Le supplice de Phèdre. Henri Deberly

C’est un roman psychologique que les jurés du Goncourt ont choisi de couronner en 1926.

Tout le comportement d’Hélène de Kerbrat montre que ses sentiments outrepassent ceux qu’une belle-mère est censée porter à son beau-fils : mais jusqu’où ira-t-elle dans sa passion se demande le lecteur ? C’est bien le seul intérêt du roman, tant l’écriture est sans saveur, sauf à l’occasion de redoutables (et heureusement rares) images : « Une pluie fine, pénétrante, ininterrompue (l’unique sujet d’irritation que donne la Bretagne, mais si vif qu’il oblige à bientôt la fuir, comme on délaisse, en soupirant d’en être excédé, une ravissante femme qui pleure trop) s’était mise à tomber bien avant l’automne, rendant maussade et fastidieux le séjour aux champs ».

Hélène est mariée à un officier de marine, veuf, bien plus âgé qu’elle. En l’absence de son époux qui parcourt les mers, elle élève le fils de celui-ci. Lorsque Marc parvient à l’adolescence, elle tente de garder l’emprise qu’elle a su avoir sur lui tout au long de son enfance. La jeune femme est cultivée, mais d’une rigueur qui peut aller jusqu’à la violence : « La seule méthode qu’elle connût bien était la violence. Assurément, elle en avait dans le caractère, mais surtout elle l’aimait et la pratiquait par tradition et par mépris d’un siècle énervé ».

Aussi lorsque le jeune homme commence à fréquenter une jeune fille elle l’oblige à rompre en le giflant en plein jardin du Luxembourg. Puis elle récompense son obéissance en le sortant dans les bals mondains. Mais il ne danse pas qu’avec sa belle-mère, et lorsque Hélène apprend qu’il a pour maîtresse une femme plus âgée qu’elle, elle ne peut le supporter : « Où prenait- elle qu’on dût avoir pour ses vices de vieille le respect que commande un amour normal ? » s’interroge-t-elle.

La confrontation avec la « vieille » en question lui ouvre les yeux : en fait d’amour « normal », tout montre qu’elle est elle-même bel et bien amoureuse de son beau-fils. Ses manigances provoquent une tentative de suicide de Marc. Il est temps pour elle de choisir un rôle moins ambigu. Elle choisit d’abord la séparation, mais devant le désespoir de son beau-fils, elle reste auprès de lui. Le lecteur ferme le livre, rassuré, sur la dernière phrase : « On trouve toujours sa vieille maman quand il vous la faut, pauvre petit homme de deux sous ! ».

Andreossi

Le supplice de Phèdre. Henri Deberly

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Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

modigliani_femme_assise_robe_bleueNotre ami Jean-Yves s’est rendu au LaM dans le Nord pour visiter la rétrospective consacrée à Modigliani… Ce qu’il en dit nous fait pâlir d’envie ! Merci Jean-Yves de partager ainsi ce magnifique moment de peinture !

Mag

Le LaM à Villeneuve d’Ascq, qui détient une collection exceptionnelle de peintures, sculptures et dessins de Modigliani propose une très belle traversée de l’œuvre de l’artiste, né en Italie en 1884 et arrivé à Paris en 1906.

modigliani_lamCette présentation est construite en trois parties, à la fois thématiques et chronologiques. La première s’attache à démontrer la diversité des sources d’inspiration de Modigliani : il est fou d’art égyptien qu’il consulte régulièrement au Louvre, mais sa sensibilité s’imprègne aussi des références khmères, cycladiques et africaines. S’essayant à la sculpture malgré un manque de formation dans cette discipline, il s’entoure des conseils de Brancusi qu’il a rencontré à Montparnasse, mais il doit abandonner cet art pour des raisons de santé et financières (il ne parvient pas à trouver de mécène). De cette époque, on admire une très belle « Tête de femme », la seule sculpture en marbre de l’artiste, mais aussi des dessins et une superbe « Cariatide » sur fond bleu, dessinée au crayon et lavis d’encre.

