Le soir, des lions… François Morel

Le soir des lions... François Morel au Rond-PointQue ce soit en suivant ses chroniques sur France Inter, les spectacles qu’il donne en chansons ou les souvenirs du temps des Deschiens sur Canal +, l’on se fait de François Morel, à tort ou à raison, l’idée d’un homme sincère et cohérent, dont le personnage artistique est l’écume bouillonnante d’une intimité pleine d’émotions pudiquement habillées.

Feinte ou réelle, sa relation au passé, à l’amitié, à l’amour et à la mort vient s’inscrire dans une tradition dont la source est proche de Trenet, Brassens et les frères Jacques. Ses airs et ses mots ont la vertu, en 2010, d’enchanter les cœurs en ranimant les temps révolus, tout en apaisant, tel un baume ancestral, d’incurables plaies devenues avec lui presque aimables.

Son souffle nostalgique, son lyrisme maquillé de pitrerie, il les présente fort joliment jusqu’au 27 juillet dans l’intimité de la salle Jean Tardieu du théâtre du Rond-Point.
Décor mi-guinguette (palissade et lampions) mi-brocante (mannequin articulé et bassines en zinc), complets pour les messieurs et robes à fleurs des années 1950 pour les dames, François Morel entouré de très sympathiques musiciens-choristes enchaîne chansons de son cru et micro sketches en alternant franche moquerie, poésie, calembours et mélancolie.

Sur des musiques d’Antoine Sahler et de Reinhardt Wagner et une mise en scène d’une Juliette jamais à court de fantaisie, l’ensemble fonctionne du feu de Dieu, porté par une complicité bien en place entre l’artiste, faux hâbleur et vrai ravi, et le public tout à sa joie. Il en redemande, nous compris.

Le soir, des lions…
Textes et interprétation des chansons François Morel
Mise en scène Juliette
Musique Antoine Sahler, Reinhardt Wagner
Musiciens Lisa Cat-Berro, Muriel Gastebois et Antoine Sahler
Jusqu’au 27 juin2010
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
A 21 h – Dimanche à 15 h 30
Durée 1 h 30

Photo © Brigitte Enguerand

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Film Socialisme. Jean-Luc Godard

Film socialisme, Jean-Luc GodardNul besoin d’un récit au sens traditionnel, nul besoin de tout comprendre pour aimer.
Pendant 1 h 40, Jean-Luc Godard montre des images et donne à entendre des mots, des bruits, de la musique, voire des dialogues entiers. D’abord sur un paquebot de croisière, où l’enchaînement des images (magnifiques) est tel qu’il évoque un clip : c’est la première partie, intitulée Des choses comme ça. Puis il s’attarde auprès de la famille Martin, dans le garage qu’elle tient et dans sa maison : c’est Notre Europe, où il donne largement la parole aux enfants. Enfin, reprise d’un rythme plus rapide dans Nos humanités, avec des pans d’histoires et d’Histoire (la nuance semble l’objet même de l’interrogation de Godard) autour de l’Egypte, la Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone. Autant d’étapes de la croisière en Méditerranée du début, la boucle se boucle. Et aussi cette mention, parmi les textes du film, selon laquelle il y eut un groupe de Résistants près de Toulouse, dont le nom était Martin.

La part absconse de Film Socialisme faite, son propos ne saurait totalement échapper. Et ce discours-là n’est pas seulement dénonciation d’un monde gouverné par l’argent ("Les hommes ont inventé l’argent pour ne pas avoir à se regarder dans les yeux" fait-il dire à l’économiste Bernard Maris), d’une Histoire chargée de crimes commis par les régimes totalitaires et de mensonges. Jean-Luc Godard tient aussi un propos tourné vers l’avenir, passant le micro aux plus jeunes pour demander quelques comptes à leurs aînés et les secouer de questions, notamment "Quo vadis Europa ?". En eux, il concentre la musique, la lecture (Florine lit Les illusions perdues de Balzac appuyée contre la pompe à essence, un lama à ses côtés), la peinture (son petit frère peint un paysage de Renoir). La liaison avec le passé est très présente tout au long du film. La multitude d’images, l’époustouflant montage, tous les choix de Godard font lien avec l’Histoire. Celle des origines de notre civilisation autour du bassin méditerranéen, l’Egypte, Jérusalem, la Grèce antique, mais aussi la Renaissance, mais aussi le XXème siècle. Vision du monde bien sûr ; l’entassement de personnages de toutes nationalités sur le paquebot de croisière est un médium fort efficace pour l’embrasser, montrer sa globalisation qui ne fait ni unité ni égalité.

