Un conte de Noël. Arnaud Desplechin

Un conte de noel, Arnaud DesplechinC’est l’histoire d’une famille un peu déjantée, voire carrément folle, en tout cas extrême. Mais une famille à laquelle l’on croit et l’on s’attache immédiatement parce qu’au fond les mécanismes qui l’actionnent, les liens qui la dessinent et les réactions qu’elle provoque chez les individus qui la composent sont un peu les mêmes que dans bien des familles.

Au début, il s’agit bien de cela : des individus, des êtres éminemment singuliers qui se racontent. Mais raconter son histoire ne revient-il pas forcément, à un moment donné, à raconter l’histoire de la famille, ou plus exactement son histoire familliale ? Car une famille a ses moments fondateurs, ceux à partir desquels tout s’organise et à partir desquels chacun se trouve positionné d’une façon qu’il n’a pas nécessairement choisie, jusqu’au jour (qui n’est qu’éventuel), où il souhaite se repositionner. Evidemment, ce jour-là : remue-ménage.

L’épisode qui a structuré la famille d’Abel et Junon est la maladie de leur premier enfant. Seule une greffe de moelle osseuse aurait pu le sauver. La deuxième, Elisabeth, n’était pas compatible. Ils conçoivent alors Henri à cette seule fin, mais en vain : l’aîné meurt à l’âge de six ans.
Elisabeth devient l’aînée, Henri le mal-aimé et un benjamin, Ivan, arrive ensuite.

Aujourd’hui, c’est Junon qui à son tour a besoin d’une greffe.
Au moment de Noël, les enfants flanqués de leurs conjoints et de leurs enfants se réunissent chez Abel et Junon pour la première fois depuis six ans. Tous ont fait le test de compatibilité. Reste à attendre les résultats.
Bien des années ont passé mais bien peu de choses finalement sont passées. Abel et Junon forment un couple toujours aussi amoureux. Les drames et les démons sont eux aussi toujours aussi vifs.
Le conte devient alors un feu d’artifices de souffrances, de cris, de gestes brutaux, de mots durs jetés ou murmurés, mais aussi de mots d’amour, de fraternité, de tendresse. Film bouillonnant de mouvements, de sentiments et de motifs richement explorés, ce Conte de Noël déborde aussi d’une sensibilité et d’une intelligence inouïes, d’un humour frontal et d’une audace souveraine.
Mû par un élan vital hors du commun, il est en même temps parfaitement maîtrisé, accompli, abouti.
Et jamais comme dans ce film chacun de ces merveilleux comédiens ne semble avoir été aussi investi, nourri par un rôle, dirigé avec un tel art.

Un conte de Noël. Arnaud Desplechin
Avec Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Mathieu Amalric, Melvil Poupaud, Hippolyte Girardot, Emmanuelle Devos, Chiara Mastroianni
Durée 2 h 30

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Traces du sacré. Centre Georges Pompidou

exposition traces du sacré au Centre PompidouQue faire lorsqu’après avoir passé 2 heures dans une exposition présentée comme réunissant des oeuvres exceptionnelles autour d’un thème inédit, vous en ressortez au bord de la nausée, avec le sentiment de n’avoir rien vu de beau et une idée de son propos aussi vague qu’avant d’y entrer ?

Y penser un peu ; laisser reposer une semaine ; voir alors ce qu’il en reste.
D’abord, l’éblouissement de la première salle Trace des dieux enfuis. A la fin du XVIIIème et au cours du XIXème siècles, des artistes proclament que Dieu est mort et enterré : Nietzsche, Germaine de Staël, Munch et surtout Goya avec sa magnifique gravure issue de la série Les désastres de la guerre, intitulée Rien, c’est ce qu’il dira. Après son passage "de l’autre côté", un cadavre nous délivre ce message laconique : Nada. Il n’y a pas d’autre monde. Il n’y a rien. (1)

Mais il était bien sûr impossible d’en rester là, de contempler tranquillement cette béance.
C’est ainsi que de Nostalgie de l’infini à L’ombre de Dieu, l’exposition parcourt les différentes réponses que les artistes ont essayé de proposer tout au long du XXème siècle à leurs questionnements spirituels une fois débarrassés des dogmes religieux.
Et il s’agit dès lors pour le visiteur de tenter de s’accrocher vaille que vaille à cet interminable magma utopico-cosmico-ésotérique (ou quelque chose comme ça).

