Valet de nuit, Michel Host

Les lecteurs du Goncourt 1986 ont peu suivi les jurés : le tirage du livre fut un des plus modestes de l’histoire du prix, et il est aujourd’hui difficile de trouver des échos sur le roman, peu disponible d’ailleurs dans les librairies.

Il est vrai que la première partie de l’ouvrage est peu encourageante : les déambulations du narrateur entre Paris et Maman, entre une ville qu’on aimerait évoquée, et moins décrite, et une mère dont le caractère envahissant est un poncif de la littérature, lassent très vite. L’écriture n’est pas assez originale pour arrêter l’attention : « J’aime la ville comme une mère longtemps mésestimée. Enfin je reconnais ses mérites. Je l’aime d’un amour cannibale. Pour me nourrir, je déchire sa chair qui se reforme toujours dans son inépuisable générosité ».

La deuxième partie prend un tournant plus intrigant mais il faut aimer les histoires de viol pour apprécier pleinement, et accepter certaines invraisemblances. On pourrait finalement se contenter de lire la troisième partie consacrée à l’amoureuse du narrateur, personnage qui nous retient davantage et qui permet à son amant de le lancer sur les traces de son père qu’il a très peu connu. Hélas le discours sur la ville se poursuit : « Tout ici est image. La ville est un corps de femmelle qui se pare avec deux m. Il n’a que cela, ses parures. Il obéit, fidèle, aux modes successives. Sous son apparente frivolité, il est la plus fragile création des hommes ». Cette ville a le bonheur d’avoir un fleuve qui la traverse : « Elle (la Seine, suppose-ton), tranche le corps de la cité comme le sillon trace le sexe féminin (…) Je m’arrête. Je contemple son sexe ouvert où coule un sang annuel ».

La dernière partie, rêve ou réalité, nous fait retrouver le père : baveux, recroquevillé dans un fauteuil roulant, il assiste aux ébats sexuels qu’il a commandités pendant que le fils, le narrateur, caché dans le placard d’un réduit, contemple la double scène : celle des ébats et celle du père appréciant ces ébats.

Une fois que le lecteur a compris qu’il a subi une fois de plus une histoire de vengeance familiale et littéraire, il s’interroge : quel est l’intérêt de cette lecture ? Peut-être pouvoir se passer de son GPS au cours de son prochain déplacement dans Paris : « L’avenue Henri-Martin, dans ses cinq cents derniers mètres, effectue deux courbes très amples qui la mènent à la jonction des boulevards Suchet et Lannes. Elle vire d’abord à gauche, puis, comme prise d’un remords, repart à droite ».

Michel Host a depuis ce Prix écrit bien des livres. Parions sur le paradoxe des prix littéraires, qui permettent parfois à un écrivain de trouver éditeur et public pour des œuvres bien plus intéressantes…

Andreossi

Valet de nuit, Michel Host

 

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Le retour d’Ulysse dans sa patrie au TCE

Soirée inoubliable vendredi au Théâtre des Champs Elysées à Paris où on assistait au Ritorno d’Ulisse in patria de Claudio Monteverdi (1567-1643). Le Concert d’Astrée, la formation baroque créée par Emmanuelle Haïm en 2000, inaugure cet opéra patiné de près de quatre siècles cette saison dans le théâtre de l’avenue Montaigne.

On retrouve dans cette nouvelle production l’essence du spectacle opératique, tel qu’il a été inventé en Italie au tournant du XVII° siècle : l’union étroite du théâtre, du chant et de la musique, avec ici le mélange de drame et de comédie cher à l’opéra vénitien, une direction d’acteurs-chanteurs précise, une mise en scène soignée, mettant en valeur un livret bien écrit et une séduisante partition.

Commençons par celle-ci, la musique. Sous la direction posée et sûre d’Emmanuelle Haïm, sa formation resserré, dont l’osmose avec son chef est palpable, joue une interprétation sobre : le travail de Mme Haïm offre à la délicatesse de la musique baroque un écrin de calme et de raffinement dont rien ne semble dépasser.