Tout cela, Godard l’ancre formidablement dans l’époque d’aujourd’hui. Sa mise en scène est à cet égard une signature de son approche contemporaine. Toutes sortes d’images s’entremêlent : des siennes en haute et basse définition aux images prises avec appareil photo ou récupérées sur Internet, des images d’une grande pureté aux images les plus floues, de l’enchaînement trépidant aux longs plans séquences, des extraits de télévision aux films d’archives… Godard dresse un état des lieux, un état de l’art de l’image et il semble que lui seul pouvait le faire. Comme lui seul ramasse en un seul film le poids des médias, des écrans individuels et du numérique ; l’héritage culturel, la philosophie et les sciences ; la France pays où l’on ne peut plus dire être mais seulement avoir ; l’Europe qui se cherche ; l’Afrique oubliée ; l’argent ; le vent, le soleil et les arts, Joan Baez et Alain Bashung. Rien de moins qu’une vision du monde, brillante, captivante.

Film Socialisme
Réalisé par Jean-Luc Godard
Avec Catherine Tanvier, Christian Sinniger, Agatha Couture
Durée 1 h 42

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La Galerie Blumann

Frederique Callu, Nikon ni soumiseC’est dans l’ambiance feutrée de la place des Vosges à Paris que Chantal Blumann a ouvert en juillet 2009 sa galerie dédiée à l’art contemporain. Elle y expose aussi bien de la peinture, de la photographie, de la sculpture que des comics, avec la volonté "de rendre l’art accessible au plus grand nombre, de faire émerger de nouveaux talents et de proposer des photos numérotées à prix juste". On sent chez cette marchande d’art, en parlant avec elle et en parcourant sa galerie une envie de démocratisation et de désacralisation de l’art qui mettent tout de suite à l’aise.
Parmi les artistes permanents, Yvon Cochery et ses Aztek en résine, Ottmar Hörl et ses Carlin qui présentent l’avantage de ne pas salir ni aboyer, mais aussi plusieurs photographes femmes telles que Frédérique Callu, Vanessa Vercel, Diane Von Schoen et Hélène Desmazières.
On aime particulièrement les photos de voyage de Frédérique Callu, prises sur pellicule blanc et noir argentique puis sobrement colorisées de quelques touches de pigment jaune, ou sa série classieuse et urbaine sur la séduction et la féminité.
Dans une tout autre veine, mais aussi maîtrisée, les photos de Diane Von Schoen nous plongent ans l’univers équestre, en délicat noir et blanc ou en couleur éclatante. Sa série montrant un cavalier vêtu de noir sur un magnifique cheval blanc, vus de profil ou de dos sont grandioses d’intimité, de respect et de solitude.

Galerie Blumann
4, Place des Vosges 75004 Paris
Tel: 01 42 76 04 09

Image : Frédérique Callu – Nikon, ni soumise, 80 x 80 cm

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Les Pardaillan. Michel Zevaco

Michel Zevaco, Les Paillardan, BouquinUne digne héritière des Borgia voudrait régner sur le monde en cette fin du XVIe siècle. Elle se nomme Fausta et manigance, assassine, capture, torture sans aucun complexe. Le moyen d’arriver à ses fins : prendre le pouvoir dans l’institution où les femmes sont le plus exclues, la papauté. Fausta sera Papesse ou ne sera rien.

Quelle idée formidable de ce Michel Zevaco dont Sartre lui-même reconnaissait le génie, et dont il lisait avec avidité les feuilletons lorsqu’il était jeune ! Fausta est consciente qu’elle ne peut vaincre que si elle ne cède à aucun de ceux qui détiennent le pouvoir, les hommes. Elle restera donc vierge et renoncera à tout sentiment qui pourrait l’affaiblir devant un homme.

