The Ghost-Writer. Roman Polanski

The ghost-writer, Roman Polanski, Ewan McGregor

The Ghost-Writer, Ours d’argent au dernier festival de Berlin, a été adapté du roman du Britannique Robert Harris, également co-scénariste du film, et publié en Frane sous le titre L’Homme de l’ombre (Editions Plon).
Le choix de Polanski est excellent et son adaptation magistrale : le film nous cueille dès les premières images (où l’on sent qu’il y a un "avant" l’histoire, et que cet "avant" n’a pas été purgé de ses énigmes) et ne lâche pas jusqu’à la dernière.

Un Nègre au doux visage d’Ewan McGregor, ordinaire et assez sûr de lui est embauché pour finir l’écriture des Mémoires d’Adam Lang, ancien premier ministre britannique, poursuivi pour crimes de guerre et réfugié dans une île américaine (toutes ressemblances avec la réalité ne sont pas fortuites).
Les vents balaient la plage et les herbes sèches, que le jardinier de la luxueuse résidence est chargé de ramasser inlassablement, un travail proche de celui du remplissage du Tonneau des Danaïdes. Scène filmée de loin, rapidement. Polanski n’est pas du genre lourd dans les clins d’œil. Mais, comme tout bon réalisateur de thriller, il a l’art d’attirer l’attention sur le moindre détail, dans une ambiance inquiétante à la Alfred Hitchcock. Notre Nègre découvre sur cette île un univers étrange, une galerie de personnages plus ambigus les uns que les autres : Adam Lang, vieil animal politique toutes dents blanches dehors, brushing brillant et ne doutant de rien surtout pas de lui-même ; son épouse (la vraie femme de l’ombre), inquiète, attentive et entreprenante ; sa maîtresse, première assistance allumeuse et amoureuse à la fois. Sans compter le personnel de maison, dont les regards sont tout aussi intrigants.
Et enfin le fantôme, c’est-à-dire le mystère que le Nègre se met en chasse d’éclaircir : la brutale disparition de son prédécesseur auprès d’Adam Lang.

La progression narrative est très efficace ; faisant l’économie de cris et de courses-poursuites, Polanski mène son affaire avec une maîtrise impressionnante. Dirigeant ses acteurs à la perfection (Ewan McGregor en premier lieu – scotchant – mais aussi Brosman en ex-premier ministre et Olivia Williams en épouse déprimée), le cinéaste enchaîne les plans admirables, plongées et contre-plongées miraculeuses, escaliers, portes, larges vues sur la côte, regards dérobés, matins blafards et nuits tardives, le tout avec des phrases bien balancées. Le film distille ce qu’il faut de psychologie, de pistes et d’égarements, et ce de moins en moins tranquillement jusqu’au magnifique dénouement final. Du grand art.

The Ghost-Writer
Un film de Roman Polanski
Avec Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Kim Cattrall, Olivia Williams
Durée : 2 h 08

© Pathé Distribution

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Alice au Pays des Merveilles. Tim Burton

Alice au pays des merveilles, Tim Burton, Johnny Depp

L’univers merveilleux de Lewis Carroll étreint par celui non moins magique de Tim Burton, cela ne pouvait que fonctionner. Le mariage est librement et plutôt bien honoré.
Entraînée par un lapin à gilet loin d’un monde qui l’ennuie à périr, Alice âgée de 19 ans retrouve au pays des merveilles le Chapelier délicieusement fou, la terrifiante Reine rouge et son opportuniste valet, les animaux qui parlent, chat invisible, chenille fumeuse d’opium, chien fidèle…
Alice grandit, rapetisse, grandit à nouveau, jusqu’à ce que la belle Reine blanche la remette à sa taille, pour le plus grand bonheur de notre adorable Chapelier-Depp. Mais elle n’a pas été projetée de l’autre côté du miroir pour conter fleurette, et une mission de haute épée l’attend pour rétablir la justice parmi ces créatures extraordinaires.
Même si les scènes de combat reposent sur des dispositifs vus mille fois, tout le reste régale sa faim : mélange d’images filmées des vrais comédiens et de dessins animés, explosion de couleurs, de clins d’oeil et de jeux avec les mots rafraîchissants, le tout transporte jusqu’à sa fin avec entrain, et bien sûr, puisque c’est à la mode, en trois dimensions… lunettes glissantes sur le nez.