Naturellement, la grandiloquence est souvent au rendez-vous ; la laideur hélas presque autant ; quant aux voix psalmodiant d’entêtantes prières, elles ne laissent à aucun moment les oreilles en repos.
Les créations psychédéliques peuvent éventuellement divertir. Le reste, pas du tout.
Avec les abominations du XXème siècle, l’on passe de la question du rapport au divin à celle de la définition de l’humanité, ce que soulignent les effrayantes oeuvres de l’entre-deux-guerres, puis celles qui évoquent les horreurs de la Seconde.

Plus loin, une partie de l’exposition est consacrée à des happenings d’artistes mettant en scène des rituels sacrificiels et autres cérémonies mystiques n’excluant pas la communion. La provocation n’est évidemment jamais loin. Ainsi, en novembre 1969, Michel Journiac, à l’occasion de la Messe pour un corps célébrée dans la galerie Templon proposait à ses (fidèles) spectateurs des hosties constituées de rondelles de boudin frit élaboré avec son propre sang.
Ce n’est qu’un exemple. L’exposition clôturée sur une légèreté de ce ce genre, l’on en a presque oublié les Kandinsky, Chagall, Matisse, Beuys, Picasso vus au fil du parcours. De très belles oeuvres assurément. Ailleurs, on les aurait adorées.
Ici, elles ont semblé plombées, parfois d’une violence excessive (typiquement, la série mythologique de Picasso autour du minotaure, qui peut être lue de façon plus ambigüe que ne le fait le commentaire de l’exposition).

Une semaine après, il reste une autre image de cette visite ; celle qui saisit en sortant de la salle : la splendeur des toits de Paris à perte de vue sous le soleil rougeoyant. Puis la redescente vers la ville, son bitume et ses pavés grouillants. Qu’elle est belle cette descente-là, qu’il est bon de retrouver la chaussée, son air pollué, ses bruits ordinaires et ses impures odeurs.

Traces du sacré
Centre Pompidou
Jusqu’au 11 août 2008
TLJ sauf le mardi de 11 h à 21 h
Entrée 12 € (TR 9 €)

(1) Encore quelques jours pour aller voir l’exposition  »Goya graveur » au Petit-Palais, autrement plus nourrissante que celle-ci

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Wonderful town. Aditya Assarat

Aditya Assarat, Wonderful townC’est un film étrange, beau, troublant. Il garde quelque chose d’impalpable, peut-être à cause de sa fin déconcertante, peut-être à cause du lieu où l’histoire se déroule.
Dans une ville du sud de la Thaïlande, sur cette côte touchée par le tsunami deux ans auparavant, Ton, architecte vient superviser les travaux de construction d’un nouveau complexe hôtelier. Il s’installe dans un hôtel tout simple tenu par Na, une jeune femme réservée et travailleuse.
Une histoire d’amour va se nouer entre ces deux personnages.