Dans ce quatrième volume des aventures de Pardaillan (« Fausta vaincue »), la lutte, très ambiguë bien sûr entre Pardaillan et Fausta est à son comble. Enfin, il reste tout de même 6 autres volumes pour juger vraiment, parce que c’est le dernier seulement qui s’intitule « La fin de Fausta » ! Il fallait bien plus de 4000 pages pour nous faire vivre 60 ans d’histoire sur un rythme échevelé, aux rebondissements rocambolesques, truffée d’exploits accomplis au fil de l’épée, mais aussi en riant sous cape.

Pardaillan, qui essaie de ne pas prendre vraiment parti dans ce tourbillon de rivalités où se mêlent religions, batailles autour du trône de France, influences italiennes avec Catherine de Médicis, est amené à intervenir dans les grands événements de notre histoire nationale : c’est quand même lui qui a tué le Duc de Guise, qui a soufflé à Henri IV la formule célèbre « Paris vaut bien une messe » !

Certes Zévaco s’amuse avec l’Histoire, mais surtout il nous offre la joie de la lecture, qui s’appuie sur l’imagination pour évoquer les questions de toujours : pouvoir, désir, liberté. Et quel personnage que cette Fausta ! Alors qu’elle a tenté de tuer pour la énième fois Pardaillan : « Je suis vraiment au regret madame, que vos vœux n’aient pas été mieux accueillis par le Ciel. Puis-je, avant de nous quitter, vous être bon en quoi que ce soit ? Fausta devient blême. Son orgueil souffrit plus qu’il n’avait jamais souffert. Elle fut écrasée par cette générosité simple et souriante, qui lui apparut comme un prodigieux dédain ».

Les Pardaillan
Michel Zevaco
Bouquins Robert Lafont

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L'Arracheuse de temps. Fred Pellerin

Fred Pellerin, L'Arracheuse de temps à l'EuropéenDécouvert hier soir sur la scène de L’Européen à Paris : Fred Pellerin, un Quebecois de 33 ans qui exerce le joli et singulier métier de conteur. Conteur pour adultes : chez Monsieur Pellerin, ça veut dire emporter, faire rire et émouvoir. Et Fred est aussi musicien et chanteur.
La disproportion entre le talent de l’artiste et l’exiguïté de la salle saute vite aux oreilles et aux yeux. Autant dire que l’ambiance était chaleureuse, avec sans doute quelques compatriotes attendris aux premiers rangs : cet ancien étudiant en littérature est devenu une star au Québec et on comprend pourquoi.
L’Arracheuse de temps est son quatrième spectacle ; il y conte une histoire fabuleuse tissée de légendes de son village, entendues depuis sa tendre enfance de la bouche de sa grand-mère, de son père et des vieux du coin. Dès la première phrase, on est suspendu à ses lèvres et à son sacré accent québécois, et, captivé, on ne lâche pas la corde pendant près d’une heure et demie. La pièce mélange personnages hauts en couleurs rudement bien croqués et fantastique des contes de fées, avec, pour le frisson, une Camarde qui ne manque pas de souffle… Le tout débordant d’humour (talent comique indéniable et jeux de mots en tout genre), d’inventions (néologismes adorables), de poésie et d’imagination.
Parfois ce très sympathique garçon pousse la chansonnette, empoigne la guitare ou la mandoline, si ce n’est l’harmonica, tandis que ses pieds battent le rythme avec éclat : là aussi, on sent que, justement, il en a "sous le pied". Il ne s’économise pas, et il n’en a pas besoin : du talent, il en a à revendre.

L’Arracheuse de temps
Fred Pellerin
L’Européen
5, rue Biot, Paris 17e
M°Place-de-Clichy. Tél. : 01-43-87-97-13
Du 1er au 6 juin samedi à 20 h 30 et dimanche à 17 heures
Places de 25 € à 30 €.

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Charles Avery – Onomatopoeia, part 1

Charles Avery, Le Plateau, Stone mouse sellers

Un planisphère, un serpent à bras, un objet exhumé d’un grenier : ainsi s’ouvre l’exposition de l’Écossais Charles Avery présentée au Plateau jusqu’au 8 août prochain.
Elle nous plonge dans le monde inventé par cet artiste de 37 ans aux multiples talents – sculpture, dessin, écriture – qui depuis 2004 dédie son œuvre a une seule entreprise The Islanders, archipel énigmatique dont Onomatopeia est la cité.

