Les héritiers. Marie-Castille Mention-Schaar

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L’histoire – tirée de faits réels – se déroule au lycée Léon Blum de Créteil, dans une classe de seconde défavorisée. Jeunes issus de toutes nationalités (et de toutes confessions) et de familles parfois en grandes difficultés. Le niveau est faible, la majorité des élèves ne se fait aucune illusion sur leur avenir : l’école, ils n’y croient pas, la réussite pas davantage. Tout au plus, un vieux rêve de cinéma, ou encore une ou deux exceptions au premier rang qui s’accrochent dans un climat de foire généralisé. « Je vous fais davantage confiance que vous ne vous faites confiance vous-mêmes » leur dit leur professeur principal en début d’année.

Tout part de là, c’est-à-dire d’elle, Anne Angles. Prof d’histoire-géographie et d’histoire de l’art, interprétée par Ariane Ascaride avec une flamme extraordinaire, ce petit bout de femme de vingt ans d’expérience, bonne et autoritaire à la fois, va décider que tout n’est pas perdu pour ces jeunes livrés à l’abandon que leur origine sociale leur réserve.

Un projet ambitieux et difficile – participer au concours national de la Résistance et de la Déportation sur le thème « Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi » – voilà ce que Mme Angles met devant leurs yeux. Ici et maintenant : s’informer, réfléchir, construire. Ils ont tout à apprendre. Le fond (« Vous avez bien survolé la Seconde Guerre mondiale au collège », leur rappelle-t-elle, et cette phrase en dit beaucoup), car ils ignorent pratiquement tout de la Shoah. La méthode : lire et non pas simplement imprimer des pages Internet, penser, s’exprimer, travailler ensemble. Tout cela, ils vont le découvrir, aidés par leur professeur (et la discrète documentaliste du CDI), qui les amène au musée, leur apprend la discipline du travail, les encourage à créer et à construire par eux-mêmes, quitte à leur forcer la main quand il s’agit d’acquérir la notion de collectif.

Ce n’est facile pour personne. Les jeunes sont plutôt habitués à se disputer, les voix montent vite, les poings prompts à se dresser. L’institution est, elle, découragée depuis longtemps. Les professeurs n’en peuvent mais face à ces « sauvageons », le directeur ne veut surtout pas de vagues. On est toujours sur la corde raide.

Et puis à un moment du film, il se passe quelque chose de plus fort que tout le reste : un ancien détenu des camps, qui y a perdu sa famille vient témoigner devant la classe. Et la violence qu’il raconte, de sa voix douce et calme, une horreur vieille de soixante-dix ans que sa présence et sa parole rendent si vibrante, concrète, vient balayer la violence d’aujourd’hui. Les armes tombent, les larmes roulent (dans la salle de cinéma aussi, en abondance). Les jeunes ont compris, ils ont entendu et à leur tour ils vont pouvoir transmettre grâce à ce projet pédagogique, faire quelque chose de ce ce qu’ils ont reçu.

C’est magnifique. Il n’y a pas d’angélisme, ni de démonstration. Tant de choses sont montrées, pourtant, en finesse. Une courte scène dans laquelle on voit la violence subie par les filles de la part de leurs congénères masculins quand elles portent un petit décolleté. Une autre et l’on comprend en deux secondes pourquoi une jeune fille la ramène autant au lycée, alors qu’elle doit jouer à la maman de sa propre mère alcoolique le soir à la maison.

Le film délivre un formidable espoir – la classe a finalement remporté le concours et la majorité des élèves ont obtenu le baccalauréat avec mention – dans un tableau terriblement angoissant. C’est beau et triste à la fois. A voir absolument, pour aujourd’hui, et pour hier.

 

Les héritiers

Un film de Marie-Castille Mention-Schaar

avec Ariane Ascaride, Ahmed Dramé, Stéphane Bak…

Durée 1 h 45

Sorti en salles le 3 décembre 2014

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Les neiges du Kilimandjaro. Robert Guédiguian

Les neiges du Kilimandjaro, Robert Guédiguian

Est-ce le soleil de Midi, le scintillement de l’eau du port de Marseille, le magnifique sourire d’Ariane Ascaride ? D’une manière ou d’une autre, le dernier film de Robert Guédiguian est obstinément lumineux.