Il y a l’étrangeté de ces deux êtres opposés, l’un qui vient de Bangkok et cherche le calme loin de la grosse ville, et elle qui étouffe dans ce coin de campagne pris entre mer et montagne.
Le lien amoureux qui s’ébauche, timide, doux, sensuel contient d’emblée une ambivalence – on y croit et en même temps on ne peut y croire complètement : une menace plane, l’ombre de l’interdit.
Il y a aussi cette drôle de ville, pauvre, éteinte, triste, où les maisons ravagées sont laissées en l’état, comme hantées, taboues, à côté desquelles on préfère construire tout à neuf. Des lieux aux repères incertains, aux zones mal définies, ici route, ici mer, ici campagne, ici édifices, et un peu de tout là et là.
Il y a enfin le plus lourd : le passé. Celui, tragique, du tsunami qui a détruit les lieux et les êtres. Le sujet n’est pas abordé de façon explicite – ici encore, délicatesse – mais plus le film avance, plus ce passé se met à "crier".
Est-il possible de se reconstruire en faisant fi de ce qui fut et de ce que l’on fut ? Les hommes sont-ils comme les maisons : peut-on les réparer ou faut-il les laisser en l’état et recommencer simplement ailleurs ?
Jusqu’où peut aller la fidélité aux parents disparus ? Doit-on occuper la place vide qu’ils ont laissée au point d’en devenir prisonnier ?
A toutes ces questions, Aditya Assarat ne donne pas de réponses claires ; il se contente de les esquisser petit à petit et très subtilement. De son film se dégage de la poésie et de la tristesse, une ambiance singulière et le souvenir d’un moment heureux. En cela, il marque durablement, peut-être autant qu’il nous échappe.

Wonderful town. Aditya Assarat
Avec Anchalee Saisoontorn, Ton Supphasit Kansen, Dul Yaambunying
Durée : 1 h 32

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Goya graveur au Petit Palais

Goya graveur au Petit Palais à ParisArtiste des Lumières, peintre à la cour d’Espagne, Francisco de Goya (1746-1828) donne dans la gravure libre cours à son imagination.
Devenu sourd en 1792, il commence alors la série des Caprices, souhaitant par cette composition de fantaisie en vogue au XVIIIème (dans la veine des vénitiens Tiepolo et Piranese notamment) "bannir de nuisibles croyances communes et perpétuer le solide témoignage de la vérité".
L’artiste y dénonce l’hypocrisie de la société espagnole, les excès de la religion, le sort fait aux femmes, la vanité, l’ignorance, l’obscurantisme. Caractère universel du propos, langage très personnel fait de monstres, d’hommes et de bêtes mêlés dans un imaginaire singulier, compositions épurées toutes concentrées sur les personnages ; virtuosité, finesse, maîtrise des jeux de lumière et de mouvements : la série des Caprices est aussi admirable que fascinante.

Homme du XIXème siècle également, Goya a connu l’invasion des troupes napoléoniennes et les ravages de la guerre dans son pays. Il en témoigne dans les Désastres de la guerre, titrant "J’ai vu cela" l’une des gravures de la série et attaquant avec une violence inouïe l’absurdité de la guerre, la brutalité, la famine, la maladie, le viol, la cruauté. Ces gravures d’une actualité captivante remplissent d’effroi.

Enfant d’Espagne passionné de tauromachie, aficionado, Goya rend à cet art un hommage appuyé à travers trois séries : une histoire (plus ou moins inventée) de la tauromachie ; des scènes d’arène dans lesquelles il met en valeur l’audace des grands toreros ; et enfin la série dite des Taureaux de Bordeaux, quatre magnifiques lithographies exécutées à la toute fin de sa vie, alors qu’il était exilé en France.

Partie la plus énigmatique du parcours, Les Disparates, série inachevée dans laquelle Goya semble s’être affranchi de tout souci de réalisme et de lisibilité, place le spectateur déboussolé dans le domaine du rêve, du fantastique, voire de la folie. Ces gravures passionnantes permettent de retrouver presque tous les thèmes explorés par l’artiste dans ses oeuvres précédentes : le ridicule, la bêtise, le vice, l’ignorance, la guerre, la violence.

Voici enfin, dans la dernière salle, perdue au milieu d’oeuvres d’artistes symbolistes, la célèbre planche des Caprices, Le sommeil de la raison. Son titre complet, L’imagination abandonnée par la raison engendre des monstres impossibles ; mais elle est aussi mère des arts et origine de leurs merveilles pourrait être la belle et ambigüe conclusion de cette exposition exceptionnelle où se retrouvent tout à la fois l’humour, la beauté, l’intelligence et la lucidité de l’oeuvre de Francisco de Goya.