La visite s’apparente à la découverte de l’île mystérieuse. Des noms poétiques s’étalent sur le planisphère (Océan analytique, Mer de la clarté), des appellations étranges désignent de magnifiques bustes de bronze coiffés de chapeaux géométriques en papier ou en carton. Surtout, des dessins de très grand format nous racontent ce monde. Un des plus impressionnants présente le port d‘Onomatopoeia. Sur 2 m 40 de hauteur par 5 m 10 de large, s’entremêlent une foule abondante et variée, des animaux curieux, un vendeur de moules / œufs, des bâtiments plus ou moins désaffectés… Fourmillant de détails, le dessin s’examine à loisir dans tous ses recoins. Le trait est brillant, satirique, parfois très dur. Dans ses dessins magistralement composés comme dans ses sculptures, l’artiste allie les lignes souples et libres, réservées aux êtres vivants, aux formes géométriques, très présentes avec les énigmatiques chapeaux et l’architecture de la cité.

Ses textes nous en apprennent davantage sur son monde éclectique, contemporain et inquiétant : à quelques détails de science-fiction près, il ressemble beaucoup au nôtre, avec son Histoire (colonisation par les puissants, élimination des minorités, assimilation au groupe modèle dominant), société stratifiée, asservissement et stigmatisation des étrangers, pauvreté, création de valeur par la marchandisation, spéculation, addictions… Le tout dans un contexte de tourisme de masse moutonnier.

Mais si les extraits de récits d’explorateur (passionnants) de Charles Avery viennent éclairer ses créations graphiques et plastiques, leur lecture n’est pas un préalable nécessaire : les plaisirs de l’intrigue et de l’imagination n’en seront que plus grands en parcourant l’exposition du Plateau, la première exposition personnelle en France de Charles Avery. Un nom facile à retenir et une œuvre à découvrir… absolument.

Charles Avery – Onomatopoeia, part 1
Le Plateau – FRAC Ile-de-France
Place Hannah Arendt, à l’angle de la rue Carducci et de la rue des Alouettes
Paris 19ème
M° Jourdain (11) ou Buttes-Chaumont (7bis), bus 26 – arrêt Jourdain
Du mer. au ven. de 14 h à 19 h et les sam. et dim. de 12 h à 20 h
Jusqu’au 8 août 2010
Entrée libre

Charles Avery, Le Plateau, The bar of the one armed snake

Né en 1973 à Oban, en Écosse, Charles Avery vit et travaille à Londres. Il expose régulièrement dans des galeries en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Italie et à participé à de nombreuses expositions collectives, dont Altermodern pour la 4ème Triennale de la Tate et Walk in your mind à la Hayward Gallery, à Londres en 2009. Son travail a été présenté à la Biennale de Venise et à la Biennale de Lyon en 2007.

Rendez-vous au Plateau :
Chaque dimanche à 16 h visite guidée et gratuite de l’exposition
Jeudi 17 juin à 19 h 30, rencontre avec Charles Avery. Il s’entretiendra avec Nicolas Bourriaud, critique d’art et commissaire de l’exposition Altermodern de la Tate Triennal en 2009 et proposera une lecture de ses textes, récits d’expédition se rapportant au projet The Islanders.
Dimanche 27 juin à 18 h, visite avec Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition

Images : Charles Avery Untitled (Stone Mouse sellers) 96 x 132,5 cm et Charles Avery Untitled (The Bar of the One Armed Snake), 2009 Pencil and gouache on board 124 x 164 cm Courtesy Pilar Corrias Gallery Photo Andy Keate

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Copie conforme. Abbas Kiarostami

Copie Conforme, le film

Arezzo, Italie. James Miller, britannique, vient présenter son essai sur la valeur, supérieure selon lui, de la copie sur l’original en art. Une Française, jouée par Juliette Binoche et que le film ne nomme pas, y tient une galerie d’art. Elle suit la conférence, puis emmène James dans un petit village de la campagne toscane.
Ils y passeront tout leur dimanche, et le spectateur avec, suivant mot à mot leurs échanges, seul ressort du film, en tant que tel dépourvu de narration, mais contenant un récit – celui de ce couple – totalement captivant.
De la galerie d’art à Arezzo au petit village, le couple se rend dans un musée, puis dans un café, puis au pied d’une statue, dans un restaurant, dans une église et enfin dans une chambre d’hôtel – avec une fin très ouverte dans celle-ci.
Le tout sur fond de noce quasi-continu, ce village étant un défilé de mariages, un arbre (œuvre d’art du musée) y étant réputé porter bonheur.
Cette succession de lieux structure fondamentalement le film : à chaque étape correspond une nouvelle avancée dans le récit du couple.