tete_rouge_amedeo_modiglianiLa deuxième partie met en évidence l’importance du portrait d’artiste dans sa production. Dès 1915-1916, Modigliani cherche à définir son style, immédiatement reconnaissable : figures de forme ovoïde, yeux le plus souvent sans pupilles et de hauteurs distinctes, nez aux arrêtes tranchées, cous en pur cylindre, fonds minimaux et abstraits… Côtoyant les peintres de la future Ecole de Paris (Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Pinchus Kremègne), Modigliani dresse leur portrait dans des tableaux et croque aussi (au crayon ou au graphite) Max Jacob, Pablo Picasso (qui le sous-estimait) et Jean Cocteau qui, n’aimant pas la représentation faite de lui par le peintre italien, s’en séparera rapidement. Toutes ces œuvres sont intéressantes, mais on se permettra une préférence pour la « Tête rouge » qui synthétise à la fois l’art africain, le cubisme, le fauvisme et l’art de Cézanne. L’exposition ne manque pas de rappeler que ce dernier est la référence absolue de Modigliani.

modigliani_jeune_filleLa fin de l’exposition est consacrée aux dernières années de l’artiste. Soutenu par le marchand d’art Léopold Zborowski, dont il dressera deux beaux portraits, accrochés aux murs du musée, Modigliani parvient à une peinture plus sereine. Les couleurs s’éclaircissent, la ligne des corps s’arrondit et devient plus voluptueuse, comme en témoigne le « Nu assis à la chemise », dont le dessin raffiné et la touche délicate restituent toute la fragilité de la femme. La présentation de ses nus lors d’une exposition de décembre 1917 fera scandale. Mais la préoccupation première du peintre reste le visage. Modigliani continue à représenter ses amis artistes et ses proches, mais il donne aussi une place plus importante aux anonymes. Il ne peindra des paysages (qui demeureront rares dans sa production) qu’à partir de 1918, lors d’un séjour dans le sud de la France organisé par Zborowski.

modigliani_nuL’exposition rend également hommage à Roger Dutilleul que Modigliani rencontre en 1919 et qui deviendra un collectionneur assidu du peintre (il achète et échange 35 peintures et 26 dessins) et ne cessera de défendre son œuvre bien au-delà de la mort de l’artiste en 1920. La donation par son neveu Jean Masurel de quatorze pièces de la collection est à l’origine de la création du LaM, qui a donc toute légitimité pour monter cette rétrospective, la première d’importance depuis celle organisée au Musée du Luxembourg en 2002. Au-delà de la qualité des pièces présentées, l’exposition est passionnante par son côté didactique qui permet de suivre l’évolution du parcours de l’artiste au travers de ses influences, de ses rencontres…

La visite donne aussi l’occasion de s’attarder dans les collections permanentes du musée, riches de quelques tableaux cubistes de Picasso et de Braque, d’œuvres de Fernand Léger, de Miro, de Jenkins, et de pièces représentatives de l’abstraction lyrique : Manessier, Poliakoff, Staël, Estève, Ubac…

Amedeo Modigliani. L’œil intérieur

LaM

1, allée du Musée – Villeneuve d’Ascq (59)

Jusqu’au 5 juin 2016

Jean-Yves

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Fragonard amoureux. Galant et libertin. Musée du Luxembourg

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Colin-Maillard, vers 1754-1756, Huile sur toile - 117 x 91 cm,, Toledo, Toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Colin-Maillard, vers 1754-1756, Huile sur toile – 117 x 91 cm,, Toledo, Toledo Museum of Art, don Edward Drummond Libbey

On avait beaucoup aimé, il y a huit ans, l’exposition que le Musée Jacquemart-André avait consacrée à Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Les plaisirs d’un siècle. Cette saison, le Musée du Luxembourg rend à son tour hommage au peintre originaire de Grasse (seul rapport avec la maison de parfums du même nom, si ce n’est que son fondateur l’a appelée ainsi en hommage au peintre), en adoptant uniquement le prisme de l’amour.