Goya graveur
Jusqu’au 8 juin
Petit Palais – musée des Beaux-arts de la ville de Paris
Avenue Winston Churchill – Paris (8e)
TLJ de 10 à 18h, sauf les lundis et jours fériés
Nocturne le jeudi jusqu’à 20h
Entrée : 9 € (TR 6 €)

Image : Le sommeil de la raison engendre des monstres, planche 43 des Caprices

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Dictionnaire amoureux de Venise. Philippe Sollers

Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, PlonAvec ce dictionnaire, Philippe Sollers asseoit définitivement son statut d’inconditionnel de Venise, déjà largement annoncé dans ses romans.
L’amoureux fou de la Sérénissime lui associe ses autres passions : Nietzsche ; le XVIIIème ; la musique.

Voici donc Casanova, Charles de Brosse, cité longuement et avec délices, mais aussi Zorzi Baffo, ce haut magistrat qui écrit des poèmes obscènes, Canaletto, Guardi, Tiepolo bien sûr (les autres peintres vénitiens sont traités avec autant d’égards).
Et Vivaldi, qui revient sans cesse ; et la grâce de Cecila Bartoli ; ou encore l’inoubliable entrée de l’auteur à la Fenice… Il parvient même à réunir Nietzsche et Proust après avoir restitué un poème du premier et reproché à Paul Morand de s’être par trop arrêté à la Venise du deuxième.

Lorsqu’il revient à l’auteur de La Recherche, à nouveau retour au texte, largement : plaisir de reproduire et de savourer une fois de plus le superbe flot de mots en le donnant en partage – "Il faudrait tout citer, je m’arrête". Evidemment, il continue.

L’on retrouve avec bonheur les embardées de Philippe Sollers, qui font le charme de son écriture en nous faisant entr’apercevoir un autre possible.
Rites, délicieuses habitudes, mais aussi liberté, mouvement, joyeuse imagination :

L’iconographie d’une époque est trompeuse (surtout pour le XIXème siècle et ses photos en noir et blanc). La mort photographique ment : elle nous oblige à voir en Nietzsche un fanatique moustachu, et en Proust un petit monsieur genre Chaplin frileusement recroquevillé dans un fauteuil au bord du Grand Canal. Bientôt, leurs mères viendront prendre soin de ces grands malades décalés et sombres. Ajoutez une soeur et le bouclage est complet.
Nietzsche, en forme et rasé de près, assis au soleil sur la place Saint-Marc (au Florian si vous voulez), Proust, le souffle léger, marchant à grands pas sur les quais (lui aussi sans moustaches), voilà qui est plus près de ce qu’ils ont vécu et écrit que des épinglages de pseudo-identité morbide.

En fin de dictionnaire, la notice consacrée à Vivaldi et avec elle l’improbable situation de Nietzsche écoutant du Vivaldi, et livrant le commentaire suivant :
"Les pieds ailés, l’esprit, la flamme, la grâce, la grande logique, la danse des étoiles, la pétulance intellectuelle, le frisson lumineux du sud – la mer lisse – la perfection."

Dictionnaire amoureux de Venise. Phlippe Sollers
Plon (2004), 486p., 22 €

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Pas la couleur, rien que la nuance !

Exposition pas la couleur aux Musées des Augustins à ToulouseLa peinture, c’est le jeu des couleurs, des contrastes, des éclats lumineux ? Pas toujours. Le monochrome, le camaïeu, la grisaille, ont leur propre beauté. La preuve est donnée dans cette exposition à la thématique rarement rassemblée.

Oh, les artistes n’ont pas tout de suite trouvé une légitimité esthétique à se passer de couleurs.
Jusqu’au début du XVIIe siècle, les œuvres grises qui nous sont parvenues sont essentiellement des travaux préparatoires à des réalisations plus définitives : par exemple pour la gravure (l’inquiétant Les Morts sortent de leurs tombeaux de Barendsz), ou des maquettes pour de grandes compositions (La Résurrection de Rubens), ou encore des modèles pour la tapisserie (une bataille de Quellinus).