Alice au Pays des Merveilles
Réalisé par Tim Burton
Avec Johnny Depp, Mia Wasikowska , Michael Sheen
Durée 1 h 49

© Walt Disney Studios Motion Pictures France

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Les monologues voilés. Adelheid Roosen

Les monologues voilés Centre Wallonie-BruxellesCe spectacle nous fait entrer au cœur de l’intimité de femmes musulmanes : leur sexualité, leur rapport au corps, à cet endroit que les poètes appellent con ; mais aussi rapport à l’homme et à leurs pareilles.
Une approche de ces sujets et des façons de les vivre qui résultent bien souvent de l’éducation.
Absence de pudeur entre femmes ; "communautarisation" du corps de la jeune fille par le biais de la sauvegarde de son hymen ; hypocrisies et bricolages qui en découlent ; sacralisation de l’acte amoureux ; sensualité exacerbée ; violence de l’excision… C’est toute une culture que ces quatre formidables comédiennes livrent sur scène ; mais en laissant aussi la place à des cheminements singuliers, différents.

Les 12 monologues tendrement enchaînés troublent et dérangent, attendrissent et amusent. Mais surtout, ils ouvrent l’esprit, révoltent parfois et donnent toujours à réfléchir ; sur l’Autre, mais aussi sur soi-même. Fenêtre et miroir à la fois, ces Monologues issus de témoignages réels de femmes musulmanes agissent comme un courant d’air vif qui soulève audacieusement le voile. Impossible de rester indifférent(e).

Les monologues voilés
Textes : Adelheid Roosen
Mise en scène : Adelheid Roosen, assistée par Isabelle Wéry
Avec Jamila Drissi, Morgiane El Boubsi, Hoonaz Ghojallu
Musique et chants : Hassiba Halabi

CENTRE WALLONIE-BRUXELLES DE PARIS
46, rue Quincampoix – 75004 PARIS
Du mardi 23 au samedi 27 mars 2010 à 20 h 00
Durée 1 h 30
Réservations au 01 53 01 96 96 ou info@cwb.fr
Places 10 € ou 8 €

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A Venise, splendeur de la Punta della Dogana

Mapping the Studio, première salle à la Punta della Dogana

Après l’abandon de son projet de musée pour l’ïle Seguin à Boulogne-Billancourt, François Pinault s’est tourné résolument vers Venise, où il a commencé par acquérir et rénover le Palazzo Grassi pour y exposer certaines des quelque 2 000 œuvres que compte sa collection d’art contemporain. Une vocation non exclusive d’ailleurs puisqu’on a pu y voir, il y a deux ans, une très riche et belle exposition sur Rome et les Barbares.

Mais ce passionné d’art contemporain ne s’en est pas tenu là. Grâce à un partenariat de 33 ans conclu avec la Ville en 2007, il a récupéré, moyennant travaux, la disposition de la Punta della Dogana, anciens entrepôts de mer à l’abandon depuis des décennies.
Imposant pour sa rénovation une nouvelle fois le Japonais Tadao Ando, lauréat du prestigieux Pritzker Prize en 1995, architecte de la rénovation du Palazzo Grassi, François Pinault a ouvert en juin dernier après près d’un an et demi de travaux un magnifique espace d’exposition. Découvrant Mapping The Studio dans sa partie présentée à la Punta della Dogana (l’autre est visible au Palazzo Grassi), le visiteur a la conviction que la collection Pinault a trouvé ici son parfait écrin.

Le lieu est magique, pris par tous les vents et toutes les lumières, à l’extrême pointe de la Dorsodura juste après la basilique Santa Maria della Salute, entre le Canal de la Giudecca et le Grand Canal, en face de Saint-Marc.
A l’intérieur, percé à l’étage de grandes fenêtres en demi-cercles et au niveau des rives de hautes portes aux grilles dessinées selon un modèle de Carlo Scarpa, l’intimité avec les œuvres n’est interrompue que par celle avec le ciel, l’eau, la lumière changeante de la Sérénissime selon l’heure et le côté où l’on se trouve.