On la voit diriger les chanteurs avec la même détermination et une complicité qui donnent un fort solide résultat. Il faut dire que la distribution est de haut niveau, avec des voix pleines de personnalité. Évacuons tout de suite le sujet du rôle-titre, tenu par le très attendu Rolando Villazón. La critique l’accable, le public prend ce qu’il y a à prendre.  Non, il ne séduit pas – plus – par ses « montées », en revanche il émeut tant par le velouté de son phrasé que par son jeu d’acteur, incarnant un Ulysse plein d’humanité, plus fatigué, amoureux et soumis aux dieux que jamais.

Le reste de la distribution émerveille tant vocalement que scéniquement. Citons d’abord Magdalena Kožená  dont la Pénélope est au-dessus même de ce qu’on attend, tant elle restitue la tristesse et la dignité, puis l’alternance de la détermination et du doute, avant que, in fine, l’allégresse des retrouvailles chasse de ses traits et de sa voix les vingt années d’attente écoulées. Puis l’Eumée, le fidèle berger d’Ulysse, de Kresimir Spicer, dont le chant doux et mélodieux n’a d’égal que la justesse du geste. Jörg Schneider est également parfait dans le rôle de son opposé, Irus, bouffon des Prétendants, au-delà du ventru : si dans la première partie il brille par ses talents comiques conformément au rôle, mais aussi par sa voix à la puissance rugissante, celle-ci s’exprime dans de beaux aigus dans le solo de la seconde partie où il pleure, avec la mort des Prétendants, le retour de la faim. Parmi les Prétendants justement, tous très bien, c’est surtout Maarten Engeltjes en Pissandre que l’on a envie de mentionner, tant sa voix de contre-ténor est rafraîchissante et rend l’ensemble plus savoureux encore. Enfin, l’un des plus grands bonheurs de la soirée vient d’Anne-Catherine Gillet, qui campe Minerve / Amour de sa voix cristalline, pleine d’aisance et colorée, et offre une interprétation scénique fort remarquée, tant elle pétille et surprend.

Voilà pour le geste, voilà pour la voix, voici pour la mise en scène : Mariame Clément mixe les codes et les époques autour de grands décors qui mettent bien en place l’essentiel de l’intrigue et de détails qui viennent la titiller avec humour. On pourrait résumer ainsi : du classique de bon goût réveillé par des surgissements plus pop art – et donc moins consensuels – mais le tout suivant une veine très poétique. Idée inventive et judicieuse : l’Olympe est bien surélevé, mais… n’est autre qu’un troquet où dieux et déesses occupent leur désœuvrement et observent les mortels dont ils font du destin leur joujou en picolant et en jouant aux fléchettes. On est bien loin de l’Olympe de nos imaginaires ! Mais l’ensemble fonctionne fort bien, et l’on s’enchante de ce mariage parfait du chant, de la musique baroque et d’un théâtre plein de merveilleux.

Le retour d’Ulysse dans sa patrie, Monteverdi

Le Concert d’Astrée / Emmanuelle Haïm

Mise en scène : Mariame Clément

Rolando Villazón  Ulysse
Magdalena Kožená  Pénélope
Katherine Watson  Junon
Kresimir Spicer  Eumée
Anne-Catherine Gillet  L’Amour / Minerve
Isabelle Druet  La Fortune / Mélantho
Maarten Engeltjes  La Fragilité humaine / Pisandre
Callum Thorpe  Le Temps / Antinoüs
Lothar Odinius  Jupiter / Amphinome
Jean Teitgen  Neptune
Mathias Vidal  Télémaque
Emiliano Gonzalez Toro  Eurymaque
Jörg Schneider  Irus
Elodie Méchain  Euryclée

Théâtre des Champs-Elysées

Prochaines représentations : lundi 6, jeudi 9 et lundi 13 mars 2017 à 19 h 30

Puis à l’Opéra de Dijon du vendredi 31 Mars au dimanche 2 Avril 2017

 

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Hartung et les peintres lyriques

Jean-Yves nous ramène de Bretagne une belle idée d’excursion en cette fin d’hiver : l’exposition consacrée à Hartung et d’autres peintres lyriques à Landerneau. Merci Jean-Yves de nous faire partager ce coup de coeur !