Puis une mode se répand : l’imitation de la sculpture par le pinceau. L’utilisation des gris est alors évidente, avec une extraordinaire variété de nuances. Le Massacre des Innocents de Jacques Stella est très représentatif de ces performances. Certains vont nettement jusqu’au trompe l’œil : imitation de bas relief de pierre, mais aussi de bronze patiné, avec de belles gradations de jaunes et de verts chez Piat-Joseph Sauvage, ou encore de vieil or chez Alexandre François Desportes.
Bien des fois l’artiste a réussi une œuvre originale alors qu’elle ne se voulait que le moyen d’en préparer une autre. Ainsi Gabriel François Doyen dans sa préparation au fameux Miracle des Ardents de l’église Saint Roch à Paris : après des esquisses en couleur, il réalise une grisaille où les nuances disent l’essentiel.

pas_la_couleur_carpeaux.jpgMais c’est au XIXe siècle que l’on assume totalement l’intérêt de la grisaille ou de la monochromie comme méthode à effet esthétique à part entière. Et l’on découvre ici de belles œuvres de Puvis de Chavannes, des deux Gustave, Doré et Moreau, de Benjamin Constant. Un des tableaux les plus étonnant est celui de Jean-Baptiste Carpeaux : cette Scène d’accouchement toute en suggestion de violence, souffrance et délivrance est très impressionnante.

Même si quelques unes de cette soixantaine d’œuvre ont traversé les frontières pour venir à Toulouse, on remarque que les musées des villes en région constituent l’essentiel de l’exposition, et l’on se dit : que de tours de France à projeter à la découverte de ces trésors, de Dieppe à Albi, de Castres à Douai, de Reims à La Rochelle !

Pas la couleur, rien que la nuance !
Trompe-l’oeil et grisailles de Rubens à Toulouse-Lautrec
Jusqu’au 15 juin 2008
Musée des Augustins – Musée des Beaux-Arts de Toulouse
21, rue de Metz – Toulouse
TLJ de 10 h à 18 h, nocturne le mercredi jusqu’à 21 h
Entrée : 6 € (TR : 4 € et gratuit pour les moins de 18 ans)

Images : Ce que font les gens pour de l’argent, Adriaen Van de Venne (1589-1662), H. s. bois (Lons-le-Saunier, musée des Beaux-Arts Photo © Lons-le-Saunier, musée)
et Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), H. s. t. (Paris, musée du Petit Palais © Paris, musée du Petit Palais, photo : Roger-Viollet)

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Musée de l’Arles et de la Provence antiques

Musée de l’Arles et de la Provence antiques, danseuse romaineLorsque les habitants de l’Arles du deuxième siècle (Arelate) devaient aller assister aux courses de char, ils quittaient le haut de la ville pour cette zone de marais en bord de Rhône où venait d’être construit le cirque.
Quel cirque ! On a enfoncé 28 000 pieux de bois dans le marais pour stabiliser une piste qui faisait son kilomètre de boucle. 20 000 spectateurs s’entassaient pour hurler les noms de leurs favoris.

Le visiteur d’aujourd’hui fait le même chemin pour rejoindre le Musée, sans les marais, sans la foule (s’il s’agit d’un jour de février), mais avec quelques traces du cirque.
Le bâtiment qui protège les collections antiques est nettement moderne, et on aimerait que le lien avec la ville soit mieux dessiné par l’urbaniste. Mais l’intérieur est vaste, les grosses pierres y sont à l’aise, les grandes mosaïques s’y étalent sans complexe, on peut y flâner sans qu’aucune cloison ne vienne rompre l’errance.