La lumière du début est calme et plutôt assurée : Michel malgré son licenciement qui l’amène à occuper comme il peut ses journées de "pré-retraite" coule des jours heureux avec Marie-Claire, son aimée depuis trente ans. Tous deux profitent de ce qu’ils ont construit tout au long de leur vie d’ouvriers : une maisonnette, un peu de repos, de bons moments entre amis fidèles, des enfants et des petits-enfants. Leurs convictions politiques et sociales sont solides et Michel, que Marie-Claire surnomme tendrement Jaurès, y est resté fidèle puisque malgré ses responsabilités syndicales qui auraient pu l’en protéger, il s’est mis sur la liste des personnes tirées au sort pour le "choix" des vingt licenciés que réclame la direction. Contre les privilèges et solidaire, jusqu’au bout.
Malgré ce pépin, la retraite n’étant pas loin, l’équilibre d’ensemble n’est pas menacé. D’autres bonheurs sont même à venir, avec l’anniversaire de mariage du couple : une fête chaleureuse dont le cadeau est un voyage au pied du Kilimandjaro. Un clin d’œil à la chanson sur laquelle ils se sont connus, dans les années 1960, et qu’enfants et petits-enfants entonnent avec émotion devant la pièce montée.

Mais le film bascule lors d’une tranquille soirée de cartes avec leurs plus proches : Denise, la sœur de Marie-Claire et son époux Raoul, beau-frère et meilleur ami de Michel. Deux jeunes font irruption dans la salle à manger avec armes et cagoules, les violentent et les détroussent de tout leur argent, billets du voyage inclus.
Ils sont encore sous le choc, chacun réagissant à sa manière, quand Michel découvre que l’un de leurs agresseurs, Christophe, est un ancien de la boîte, un jeune qui faisait partie des vingt licenciés. Et donc aussi, d’ailleurs, des invités de son anniversaire de mariage, puisqu’il y avait invité les dix-neuf autres malheureux tirés au sort.

La confrontation avec Christophe, qu’il considérait jusqu’alors comme l’un des leurs, est un coup de pied dans les repères de Michel. Il pense avoir agi de façon loyale et désintéressée en procédant à ce tirage auquel il s’était inclus. Il pense avoir mené toute. sa vie au sein du syndicat un combat juste, au service des plus faibles. Et voici que ce jeune ne lui renvoie que haine et mépris. Il y avait peut-être des voies plus équitables qu’un tirage au sort pour le choix des mis-sur-le-carreau ; vous croyez avoir mené de nobles combats, en réalité vous n’avez fait que vous embourgeoiser ; que laissez-vous à vos cadets ? Voilà ce que Christophe lui balance en substance, et avec une violence incroyable.

Ici se dévoile le thème central du film, développé sans pudeur : le choc de deux générations. Et le gouffre entre les deux, malgré la bonne entente à première vue entre Marie-Claire et Michel et leurs propres enfants, va être de plus en plus manifeste.
Si le portrait de la classe ouvrière née après la guerre, de gauche et sûre du bien-fondé de ses croyances et de ses actions, est magnifiquement brossé, celui de la génération suivante, atomisée et moins évidente à restituer, l’est pourtant tout aussi magistralement. Christophe et sa jeune mère qui l’a abandonné (et ses deux frères avec), tous deux perdus, ne cherchent qu’à s’en sortir. La jeune amie de Christophe, gaie et généreuse, travaille de nuit. Chacun fait comme il peut pour subsister économiquement. Le comment, les valeurs, on en est plus là.
Même avec les enfants du couple, à l’épreuve des événements, des incompréhensions voient le jour. Jamais le fossé générationnel n’a semblé aussi abyssal.

Mais Robert Guédiguian ne renonce pas à la lumière. Après la tourmente, elle est encore plus belle. Michel et Marie-Claire, Raoul et Denise n’ont rien perdu de leurs valeurs. Ils en font la démonstration dans un final dont on ne dira rien, si ce n’est qu’il est bouleversant au possible.

Les neiges du Kilimandjaro
De Robert Guédiguian
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Marilyne Canto, Grégoire Leprince-Ringuet
Durée 1 h 47

Sorti en salles le 16 novembre 2011

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