American Sniper. Clint Eastwood

american_sniperLe 34ème long-métrage de Clint Eastwood est, paraît-il, le plus grand succès du réalisateur américain, âgé maintenant de 84 ans, dans son propre pays. Enflammant les conservateurs, qui y voient une ode au patriotisme, il a en même temps déclenché une polémique – que la France s’est pour partie empressée d’importer -, qualifié par d’autres de belliciste.

Qu‘American Sniper ait une telle résonance aux Etats-Unis ne saurait surprendre. Il met en effet en scène (à la sauce Eastwood, ce qui n’est pas un détail) l’histoire de Chris Kyle – impeccablement interprété par Bradley Cooper -, tireur d’élite pendant l’occupation de l’armée américaine en Irak dans les années 2000. Son boulot : membre des forces spéciales SEAL, protéger les Marines en éliminant tous ceux qui, armés, s’en approchaient d’un peu trop près. Et comme il était à la fois très courageux et très doué, il a ainsi abattu des centaines de « cibles ». A tel point qu’il a été surnommé La légende au sein de l’armée.

C’est un film de guerre, qui montre une guerre contemporaine, en milieu urbain et avec les technologies d’aujourd’hui (comme le téléphone portable, qui permet par exemple à Chris Kyle d’appeler son épouse au milieu des tirs), à dix milles lieux des films de guerres classiques que l’on a pu voir, avec pourtant toujours les mêmes règles et les mêmes horreurs. La traque, la loi du plus fort et de l’épouvante, la torture, les blessures et la mort. Clint Eastwood filme sans détour. C’est frontal, brutal. Jamais complaisant. De ce strict point de vue, y voir une apologie de la guerre est pour le moins curieux.

Clint Eastwood n’est pas un discoureur. Ses films parlent d’eux mêmes, sans besoin d’interprétation. Cette guerre d’Irak, le réalisateur (magnifique) du diptyque sur la guerre du Pacifique Mémoires de nos pères et Lettre d’Iwo Jima (qui étaient plus sophistiqués, moins frontaux d’une certaine manière) la montre par le biais du personnage de Chris Kyle. Il paraît que celui-ci était beaucoup plus « primaire » que ce qu’en a fait Eastwood. Celui que l’on voit à l’écran est un homme engagé, qui croit que son devoir est de défendre son pays et que pour cela il doit aller combattre les « affreux » qui se terrent en aiguisant leurs armes en Irak (le bien-fondé, ou non, de ce raisonnement n’est pas le sujet du réalisateur). Un homme simple, pas simplet, gentil et qui pense être sur cette terre pour protéger les siens – sa famille, ses compatriotes. Pas un héros ni un débile, mais un homme qui croit en quelque chose et qui le fait. Même s’il s’agit de tuer.

Eastwood ne juge pas. A la place, il montre. La vie de Chris Kyle. L’enfance, à la dure, avec un père « tradi » qui avait une idée très arrêté de ce que doit être un homme ; la jeunesse, entre rodéos et bières ; puis la période d’engagement, jeune homme droit et déterminé, qui tombe amoureux de sa future femme, aime la légèreté et plaisanter. Viennent ensuite les opex successives, de plus en plus dures. Ponctuées de retour à la vie civile de plus en plus difficiles, où il retrouve son épouse et ses deux jeunes enfants qu’il ne voit pas grandir. Enfin, le retour définitif, quand il comprend qu’il « ne pourra plus ».

En quelques scènes Clint Eastwood montre les ravages de la guerre sur les soldats : ceux qui sont morts, sous un beau et grand drapeau, mais morts ; ceux qui passeront le reste de leur vie dans un fauteuil roulant ; ceux qui sont complètement traumatisés c’est-à-dire zinzins (la scène de quelques secondes sur le tarmac, où Chris croise son jeune frère en retour de mission est à cet égard édifiante). Tous les autres enfin qui, d’une manière ou d’une autre, ne s’en remettront probablement jamais non plus : Kyle fait partie de ceux-là. Le cinéaste n’emprunte ici rien au lyrisme (qu’il porte pourtant fort bien, et plus souvent qu’à son tour, comme dans Lettres d’Iwo Jima). Il y a juste, à l’intérieur de la grande Histoire, une histoire, celle d’un sniper américain. Elle se suffit à elle-même, tout en en contenant beaucoup d’autres.

