Charlotte Perriand, de la photographie au design

Charlotte Perriand en montagneMalgré son parcours erratique, l’exposition consacrée à Charlotte Perriand (1903-1999) jusqu’au 18 septembre au Petit Palais permet, à travers de multiples supports, de se faire une bonne idée de ses créations, de ses sources d’inspiration et des valeurs auxquelles elle est restée fidèle durant sa longue vie.

Les cultures et traditions locales, l’observation et le respect de la nature, le besoin de plein air et de retrait, l’humanisme ont guidé la vie et le travail de cette Parisienne d’origine savoyarde.

Faisant équipe avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, elle a fait partie de ceux qui, dans la première moitié du XXème siècle ont révolutionné la façon de concevoir l’habitat autour de principes ultra-modernes : légèreté, praticité, confort, accessibilité, à une époque où de lourds et trop profonds buffets encombraient les salles à manger et où chaises et fauteuils, au fil des modes, semblaient davantage pensés selon des préoccupations esthétiques que pour accueillir le repos de l’homme et de la femme.

Charlotte Perriand ne renonce pas pour autant à la beauté, bien au contraire. Il n’y a qu’à regarder une fois de plus ses tables au pans coupés, ses meubles aux formes adoucies ou sa très fameuse chaise longue dessinée dès 1928 pour s’en convaincre.

Évoquant sans trop s’y attarder les longs voyages à l’étranger de l’architecte-designer, qui furent pourtant fondamentaux, l’exposition fait la part belle – et c’est une réussite – à l’importance de la nature dans le travail de Charlotte Perriand.
Avec ses amis tels que Pierre Jeanneret ou encore le peintre Fernand Léger, autre grand complice, elle arpentait les plages de Normandie, la forêt de Fontainebleau. Ils ramassaient tout ce qui attirait leurs yeux grands ouverts : bouts de bois flotté, arrêtes et os polis, galets de grès… Ensuite, Perriand les intégrait dans ses décors, chez elle ou dans ses projets, comme « La Maison du Jeune Homme » conçue en collaboration avec René Herbst, Louis Sognot, Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour l’Exposition Internationale de 1935 : l’on y voit exposés sur des étagères devenues depuis des classiques de beaux spécimens de cailloux et autres reliques naturelles.

Avant même de les recycler sous une forme ou sous une autre pour l’habitat, Charlotte Perriand photographiait arbres et pierres ; les grands tirages en noirs et blancs révèlent un sens artistique accompli dans ce domaine également.
L’on admire aussi des dessins puis des peintures que Fernand Léger tirait des formes végétales. Ils sont présentés avec les meubles en bois et aux lignes courbes de Charlotte Perriand ; de l’ensemble se dégage une grande cohérence.
La complicité Perriand/Léger s’est d’ailleurs concrétisée à de multiples reprises et notamment dans la « La Maison du Jeune Homme », où l’on aperçoit les fresques de Fernand Léger dans la salle de sport attenant au bureau.

Avant de partir, ne pas oublier d’aller voir, à l’étage, l’émouvante fresque en photo-montage, longue de 16 mètres, réalisée pour le Salon des Arts ménagers : « La Grande Misère de Paris ». Engagée, progressiste et humaniste, Charlotte Perriand en appelle à l’allègement des tâches incombant aux femmes, à un meilleur partage des richesses et à une capitale laissant sa place à la nature. C’était en 1936, et la signature d’une femme résolument d’avant-garde.

Charlotte Perriand, de la photographie au design
Petit Palais
Avenue Winston Churchill – 75008 Paris
Tel : 01 53 43 40 00
Du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Fermé le lundi et les jours fériés
Jusqu’au 18 septembre 2011
Plein tarif : 8 euros – tarif réduit : 6 euros

Image : Ch. Perriand en montagne, vers 1930 © AChP

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Le poids du papillon. Erri De Luca