Bien que Fragonard ait abordé tous les genres picturaux, cet angle d’approche permet d’aborder assez largement son œuvre. Il est vrai qu’il s’est plu à illustrer l’amour sous de multiples facettes, de la veine galante et pastorale héritée de Boucher jusqu’à l’amour dit moralisé de la fin du siècle, en passant par la peinture d’histoire mais aussi l’illustration libertine.

L’exposition tente de décortiquer cette évolution au fil de quelques 80 peintures, dessins, gravures et livres illustrés articulés en 11 sections. Le propos, certes instructif, est un peu décevant, s’alourdissant parfois sur l’aspect licencieux de son œuvre, l’interprétant à d’autres moments de façon un brin péremptoire.

Qu’importe au fond, le plaisir de revoir des œuvres de ce peintre incomparable, auquel s’ajoute celui d’en découvrir de nouvelles, demeure intact.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Verrou, vers 1777-1778, Huile sur toile - 74 x 94 cm Paris, musée du Louvre, Photo : RMN-GP/Stéphane Maréchalle
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Le Verrou, vers 1777-1778, Huile sur toile – 74 x 94 cm
Paris, musée du Louvre, Photo : RMN-GP/Stéphane Maréchalle

L’apport de Fragonard semble déjà contenu dans l’une des premières œuvres du parcours Le Colin-Maillard, tableau placé après Les charmes de la vie champêtre de Boucher, dont il fut l’élève. Encore jeune peintre, Fragonard affirme nettement son style, caractérisé par une palette claire et pimpante (il usera aussi des couleurs chaudes, mais toujours lumineuses), un pinceau vif et enlevé, une apparente légèreté dans le traitement du sujet pour mieux laisser place à l’ambiguïté. C’est d’ailleurs pourquoi une lecture morale de ses œuvres semble toujours délicate à imposer. Que faut-il voir avec cette jeune fille jouant avec ses chiots (La jeune fille aux petits chiens), ou cette jeune femme découvrant une lettre galante (Le Billet doux ou La Lettre d’amour) ? Les Curieuses sont certes bien plus explicites (probablement dissimulées dans une maison de plaisirs), mais Le Verrou, quoi qu’on en dise, garde sa part de mystère.

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Diane et Endymion, vers 1755-56, Huile sur toile - 94,9 x 136,8 cm, Washington, National Gallery of Art, Photo : Washington, National Gallery of Art
Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Diane et Endymion, vers 1755-56, Huile sur toile – 94,9 x 136,8 cm, Washington, National Gallery of Art, Photo : Washington, National Gallery of Art

Outre sa virtuosité et cette délicieuse touche à la manière d’esquisse, ce qui frappe chez Fragonard c’est sa fantaisie et son humour. L’illustration des Contes de La Fontaine en est un exemple, comme elle est révélatrice également de ses talents de dessinateur (voir aussi les planches de l‘Orlando furioso de l’Arioste). La liberté du peintre est tout aussi savoureuse ; elle se retrouve dans ses tableaux mythologiques (Diane et Endymion), mais aussi religieux (une Adoration des Bergers, peu conventionnelle et très belle, a l’air de se demander ce qu’elle fait ici). Preuve que Fragonard sait aussi se montrer bien tendre, confortée par un adorable Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant ou encore une émouvante Leçon de musique.

La touche annonce l’impressionnisme, mais les thèmes célèbrent le XVIII° (L’Ile d’amour, sorte d’hommage aux fêtes galantes de Watteau) et ne plongeront guère au-delà : Fragonard s’arrête en effet de peindre au début des années 1790, laissant à d’autres le soin d’explorer la veine néo-classique.

 

Fragonard amoureux. Galant et libertin

Musée du Luxembourg

19, rue de Vaugirard, 75006 Paris

TLJ de 10 h à 19 h, nocturnes les lundis et vendredis jusqu’à 21h30

Les 24 et 31 décembre et le 1er janvier de 10h à 18h (fermeture le 25 décembre)

Entrée : 12 €

Jusqu’au 24 janvier 2016

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La Renaissance et le Rêve au Musée du Luxembourg

La Renaissance et le Rêve au musée du LuxembourgA travers cette passionnante exposition à voir jusqu’au 26 janvier prochain, le Musée du Luxembourg à Paris se propose de répondre à la question : comment les artistes de la Renaissance ont-ils représenté le rêve ?