Mag

Le Fonds pour la Culture Hélène et Edouard Leclerc qui avait organisé, à Landerneau, une très belle rétrospective Chagall en 2016, récidive dans la qualité en proposant, cet hiver et jusqu’au 17 avril, une exposition consacrée à Hans Hartung et à quelques autres peintres lyriques.

L’accrochage chronologique des œuvres de l’artiste commence par ses tableaux de jeunesse, dans les années 1930, quand il s’engage délibérément et sans retour vers la non-figuration. S’ils n’ont pas la maîtrise des œuvres ultérieures, ces tableaux, souvent moins exposés que le reste de la production d’Hartung, demeurent intéressants, notamment quand ils illustrent la technique du report adoptée alors par le peintre, consistant à reproduire exactement sur tableaux les dessins sur papier.

L’exposition se poursuit en survolant la production d’Hartung dans l’immédiat après-guerre pour s’attarder sur les réalisations de la fin des années 1950 et des années 1960 lorsque la technique du peintre évolue : plus sûr de son geste, l’artiste explore une nouvelle méthode de mise à distance et n’hésite pas à employer divers instruments inattendus (pistolets de carrossier, lames ou râteaux). La recherche constante de nouvelles méthodes le conduira plus tard à employer un spray pour pulvériser de la peinture acrylique sur la toile, voire à frapper celle-ci au moyen de balais de genêt…

Les accrochages rendent très bien compte de ces évolutions, les griffures et zébrures laissant progressivement la place aux masses sombres, puis à un renouveau jubilatoire de la gamme chromatique.

Hartung continuera à peindre quasiment jusqu’à la fin de sa vie, à 85 ans, dans une approche toujours très physique de son art… C’est dans son œuvre finale qu’il parvient à la plus grande amplification de son geste, dans des tableaux de grande taille.

La visite est ponctuée d’îlots ouverts à d’autres peintres lyriques. Le premier expose des œuvres de quelques représentants de la Nouvelle Ecole de Paris (Simon Hantaï, dont on retrouve avec plaisir deux tableaux, Gérard Schneider, Georges Mathieu) et met leurs contributions en résonance avec celle d’Hartung… Le second, occupé essentiellement par des peintres américains (Cy Twombly, Willem de Kooning, Helen Frankenthaler), annexe aussi Jean Degottex, dont on apprécie le très beau « L’adret ». Le dernier, enfin, permet de découvrir certains « héritiers » d’Hartung (Jaffe, Traquandi, Polke…), même si la filiation ne saute pas toujours aux yeux du néophyte.

L’exposition, la première de cette importance consacrée en France au peintre depuis 2008, souligne donc la grande diversité de la production d’Hartung et la hauteur de son influence. Elle permet de deviner comment, dans sa volonté d’exploration, la démarche du peintre reste marquée par une grande rigueur, davantage peut-être que par l’effusion qui s’attache souvent au lyrisme. Elle donne enfin à retrouver quelques-uns des principaux acteurs de ce mouvement, l’abstraction lyrique, qui constitue l’une des étapes majeures de la peinture au cours de la seconde partie du 20ème siècle.

Jean-Yves

Hartung et les peintres lyriques

Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture

Les capucins – 29800 LANDERNEAU

Jusqu’au 17 avril 2017

 

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Loving

loving_jeff_nicholsIls s’aiment. Elle lui annonce qu’elle attend un enfant. Il sourit. Il achète un terrain pour construire une maison près de sa famille à elle, et quand il le lui montre, là, en plein champ, il la demande en mariage.

Nous sommes aux Etats-Unis en 1958, dans un coin de campagne où familles blanches et noires vivent en proximité et, pour certaines, en amitié. Que la noire Mildred et le blanc Richard Loving tombent amoureux n’a alors rien d’exceptionnel. Du moins c’est ainsi que les faits nous apparaissent au début du film tant leur histoire est empreinte d’évidence et de simplicité. Sauf qu’à cette époque, l’Etat de Virginie, ségrégationniste, interdit les unions mixtes. Mildred et Richard vont donc se marier furtivement à Washington.