On s’arrêtera ainsi au hasard de la séduction de l’objet : cette grande danseuse en bas relief dont le mouvement rappelle Botticelli, est-elle vraiment en pierre ? Les amours de Leda et de son cygne ne devraient-ils pas être plus discrets ? Quel drame nous crie cet acrotère en calcaire ? Quelle procession suivent ces pères qui tiennent leurs enfants par la main ou les portent sur les épaules ? Le colis que ces esclaves serrent sera-t-il assez bien ficelé ? Le Christ assis sous la galerie arrivera-t-il à convaincre ceux qui l’écoutent ? (le troisième à sa gauche semble nettement s’assoupir).

Musée de l’Arles et de la Provence antiques, donne la main petit romainOn peut apprendre aussi beaucoup de choses sur la vie dans une colonie romaine, en particulier par les maquettes, patiemment réalisées, qui nous montrent par exemple la façon dont le velum protégeait les 20 000 spectateurs du soleil, dans l’amphithéâtre. Ou celle de la meunerie hydraulique de Barbegal, véritable industrie minotière qui produisait jusqu’à quatre tonnes et demie de farine par jour.

Les monuments antiques ne sont pas morts avec la fin de l’empire romain. Une gravure nous montre d’ailleurs l’amphithéâtre au Moyen-Âge : il est devenu forteresse, les maisons ont été construites sur l’arène et les gradins, et des tours défensives ont surmonté le niveau d’origine. Ces Arlésiens d’alors n’hésitent pas à s’exposer à travers leurs œuvres, et nous semblent si proches.

Musée de l’Arles et de la Provence antiques
Presqu’île du cirque romain – Arles (13)
Tél. : 04 90 18 88 88
Du 1er avril au 31 octobre TLJ de 9 h à 19 h
Du 2 novembre au 31 mars TLJ de 10 h à 17 h
Entrée 5,5 € (TR 4 €)

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Monumenta 2008 – Richard Serra, Promenade

Monumenta 2008, Richard Serra dans la nef du grand palais, PromenadeVous n’entrerez dans la nef du Grand Palais que pour une oeuvre seulement, constituée de cinq plaques d’acier plantées à la verticale sous la voûte. Mais vous y resterez plus longtemps que prévu, progressivement happé par cet étrange dispositif. L’installation qui au départ ne semble représenter que d’immenses stèles va peu à peu s’intégrer sous vos yeux en un vaste et changeant paysage.

La première impression est certainement celle de la déstabilisation : non, ces plaques ne sont pas plantées verticalement ; l’une tangue d’un côté, une autre de l’autre, quand une troisième penche encore selon un axe différent. C’est en tout cas ce qui apparaît à un moment donné, mais l’instant d’après, c’est-à-dire quelques pas plus loin, la perception visuelle a encore changé. Les éléments ne sont pas alignés, c’est un fait mais ce désordre est lui aussi bien variable…

Alors on n’en finit pas de se promener, prenant à la lettre le titre de l’installation, pour le seul plaisir d’embrasser successivement ces perspectives, voir tous ces paysages en un seul. Du haut du belvédère, ces monumentales sculptures semblent soudain toutes petites, elles qui nous ont fait presque peur lorsqu’on s’approchait d’elles, tête penchée en arrière, avec la sensation d’aller se cogner contre un gratte-ciel ! Mais c’était pour s’amuser ; tout comme quand, menton contre la plaque et oeil au somment de la stèle, on joue à oublier notre position verticale : la longue surface lisse qui s’étale devant nous pourrait très bien être horizontale, et nous avec !

Puis vient le moment d’aller s’asseoir sur l’un des nombreux bancs disposés autour de la nef. Ces jours-ci, en milieu de journée, les lieux sont baignés de soleil, l’ossature de fer et les sculptures dessinent des ombres, les visiteurs sont éloignés, minuscules dans ce vaste espace. Vous regardez le ciel, vous regardez le vert de l’architecture, vous regardez ces hautes plaques. Tout à l’heure en les caressant, le poli marbré de leur surface brune teintée de roux vous a rappelé l’écorce des arbres. Là maintenant, il vous semble entendre le bruit du vent dans les pins, celui des vagues ; vous regardez à nouveau les visiteurs en bermuda qui marchent calmement, prennent des photos et admirent. Vous n’êtes plus vraiment sûr d’être dans une salle d’exposition, au coeur de la capitale, mais dans un lieu indéterminé, qui s’invente sous vos yeux, en vous faisant basculer d’une intense contemplation à un vague et doux vagabondage.