En près de 80 œuvres dûment éclairées, essentiellement des peintures et des gravures, y compris un splendide émail peint, le parcours permet de se faire une belle idée du sujet.

Tout commence par le sommeil, comme d’évidence, car l’on ne parle pas ici de rêve éveillé mais bien de songe nocturne : c’est Michel-Ange, avec une sculpture pour le tombeau des Médicis dans la basilique San Lorenzo à Florence qui en a dessiné le canon, sur lequel les peintres du XVI° siècle se sont alignés. Le sommeil est figuré par une femme nue au corps plantureux, lovée sur elle-même, aux yeux clos et à l’expression énigmatique. Les interprétations de Ghirlandaio et de Battista Dossi sont d’une extraordinaire richesse avec animaux, masques, autant de symboles à tenter de décrypter mais dont l’ambiguïté voire l’érotisme du message ne peut passer inaperçu.

A une époque où la religion est extrêmement présente malgré la redécouverte des philosophes de l’Antiquité, beaucoup d’œuvres représentent ce que l’on appelle les « rêves vrais », autrement dit des visions révélées par le divin, souvent en prenant leur source dans l’Ancien Testament. Ainsi l’on découvre plusieurs versions de l’échelle de Jacob, métaphore de l’élévation de l’âme vers Dieu, ou encore du rêve de Pharaon qui voit sept vaches maigres dévorer sept vaches grasses, annonçant la famine qui suivra la prospérité, mais également la vision de Sainte-Hélène, dont la superbe, claire et mélancolique signée Véronèse, venue de la National Gallery de Londres.

Véronèse, le rêve de Sainte-HélèneDans un registre toujours religieux mais plus politique, impossible de passer à côté du Rêve de Philippe II du Greco, prêté par le Monastère royal de l’Escorial à Madrid et montré pour la première fois en France. Les couleurs d’une modernité incroyable, presque acidulées, l’habile et audacieuse composition et la puissance iconographique jusque dans les détails feraient presque tomber à genoux, à l’exemple de son commanditaire figuré au premier plan.

Pour finir, à défaut de pouvoir citer toutes les œuvres dignes d’intérêt, voici une série de peintures qui remportent un grand succès : les visions cauchemardesques de Jérôme Bosch. Venu d’Ottawa, La Tentation de Saint-Antoine, truffé de monstres aussi mystérieux que repoussants place le Saint au centre du tableau comme abandonné dans un monde gagné par les pires vices et condamné aux ténèbres. Quant à l’ensemble de quatre panneaux Visions de l’Au-delà du même Bosch, on y lit une volonté toute « pédagogique » : d’un côté l’Enfer peuplé d’effrayantes créatures, où une terrible chute mène sans ménagement, d’un autre un Paradis fait de douceur et de lumière et entre les deux l’ascension vers le divin, symbolisé par une blanche lumière.

C’est bien la Renaissance, certes, mais elle reste marquée par les temps tragiques du Moyen-Age et ses obscurantismes et annonce des affrontements religieux non moins violents. De tout cela, le travail de Bosch et de ses suiveurs témoigne et, on dirait, avec une certaine délectation. Délectation visiblement encore pleinement partagée par les visiteurs quelques cinq siècles plus tard…

La Renaissance et le Rêve
Bosch, Véronèse, Le Greco…
Musée du Luxembourg
Paris 6ème
TLJ de 10 h à 19 h 30, les lun. et ven. jsq 22 h
Jusqu’au 26 janvier 2014

Images :
Paris Bordone, Vénus endormie et Cupidon, Venise, collection G. Franchetti © 2013. Cameraphoto/Scala, Florence – Photo Scala, Florence – courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali
Véronèse, La Vision (le rêve) de sainte Hélène, vers 1570-1575, huile sur toile, Londres, The National Gallery © The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department