Erri de Luca, Le poids du Papillon, GallimardLe papillon se pose sur la corne gauche du chamois. C’en est trop pour l’homme qui porte sur le dos l’animal qu’il vient de tuer. « Sa respiration s’assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s’arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé ».
Parfois le plaisir de lecture vient seulement (seulement !) du présent de la phrase, lorsqu’elle est là quand il le faut, lorsqu’elle sait se détacher de la narration pour évoquer bien davantage : la nature, la vie et la mort. On peut alors dire « écriture poétique », peut-être. Si la phrase belle arrête brusquement le lecteur et qu’il la relit, si son esprit s’évade ne serait-ce que le temps de la relecture, on peut soupçonner un parfum de poésie.
Erri De Luca, qui sait ce dont il parle quand il fait retour sur la jeunesse révolutionnaire, prend cette image : « On n’a plus jamais vu une jeunesse s’acharner à ce point pour renverser une assiette. Une assiette à l’envers ne contient presque rien, mais elle a une base plus large, elle est plus stable ».
Et quelle force dans cette formule, pour dire la pensée de sa propre finitude : « Il attend la sortie des enfants de l’école, le nouveau monde, les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin ».
La maison Gallimard, sur la jaquette du livre, affadit l’oeuvre qu’elle publie (tout en trompant le public) en la baptisant « roman ». Ce court récit de 60 pages, suivi de « Visite à un arbre », encore plus bref, a la profondeur des contes que l’on s’échangeait au cours des veillées d’autrefois. Cette rencontre entre le roi des chamois et le roi des chasseurs mérite que l’on se taise un moment : asseyez vous auprès du feu, et écoutez.

Le poids du papillon
Erri De Luca
Gallimard, Du Monde Entier, 9,50 € (publié en mai 2011)

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Inter. Pascal Quignard

Inter, Pascal Quignard, Argol-dans la friche ni silence
ni fracas

Dans les gorges sauvages, ce n’est NI
Le SILENCE, ni le tumulte

(dans l’ouvert. Silence : non,
tumulte : non.)

Ces trois citations sont extraites des traductions d’un même texte latin :
(In saltibus. NON SILEN- TIUM, non tumultus.)

Mais il ne s’agit pas d’un poème d’un auteur ancien. Car c’est Pascal Quignard qui a publié Inter aerias fagos il y a 35 ans. Le livre d’aujourd’hui présente plusieurs textes autour de ce poème, dont 7 traductions par 7 auteurs différents.
Mais on a aussi l’histoire de l’aventure de cette publication par son initiatrice, Bénédicte Gorrillot, et la lettre envoyée à cette dernière par Pascal Quignard, qui revient avec précision sur le « monde intérieur » qui lui a permis d’écrire le poème. Elle avait prévu de l’interroger en face à face sur ce texte, mais il n’a pu répondre de vive voix : « vous avez pu le constater par vous-même, je ne puis affronter en direct ma vie ».

A partir de ce poème d’une cinquantaine de lignes étalées sur 11 pages, on a donc 9 traductions : soit sous forme poétique soit sous forme de commentaires.

La lecture en est passionnante parce que les questions sur la nature de la poésie sont ici clairement posées. Par exemple, on saisit bien que la poésie que l’on lit essaye de garder ou de réveiller le souvenir de l’oralité. Le poète a utilisé les ressources de la typographie pour animer le texte de respirations, d’effets de voix basse ou de voix forte (parenthèses, gras, majuscules). Les traducteurs ont reproduit ou pas ces consignes. Mais ils ont dû faire aussi avec les slash, les guillemets, l’espacement des mots, des paragraphes.

Au total, les partis pris de chacun aboutissent à des textes très différents, par la traduction des mots, par leur disposition, mais ils gardent leur cohérence interne, car chaque membre de phrase s’inscrit dans une totalité, une tonalité, qui caractérise l’auteur. Au-delà des quelques uns et quelques unes qui joueront à donner leur version à partir de l’original, le livre plaira à tous ceux et celles qui aiment retourner l’histoire de l’écriture : oublier que l’écrit se lit dans le silence, et faire ressurgir la voix, le cri, l’exclamation, toutes les expressions du verbe avant qu’il ne se soit figé dans la page.