Le bâtiment du XVIIème siècle totalise des espaces de près de 5 000 m², tout de briques roses, de béton lisse et de blanc immaculé. Après la première salle monumentale, qui semble ne faire qu’une avec les œuvres exposées, tant les accrochages et les choix sont judicieux et, malgré leur diversité, d’une cohérence remarquable, l’on circule d’une pièce à l’autre dans une déambulation où les surprises et les chocs se succèdent, l’esprit constamment en alerte et le plus souvent en émoi.

Rudolf Stingel à la Punta della DoganaPour l’essentiel, le parcours nous plonge dans du "lourd", que seule la grâce vénitienne semble pouvoir supporter : à L’Enfer des frères Chapman répondent les neufs gisants de marbre de Maurizio Cattelan, le couple mort peint par Marlène Dumas, ou, un peu plus loin, les squelettes en vitrine de Matthew Day Jackson. Aussi sombres soient-elles, ces œuvres n’en sont pas moins magnifiques de force suggestive et esthétique. Une émotion qui s’épanouit de tout son soûl dans le "cœur" du bâtiment, la vaste salle carrée à l’endroit de l’ancienne cour centrale, consacrée par les commissaires Alison M. Gingeras et Francesco Bonami à l’artiste italien Rudolf Stingel : trois immenses toiles au motif de grillage et un autoportrait – une photo militaire de 1976. L’espace prend tout à coup l’air à la fois de bunker, dans une évocation très forte de l’enfermement physique et mental, et de lieu de recueillement, avec ses fenêtres de toit laissant passer la lumière naturelle.

Mapping the Studio, Puntal della Dogana, VeniseL’exposition offre également des moments de détente, avec les superbes cubes scintillants de Rachel Whiteread – bien à leur place dans cette cité du verre, les photos rutilantes à l’humour mordant de Cindy Sherman, celles en noir et blanc de Hiroshi Sugimoto dédiées aux plus grands couturiers, le couple tendrement enlacé de Jeff Koons ou encore la série de 676 images publicitaires recueillies par le duo d’artistes suisses Fischli et Weiss. Mais aucune œuvre qui n’incite à la réflexion dans ce parcours très réussi.

Mapping the Studio
Venise, Punta della Dogana et Palazzo Grassi
Tous les renseignements y compris en français sur : www.palazzograssi.it

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Edvard Munch à la Pinacothèque de Paris

Edvard Munch, portrait d'August StrindbergAprès la merveilleuse exposition L’Âge d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer qui a attiré quelques 700000 visiteurs cet hiver, la Pinacothèque de Paris revient au tournant du XXème siècle, la féconde période de l’éclosion du modernisme en peinture.

En exposant le peintre expressionniste Edvard Munch (1863-1944) sans le concours des musées d’Oslo, en renonçant à présenter Le cri, seul tableau connu du grand public, Marc Restellini, le directeur de l’institution privée de la place de la Madeleine n’a manqué ni d’audace ni d’ambition. La centaine de tableaux, lithographies et gravures issues de collections privées exposées jusqu’au 18 juillet prochain sont enfin l’occasion de découvrir et d’admirer à Paris la variété et la richesse de l’oeuvre du peintre et graveur Norvégien.