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Chagall, Entre guerre et paix. Musée du Luxembourg

La danse, ChagallEn une centaine de peintures, dessins et gravures,l’exposition du Musée du Luxembourg donne une idée de l’intensité de l’œuvre de Marc Chagall (1887-1985).
Intense est également, au sens physique, l’exposition. Le manque d’espace entre les œuvres et le manque de recul pour les admirer sont évidents, dans un espace inadapté à l’accueil d’un public fourni.
Malgré ces réserves, la qualité et la variété des œuvres montrées raviront les amateurs de Chagall et conquerront aisément les autres. D’autant que l’exposition est l’occasion de voir, outre des œuvres conservées dans les musées parisiens, un grand nombre d’autres venues de musées européens et américains ou encore prêtées par des particuliers.

Le parcours est chronologique, au service de son propos : montrer les contrastes du travail de Chagall au fil des événements qu’il a traversés tout au long du XXème siècle, qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou des soubresauts de l’histoire contemporaine.

Même si sa première exposition a lieu en 1914 à Berlin, sa trajectoire d’artiste commence en 1910 à Paris, où il est venu étudier et où il rencontre les artistes de La Ruche : Soutine, Léger, Delaunay, Archipenko, Zadkine…
A partir de 1914, son retour en Russie, et notamment dans son village de Vitebsk est marqué par un resserrement des liens avec ses racines juives, par son mariage avec Bella Rosenfeld, par la révolution de 1917 et bien sûr par la Première guerre mondiale.
Ces deux premières périodes, parisienne puis russe, montrent une césure forte. Alors que les premiers tableaux affichent des sujets gais et des couleurs d’un éclat presque insolent, ceux des années russes sont beaucoup plus graves, voire sombres. Des figures du judaïsme apparaissent (rabbin, juif errant), mais également des soldats blessés et des populations en fuite.

En 1923, Chagall revient à Paris, où il se consacre à différents travaux, notamment d’illustration à la demande du marchand d’art Ambroise Vollard : Les âmes mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine. La commande d’illustration de la Bible sera pour lui l’occasion de se rendre en Palestine. Une partie de l’œuvre éblouissante qu’il en tirera est exposée ici. Elle témoigne de la grande simplicité et de l’immense humanisme avec lequel l’artiste a abordé les grands épisodes bibliques.

Pendant la Deuxième guerre mondiale, il trouve refuge aux Etats-Unis. Les massacres commis en Europe, qui ne sont pas sans lui rappeler les pogroms subis par les Juifs dans la Russie tsariste de son enfance, lui inspirent des tableaux montrant des scènes tragiques d’exodes et de villages en flammes. Chagall mêle des éléments juifs tels le châle de prière ou le chandelier à sept branches à des représentations de la crucifixion, symbole de la souffrance humaine.
En 1944, il est en outre frappé par le deuil de son épouse Bella. Les années suivantes, il ne cessera de la représenter dans des scènes pleines d’amour et de tendresse.

Songe d'une nuit d'été, ChagallAprès la Guerre, comme nombre de peintres, il s’installe sur la Côte d’Azur. La lumière du Midi insuffle à sa peinture des couleurs de plus en plus éclatantes, dont les immenses toiles du musée du Message biblique – à aller voir à Nice – seront évidemment les œuvres les plus emblématiques.

L’œuvre de Chagall s’accommode assez mal des descriptions. C’est une peinture à la fois du détail (il mêle tant de motifs sur une même toile), d’une large inspiration narrative (qu’il s’agisse de son histoire personnelle ou de la Grande histoire, y compris biblique) mais aussi d’imagination (la puissance onirique est souvent très forte). C’est une peinture figurative – mais affranchie de toutes les lois de la représentation – et très allégorique.
Elle a une place particulière dans l’histoire de la peinture du XXème siècle, à l’écart de toutes les écoles, mais aussi, à voir l’enthousiasme (partagé) des visiteurs, dans l’intimité de ceux qui l’admirent, touchés par son souffle poétique, spirituel et humaniste.