Au départ, l’on a affaire à un homme et une femme qui semblent ne pas se connaître, se découvrant au prétexte d’une conversation sur la copie et l’original, lui dans les ressorts classiques de la séduction (brin de philosophie, humour, histoires à raconter), elle davantage dans l’échange, l’argumentation, la construction.
Et puis à un moment très précis, la situation bascule : elle et lui se mettent à parler comme s’ils formaient un vrai couple, marié depuis quinze ans. Le système se met en place comme un jeu, dont le point de départ est l’apparence ; il devient progressivement de plus en plus sérieux, au point que l’illusion semble devenir la réalité des personnages, le spectateur se trouvant alors embarqué à son tour dans le balancement et les interrogations sur l’original et la copie. Paroxysme de cette implication, à la fin du film, les protagonistes semblent chacun à un certain moment s’adresser au spectateur en regardant directement la caméra.

Dire que ce film est passionnant est encore peu dire.
Ce qu’il exprime sur l’homme, la femme, le couple a une force et une résonance universelles. Les deux acteurs, dont William Shimell qui à la base n’est pas comédien mais un célèbre baryton, portent les dialogues avec une évidence époustouflante.
Mais au delà des mots, le travail que leur a fait conduire le metteur en scène iranien passe tout autant par les gestes et les corps. Sur ses hauts talons, dans sa robe tournoyante, Juliette Binoche, ultra-féminine semble en permanence en mouvement, à la recherche de l’équilibre perdu, en quête d’ancrage. Ce qu’elle parvient à rendre de son personnage évoque davantage l’incarnation que l’interprétation, tant son registre en termes d’émotions, de combativité et d’abandon est confondant de naturel. Autour du geste, se joue un jeu copie/original vertigineux avec la statue sur la place, une copie, mais dont l’original a l’humain pour modèle, et à laquelle la femme voudrait que l’homme se conforme dans son geste de protection, et qu’en outre l’homme d’un couple d’âge mûr, de façon paternelle, invite James à imiter.

Les jeux de l’illusion et du miroir sont infinis, tant métaphoriquement que visuellement, avec notamment un renvoi à tous les âges du couple : des nouveaux mariés, des jeunes retraités et enfin des très âgés pouvant à peine marcher – tous des couples très unis – vont successivement se manifester devant nos deux protagonistes.
Ici et là l’on suit les reflets, des édifices dans le pare-brise de la voiture – quelle beauté, de la statue sur la place dans le miroir d’un antiquaire (que l’homme évitera aussi soigneusement qu’il évite la statue elle-même), et enfin, dans l’un des touts derniers plans, reflet de James dans le miroir, tendu du coup au spectateur aussi. Que voit l’homme quand il se regarde dans la glace ? Mystère. Mais dehors sonnent les clochent, baignées dans une lumière toscane magnifique, et prolongées d’une vibration merveilleuse, qui semble ne finir jamais.

Copie conforme
Un film de Abbas Kiarostami
Avec Juliette Binoche, William Shimell
Durée 1 h 46

Juliette Binoche a reçu le prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Copie conforme au festival de Cannes clôturé ce dimanche 23 mai 2010.