American Sniper

Un drame de Clint Eastwood

Avec Bradley Cooper , Reynaldo Gallegos , Jake McDorman

Sorti en salles le 18 février 2015

Durée 2 h 12

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Gran Torino. Clint Eastwood

Gran Torino, film de Clint EastwoodWalt Kowalski, vieil homme à l’ancienne, droit comme un i (incarné par Clint Eastwood soi-même), planté de longue date dans ses principes, enterre son épouse.
La descendance se tient à distance de ce caractère inflexible, tout en guettant l’héritage, qui le divan, qui la maison, qui la Ford Gran Torino – déesse faite automobile, que Walt entretient savamment, polit jalousement.

Veuf, Walt Kowalski se retrouve désormais seul, au fil de journées sans surprise. Ses travaux de bricolage terminés, il s’assied devant sa porte, sa chienne Daisy et sa glacière à ses côtés, et là, il boit des bières, fume et fulmine.
Et lorsqu’il voit débarquer dans la maison voisine une famille asiatique de plus, ses souffrances d’ancien combattant de la guerre de Corée, son amertume et son racisme s’exacerbent contre ces ‘faces de citrons" exécrées.

Pourtant, c’est pour d’autres motifs que Walt ressortira sa vieille arme.
Car au dessus de ses petites haines ordinaires, il y a la haine de la violence faite aux enfants et aux femmes, y compris le mal qu’il a lui-même commis et qu’il ne se pardonne pas.

Gran Torino commence tranquillement, avec ses personnages bien posés, son scénario que l’on sent sûr de ses arrières.
Mais, petit à petit, Clint Eastwood se met à nous "promener", à nous surprendre en dessinant des personnages de plus en plus attachants.
Sa mise en scène, indémodable, son épure, qui est la marque de son style, ne font pas pour autant de son film un cinéma prévisible – la fin nous le rappelera si besoin est. Quant à l’humour et l’auto-dérision, ils viennent rappeler que cet immense cinéaste sait ne pas se prendre au sérieux et insufflent à ce drame un souffle de tendresse irrésistible.

Clint Eastwood ramasse dans ce film les thématiques qui lui sont chères avec une incroyable efficacité. Il évoque à nouveau la rédemption, bien sûr ; mais il s’obstine surtout, et visiblement sans aucune fatigue, à dénoncer les injustices, toujours les mêmes, comme si le cœur de l‘Impitoyable ne prenait pas une ride.
Film après film, et en suscitant toujours autant d’émotion, il ne cesse d’explorer aussi le thème de la transmission, pour atteindre dans Gran Torino un sommet final qui touche au génie.

Gran Torino. Clint Eastwood
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her
Durée 1 h 55