Edvard Munch, femme au chapeau rougeAprès les premiers tableaux d’inspiration naturaliste des années 1880, Munch apparaît dès le début des années 1890 comme un grand novateur. Avec la magnifique Femme au chapeau rouge sur le Fjord (1891), le peintre s’enhardit, brouille les pistes de la perspective, créant une opposition entre l’aplat et la profondeur, une confusion des dimensions qu’il ne cessera d’explorer, ouvrant avec d’autres la voie à l’Avant-garde. Il joue avec la transparence et les touches (les grands traits parallèles sont déjà visibles) et les couleurs : cette robe bleue sur la mer bleue, qui pourrait aussi être le ciel, quelle idée… Nuit d’été à Studenterlunden est de la même veine, mais la facture a encore évolué, les lignes se font sinueuses, les chemins labyrinthiques, le sol n’est jamais ferme. On retrouve le thème du couple s’embrassant dans Le baiser, gravure de 1895, sur laquelle les visages disparaissent dans l’union de leurs lèvres.
L’amour et la femme ne sont d’ailleurs jamais bien vus chez Munch. Thèmes obsessionnels, ils apparaissent au mieux comme ambigus, au pire tout à fait dangereux. La femme est souvent belle, voire iconique (quatre superbes lithographies de la Madone) mais source de souffrance incommensurable (sur les 1ère et 4ème de cette série, un petit personnage en bas à gauche regarde la Femme d’un air malheureux). Dans La femme et le cœur, elle saisit un gros cœur à bout de bras. Avec Vampire II, les longs cheveux dégoulinant littéralement vampirisent. Et que dire du non moins explicite Harpie, où la femme apparaît sous les traits d’un vautour aux ailes immenses et noires, un cadavre d’homme à ses pieds ? Dans ces conditions, le désir lui-même est évidemment effrayant : dans Les mains, l’air menaçant des hommes s’approchant de l’ondoyante chevelure font craindre pour la dame.
On s’émeut aussi grandement devant la très belle série de lithographies L’enfant malade, même scène croquée en plans plus ou moins rapprochés, dans un travail qui n’est pas sans évoquer la photographie ou le cinéma. Aggravant le sujet, le hachuré employé par l’artiste tout autour du visage apparaît comme le cerne de la mort qui, telle l’eau, approche inexorablement.

Changement complet d’atmosphère avec les grands tableaux colorés des années 1900, où se lit l’admiration de Munch pour Gauguin, mais surtout ses propres recherches autour de la matérialité de la peinture, comme avec Deux garçons sur la plage où la peinture, tellement épaisse, est à peine étalée, ou, à l’opposé, Mère et l’enfant où Munch a rendu la toile de jute presque à brut. Un peu plus loin, on reste en arrêt devant l’étonnant Henrik Ibsen au Grand Café du Grand hôtel, Kristiana à deux plans, le visage du dramaturge en gros plan sur écran noir et, en fond, une scène de ville derrière un grillage. Ultra-moderne et splendide.
L’alternance lithographies – toiles se poursuit tout au long du parcours. L’ensemble de 22 lithographies Alpha et Omega de 1908-1909 dans un espace aménagé en cabinet mérite aussi une pause. L’on y retrouve tous les thèmes chers à l’artiste norvégien : la solitude, les rivages, l’enfant malheureux, et bien sûr la femme tentatrice.

Edvard Munch ou l’Anti-Cri
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – 75008 Paris
M° Madeleine, lignes 8, 12 et 14
Jusqu’au 8 août 2010
TLJ de 10 h 30 à 18 h (de 14 h à 18 h les 1er mai et 14 juillet)
Nocturne tous les mercredis jusqu’à 21 h
Entrée 10 € (TR 8 € – tarif groupe 9,50 € avec audiophones)

Images : "Portrait d’August Strindberg" 1893 Crayon bleu et mine de plomb sur papier 17,7 x 19,3 cm Collection Pérez Simón, Mexico © The Munch-Museum / The Munch-Ellingsen Group / Adagp, Paris 2010 et "Femme au chapeau rouge sur le Fjord (Harmonies bleues – Le chapeau rouge)" 1891 Huile sur toile 99 x 65 cm Collection privée © The Munch-Museum / The Munch-Ellingsen Group / Adagp, Paris 2010

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Denis Polge. Autres rives

Denis Polge, Autres rives, Frédéric Moisan Galerie

Natif des Alpes-Maritimes, cet artiste de 38 ans, diplômé de philosophie, de cinéma et de l’Ecole nationale supérieure des Beaux Arts de Paris travaille en indépendant depuis une dizaine d’années.