Mais ce que la justice réprouve, la société le réprouve aussi majoritairement. Les jeunes époux sont dénoncés et, une nuit, la police vient les chercher dans leur lit pour les incarcérer. Leur avocat, « le meilleur du comté », se fait fort, parce que le juge est l’un de ses amis, de leur obtenir une suspension de peine : la liberté s’ils consentent à quitter l’Etat de Virginie pendant… 25 ans.

Mildred et Richard Loving s’aiment. Alors ils le font. Ils quittent familles, amis, travail, terrain, arbres et champs pour s’installer en ville où ils sont hébergés par une connaissance. Début d’un long exil et d’une grande tristesse.

Et c’est finalement Mildred qui acceptera la première de se battre pour contester cette décision, jusqu’à la Cour Suprême, qui l’annulera dans un arrêt qui fera date.

Tiré d’une histoire vraie, Loving est un film poignant. Mais il a ceci d’admirable qu’il n’est jamais tire-larmes ni grandiloquent. Au contraire, il traite son sujet avec beaucoup de délicatesse et de sobriété. Montrés dans toute leur dignité, les personnages sont toujours abordés du point de vue humain – leur amour, celui pour leur famille – alors que l’aspect juridique et social du combat pour les droits civiques semble les dépasser. La caméra est lente, prend sont temps pour scruter les visages, sur lesquels on essaie de lire des pensées et des sentiments qui sont rarement exprimés. Mais on comprend, on se désole, et on revoit une nouvelle fois d’où une certaine Amérique vient.

Loving, un film de Jeff Nichols, sélectionné au dernier Festival de Cannes,

Avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas

Durée 2 h 03

Sorti le 15 février 2017

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La pitié de Dieu, Jean Cau

 

la_pitie_de_dieuRetour à la littérature cette semaine, avec le prix Goncourt 1961 : assez difficile « à vendre », il faut le reconnaître ! L’occasion une fois de plus de redécouvrir avec le recul des années les choix du célèbre jury… et de prendre du recul par rapport à ceux-ci ! Bonne lecture quand même !

Mag

Quatre hommes dans une cellule ont permis à Jean Cau d’obtenir le Goncourt 1961. Ces hommes constituent une micro société tout à fait civilisée alors qu’ils semblent auteurs d’assassinats et enfermés pour cela. Tout se passe très bien entre eux, avec de la coopération, voire de l’assistance : l’un, ancien boxeur, s’entraîne pour son prochain combat sous les conseils du grutier qui a, par mégarde ou intention, laissé tomber des poutrelles d’acier sur l’amant supposé de sa femme. Un autre, ancien médecin, qui a peut-être poussé au suicide son épouse, est aidé par le quatrième dans ses « crises » psychiques sévères.

Leur façon de vivre la vie carcérale est le déni sous toutes ses formes. Ils ne sont pas coupés du monde puisque l’un d’entre eux invente les nouvelles radiophoniques tous les jours. Si le boxeur poursuit son entraînement alors qu’il est « condamné à perpète » c’est qu’il doit rencontrer le champion du monde de boxe dans les deux mois. Quant aux éventuelles erreurs de leur vie d’avant, ils font tout pour s’en dédouaner. Leur société est si bien en place que lorsque l’administration leur donne un cinquième détenu dans leur cellule, il se suicide au bout de onze jours.

On comprend que le propos du romancier n’est pas une réflexion sur la vie carcérale mais une fable métaphysique sur la vie en société : « Nous sommes quatre hommes entre quatre murs. Toute la bonté et la sauvagerie du monde brûlent entre ces quatre murs. Nous célébrons la plus solennelle messe du monde, entre ces quatre murs. Nous sommes radieux, couronnés de roses et vêtus de blanc entre ces quatre murs ».