INTER
Inter aerias fagos
Pascal Quignard
Traductions de Pierre Alferi, Eric Clémens, Michel Deguy, Bénédicte Gorillot, Emmanuel Hocquard, Christian Prigent
Argol, Janvier 2011, 170 pages (19 €)

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Le poids du papillon. Erri De Luca

Erri de Luca, Le poids du Papillon, GallimardLe papillon se pose sur la corne gauche du chamois. C’en est trop pour l’homme qui porte sur le dos l’animal qu’il vient de tuer. « Sa respiration s’assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s’arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé ».

Parfois le plaisir de lecture vient seulement (seulement !) du présent de la phrase, lorsqu’elle est là quand il le faut, lorsqu’elle sait se détacher de la narration pour évoquer bien davantage : la nature, la vie et la mort. On peut alors dire « écriture poétique », peut-être. Si la phrase belle arrête brusquement le lecteur et qu’il la relit, si son esprit s’évade ne serait-ce que le temps de la relecture, on peut soupçonner un parfum de poésie.

Erri De Luca, qui sait ce dont il parle quand il fait retour sur la jeunesse révolutionnaire, prend cette image : « On n’a plus jamais vu une jeunesse s’acharner à ce point pour renverser une assiette. Une assiette à l’envers ne contient presque rien, mais elle a une base plus large, elle est plus stable ».
Et quelle force dans cette formule, pour dire la pensée de sa propre finitude : « Il attend la sortie des enfants de l’école, le nouveau monde, les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin ».

La maison Gallimard, sur la jaquette du livre, affadit l’oeuvre qu’elle publie (tout en trompant le public) en la baptisant « roman ». Ce court récit de 60 pages, suivi de « Visite à un arbre », encore plus bref, a la profondeur des contes que l’on s’échangeait au cours des veillées d’autrefois. Cette rencontre entre le roi des chamois et le roi des chasseurs mérite que l’on se taise un moment : asseyez vous auprès du feu, et écoutez.

Le poids du papillon
Erri De Luca
Gallimard, Du Monde Entier, mai 2011 (9,50 €)

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Manuscrits de guerre. Julien Gracq

Julien Gracq, Manuscrits de Guerre, José CortiDeux formes d’écriture pour nous conter l’histoire d’une défaite.
Julien Gracq n’a jamais publié ces manuscrits qui ont attendu sa disparition pour être proposés à la lecture. Peut-être les a-t-il jugés trop proches de lui, car ils mettent en scène le lieutenant Louis Poirier, qui a préféré construire une œuvre sous le nom de Gracq, caractérisée par un imaginaire qui privilégie le fantasmatique des situations plutôt que la référence au réel.

Ici la guerre de 1940 est décrite d’abord par le lieutenant Poirier, au jour le jour, du 10 mai au 2 juin. Le climat de défaitisme y est très précisément décrit. La section que dirige le lieutenant est totalement dépassée par les évènements. Des ordres contradictoires ou pas d’ordre du tout de la part du commandement, des ennemis dont on sent la présence mais souvent invisibles, qui semblent véritablement se promener dans la campagne plutôt que faire la guerre. Lorsque les deux armées s’affrontent, c’est pour s’apercevoir de l’évidente supériorité de l’armée allemande : « J’ai beau faire, je sens en moi-même combien en quelques minutes, sans contact direct, l’ennemi a établi un ascendant brutal sur nous –combien dès ce moment nous nous sentons surclassés (…) il ne nous en faut pas plus pour savoir, au plus intime de nous-mêmes, qu’il suffit d’une pichenette de notre part pour déclencher instantanément chez l’homme d’en face un violent coup de poing ».

Dès la défaite, Poirier interprète les évènements à la manière de Gracq, plus attiré par les logiques cachées et les motivations secrètes que par les rationalisations savantes : « Mais c’était peut-être trop laisser de côté la part obscure du combat : le duel des volontés –et pour l’âme docile au choc si autoritaire des détonations contre le tympan il s’établissait comme en langage chiffré, comme en morse, un dialogue mystique : d’un côté l’âme sage, timide et économe, et de l’autre une volonté sauvage, farouche, d’étouffer, d’écraser, de courber sous son joug l’adversaire, d’avoir à tout prix le dernier mot ».