Survivance des paysages qui ont marqué ses jeunes années – ? -, l’eau est au centre de son œuvre. Denis Polge peint des eaux calmes et foncées, des rivages, des plages et des galets. Utilisant la gouache, l’aquarelle, l’encre, détrempant le papier, il créé une continuité entre son sujet et son médium, tout en finesse et veiné de transparence. Les paysages de cette série, intitulée Autres rives, sont présentés pour la première fois en France. Précédemment exposés au Japon – dont Denis Polge se sent très proche -, ils nous emmènent dans des lieux davantage rêvés que connus, probablement du côté de cet archipel ; des rives désertes, calmes, comme à l’abri de solides montagnes qu’on ne fait qu’imaginer. Car ces peintures, toujours entre figuration et abstraction, évoquent bien plus qu’ils ne montrent, séduisant au premier coup d’oeil par leur esthétique épurée, leurs teintes de sable apaisantes et leur puissance poétique. Ils invitent l’esprit à battre la campagne, à caresser le moucheté d’un banc de galets devenu fourrure animale ou nuée de pollens. Touches de couleurs violines, jaunes, tigré d’un galet, objet en forme de coquillage, bulle à la surface de l’eau brillante comme un anneau, les papiers japonnais de Polge, avec une très grande délicatesse, n’en finissent pas de captiver. Et le vœu de l’artiste n’est pas loin de se réaliser… :

"Je voudrais que regarder mes tableaux se rapproche de l’expérience d’un bain. Un bain de mer ou de rivière qui en été vous revivifie, vous débarrasse de la fatigue, vous rende la sensation d’un lien à la nature."

Denis Polge
Autres rives
Galerie Frédéric Moisan
72 rue Mazarine – Paris 6°
Exposition prolongée jusqu’au 5 mars 2010
Du mardi au samedi de 11 h à 19 h
Entrée libre

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Gainsbourg – (vie héroïque). Joann Sfar

Gainsbourg, Vie héroïque, Joann SfarEn choisissant de faire de Serge Gainsbourg le sujet de son premier long-métrage, le dessinateur Joann Sfar ne s’est pas seulement attaqué à un monument national de la chanson. Il s’est aussi attaqué à un mythe : celui d’un provocateur, qui, dans les années 1980 a mis le feu dans le paysage médiatique.

Parmi les multiples visages de l’Homme à la tête de choux, l’auteur du Chat du rabbin a pris des options judicieuses. Portés par une réalisation inspirée, ses choix donnent un film brillant, singulier, onirique même.

Le début de l’histoire est celle d’un fils d’immigrés russes juifs, harcelé par son père du côté du piano, adoré par sa mère et ses sœurs, caché pendant l’occupation, rejeté par les filles à cause de sa laideur.
La suite est ce que le môme Lucien tirera de tout cela pour devenir Serge Gainsbourg : une star qui dynamite la chanson française, se balade le nez au vent dans sa Rolls-Royce, les plus belles femmes du monde lovées contre lui. Joann Sfar montre comment, pour en arriver là, le bonhomme a été poussé par un formidable élan de vie et surtout un incommensurable désir de plaire.
Il commence à exister par le dessin, puisque, face aux exigences paternelles, il a décidé qu’il n’aimait pas le piano. Et c’est lors d’une séance de dessin à l’Académie de Montparnasse qu’il séduit une femme pour la première fois. Il n’est encore qu’un gamin, mais armé d’une audace, d’une obstination, d’un bagout et d’un talent hors du commun : il la séduit en deux secondes.
Une poignée d’années plus tard, poussé par son démon-ange gardien (c’est toute l’ambiguïté de son double Gainsbourg, la marionnette surgissant à tout moment dans le film), qui lui montre le chemin du succès et de l’argent (faciles), il choisit la chanson. Les femmes sont comme aimantées. Et il fait chanter les plus belles, Gréco, Bardot, Birkin…
Musicien de génie, as de la provocation (mais qui a ses raisons : il faut voir le gamin parler aux policiers lorsqu’il va chercher son étoile jaune pendant la Guerre, puis, des décennies plus tard, balancer un bras d’honneur aux Paras en furie à la fin de sa Marseillaise), le Gainsbourg de Joann Sfarr est aussi un homme blessé et émouvant, qui a aimé follement – magnifiques séquences avec Laetitia Casta en Bardot plus magnétique que jamais -, souffert tout autant, mais toujours gardé une élégance incroyable. Le comédien Eric Elmosnino l’incarne d’une façon presque troublante, en interprétant de surcroît avec une grande justesse certaines des chansons, choisies parmi les meilleures du grand Serge.