Leurs échanges sur leur vie du dehors ne laissent aucun doute sur leurs souffrances passées. Ils n’ont pas à regretter des parents violents, un adversaire « bicot » (mais on dit plutôt « bic » dans le roman) qui se laisse tuer sous les coups, et surtout les femmes (le roman dit plutôt « ça ») auxquelles on ne comprend rien tant elles sont différentes : « Les femmes, disent Alex et Eugène, ça ressemble aux chats. Tu les balances du quatrième étage et ça retombe sur ses pattes. Tous les deux demandent ensuite si les femmes ‘ça souffre’. Oui, très fort, mais pas longtemps, sinon, avec leur manie de prendre tous les coups, elles finiraient pas en crever ».

Il faut aimer la fable métaphysique pour trouver un intérêt au roman. Dans le cas contraire, qui est le nôtre, on peut se laisser aller à la rêverie et comparer les définitions des années cinquante avec celles d’aujourd’hui : « Qu’est-ce qu’une femme demande Eugène ? – C’est une idée qu’on se fait répond le Docteur. -C’est une salope, dit Alex. –Ça n’existe pas, affirme Match. – Ça existe puisque nous sommes en prison à cause de ça, dit Eugène ».

Andreossi

La pitié de Dieu, Jean Cau

 

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Christophe. Les vestiges du Chaos Tour

christophe_vestiges_chaos_pleyelLes mots manquent pour rendre compte de l’émotion éprouvée lors du magnifique concert de Christophe à la salle Pleyel vendredi dernier, ultime étape parisienne avant la reprise de sa tournée Les vestiges du Chaos, du nom de son très réussi dernier album.

Parfaitement orchestrée – à tous points de vue du reste – et sans pour autant donner l’impression d’un timing trop bien réglé, la soirée s’est déroulée en deux parties.

La première a été l’occasion de redécouvrir en intégralité Les Vestiges du Chaos, dans une éblouissante mise en scène signée Jérémie Lippmann. Une ambiance nocturne, qui mettait les musiciens en valeur dans des cubes de lumière surélevés. Pas de parois, seulement des arrêtes en néons scintillant en couleurs et variations rythmiques, en écho à de savant jeux de spots colorés. Plein les mirettes, quoi, mais jamais trop. Avec Christophe, rien se saurait être too much.

Lui est sur le devant de la scène, tranquille sur son tabouret derrière un micro sur pied. Il chante et parle au public comme le prince qu’il est, toujours extrêmement présent, simple et sophistiqué à la fois, décontracté avec classe, orgueilleux et plein d’humour, y compris sur lui-même.

Derrière lui, il y a des décennies de musique et de création, et cela s’entend. Mais jamais on ne pense à un « vieux chanteur ». Septuagénaire paraît-il. Ah bon. Comment fait-il ?

Il y a d’abord ses chansons, d’une modernité folle, avec des sons ultra-travaillés, des musiques planantes, des rythmes qui alternent envolées célestes et accélérations jubilatoires. Ensuite, sa voix, ce filet inimitable qui monte et descend en souplesse, juste patiné d’un grain superbe qui en fait toute la singularité. Enfin, il y a ce que Christophe dégage, si insaisissable, cet homme qui sait se montrer discret et loquace, complice et sauvage, direct et plein de respect.

Après l’entracte, l’artiste fait intervenir un danseur de flamenco : sobriété, classe, puissance, lyrisme, en quelques minutes « l’hypnose » flamenca opère et le public est captivé.

Christophe peut lors surgir à nouveau, assis à son piano glissant doucement sur la scène, pour entonner les grands succès de son répertoire. Au fil de réinterprétations qu’il sait faire à la fois surprenantes et fidèles, Christophe met tour à tour chacun de ses musiciens à l’honneur. Une véritable démonstration de leur talent – pas un passage pour la forme comme d’ordinaire – le temps d’une chanson entière.