Photo © MK2 Diffusion

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Lola. Brillante Mendoza

Lola, Brillante Mendoza

La pluie tombe à seaux, dégouline partout sur Manille, rejoint le fleuve boueux. Une grand-mère (lola en philippin), haute comme trois pommes, toute plissée, menue, avance le long des trottoirs, tenant un petit garçon par l’épaule, un pauvre sac au bras, un parapluie de l’autre main. Il se retourne sans cesse sous le vent, on a mal pour elle. Mais elle continue, décidée, obstinée. Enfin elle s’arrête, on ne sait où dans la rue, près d’un mur. Tente d’allumer une bougie. Avec ce qui tombe, avec ce qui souffle, avec ce petit garçon plus curieux de regarder les autres enfants que d’aider sa grand-mère. Elle finit par y arriver, comment, on se le demande, cependant on a compris que c’est l’endroit où son petit-fils a été assassiné.
Mais lola Sepa n’a pas le temps de s’arrêter ni de s’écouter davantage ; il faut continuer, s’occuper du cercueil, des papiers. C’est difficile, il faut de l’argent, il faut savoir lire aussi parfois, il faut les mots.
Démunie, lola Sepa a pour toute richesse sa famille, ou ce qui lui en reste, et des amis, ou plutôt des voisins, enfin d’autres un peu moins pauvres qu’elle. Ils l’aident comme ils peuvent. Et puis aussi son obstination à accomplir ce qu’elle doit accomplir : organiser les funérailles de son petit-fils et lui rendre justice en faisant condamner le jeune homme qui l’a tué.
Celui-ci est déjà arrêté, en prison, il n’est peut-être pas un grand criminel ; il n’y a sans doute eu qu’une altercation de rue, un vol de téléphone portable qui a mal tourné. En tout cas, sa grand-mère à lui, l’autre lola du film, Puring, pense qu’il est bon garçon. Aussi opiniâtre que Sepa, tout ce qu’elle veut est porter de la nourriture à son petit-fils emprisonné et surtout trouver un arrangement avec lola Sepa pour éviter procès et condamnation. Elle tente de réunir l’argent nécessaire, dont le montant n’est jamais prononcé, mais dont on comprend qu’il est très élevé pour cette famille de vendeurs de légumes des rues de Manille.

Rien n’est dit, raconté ; Brillante Mendoza se contente de montrer, se tenant au plus près de ses personnages, caméra à l’épaule, tout près de cette ville pauvre, grisâtre. Il n’annonce jamais mais nous plonge immédiatement dans cette histoire, d’abord en intrigant le spectateur puis en le happant par la découverte progressive des personnages et de leurs ressorts. Découverte de la ville aussi, exotique dirait-on, mais dont les fonctionnements marchands, administratifs et politiques ne le sont pas tant que cela.
Au milieu de ce monde compliqué, les Lola font ce qu’elles peuvent. Opposées au début – comment pourrait-il en être autrement ? -, elles finiront par entrer en contact, et, comme toutes les grand-mères fatiguées du monde, à se parler, de leur santé, de choses comme ça ; tellement humaines, ces si simples Lola.

Lola
Un film de Brillante Mendoza
Avec Anita Linda, Rustica Carpio, Tanya Gomez
Durée : 1 h 50

Photo © Equation

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Crime et châtiment. Musée d'Orsay

Crime et châtiment, exposition au Musée d'Orsay, Robert Badinter et Jean ClairDeux mois après son inauguration, le souvenir de l’exposition demeure encore vif.
Comment oublier cette guillotine et ces grands tableaux accrochés les uns contre les autres montrant le sang versé, les corps mutilés, la tête qui roule : le meurtre et son implacable sanction ?
Ces meurtres privés et ces assassinats prescrits par nos lois, inlassablement livrés à la contemplation publique, de la Révolution jusqu’à la fin des années 30 (1) ?

Crime et châtiment, titre emprunté au roman de Dostoïevski se propose de mettre en lumière les approches artistiques du crime et de la peine de mort tout au long du XIX° et au début du XX° siècles.
Il apparaît assez rapidement que, plus encore que l’homme, la femme meurtrière a inspiré très largement les peintres, bien qu’elle fût tout à fait minoritaire parmi les assassins. La douzaine de tableaux du meurtre de Marat par Charlotte Corday et la section consacrée à la figure de la sorcière prouvent à quel point les fantasmes des artistes mêlaient violence, mort et érotisme.