Serge Gainsbourg, vie héroïque

Gainsbourg – (vie héroïque)
Joann Sfar
Avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Anna Mouglalis
Durée : 2h10 min

Photos © Universal Pictures International France

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In the Air. Jason Reitman

In the air, Jason Reitman

Décalé, c’est le terme qui convient le mieux à cette "comédie romantique" à l’humour un peu amer et au romantisme tout épisodique…

Ryan mène une vie assez singulière et totalement conforme à ses désirs – ce qui est déjà une preuve de singularité : quand il n’est pas dans un avion, il fait office de "chargé de transition de carrière", à savoir faire le sale boulot des grandes entreprises qui n’ont pas le courage d’annoncer elles-mêmes à leurs salariés leur licenciement. Il s’en acquitte très proprement, et hop, à l’aéroport. Autre activité, les conférences : Ryan explique à des parterres médusés pourquoi et comment il faut se débarrasser de la plupart des choses que l’on possède, nécessairement encombrantes. Similitude entre les deux métiers : des interventions courtes aux quatre coins des Etats-Unis. Pas d’installation, pas d’attachement, mais un point de convergence : the air.

Ainsi, chaque jour ou presque, Ryan œuvre au but de son existence : atteindre un million de miles pour rejoindre le cerce très fermé des quelques voyageurs (moins de dix) les plus chouchoutés des compagnies aériennes. Clooney interprète ce rôle de fidèle de la class affair à merveille : la classe, la classe, et… la classe.

Autonome dans son travail, célibataire bien sûr, conquêtes faciles le soir au bar de l’hôtel, peu de famille (deux sœurs qu’il ne voit guère), Ryan est effectivement peu encombré dans son existence : aérienne à tous points de vue.
Mais… il rencontre une autre grande voyageuse ; elle lui plaît assez. Au travail, on le flanque d’une jeune coéquipière. Et sa jeune sœur se marie.

Évidemment, pas question de raconter la fin, ce serait d’autant plus dommage qu’elle est imprévisible. Une raison de plus de recommander ce film, et pas seulement aux fans de George Clooney, car sous couvert de comédie, Jason Reitman fait passer plein de choses et cette légèreté est sans aucune doute la plus élégante manière de les dire : la dénonciation de la dure réalité économique et, pire encore, le cynisme froid et l’hypocrisie doucereuse de ses acteurs ; le conditionnement des consommateurs qui "volontairement" abandonnent leur liberté de choix au profit des firmes qui octroient points et autres miles ; la déperdition de la rencontre humaine au profit des relations protégées par écran ; le modèle de la cellule familiale hors de laquelle point de salut ; le grand rêve de la moitié idéale…
Tout ça tranquillement, presque gaiement, pour, cerise sur le gâteau, ne délivrer aucune morale en définitive. C’est reposant et même carrément souverain. Décalé comme on aime.

In the Air
Jason Reitman
Avec George Clooney, Anna Kendrick, Jason Bateman
Durée 1 h 50 min

© Paramount Pictures France

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A Serious Man. Joel et Ethan Coen

A serious man, frères Coen

Nous sommes en 1967 dans une famille juive établie dans le Middle West, quelque part dans une résidence pavillonnaire aux pelouses impeccablement coiffées et à l’uniformité exemplaire. Larry est professeur d’université en attente de titularisation. Avec son épouse Judith il élève ses enfants conformément à la tradition. Il prend aussi en charge son frère autiste en l’hébergeant sous son toit.
Bref, Larry est un homme droit, digne, méritant : un homme sérieux.

