Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo au Palais des Papes

Pour cet artiste dont les galeries sont les murs des villes il peut paraître paradoxal d’être exposé à l’intérieur de la Grande Chapelle du Palais des Papes en Avignon. Pourtant il fallait bien présenter un jour ce parcours artistique de 60ans pour mesurer l’importance d’une œuvre par définition dispersée, mais présentant une très grande cohérence.

Ernest Pignon-Ernest explique sa découverte d’une photo d’Hiroshima « où l’on voit que l’éclair atomique a brûlé le mur, décomposant un passant dont il ne reste que l’ombre portée, littéralement photogravée, pyrogravée sur la paroi ». C’était en 1966 et depuis il n’a cessé d’utiliser les murs pour y apposer des dessins de corps en lien avec une préoccupation politique et sociale. Et toujours les lieux où il colle ses sérigraphies sont soigneusement choisis en fonction du sens qu’il donne à son propos.

Pour cet art éphémère (car l’affiche sur les murs se dégrade vite) la photographie est nécessaire pour rendre compte du travail réalisé. Du coup on comprend que l’œuvre est l’ensemble de ce que l’artiste propose : dessin, mur, ville, photo sont inséparables. La force qui se dégage des dessins tient, on le voit bien dans cette exposition, à l’alliance entre lieu et images des corps.

Ainsi la souffrance représentée des femmes avortées dans la clandestinité renvoie à la loi répressive par le biais de la mention « Défense d’afficher » à côté du dessin. La dénonciation des accidents du travail, aussi dans les années 70, par le portrait d’un homme touché à la tête, est d’autant plus marquante que le mur support est crevassé. Il aurait fallu piétiner les corps des fusillés de la Commune pour monter les marches du Sacré Cœur à Paris.

Les interventions d’Ernest Pignon-Ernest réveillent les consciences aussi bien à Alger avec le portrait de Maurice Audin, « disparu » à 25 ans sous les coups des militaires français, en Afrique du Sud avec cette émouvante femme portant un homme dans ses bras, par les images de celles et ceux qui sont passés par la prison Saint Paul de Lyon durant l’Occupation, ou bien encore en affichant la solitude contemporaine dans les cabines téléphoniques.

Le classicisme de son trait entretient le lien avec la peinture des musées, et c’est à Naples qu’il a évoqué le plus explicitement cette reconnaissance par la reprise en particulier d’œuvres du Caravage. C’est l’occasion pour cette exposition de présenter aussi les travaux préparatoires de l’artiste, qui montrent la précision de sa recherche afin d’obtenir le résultat le plus saisissant.

Andreossi

Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo,

Avignon, Palais des Papes jusqu’au 29 février 2020

 

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Le trésor de Naples. Musée Maillol

sainte_irene_naplesDans la galerie du rez-de-chaussée, des bustes de saints monumentaux déploient leur splendeur, œuvres des plus grands orfèvres du Baroque napolitain. Ils sont les renforts de San Gennaro – Saint Janvier – le saint protecteur de Naples depuis des siècles. Les tableaux qui les entourent illustrent quelques uns des malheurs dont les habitants ont cherché à se protéger : à côté de la peste et de la guerre, les éruptions du Vésuve constituent la menace la plus spectaculaire à mettre en scène, ce que le peintre Pierre-Jacques Volaire réussit avec éclat.

C’est dans ce contexte géographique particulier qu’en 1527 les Napolitains ont conclu un pacte avec San Gennaro : en échange de sa protection, ils s’engagent à lui construire une nouvelle chapelle et à lui constituer un trésor. En 1601, une société laïque est créée, La Députation. Elle existe encore aujourd’hui et c’est à travers elle que le trésor n’a cessé d’être enrichi depuis, par les souverains comme par le peuple de Naples.

Conservé dans deux ampoules, le sang séché du saint se liquéfie chaque année, donnant lieu à de phénoménales processions laissant la foule tour à tour dans la terreur que le miracle n’ait pas lieu puis dans la liesse une fois celui-ci accompli.

Quelques unes des plus belles pièces du trésor on fait exceptionnellement le voyage du Musée du Trésor de San Gennaro à Naples jusqu’au Musée Maillol à Paris.

naples_collier_san_gennaroOutre les quinze bustes d’argent massif de la grande galerie, tels ceux de Sainte Irène arrêtant de sa main droite la foudre et protégeant de sa main gauche la ville, l’exposition révèle des calices, croix d’autel et autres ciboires, ainsi que les chefs d’œuvres incomparables que sont le reliquaire du sang du martyre en vermeil, œuvre d’orfèvres angevins du XIVème siècle ; la mitre du saint réalisée en 1713 par Matteo Treglia, couverte de plus de 3 000 diamants, 168 rubis et 198 émeraudes parmi lesquelles figure le plus impressionnante collection d’émeraudes colombiennes, et un rubis si intense qu’il a été nommé « la lave du Vésuve » ; et enfin l’étonnant collier de San Gennaro, assemblage de bijoux réalisés entre les XVIIème et XIXème siècles. Le spectacle tient tant au faste des pièces qui le constituent qu’à son esthétique fortement composite. S’y mêlent en effet des dons d’illustres souverains comme Charles V de Bourbon, Joseph Bonaparte, Marie-Caroline de Habsbourg, sœur de Marie-Antoinette, ou encore la reine Marie-Amélie de Saxe, auxquels ont été ajoutés ceux de Napolitains anonymes.