Aussi ces Souvenirs de guerre en disent tellement sur cette période (qui avait encore en mémoire l’affreuse boucherie de 14-18), que le Récit de Julien Gracq, à la troisième personne, cette fois plus « travaillé », littérairement parlant, ne semble pas apporter grand-chose de plus. Ou alors il ne faut pas lire les deux formes à la suite, ou lire d’abord la seconde. On trouve les phrases trop longues, un abus des deux points. Dans les trente dernières pages, le ton devient plus juste. Il fallait en somme choisir, ou raconter cette guerre ou évoquer le lourd sentiment de défaite par un récit moins situé, plus onirique. Poirier avait choisi Gracq, qui n’avait pas publié.

Manuscrits de guerre
Julien Gracq
José Corti, avril 2011 (19 €)

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L’Art de l’automobile. Chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren

Alfa Romeo 1938 chez Ralph Lauren

Nul besoin d’être transporté, si l’on ose dire, par les engins mécaniques, pour apprécier l’exposition des dix-sept automobiles issues de la collection de Ralph Lauren, à voir au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu’au 28 août 2011.

Merveilleusement et simplement mises en valeur, ces voitures de course – certaines dans une version "grand tourisme" – sont de véritables pièces de design, que l’on peut admirer, indifférent aux notions de cylindrée et de vitesse, comme des œuvres d’art.
Présentées par ordre chronologique les exemplaires exposés couvrent essentiellement la période 1929-1960, excepté une Mc Laren F1 LM de 1996.

Ce qui frappe le plus à la découverte de ces modèles d’exception (la plupart n’ont été fabriqués qu’à un nombre très limité d’exemplaires) est la sensualité de leurs lignes, toutes en courbes et délicieusement profilées, sans parler de leur "robe" : impeccablement restaurées et bichonnées, leurs carrosseries et leurs chromes ont la brillance de la soie et leurs intérieurs de cuir sont une invitation à l’abandon… Comment imaginer tant de fureur (les vitesses annoncées dont de l’ordre de 200 voire 250 km/heure) dans la douceur de tels écrins ?

A propos de fureur, on verra l’une des 90 voitures sorties d’usine de la fameuse Porsche 550 Spyder, modèle au volant de laquelle, alors flambant neuve, James Dean a trouvé la mort en 1955.
On pourra aussi regarder longuement le petit bijou qu’est la Bugatti Atlantic (1938) placée en ouverture d’exposition, synonyme de luxe absolu quand on sait qu’il n’en fut construit que quatre exemplaires, et dont les assemblages à rivets ne sont pas sans rappeler la haute-couture.
Conquis par la beauté de ces autos, on finit par jouer à "si j’avais le choix, laquelle je prendrais ?". Réponse : pas une mais deux ! La flamboyante Alpha Romeo 8 C 2900 Mille Miglia de 1938, dont les phares provocants, le rouge clair déraisonnable et les ailes profilées en goutte d’eau semblent dessinés pour déambuler sur la Riviera ; et la très classieuse Jaguar XK120 Roadster (1950), adorée par les stars du cinéma hollywoodien, parfaite pour circuler partout ailleurs où il fait beau.

Chefs d'oeuvre de la collection Ralph Lauren

L’Art de l’automobile. Chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren
Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli – 75001 Paris
Tél. : 01 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries
Autobus : 21, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
Le jeudi : nocturne jusqu’à 21h
Entrée 9 € (TR 7,5 €)
Jusqu’au 28 août 2011

Alfa Romeo 8C 2900 Mille Miglia, 1938 et Jaguar XK120 Roadster, 1950. Collection Ralph Lauren © Photo Michael Furman

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Pater. Alain Cavalier

Pater, Alain Cavalier

Où sommes nous ? Dans un film d’Alain Cavalier ; tourné dans l’appartement d’Alain Cavalier. Que voit-on ? Les mains d’Alain Cavalier servant un repas. Qui tient la caméra ? Vincent Lindon. Qu’est-ce qu’ils font là, tous les deux ? Pour l’instant, ils mangent une assiette d’anti-pasti soigneusement préparée et boivent du vin.
Plus tard, ils poursuivront. Avec d’autres aussi, parfois.
C’est important, ce moment, ce partage. Alain Cavalier qui demande à Vincent Lindon : tu en as assez, je t’en mets un peu plus ? Déjà, un lien se dessine, celui que signe le titre du film : un lien filial, tendre et très fort.