Bien sûr, on retiendra les magnifiques réinterprétations des Marionnettes (dans un duo avec le public fort juste), des Mots bleus, d’Aline… Ce soir, elles n’ont pas pris une ride, pas le moindre signe d’usure après tant de temps et d’écoutes. La preuve, dans cette seconde partie aussi, que l’artiste sait s’entourer, travailler, créer et se réinventer sans cesse. Jamais il ne semble se reposer sur ses lauriers : c’est peut-être cela la clef d’une modernité qui frise l’avant-garde, d’une endurance si élégante, de spectacles si féeriques.

Christophe, concert du vendredi  3 février 2017 à la salle Pleyel

Toutes les dates de la tournée ici

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Tous à la plage !

tous_a_la_plageQuand l’hiver nous grisouille l’âme à Paris, pourquoi ne pas aller s’égayer sur la plage ? Cabourg, Nice, Port Grimaud, Monaco… des noms qui nous font bien rêver en ce moment.

tous_a_la_plage_au_negrescoAlors profitons de l’exposition proposée par la Cité de l’Architecture jusqu’au 12 février pour nous plonger dans l’histoire des stations balnéaires. Loin de se limiter à leur architecture (ce qui est du reste drôlement bien restitué à l’aide de nombreux plans, dessins et maquettes), le parcours retrace l’évolution économique et sociale de la fréquentation des bords de mer.

tous_a_la_plage_costumes_de_bainCostumes de bains, affiches publicitaires, photos, vidéos, arrêtés de police… la visite est abondamment illustrée. Instructive et distrayante, elle nous apprend comment le développement de l’activité balnéaire a commencé au XVIII° siècle autour de considérations thérapeutiques pour ensuite se déployer à la Belle Époque au profit de la bonne société séduite par les palaces et les casinos, avant d’être accessible aux classes populaires avec l’arrivée des congés payés en 1936.

tous_a_la_plage_ambre_solaireEnfin, l’exposition n’oublie pas l’aspect environnemental de l’explosion de la fréquentation du littoral, dont la protection est devenu un enjeu majeur ces dernières décennies.

Tous à la plage !

Cité de l’Architecture et du Patrimoine

45 av. du Président Wilson – Paris XVI°

Jusqu’au 12 février 2017

 

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Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Gauguin, Eh quoi, tu es jalouse ? (1892)
Aha oé feii ? (Eh quoi, tu es jalouse ?), Paul Gauguin, Tahiti, Papeete, été 1892. / Musée Pouchkine, Moscou

Jean-Yves est allé admirer la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton à Paris. Son coup de cœur est tout à fait partagé : les Cézanne à eux seuls valent le détour! Mag

S’il y a un événement qu’il ne faut pas manquer aujourd’hui, c’est bien l’exposition Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton. Cette exposition réunit, en effet, 130 œuvres faisant partie de la collection que le riche industriel russe avait constituée dans son palais de Moscou entre 1898 et 1914. Après avoir été nationalisée en 1918, la collection fit l’objet d’une partition entre le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, d’une part, et le musée Pouchkine à Moscou, d’autre part. Après une longue mise à l’index, certains tableaux refirent leur apparition vers la fin des années 1950, quelques-uns d’entre eux étant même autorisés à être présentés à l’étranger. Mais c’est la première fois qu’autant d’œuvres majeures voyagent en si grand nombre et c’est en cela que l’événement est exceptionnel.

L’exposition est organisée en différentes séquences, chacune dédiée à un thème particulier. Dès la première galerie, le ton est donné. A l’enseigne des « peintres et le collectionneur », on peut d’emblée admirer des autoportraits de Cézanne et Gauguin, le portrait de Benet Soler par Picasso, dans sa période bleue, un Van Gogh et le superbe « Homme à la pipe »  de Cézanne.

Se succèdent ensuite des salles aux accrochages les plus admirables. « Le déjeuner sur l’herbe » (Monet) figure avec deux Pissarro, un Sisley et un Signac dans l’ensemble « Paysages Impressions ». La salle suivante (« Paysages constructions ») est, selon nous, l’une des plus belles, puisqu’elle propose deux tableaux de Cézanne (dont « La Montagne Sainte-Victoire vue des Laures », annonciatrice du cubisme et de l’art abstrait) et un mur cubiste composé de trois Picasso, d’un Braque et d’un Derain.

Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016
Femme à l’éventail (Après le bal), Pablo Picasso, printemps-été 1908. / © Succession Picasso 2016. Crédit photo : Musée d’Etat de l’Ermitage,Saint-Pétersbourg, 2016

La visite se poursuit dans un ensemble constitué exclusivement d’œuvres de Gauguin, qui se prolonge par une série de « Portraits de la peinture » faisant l’état des lieux des inventions plastiques qui bouleversent alors l’art contemporain (Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Picasso, Matisse…).

Le « Salon rose » est un hommage à Matisse, dont le collectionneur a acquis 37 toiles, avec qui il dialogua et qui le guida dans ses choix. Si les emblématiques « La danse » et « La musique » ne sont pas présentes dans l’exposition, on peut néanmoins voir « La desserte – harmonie en rouge », commandée par l’industriel en tons bleus, mais que le peintre réalisera, selon sa propre volonté, dans un rouge explosif.

Après avoir traversé les salles consacrées aux « Natures mortes » et aux « Totems et tabous », on arrive à la Cellule Picasso : Chtchoukine avait décidé de consacrer une salle entière de son palais à l’œuvre du peintre, malgré les fortes réticences que celle-ci soulevait alors.

La visite se termine par trois salles où est mise en exergue l’influence que la collection Chtchoukine exerça sur la peinture russe avant-gardiste de l’époque (Malevitch, Klioune, Tatline, Rozanova…). A la fois collectionneur au goût très sûr, mécène, amateur (il ne revendait pas les œuvres acquises), Chtchoukine souhaitait, en effet, donner une large expansion aux mouvements artistiques qu’il défendait et il n’avait pas hésité, à cet effet, à rendre son palais accessible au public dès 2008.

L’exposition est donc aussi un hommage à Serguei Chtchoukine, dont la vie fut traversée par des circonstances familiales tragiques et qui trouva peut-être dans sa collection une échappatoire à la douleur. On retiendra, enfin, qu’après avoir fui la Russie en 1918, ce grand visionnaire s’exila en France où il est mort en 1936 sans avoir revu sa collection.

Jean-Yves

Fondation Louis Vuitton

Icônes de l’art moderne. La collection Chtchoukine

Entrée 16 euros (tarifs réduits 5 et 10 euros)

L’exposition est prolongée jusqu’au 5 mars 2017

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Rembrandt intime au musée Jacquemart-André

Rembrandt (1606-1669) Vieil homme en costume oriental - 1632 Huile sur toile - 152,7 x 111,1 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, Bequest of William K. Vanderbilt, 1920 © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA
Rembrandt (1606-1669) Vieil homme en costume oriental – 1632 Huile sur toile – 152,7 x 111,1 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, Bequest of William K. Vanderbilt, 1920 © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais

Le musée Jacquemart-André propose jusqu’au 23 janvier une très belle redécouverte du parcours de Rembrandt. De ses débuts où l’on voit ses potentialités prêtes à exploser jusqu’à ses dernières œuvres tout en estompes, en croisant tableaux, gravures et dessins, le musée du boulevard Haussmann permet d’apprécier tout le talent du maître hollandais du XVII°.

Les gravures forcent l’admiration par la finesse et la précision du trait, permettant de rendre détails et subtilités expressives. Les dessins sont stupéfiants d’efficacité, par l’économie des moyens utilisés pour restituer la vivacité d’un mouvement ou les traits des figures. Mais ce sont naturellement les peintures qui laissent le visiteur ébahi. Son sens de la dramaturgie et de la composition éclate dans les scènes religieuses telle que l’émouvante Fuite en Egypte, ou plus encore son chef d’œuvre les Les Pèlerins d’Emmaüs. Rembrandt maîtrisait aussi à la perfection le recours à la lumière. Son Saint-Paul, éclairé à la fois par la gauche et la droite en est une brillante illustration.