Chagall, Entre guerre et paix
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard – 75006 Paris
TLJ de 10h à 19h30 et le dimanche de 9h à 20h
Nocturne le lundi et le vendredi jusqu’à 22h
Ouverture exceptionnelle jusqu’à 22h les samedis du 23 mars au 20 avril
Fermeture le mercredi 1er mai
Entrée 11 euros, TR 7,5 euros
Jusqu’au 21 juillet 2013

Images :
Marc Chagall, La Danse, huile sur toile, 1950-1952, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1988 © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ® © RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Marc Chagall, Songe d’une nuit d’été , 1939, Musée de Grenoble © ADAGP, Paris 2013 / CHAGALL ®

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Trésor des Médicis. Musée Maillol

Famille de banquiers florentins richissimes à partir de la fin du Quattrocento, la dynastie des Médicis a donné des princes, des papes, et même deux reines à la Couronne de France, Catherine épouse du futur roi Henri II puis Marie épouse d’Henri IV en 1600.

Leur fortune, ils l’ont en partie consacrée aux arts, mais aussi à la science et à la connaissance du monde.
Du XVème au XVIIIème siècles, ils ont accumulé des collections fabuleuses, d’antiques et de « curiosités » notamment ; mais ils ont aussi beaucoup fait travailler les artistes de leur temps.

Le musée Maillol retrace cette éblouissante épopée dans le règne du beau et du savoir à travers 160 œuvres, tableaux, dessins, sculptures, meubles, objets d’arts décoratifs, livres et même instruments de musique et… astronomiques.

De Cosme l’Ancien qui fut le premier grand collectionneur après son retour d’exil à Florence en 1434, à Anne-Marie Luisa, la dernière des Médicis qui, à sa mort en 1743 légua le trésor familial à l’État Toscan à condition que jamais rien ne quitte Florence et que les collections des Médicis soient mises entièrement à la disposition du public, l’on suit au fil des siècles les engouements de ces fous d’art qui, s’ils ne l’ont pas inventé, furent les premiers à développer le mécénat à une telle échelle.

L’exposition est de toute beauté, rendue plus agréable encore par la scénographie de Bruno Moinard. Dans une ambiance empreinte de richesse et de raffinement, la visite commence dans un très beau corail cuivré pour finir dans les tons de vieil or et de gris anthracite, tandis que les œuvres sont mises en valeur grâce à une installation aérée.

Remontant le temps, l’on s’arrête, tour à tour, devant d’admirables statues et camées romains, devant la Sépulture des saints Côme et Damien et de leurs trois frères de Fra Angelico, L’Adoration des Mages de Botticelli, un David de Michel-Ange, ou encore la crosse du pape Léon X…

Hommage incontournable aux illustres florentines qui ont lié leur destin à celui du royaume de France, une salle est consacrée aux fastueux portraits de deux Reines. L’on voit ainsi Marie de Médicis ornée d’une robe robe comptant quelques 300 grosses perles fines et plaques de diamants… Dans un coin, cette huile en grisaille de Rubens, qui a peint les grands épisodes de sa vie pour son palais du Luxembourg.

Dans le Cabinet des Merveilles de François 1er de Médicis, se côtoient des œuvres d’art premier venus d’Amérique Latine, d’Afrique et de l’Océan indien et des objets décoratifs aussi fins qu’originaux. Voici donc un manteau de plumes rouges de la culture tupinambá, un vase en forme de navire en lapis-lazuli, une verseuse en nacre et vermeil gravé composée de deux coquilles…
Parmi les raretés, l’on découvre, plus loin, les merveilleuses marqueteries de pierre dure sur marbre, avec notamment un cabinet en ébène du XVIIème siècle composé de 17 compartiments ornés, ou encore deux tables sur fond de marbre noir, justement appelées A la grenade et Au collier de perles.