Pendant 1 h 45, on va voir deux hommes qui à la fois jouent à être, l’un président de la République (Cavalier, magnifique) et l’autre son premier ministre (Lindon, impressionnant) et en même temps incarnent ce président et ce premier ministre. Ambiguïté délicieuse qui, loin d’égarer, additionne les bienfaits des deux situations.
Dans l’une, on découvre la complicité de deux artistes cimentée par un projet commun, se passant alternativement la caméra numérique, faisant ensemble du cinéma à faibles moyens et aux très ambitieuses idées.
Dans l’autre, on assiste à la relation respectueuse, amicale, et parfois très dure, entre deux hommes politiques, l’un en fin de parcours, l’autre en pleine ascension. Ce qui les unit ? Un même engagement politique pour une société moins injuste où, "de même qu’il existe un salaire minimum, il existerait un salaire maximum".

Difficile de décrire les sentiments de félicité et de gratitude qui envahissent le spectateur pendant et après le film.
Certainement viennent-ils de cet amour qui se dégage de ces deux êtres et de ces deux personnages ; mais aussi de la clairvoyance d’Alain Cavalier en matière politique (à laquelle se conjugue la vision de Vincent Lindon), qui montre avec une formidable acuité les ressorts de l’engagement dans l’action politique, les ressorts de compétition et les stratégies qu’elle implique. Dans une "sortie" confondante de naturel, Vincent Lindon démontre superbement comment les puissants peuvent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Dans une scène inoubliable, extraordinaire de vérité, de calme et de retenue, les deux hommes et l’un de leur ministre découvrent la photo d’un adversaire en situation compromettante.
En ce sens, ce qu’apporte le film d’Alain Cavalier est un regard qui peut sembler nouveau tant il tranche avec la vision actuelle du politique qui tend à l’assimiler à de la bouillie pour les chats : c’est un regard sur la noblesse de la politique quand elle est choisie pour porter des idées auxquelles on croit. Aux idées qu’il développe, le terme d’humanisme n’est pas étranger ; à la manière de servir, ceux d’intégrité et de dignité ont du sens ; le tout dans un mouvement multiple (politique, personnel, artistique) et totalement sublime de transmission.

Pater
Un film d’Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Durée 1 h 45
Sorti en salles le 22 juin 2011

Photo © Pathé Distribution

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Minuit à Paris. Woody Allen

Minuit à Paris

En cette semaine de fête du cinéma, qui peut être l’occasion d’entreprendre une "cure" ciné pour profiter de la multitude de propositions actuelles, de qualité inégale il est vrai, que ceux qui n’ont pas encore vu Midnight in Paris ne se sentent pas obligés de s’y précipiter.

On aura rarement vu un tel navet.
L’Europe avait pourtant ces dernières années plutôt réussi à Woody Allen, avec Match Point, Scoop, ou encore l’escapade de Vicky et Cristina à Barcelone.
Il y avait là une fantaisie et une vivacité des acteurs qui balayaient les éventuelles faiblesses scénaristiques.
Hélas, rien ne vient sauver le Paris de Woody.

Mettons un jeune couple d’Américains sur le point de se marier en villégiature à l’hôtel Bristol ; entourons-les des riches et conservateurs parents de mademoiselle, conventionnels et matérialistes, c’est entendu. Ajoutons un autre jeune couple, dont le mâle est la pédanterie intellectuelle et culturelle incarnée. Tout ça se trimbale dans Paris et ses alentours, visite Versailles, Rodin, court l’antiquaire Rive Gauche et les dégustations de Bordeaux habillées. C’est comme on le voit d’ici : personnages archétypaux et et cliché sur cliché.