Des tableaux de haut vol signés Géricault, Delacroix, Ingres, Goya, Moreau, Munch, Picasso… aux coupures de presse totalement terrifiantes (elles étaient faites pour), en passant par dessins et sculptures, cette exposition riche, dense, érudite s’avère bien à la hauteur de ses ambitions. Elle réalise la démonstration éclatante de la fascination que la mort de l’homme par l’homme exerce sur les artistes et le public, tous avides de gros plans et de détails.
Parmi les vitrines consacrées aux approches scientifiques, l’on retrouve avec effroi les fameux travaux physiognomiques de l’Italien Cesare Lombroso tentant d’établir avec forces études le lien irréfutable entre la forme du crâne, les traits du visage et la propension au crime, théories dont Degas (passionné par le crime en général) était friand, comme le montre sa Petite danseuse de quatorze ans présentée par l’artiste comme un parfait exemple de dangereuse dégénérée.

L’art interroge, met à distance, sublime. Mais ne fait pas écran au fond. On n’oubliera pas non plus la "Justitia" ni le "Ecce, le Pendu", bouleversants dessins à l’encre de Victor Hugo, ni cette porte de prison gravée dans les derniers instants du condamné, tout comme cette fameuse guillotine de noir habillée. L’immense Robert Badinter – l’initiateur de Crime et châtiment – et Jean Clair – son talentueux commissaire, à qui l’on devait la magnifique Mélancolie au Grand-Palais – y tenaient. Ils ont cherché cette machine infernale avec une opiniâtreté égale à celle qu’ils ont dû déployer pour faire accepter leur exposition. On rêverait de pouvoir y trouver un point final : hélas comme la chaise électrique d’Andy Warhol vient le rappeler, le châtiment suprême dans bien des Etats, y compris parmi les dits modernes, est encore d’actualité.

Crime et châtiment
Un projet de Robert Badinter
Commissariat général Jean Clair, de l’Académie française, conservateur général du patrimoine
Musée d’Orsay
Du mar. au dim. de 9 h 30 à 18 h, le jeu. jusqu’à 21 h 45
Jusqu’au 27 juin 2010
Entrée 9,50 € (TR 7 €)

(1) Contrairement à la période inaugurée avec la Révolution et ses exécutions sur la place qui portait son nom, devenue place de la Concorde, de 1939 à la fin des années 1970, les exécutions se sont déplacées à l’ombre des prisons.

Image : Théodore Géricault, Étude de pieds et de mains, 1818-1819, Montpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération photo Frédéric Jaulmes

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Visage, mappemonde de l'au-delà. Yves Simon

Yves Simon, visageDans les pages Débats du quotidien Le Monde daté de ce jeudi 13 mai, l’auteur-compositeur-interprète et écrivain Yves Simon se place résolument, dans les ondulations actuelles du niqab et de la burqa, du côté du visage découvert.

Il le fait de la manière la plus élégante et poétique qui soit, en signant en un quart de page une ode au visage, de toute beauté, pleine de références et plus encore d’humanité.

A lire absolument et à faire partager.

Extraits :

Les visages sont des aimants, comment ne pas être tout simplement heureux de se délecter à une terrasse de café de les voir défiler comme au théâtre, sous nos yeux, deviner les gammes de sentiments et de tourments qui les envahissent, une naissance, une souciance, une jalousie, s’en repaître et se sentir en concordance avec eux – reliés -, en choisir un pour aussitôt l’oublier, ou alors y repenser, cette planète nous a touchés, on aurait pu, on aurait dû, appeler, courir, les choses vont si vite, et Proust qui s’émeut : "Ce regard avec lequel un jour de départ on voudrait emporter le paysage qu’on va quitter pour toujours." (…)
Les visages se rident, ils sourient, ils ravissent ou effraient, ils racontent au monde leur monde, ils sont Hermès sculpté par Praxitèle, Périclès par Crésilas, la Mélancolie, de Dürer, et la Séphora, de Botticelli, les effarés du Tres de Mayo, de Goya, et l’adolescent Rimbaud photographié par Carjat, ils nous percutent, ils nous hantent, ils nous émeuvent. (…).
Chaque visage est un morceau d’univers, un zeste de divinité, une parcelle de Dieu qui à Lui seul serait tous les visages. "Le visage est le lieu du sacré par excellence", dit l’anthropologue David Le Breton. Regarder un seul visage, c’est voir l’humanité tout entière, c’est entrevoir le ciel et les étoiles, se laisser happer par l’infini cosmos "dans un pur arrachement au quotidien, sans plus de référence au religieux".

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