Un tableau du début du XIXème siècle attribué à Hoffmann (celui des contes) montre le miracle de la liquéfaction du sang du saint en 1799, en présence des troupes françaises, quand San Gennaro est magnifiquement représenté par Luca Giordano (1675) et surtout par Francisco Solimena (1702).

Pour finir, côté récit, on pourra se reporter à celui d’Alexandre Dumas dans Le Corricolo (chapitre XXII), publié en 1843. Il narre l’épisode du miracle de San Gennaro avec une verve des plus savoureuses.

Le trésor de Naples – Les joyaux de San Gennaro

Musée Maillol

59/61 rue de Grenelle – 75007 PARIS

Ouvert TLJ y compris les jours fériés, les 1er et 8 mai

De 10h30 à 19h, le vendredi jusqu’à 21h30

Entrée 13 euros (TR 11 euros)

Jusqu’au 20 juillet 2014

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C'est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst

expo vanites, pompeiSi c’est au XVII° siècle que les crânes apparaissent à profusion sur les tableaux de nature morte, en un genre appelé Vanités, de telles représentations de la mort sont présentes dans les maisons dès l’Antiquité.

Ainsi, à Pompéi, deux mosaïques ont été retrouvées sur ce thème. L’une montre un crâne et un papillon reposant sur une roue : le corps et l’âme livrés à la roue du destin. L’avertissement de cette allégorie macabre, certainement l’une de toutes premières de l’histoire de l’art, n’est autre que « Omnia mors adequat » (« La mort aplanit tout »).

Vingt siècles plus tard, Philippe Pasqua réinterprète le motif avec un crâne recouvert de feuilles d’argent et parsemé de grands papillons orangés, magnifique à dire vrai. Le sujet du « Memento mori » (« Souviens-toi que tu mourras ») est donc loin d’être épuisé, les artistes le réinterprétant inlassablement, en peinture, en sculpture ou en photo, comme l’exposition qui vient d’ouvrir au Musée Maillol le met en évidence.

Chronologiquement, le parcours est inversé : on plonge directement dans les œuvres contemporaines, avant de visiter les Anciens puis les Modernes. Un détail de peu d’importance, la thématique étant suffisamment explicite. Au demeurant, malgré les quelques 160 œuvres, l’exposition ne prétend pas à une représentation exhaustive des différentes périodes de l’histoire de l’art, d’autant que le sujet n’a pas été toujours aussi prisé qu’aujourd’hui.

En Europe du Nord, le contexte du XVIIème siècle, avec ses guerres de Religion favorise le développement des Vanités, où le peintre mêle crânes humains, bougies et sabliers symbolisant la fuite du temps, livres, fleurs et fruits, pour rappeler la futilité des connaissances, la corruption de la beauté et de la matière. En Europe du Sud, les peintres associent au contraire la Vanité à des scènes religieuses. Dans une petite salle, se répondent trois beaux Saint-François : celui de Caravage, en méditation, celui de Zurbaran, agenouillé, très émouvant et enfin, l’Extase de Saint François, de Georges de La Tour. Les jeux de lumière avec la clarté du crâne ressortant de l’ombre accentuent la gravité du message.

Pour l’essentiel, ces tableaux sont peu connus car issus de collections privées. Certains sont plus anecdotiques mais somme toute très frappants car ils montrent non pas des squelettes mais des cadavres en décomposition. Sur une œuvre anonyme d’un peintre espagnol, le macchabée, toutes tripes dehors est en proie à la voracité des petites bêtes, les attributs du pouvoir, sceptres, couronne, posés à ses côtés et renvoyés à leur vanité. Sur la Testa de Jacopo Ligozzi, une tête en voie de décomposition, bouche béante, est attaquée par les vers, alors que Seneta (vieillissement) est inscrit sur le cartouche inséré dans le livre… ça fait envie !

Galerie variée également du côté des oeuvres contemporaines, avec des tableaux de Miquel Barcelo, Richter, Ernst, de grande beauté ; mais aussi des crânes de Niki de Saint-Phalle, Annette Messager, et naturellement Damien Hirst.
Entre les deux périodes, un grand trou ou presque, les Vanités étaient passées de mode au Siècle des Lumières. Au siècle suivant, Géricault a traité le thème avec ses Trois crânes puis au début du XXème, Cézanne, Picasso, Braque ont eux aussi fait leurs Vanités mais leurs tableaux semblent relever d’un pur exercice de style.

Bague Codognato, Venise Mieux vaut s’attarder devant les vitrines présentant des pièces unique du joailler vénitien Codognato, famille installée près de la Basilique San Marco (elle en devint même l’orfèvre attitré), qui depuis 1866 s’inspire d’oeuvres de toutes époques pour créer des bagues et des colliers en forme de Memento Mori. Aux motifs de crânes se mêlent harmonieusement des animaux symboliques comme la salamandre, le rat ou le serpent ; au diamant et aux pierres précieuses se mêle le corail aux vertus protectrices… Des petites merveilles à ne pas louper.

"C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst"
Musée Maillol
61, rue de Grenelle, Paris 7e
Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, vendredi jusqu’à 21 h 30
Jusqu’au 28 juin 2010
De 9 € à 11 €

Images : Memento Mori, Mosaïque polychrome de Pompéi, 1er siècle, Base calcaire et marbres colorés, 41 x 47 cm, Musée national d’archéologie de Naples © Archives surintendance spéciale Beni et archologici Naples et Pompéi
Bague « Alchimie » Or, émail blanc sur or, diamants, émail, Epoque contemporaine, modèle des années 1940 Collection particulière, courtesy Codognato © Andrea Melzi

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