Poèmes en archipel, René Char. Les Névons

portrait de René Char pour les NévonsPoèmes en archipel (lire le billet du 14 juin 2007) donne l’envie de célébrer à nouveau la beauté des poèmes et textes de René Char.

René Char ne cessa jamais de rendre hommage à sa terre natale, le pays de la Sorgue, où il reviendra, toute sa vie, au propre comme dans ses écrits, se ressourcer à la fraîcheur de son enfance provençale.

Dans Le deuil des Névons, du nom de la propriété familiale, le poète évoque la douleur éprouvée lors du partage successoral, à la suite de la mort de sa mère, qui conduira à la vente de la maison.
Chanson bucolique et magnifique sur le deuil, sous-titrée Pour un violon, une flûte et un écho, un peu trop longue pour être citée en intégralité :

Un pas de jeune fille
A caressé l’allée,
A traversé la grille.

Dans le parc des Névons
Les sauterelles dorment.
Gelée blanche et grêlons
Introduisent l’automne.

C’est le vent qui décide
Si les feuilles seront
A terre avant les nids.

(…)

Le bien qu’on se partage,
Volonté d’un défunt,
A broyé et détruit
La pelouse et les arbres,
La paresse endormie,
L’espace ténébreux
De mon parc des Névons.

Puisqu’il faut renoncer
A ce qu’on ne peut retenir,
Qui devient autre chose
Contre ou avec le coeur, –
L’oublier rondement,

Puis battre les buissons
Pour chercher sans trouver
Ce qui doit nous guérir
De nos maux inconnus
Que nous portons partout.

(La parole en archipel, 1952-1959)

Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char
Edition de Marie-Claude Char, Marie-Françoise Delecroix, Romain Lancrey-Javal et Paul Veyne
Gallimard / Folio (mars 2007) 448 p., 11,50 €

Lire également le billet sur la belle Lettera Amorosa

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Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char

poèmes en archipelPoèmes en archipel fait partie d’une série de publications et de manifestations initiées au Printemps des Poètes à l’occasion de la célébration, en ce 14 juin 2007, du centième anniversaire de la naissance de René Char.

Né sept ans avant la Première Guerre mondiale et mort peu avant la chute du mur de Berlin, René Char a traversé les périodes les plus tragiques de son siècle.

Les écrits qu’il a laissés sont aussi le témoignage des temps qu’il a connus.

On y trouve l’écho de trois étapes de l’histoire littéraire du XXème siècle : le surréalisme d’abord ; la poésie de l’engagement ensuite ; et l’évolution vers des formes aux frontières floues, s’affranchissant des genres définis (fragments, aphorismes, journal…).

L’approche anthologique et chronologique présente un grand intérêt pour qui souhaite appréhender, par une vision – loin d’être exhaustive mais d’ensemble, l’oeuvre de René Char.
En permettant de faire quelques pas sur chacune des voies qu’il a empruntées, Poèmes en archipel permet de se faire sa propre idée et de voir ce qui plaît dans ses différents textes.

L’oeuvre de René Char est réputée difficile d’accès.
On s’aperçoit, au fil du recueil, qu’elle est très diverse et que bien des poèmes sont loin de l’hermétisme qu’on lui prête de façon générale.
Et qu’un poème garde une part d’obscurité n’empêche pas d’y trouver – ou pas – de la beauté.
Ce qui est plus regrettable, c’est lorsque la prose censée l’éclairer est elle-même hermétique.
Dans son Avant-propos, Pascal Charvet promet : « Eclairant le chemin de vie et d’écriture de René Char, ce livre offre aux adolescents d’aujourd’hui, et à tous ceux dont le poète écrivait "Ils disent les mots qui leur restent au coin des yeux", les conditions d’une lecture intime ».
Tel est absolument le cas. A condition de tenir à distance, aussi souvent que nécessaire, les commentaires introductifs inutilement apprêtés et épuisamment brumeux.
A cette réserve près, Poèmes en archipel ne peut qu’être conseillé, que ce soit pour son beau travail d’édition (illustrations de choix, mise en page simple, claire et soignée sur papier épais), ses éléments bibliographiques et biographiques, le très bel hommage, en introduction, que Paul Veyne rendit au poète dans le journal Le Monde en 1990… et son format de poche.

La vie et l’oeuvre de René Char furent marquées, dans l’entre-deux-guerres, et jusqu’à la Libération, par l’engagement politique puis armé.
Dans Seuls demeurent, recueil de textes écrits entre 1938 et 1944, publié en 1945, figure 1939 Par la bouche de l’engoulevent, cri de révolte contre les enfants victimes de la guerre d’Espagne, poème en prose illustré par Picasso :

Enfants qui cribliez d’olives le soleil enfoncé dans le bois de la mer, enfants, ô frondes de froment, de vous l’étranger se détourne, se détourne de votre sang martyrisé, se détourne de cette eau trop pure, enfants aux yeux de limon, enfants qui faisiez chanter le sel à votre oreille, comment se résoudre à ne plus s’éblouir de votre amitié ? Le ciel dont vous disiez le duvet, la Femme dont vous trahissiez le désir, la foudre les a glacés.
Châtiments ! Châtiments !

Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char
Edition de Marie-Claude Char, Marie-Françoise Delecroix, Romain Lancrey-Javal et Paul Veyne
Gallimard / Folio (mars 2007) 448 p., 11,50 €

Autres publications :
Pays de René Char, Marie-Claude Char, Flammarion (280 p., 45 €)
René Char. Le géant magnétique, hors-série de Télérama (100 p., 7,80 €)

Exposition René Char à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 29 juillet
Catalogue édité par la BNF et Gallimard, 264 p., 29 €

Lire également le billet sur la belle Lettera Amorosa

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