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L'échange. Clint Eastwood

L'échange, Clint EastwoodLe film est inspiré de cette histoire réelle, qui s’est déroulée à la fin des années vingt à Los Angeles : Walter Collins, neuf ans, fils unique de Christine Collins, une femme célibataire et active, disparaît. Au bout de quelques mois, le Los Angeles Police Department (LAPD), après avoir soigneusement convoqué la presse pour faire montre de son efficacité remet un petit garçon à Christine en affirmant qu’il s’agit de son fils. Mais Christine ne reconnaît pas son Walter. Elle poursuit alors un combat obstiné afin que la police poursuive ses recherches.
L’arrogant LAPD, plus soucieux de son image que d’œuvrer pour la justice, ne l’entend pas de cette oreille et utilise tous les moyens, de la manipulation à l’internement forcé, pour faire taire Christine.
En parallèle, un policier découvre dans un ranch un ossuaire d’une vingtaine d’enfants assassinés par un tueur en série. L’ampleur du crime va contraindre la police à mener jusqu’au bout cette enquête-là. Walter faisait-il partie de ces pauvres victimes ?
De ce fait divers, Clint Eastwood a tiré un mélodrame magnifique. Admirablement classique, maîtrisé, où les séquences s’enchaînent les unes aux autres avec une fluidité narrative extraordinaire malgré la multiplicité des faits. Eastwood déroule l’histoire progressivement, pousse les volets les uns après les autres, sans que jamais le film ne perde une once de souffle, sans que la direction donnée ne soit jamais bâclée ou traitée avec facilité.
Il développe les sentiments avec cette force dénuée de mélo qui n’appartient qu’à lui et montre les faits avec une puissance de frappe qui laisse pantois.
Pour autant, L’échange n’est pas seulement un film sentimental : au delà du déchirement d’une mère privée de son fils, au delà de l’horreur des enfants massacrés, Clint Eastwood souligne tout ce que ce drame recèle de questions sociales et politiques : l’administration corrompue qui gouverne par l’arbitraire, l’intimidation, le harcèlement et la force ; le sort fait aux femmes (le désir d’indépendance considéré comme pure hystérie) ; les traitements ignobles infligés aux malades psychiatriques (ou prétendus tels) ; la demande de sécurité des citoyens moyennant renoncement à certaines règles de l’Etat de droit ; la peine de mort enfin.
Au delà de la splendeur formelle et de la reconstitution historique parfaite, sur tous ces sujets, Clint Eastwood sonne juste et bouleverse ; et fait une fois de plus la preuve qu’il est décidément, loin devant, le plus grand.

L’échange.
Clint Eastwood
Avec Angelina Jolie, John Malkovich, Michael Kelly, Jeffrey Donovan, Jason Butler Harner
Durée 2 h 21

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Trash. Mouron/Pascal Rostain.

TrashMontre-moi ce que tu jettes, je saurai ce que tu manges, bois, fumes, et même ce que tu lis …

Telle est la quête que Bruno Mouron et Pascal Rostain, paparazzis pour Paris-Match, ont entreprise il y a plus de quinze ans : photographier le contenu des poubelles des stars, d’abord en France puis aux Etats-Unis.

C’est ainsi que le grand public peut aujourd’hui détailler à la Maison européenne de la photographie à Paris les déchets de Nicolas Cage, Ronald Reagan, Clint Eastwood (oh ! …), Sharon Stone et autres grands noms de Los Angeles.
Mauvais goût, curiosité malsaine, voyeurisme ?

Sur de grands tableaux noirs sont alignés par catégorie d’articles bouteilles et canettes vides, emballages alimentaires, flacons de produits d’entretien, mais aussi cartons d’invitation, documents administratifs, petits mots, journaux …

On découvre ainsi que Arnold Scharzeneger se parfume au Brut de Fabergé, que Tom Hanks est un fou-furieux du Colgate, Marlon Brando un fidèle des teintures cheveux maison … toutes sortes de détails bien amusants.
Et dans le frigidaire des athlétiques Madonna et de Cyndy Crawford ? Que d’eau, que d’eau ! Est-ce bien étonnant ?

Au fur et à mesure du parcours que le visiteur peut décrypter à sa guise, de grandes tendances se dégagent et l’exposition prend une tournure sociologique.
La question surgit inévitablement : comment ces célébrités dorées d’Hollywood se nourrissent-elles – et plus largement les riches américains ?

Il y a d’abord le basique, ce qu’on retrouve sur tous les tableaux-poubelles : les chips, le coca-cola, les jus de fruits et l’eau d’Evian.
Puis les reliefs variables : sucreries en tout genre, bonbons, glaces, biscuits.
On voit alors les champions : Antonio Banderas et Steven Spielberg ; ou encore John Travolta : Mr catastrophe de l’équilibre alimentaire !

Finalement bien peu de solide dans tout ça : on en vient à se demander où se passent les vrais repas, sans doute au restaurant … à moins qu’il n’y en ait pas du tout !
Ne leur reste donc plus qu’à boire … ? Certes, mais pas d’alcool : seule la corbeille de Jack Nicolson, ou presque, révèlera quelques petites Veuve Cliquot (et autres Corona).
Quant au café, Liz Taylor semble être la seule à l’apprécier. Inutile dans ces conditions de chercher trace de beurre ou de confiture !