 Saint-Paul assis à sa table de travail, vers 1629-1630 - huile sur bois 47x39cm, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum
Saint-Paul assis à sa table de travail, vers 1629-1630 – huile sur bois 47x39cm, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum

Mais tous ces talents demeureraient un peu vains s’ils n’étaient au service des personnages. Voyez Saint-Paul écrivant à sa table de travail justement : comment ne pas être bouleversé par l’expression de ce visage, Paul représenté en vieillard épuisé, paraissant méditer la portée de son combat et sentant sa fin approcher, annoncée par les épées accrochées à ses côtés.

On s’arrêtera aussi bien sûr devant ses grands portraits, et plus particulièrement devant son chef d’œuvre venu du Met à New-York : le majestueux Vieil homme en costume oriental, où malgré le faste, Rembrandt a su ici aussi donner à ses traits une émouvante humanité.

 

Rembrandt intime

Musée Jacquemart-André

158 bd Haussmann, 75008 Paris

Jusqu’au 23 janvier 2017

Ouvert tous les jours, 10h-18h
Nocturne le lundi jusqu’à 20h30
Tarifs : 16 (plein), 10 (réduit)
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La loi, Roger Vailland

la_loiPour la nouvelle année, on remonte 60 ans en arrière, avec le prix Goncourt 1957 relu par Andreossi. Partir dans le sud de l’Italie en ce début d’année, voici une idée séduisante…en tout cas en 2017… !

Meilleurs voeux chers lecteurs, j’espère que vous pardonnerez la parcimonie des billets de maglm ces derniers temps, mais c’est pour une (double) bonne cause ! Que 2017 vous apporte santé, joie, douceur et belles découvertes ! A très vite, et merci à Andreossi pour son super-feuilleton des Goncourt !

Mag

Le prix Goncourt 1957 nous conduit dans les Pouilles, région pauvre d’Italie dans ces années d’après fascisme. Vailland nous décrit la vie de village portuaire dans la diversité de ses classes sociales, en prenant pour cible des personnages représentatifs, du propriétaire terrien aisé à l’ouvrier agricole, en passant par le juge et le commissaire, et surtout par Matteo Brigante, qui porte bien son nom et fait régner sa loi sur ce monde de miséreux, moyen pour lui d’ascension sociale.

Le symbole du pouvoir de Brigante est le jeu de La Loi, basé sur le couple honneur/humiliation, dans lequel il excelle. Le sort des cartes désigne un « patron » : « Le gagnant, le patron, qui fait la loi, a le droit de dire et de ne pas dire, d’interroger et de répondre à la place de l’interrogé, de louer et de blâmer, d’injurier, d’insinuer, de médire, de calomnier et de porter atteinte à l’honneur ; les perdants, qui subissent la loi, ont le devoir de subir dans le silence et l’immobilité ». Et aussi : « Pour que La Loi soit plaisante à jouer, il faut une victime, clairement désignée, que le sort et les joueurs traquent jusqu’à épuisement ».

C’est dans cette ambiance réjouissante que les hommes rivalisent. Mais la société n’est pas faite seulement d’hommes appliqués à défendre leur honneur par l’humiliation des plus faibles. Les femmes ont aussi leur rôle à tenir : obéissance au droit de cuissage, contrainte au viol, soumission des jeunes filles aux femmes âgées.

L’intrigue du roman se fixe sur la jeune Mariette douée de « la voix » : « Un chant vertigineux, c’est-à-dire à la fois très exactement placé et chaviré chavirant hors de toute place ». Elle parvient à éviter viol et droit de cuissage et figure les possibilités de changements de cette société machiste.

Roger Vaillant semble avoir connu de près cette vie de l’Italie méridionale, car les descriptions qu’il fait de ses coutumes tiennent parfois davantage de l’ethnologie que du roman. Mais il est possible qu’il ait forcé le trait, du moins nous préférons le penser tant les règles locales nous paraissent aujourd’hui relever d’une violence difficile à entendre. L’écriture est assez plate, à la limite parfois des didascalies des pièces de théâtre, mais la lutte de Mariette nous mène aisément jusqu’à la fin du roman.

Andreossi

La loi, Roger Vailland

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