu au coeur de la ville à plus d’un titre : y participeront activement les étudiants de la ville qui décerneront le Prix Courtoujours, mais aussi tous les toulousains, invités à voter à l’issue de chaque projection pour attribuer le Prix du Public Intramuros à un long métrage de la même section que le Grand Prix.

Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse
Du 16 au 25 mars
Programme complet, catalogue et informations pratiques sur :
cinelatino.com
Profiter d’une visite du site pour découvrir la passionnante et nécessaire entreprise :
Cinéma en construction

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Azul. Oscuro casi negro. Daniel Sanchez Arévalo

azulA Madrid, Jorge est sur le point de terminer ses études.

Ses journées commencent tôt et finissent tard : outre son emploi de gardien d’immeuble, il doit aussi s’occuper de son père handicapé. Celui-ci est en effet cloué dans un fauteuil et n’a plus toute sa tête depuis l’attaque cardiaque qu’il a subie, il y a sept ans, précisément lorsque Jorge a tenté de fuir le domicile familial afin de ne pas finir comme son père … gardien d’immeuble.

Mais Jorge mène cette vie sombre avec dignité, et non sans espoir : son diplôme enfin en poche, il se met en quête d’un travail qui le sortirait des poubelles de l’immeuble et des couches de son père.
Et Natalia, l’amie d’enfance pour qui il en pince depuis des années, revient habiter dans l’immeuble …
Sur ce chemin qui pourrait bientôt s’éclairer, surgit son frère Antonio, libéré de prison ; les retrouvailles sont chaleureuses. Mais il demande à Jorge un service pour le moins délicat : faire un enfant à sa petite amie Paula restée en prison.
Le très sincère Jorge (trop sincère selon une réplique du film) hésite …

Azul est le premier long-métrage de Daniel Sánchez Arévalo ; il n’évite pas quelques maladresses, dont celles de vouloir trop en dire, d’accumuler les scènes et d’opter pour un montage compliqué.
Il aurait pu, par exemple, faire l’économie de l’histoire sur l’homosexualité d’Israël, l’ami de Jorge.
C’est dommage, le film aurait certainement gagné en fluidité et sobriété.
D’autant que ses personnages principaux (notamment Jorge, son père, Paula) sont véritablement incarnés et formidablement bien interprétés, les rapports père/fils joliment dessinés. La relation entre Jorge et Paula sonne juste.
Daniel Sánchez Arévalo a su créer un univers propre, dans un décor de banlieue, loin des images connues de Madrid.
L’ambiance créée par le bleu de la photo n’a rien d’artificiel, en particulier dans les scènes montrant le monde carcéral.

Daniel Sanchez Arévalo fait mouche sur le thème du déterminisme social et réussit un émouvant mélange d’humour et de gravité, d’espoir et de désespoir, qui rend ce premier film très attachant.

Azul. Oscuro Casi Negro
Daniel Sanchez Arévalo
Avec Qim Gutierrez, Marta Etura, Antonio de la Torre, Eva Pallarés …
Durée 1h45
Espagne, 2006
Distribution MK2

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Lettres d'Iwo Jima (Letters from Iwo Jima). Clint Eastwood

lettresAvec Mémoires de nos pères, Clint Eastwood a réalisé l’an dernier un film bouleversant dont le point de départ est la prise de l’Ile d’Iwo Jima par les Américains en 1945.

A peine débarqués, les Marines plantent le drapeau américain sur l’île. Un photographe immortalise l’instant ; la photo fait la Une des journaux. Afin de lever les capitaux dont le pays a besoin, le gouvernement s’en empare, exhibe les "héros". Mais aux aux yeux des intéressés, les véritables héros étaient au contraire leurs jeunes compagnons d’armes morts à Iwo Jima.

Clint Eastwood avait magnifiquement filmé les sentiments d’imposture et d’injustice ; le dégoût que les mises en scène patriotiques dont ils faisaient l’objet leur inspirait, y compris celui de soi-même .

C’était un film profondément touchant, terriblement humain.

Lors de la sortie de Mémoire de nos pères, Clint Eastwood annonçait qu’il avait d’ores et déjà tourné un autre film sur cet épisode de la guerre du Pacifique, mais vu du côté japonais.

Du premier au dernier plan, Lettres d’Iwo Jima se déroule sur cet affreux bout de rocher, "où il fait chaud, où il n’y a rien d’autre que du sable noir, des bestioles, et même pas d’eau", comme le dit l’un des personnages principaux, tout jeune soldat, au début du film.
Le nouveau commandant, héros très eastwoodien, organise les préparatifs de la bataille avec vigueur. Lorsque les Américains lancent l’offensive, les japonais sont prêts à tout pour défendre leur "terre sacrée".

D’une mise en scène magnifique, impeccable, servie par une photo noir et blanc nuancée, accompagnée d’une musique sobre, Clint Eastwood signe ici encore un film extrêmement humain.
Il y a un moment où on comprend à quel point son projet est réussi, où Lettres d’Iwo Jima répond véritablement à Mémoires de nos pères. C’est celui où les combats éclatent : les balles sifflent, le sable noir vole sous les tirs, les nuages de fumée se propagent. On tremble pour les japonais terrés dans les tunnels, et on se souvient avoir vu la même scène dans le premier volet du dyptique, et avoir alors tremblé de la même façon pour les Américains.

Là est aussi l’immense talent, la maîtrise totale d’Eastwood : il s’empare d’un sujet, la défaite des Japonais sur Iwo Jima, ce qui est en soi inédit ; et il adopte le regard des Japonais, il est complètement avec eux.
Le film a d’ailleurs été très bien accueilli au Japon où cet épisode douloureux était resté enterré, avec ses 20 000 morts, sur l’île-mémorial.

Avec Lettres d’Iwo Jima, Clint Eastwood poursuit la quête qu’il a entreprise depuis plusieurs films : celle du souvenir, de la mémoire, de l’importance de sa transmission.
Transmission qui se fait ici encore grâce à des lettres, les lettres que les pères ont écrites et laissées aux « enfants ».
Et sur ce thème, Eastwood demeure obstinément magistral ; le dernier plan du film est à couper le souffle.

Lettres d’Iwo Jima (Letters from Iwo Jima).
Clint Eastwood
Etats-Unis, 2006
Durée 2 h 19
A lire : la très bellle interview de Clint Eastwood
dans le numéro de février des Cahiers du Cinéma DVD : Ce film est sorti en dvd

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