La curiosité et les terrains d’investigation des Médicis étaient sans limites, comme en témoignent les objets d’astronomie liés aux découvertes de Galilée. Les livres n’étaient pas moins prisés, à voir les véritables œuvres d’art que sont le Livre d’Heures de l’une filles de Laurent le Magnifique ou encore les Editions princeps des œuvres d’Homère extraits de la bibliothèque médicéenne.

Trésor des Médicis
Musée Maillol
59-61, rue de Grenelle – 75007 Paris
Métro Rue du Bac, bus : n° 63, 68, 69, 83, 84
TLJ de 10 h 30 à 19 h sf 25 déc. et 1er jan., nocturne le ven. jusqu’à 21 h 30
Entrée 11 € (TR 9 €)
Exposition prolongée jusqu’au 13 février 2011

 

Images : Pierre Paul Rubens Les trois Grâces, 1627-1628 Huile en grisaille sur panneau, 47,5 x 35 cm Florence, Palazzo Pitti, Galleria Palatina Inv. 1890 n. 1165 Photo: Archivio fotografico della soprintendenza di Firenze
et Giusto Utens (Bruxelles ?-Carrare 1609) Vue du palais Pitti et du jardin de Boboli 1598-1599 Huile sur toile, 143 x 285 cm Inscription : en bas, au centre « Belveder (con Pitti) » Museo Storico Topografico Firenze com’era

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René Lalique, Créateur d'exception 1890-1910.

lalique epingleDes moineaux à la gorge gonflée délicatement posés sur une branche, couverts de brillants : voici l’une des premières créations de René Lalique, lorsqu’il travaillait dans l’anonymat pour les grands joaillers Boucheron et Vever.

Déjà éclatent la finesse et le travail profondément créatif de l’artiste.

Né en Champagne en 1860, Lalique puise dans son enfance champêtre une constante inspiration.
Motifs végétaux, floraux et animaux les plus ordinaires demeureront présents tout au long de sa prolifique carrière, conférant à son œuvre une simplicité que ses autres inspirations – bien de son temps – n’altèreront pas.

Lorsqu’il fonde son propre atelier en 1887, il abandonne la joaillerie et a l’audace d’utiliser des matériaux moins nobles, comme l’ivoire et la corne, des pierre fines aux couleurs étranges comme l’onyx, le jaspe, l’agate, l’opale, qui lui permettent d’explorer sans limite le champ des couleurs et des formes, à la mesure de son génie créatif et de son imagination débordante.
Sensible aux inspirations de l’époque, son œuvre permet de retrouver les grandes tendances des arts décoratifs de la fin du XIX° et du tout début du XX°.

De l’éclectisme fin de siècle, avec la veine égyptienne qui persiste depuis les conquêtes napoléoniennes, à l’Art Déco du XX°, René Lalique se délectera un long moment dans le mouvement de l’Art Nouveau avec sa faune, sa flore, ses volutes, mais aussi un symbolisme très marqué avec le cygne, le serpent …
Des estampes japonaises qui circulent alors à Paris, il utilise les motifs de pivoines, chrysanthèmes, branches de prunier, pavots, ombelles, qu’il incruste dans des peignes de bois laqués.

De tous ces mouvements, il fait un miel qui lui est propre, reconnaissable entre tous (un coup d’œil sur les créations d’autres concepteurs contemporains permet de le vérifier) : délicatesse, grâce, originalité, mais aussi une délicieuse ambiguïté dans sa représentation – constante – de la femme.
Au lissé des visages à l’ovale parfait, à la nudité innocente des corps féminins, se mêle le doux effroi des animaux qui font frissonner, insectes, iguanes, crapauds, chauves-souris …

Au delà de la beauté pure de ses bijoux d’exception, René Lalique ouvre ainsi au visiteur attentif tout un monde de poésie, de fantasmes et de fantaisie, qui fait de cette exposition un véritable enchantement.

René Lalique, Créateur d’exception 1890-1910
Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard – Paris 6ème
Jusqu’au 29 juillet 2007
Entrée 10 €
Catalogue de l’exposition, 264 p., 32 €

Image : épingle à chapeau Guêpes, or, émail, opale, diamant (vers 1890-1900)

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