Mais voici que les ennuis commencent à pleuvoir et, pire, à s’accumuler : son fils préfère fumer du hasch et écouter Jefferson Airplane plutôt que les cours d’hébreu ; sa fille ne pense qu’à ses shampoings ; son épouse a un amant et entend divorcer ; cet amant n’est autre que son meilleur ami et le convainc avec force mielleries de libérer la maison familiale ; un de ses étudiants l’accuse de corruption, pendant que le voisin empiète sur son terrain… N’en jetez plus, on se demande – et Larry le premier – quand cette série noire va s’arrêter. Mais la poisse le poursuit, alors Larry, qui justement fait tout comme il lui semble devoir le faire, veut comprendre pourquoi le mauvais sort s’acharne sur lui : quelle est la volonté de Dieu en somme ?

Pour trouver la clé, il va rendre visite à trois rabbins : les conversations fumeuses auxquelles on assiste sont de véritables scènes d’anthologie, empreintes d’humour juif, cet humour particulier qui fait davantage sourire que rire, dont le film déborde et qui parfois déroute.
On retrouve la maestria des frères Coen à chaque scène, comme dans la synagogue lors de la bar-mitzvah du fils de Larry, où grâce à des plans fabuleux, le spectateur se retrouve dans la tête du gamin – enivré de marijuana – invité à devenir un homme…
A serious man ne délivre aucune réponse aux questions de Larry et aux nôtres, il se contente de rappeler l’enseignement du rabbin médiéval Rachi : "Reçois avec simplicité tout ce qui arrive". Si le film peut déconcerter, il touche aussi beaucoup, tant il relève d’une démarche autobiographique de la part de Joel et Ethan Coen et apparaît comme la signature qui donne à leur filmographie un autre relief.

A Serious Man
Joel et Ethan Coen
Avec Michael Stuhlbarg, Sari Lennick, Richard Kind
Durée 1 h 45 min

Photo © StudioCanal

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Bright Star. Jane Campion

Bright star, Jane Campion

A 22 ans, il exerce le plus beau métier du monde : poète. A 18 ans, elle réalise de magnifiques robes. Elle en vit ; lui pas. Elle est d’une famille bourgeoise qui l’entoure chaleureusement. Lui n’a que son talent, pas même reconnu, et quelques amis.

1822, nous sommes à Hampstead dans la campagne anglaise près de Londres.
Le poète John Keats (1795-1821) séjourne dans la maison voisine à celle de Fanny Brawne. Avec son ami et protecteur, également poète, Brown, ils passent leurs journées à lire, à écrire, à chercher l’inspiration. Fanny coupe, brode, enrubanne.
La première fois qu’elle rencontre Keats, elle commence par railler son vêtement. Mais très vite, elle se met à lire ses poèmes, à vouloir tout connaître de la poésie. Lui est séduit par l’humour, l’assurance et l’inventivité de Fanny. La passion surgit, irrésistible, entre ces deux êtres que tout oppose si ce n’est l’amour de la beauté et de la poésie.
Mais les obstacles se dressent les uns après les autres, avec Brown qui juge Fanny frivole et craint qu’elle ne détourne son ami de la littérature, l’entourage de Fanny alerté par cette possible mésalliance, enfin et surtout le mal insidieux qui ronge le jeune homme – il en mourra trois ans plus tard : la tuberculose.

De ce drame romantique (et réel), Jane Campion a fait un film superbe, la plus belle histoire d’amour au cinéma depuis Lady Chatterley. Comme dans le film de Pascale Ferran, la nature et le fil des saisons forment un écrin sensuel à la narration. La campagne anglaise, ses fleurs mauves, ses papillons et ses forêts forment autant de tableaux de maître.
Mais Bright Star n’est pas pour autant, loin s’en faut, un film contemplatif. La réalisatrice Néo-Zélandaise cadre de très près ses personnages pour, dans le calme, la bienséance et parfois l’orage, capter l’incandescence de leur amour. Tout n’est que subtilité, échanges de regards, de lettres, conversations, attentions, poésie – les textes de Keats ont toute leur place dans le film et l’irradient sans artifice de leur beauté. Les deux comédiens (Abbie Cornish et Ben Whishaw, tous deux époustouflants) n’échangeront que quelques baisers. Jane Campion les fait brûler autrement, et cette façon-là qui prend mille tournures et autant de gestes poétiques, est certainement la plus brillante.

Bright Star
Jane Campion
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw
Durée 1 h 59 min

Photo © Laurie Sparham

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