De quoi réfléchir un peu, donc ; mais en définitive rien d’indécent dans les poubelles que les compères paparazzis nous ont ramenées de Los Angeles, d’autant qu’ils ont eu le respect d’éliminer d’emblée tous les déchets de médicaments.

En réalité, on a qu’une envie en sortant de l’exposition : connaître les déchets des stars françaises, juste pour comparer, et compléter une étude qui n’est pas aussi « ras du caniveau » qu’on aurait pu le présupposer …

Trash. Mouron/Pascal Rostain
Jusqu’au 3 juin 2007
Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy – Paris 4ème
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
Entrée 6 € (TR 3 €), libre le mercredi à partir de 17 h

Image : la poubelle de Madonna (1996)

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Lettres d'Iwo Jima (Letters from Iwo Jima). Clint Eastwood

lettresAvec Mémoires de nos pères, Clint Eastwood a réalisé l’an dernier un film bouleversant dont le point de départ est la prise de l’Ile d’Iwo Jima par les Américains en 1945.

A peine débarqués, les Marines plantent le drapeau américain sur l’île. Un photographe immortalise l’instant ; la photo fait la Une des journaux. Afin de lever les capitaux dont le pays a besoin, le gouvernement s’en empare, exhibe les "héros". Mais aux aux yeux des intéressés, les véritables héros étaient au contraire leurs jeunes compagnons d’armes morts à Iwo Jima.

Clint Eastwood avait magnifiquement filmé les sentiments d’imposture et d’injustice ; le dégoût que les mises en scène patriotiques dont ils faisaient l’objet leur inspirait, y compris celui de soi-même .

C’était un film profondément touchant, terriblement humain.

Lors de la sortie de Mémoire de nos pères, Clint Eastwood annonçait qu’il avait d’ores et déjà tourné un autre film sur cet épisode de la guerre du Pacifique, mais vu du côté japonais.

Du premier au dernier plan, Lettres d’Iwo Jima se déroule sur cet affreux bout de rocher, "où il fait chaud, où il n’y a rien d’autre que du sable noir, des bestioles, et même pas d’eau", comme le dit l’un des personnages principaux, tout jeune soldat, au début du film.
Le nouveau commandant, héros très eastwoodien, organise les préparatifs de la bataille avec vigueur. Lorsque les Américains lancent l’offensive, les japonais sont prêts à tout pour défendre leur "terre sacrée".

D’une mise en scène magnifique, impeccable, servie par une photo noir et blanc nuancée, accompagnée d’une musique sobre, Clint Eastwood signe ici encore un film extrêmement humain.
Il y a un moment où on comprend à quel point son projet est réussi, où Lettres d’Iwo Jima répond véritablement à Mémoires de nos pères. C’est celui où les combats éclatent : les balles sifflent, le sable noir vole sous les tirs, les nuages de fumée se propagent. On tremble pour les japonais terrés dans les tunnels, et on se souvient avoir vu la même scène dans le premier volet du dyptique, et avoir alors tremblé de la même façon pour les Américains.

Là est aussi l’immense talent, la maîtrise totale d’Eastwood : il s’empare d’un sujet, la défaite des Japonais sur Iwo Jima, ce qui est en soi inédit ; et il adopte le regard des Japonais, il est complètement avec eux.
Le film a d’ailleurs été très bien accueilli au Japon où cet épisode douloureux était resté enterré, avec ses 20 000 morts, sur l’île-mémorial.

Avec Lettres d’Iwo Jima, Clint Eastwood poursuit la quête qu’il a entreprise depuis plusieurs films : celle du souvenir, de la mémoire, de l’importance de sa transmission.
Transmission qui se fait ici encore grâce à des lettres, les lettres que les pères ont écrites et laissées aux « enfants ».
Et sur ce thème, Eastwood demeure obstinément magistral ; le dernier plan du film est à couper le souffle.

Lettres d’Iwo Jima (Letters from Iwo Jima).
Clint Eastwood
Etats-Unis, 2006
Durée 2 h 19
A lire : la très bellle interview de Clint Eastwood
dans le numéro de février des Cahiers du Cinéma DVD : Ce film est sorti en dvd

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