Mais le jeune homme, prénommé Gil et naturellement écrivain, voit, lui, plus grand que cela : lui voit la beauté du vrai Paris, le Paris de l’entre-deux-guerres, des artistes et de la fête. A tel point que lors d’échappées nocturnes, il se met à vivre son rêve, à rencontrer Hemingway, Buñuel et Picasso (entre autres, mais qu’on se rassure, ils y sont tous).
A ce stade, les ressources du cinéaste new-yorkais pour produire du convenu semblent infinies : c’est à qui ressemblera le plus à sa propre légende. Pour faire bonne mesure, notre Gil tombe amoureux d’une belle, ex de Modigliani, dont le rôle revient en toute logique à Marion Cotillard. Si l’égérie cinématographique française des Américains pouvait un tant soit peu émouvoir, on aurait largement eu le temps de le remarquer.
Quant à ce pauvre Owen Wilson, que s’est-il fourvoyé dans cette affaire, contraint de garder toujours la même moue de poisson rouge, désespéré par ses compatriotes le jour et médusé par le bouillonnement artistique parisien des années folles la nuit ?
Il n’y a rien à faire, avec la meilleure volonté du monde, l’histoire vue de Paris (et non de Cannes !) ne prend pas, les personnages ne s’incarnent pas et la fantaisie de Woody Allen semble noyée sous un amas de vieilles cartes postales.

Minuit à Paris (Midnight in Paris )
Un film de Woody Allen
Avec Owen Wilson, Rachel McAdams, Michael Sheen
Durée 1 h 34
Date de sortie cinéma : 11 mai 2011

Photo © Mars Distribution

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The Tree of Life. Terrence Malick

Sean Penn in The tree of life, Terrence MalickIl était très attendu cet Arbre de vie.

D’abord parce qu’après des films tels que Les Moissons du ciel et Le Nouveau Monde enchanteurs, grande était l’impatience de découvrir ce qui ne pouvait qu’être un nouveau chef d’œuvre.

Ensuite parce que Terrence Malik était déjà annoncé au Festival de Cannes 2010, avant de déclarer in extremis qu’il préférait en peaufiner encore le montage.

Un an de plus, donc, et le film est au rendez-vous sur la Croisette, où il se voit récompensé de la Palme d’or. Il sort en salles dans la foulée, et les aficionados de s’écrier : « Enfin ! ».

On ne devrait jamais trop anticiper sur son plaisir, telle est la morale de l’histoire.
Car Malik nous déçoit, et par là-même nous laisse dubitatif sur cette année de re-montage du film…

Voici l’histoire, ou ce qui en tient lieu : dans le Texas des années 1950, le bonheur d’une famille de la middle-class est brisé par le décès accidentel du cadet des trois fils, alors âgé de 19 ans.
Devenu adulte, l’aîné – joué par Sean Penn – se remémore son enfance.
Par ailleurs, le monde est créé : l’univers, les planètes, la vie, les poissons qui prennent des pattes pour habiter la terre, les dinosaures etc.
Trois approches, donc, d’inégales durées : le cœur du film, c’est cette famille américaine ; la création du monde et Sean Penn rattrapé par son passé en étant les « périphériques ».
Sur le papier, le tout peut faire craindre l’emphase ; sur la pellicule, c’est pire.
Surtout, l’ensemble ne tient pas et, dès lors, même cette famille des années 1950 paraît théorique.

De là à jeter Terrence Malik avec l’eau de son bain, il y a un pas qu’on ne franchira pas : il fait la preuve une fois de plus de son immense talent de cinéaste, compris comme celui de créer de magnifiques images.

L'arbre de vie de Terrence MalickMais tout se passe comme s’il avait été pris à son propre piège, à son tourbillonnant génie.
Les architectures de verre contemporaines dans lesquelles Sean Penn évolue sont une splendeur. La longue séquence de création du monde, pour peu qu’on s’y laisse guider avec tranquillité, est un merveilleux moment de cinéma, yeux et oreilles comblés. La façon dont il filme la mère, le père, les enfants, l’arbre et la maison de cette famille déchirée, caméra tournoyante et caressante, séduit beaucoup au début.
Hélas cette manière ne résiste pas à la longueur du film pour un si faible contenu.
Pour qu’il fonctionne, l’art de l’ellipse doit permettre de révéler ; s’il n’est pas au service de la suggestion, et en outre insiste, il finit par fatiguer.

Tel est le travers dans lequel est tombé Terrence Malik : l’histoire du petit garçon élevé à la dure par son père, presque amoureusement lié à sa mère, fusionnel avec son frère tragiquement disparu aurait pu être émouvante.
Le réalisateur échoue à ce qu’elle le soit : trop de virtuosité dans le maniement de l’image, trop de souci esthétique passent devant la vibration des chairs et des cœurs. Le lien avec la création de la vie n’apparaît pas ; quant au petit garçon devenu grand architecte souffrant de son passé, il semble tout simplement banal.
Malgré le talent des acteurs et l’indéniable sensibilité du poète Malik, le réalisateur américain nous fait pour la première fois la triste et trop longue démonstration d’une esthétique qui tourne à vide.

The Tree of Life
Un film de Terrence Malick
Avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn
Durée 2 h 18
Sorti en salles le 17 mai 2011
Palme d’Or Festival de Cannes 2011

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Un fil à la patte. Jérôme Deschamps

Un fil à la patte, Feydeau, Jérôme DeschampsPourquoi évoquer aujourd’hui un spectacle dont les représentations se sont achevées (à guichets fermés) le 18 juin dernier ?

D’abord, parce qu’on ne peut résister au plaisir de faire partager la joyeuse soirée passée en compagnie de la troupe du Français dirigée par Jérôme Deschamps – qui fut d’ailleurs lui-même dans les années 1970 pensionnaire de la Comédie-Française avant de créer les Deschiens – dans cet inoxydable texte de Georges Feydeau.

Mais surtout, pour signaler que la pièce sera à nouveau donnée dans la salle Richelieu en décembre 2011, avant d’être reprise à l’été 2012.

Dans les vaudevilles de Feydeau, c’est bien connu, tout est affaire de rythme. La situation de départ est classique – ici un Bois d’Enghien désargenté sur le point de faire un mariage de fortune, qui ne sait comment rompre avec sa maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de café-concert très éprise.
Mais très vite, l’intrigue se complique de péripéties qui viennent bousculer tant et plus la narration, jusqu’à ne plus savoir, à la fin, comment on en est arrivé là.

Ce rythme trépidant, la mise en scène de Jérôme Deschamps l’imprime parfaitement et l’implacable mécanique roule à merveille.
Quant aux comédiens du Français, ils ont leur très large part dans ce succès. La distribution est parfaitement en place – on a pu entendre des réserves sur Hervé Pierre dans le rôle de Bois d’Enghien à la création de la pièce, mais c’était en décembre dernier et depuis, après plus de six mois de représentations, l’on voit un comédien des plus à son aise dans la puissance comique du Fil à la patte.
Evidemment, c’est Christian Hecq (justement récompensé du Molière du Meilleur comédien 2011) qui remporte les suffrages, mesurés aux éclats de rire et aux applaudissements pendant le spectacle. Jouant de son corps d’une façon étonnante, il fait du rôle de Bouzin – clerc de notaire mesquin et étriqué, à ses heures auteur de pauvres chansons et bouffi de prétentions – le bouffon qui sur scène exaspère son monde et dans la salle dynamite le public.
Florence Vial est une Lucette Gautier délicieuse du naturel qui est le propre du rôle. Ses comparses ne sont pas en reste, que ce soit Dominique Constanza en Baronne qui ne s’en laisse guère conter, mère de la future mariée, ou celle-ci, interprétée par Giorgia Scalett avec tout le mélange de lucidité et de naïveté requis, ou encore Guillaume Galienne, irrésistible en Miss Betting.
Les décors, classiques et lumineux sont tout à fait propos, alors que les costumes – robes longues froufroutantes pour ces dames – achèvent de nous plonger dans la gaité et la frivolité de la Belle Epoque.

Un fil à la patte
de Georges Feydeau
Mise en scène Jérôme Deschamps
Avec Hervé Pierre, Florence Viala, Dominique Constanza, Christian Hecq, Thierry Hancisse, Georgia Scalliet, Guillaume Galienne, Claude Mathieu
Comédie Française
Salle Richelieu – Place Colette 75001 Paris
Du 2 décembre 2011 au 1er janvier 2012 puis du 26 juin au 22 juillet 2012
La pièce a été diffusée le 22 février 2011 en direct sur France 2

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