Monumenta 2008 – Richard Serra, Promenade
Jusqu’au 15 juin 2008
Grand Palais – av. Winston Churchill, Paris 8ème
M° Franklin Roosevelt, Champs-Elysées-Clémenceau
Bus 28, 32, 42, 72, 73, 80, 83, 93
TLJ sauf le mardi
Lun. et mer. de 10h à 19h ; jeu. à dim. jsq 23h
Ouvert lundi 12 mai
Entrée : 4 € (TR 2 €)

Si vous voulez en savoir plus sur l’artiste, son parcours, son travail, la façon dont il conçoit et pense ses oeuves et celle-ci en particulier, Monumenta met à votre disposition, sur place, tout un arsenal destiné à rapprocher l’art contemporain du grand public : audioguide et fascicule gratuits, espace documentaire, DVD en boucle et médiateurs. Vous pouvez également visiter le site internet (lien-ci-dessus).

Image : Promenade, 2008 I (acier, cinq éléments de 1700 x 400 x 13 cm chacun) – photo Lorenz Kienzle – tous droits réservés Monumenta 2008, ministère de la Culture et de la Communication

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Louise Bourgeois au Centre Pompidou

Dès l’entrée, le visiteur tombe sur une maquette en marbre rose de la maison familiale surmontée d’une guillotine.
"Les gens se guillotinent à l’intérieur de leur famille. Le passé est guillotiné par le présent" explique l’artiste.
Louise Bourgeois ajoute encore : "La peur est un état passif, et l’objectif c’est d’être actif et de prendre le contrôle, d’être vivant ici et maintenant. Le mouvement se fait du passif vers l’actif, car si le passé n’est pas nié dans le présent, on ne vit pas."
Voilà, c’est dit.
A partir de là, il va falloir détruire, et reconstruire. Table rase du passé ; puis viendra le temps du patient tissage des liens avec le passé. il surgit d’abord par éclats, avec des fragments de tapisserie et des pelotes de fil puis avec l’araignée – thèmes évocateurs de l’enfance auprès de parents tapissiers, et surtout de la mère, sa "meilleure amie". Beaucoup plus tard, le tissu deviendra à son tour la matière même des sculptures, en tissu éponge, tapisserie, mousse. Louise Bourgeois devenue âgée réalise à partir de ce matériau doux et dépourvu de résistance des corps, des têtes, des mères, des nourrissons, des enfants. Précision étant faite qu’à quatre-vingt seize ans, la dame continue inlassablement son travail.
Auparavant, dans les années 1950, sur la terrasse de son appartement new-yorkais, la Française aura recrée en totems les gens qu’elle aimait et qui lui manquaient, ceux qu’elle avait laissés pour suivre son époux américain. Un peu plus tard, elle aura inventé des sculptures organiques aux connotations sexuelles très fortes, des "cumulus" passionnants, paysages évoquant la renaissance, le mouvement, la force jaillissante sous le poli du marbre. En 1974, elle aura détruit son père avec l’explicite The Destruction of The Father, une fascinante oeuvre toute rouge peuplée de boursoufflures inquiétantes. Elle aura aussi recréé des espaces intimes, chambres ateliers dans des cellules de grillages ou de bois.
Ce qu’a créé cette femme est extraordinaire. L’on contemple ses oeuvres avec un sentiment d’intimité rare, encore renforcé par les nombreuses citations qui ponctuent l’exposition. Celle-ci, pour finir :
"Il faut abandonner son passé tout les jours, ou bien l’accepter, et si on n’y arrive pas, on devient sculpteur".

Louise Bourgeois
Centre Pompidou
Jusqu’au 2 juin 2008
TLJ sauf le mardi de 11 h à 21 h
Le jeudi jusqu’à 23 h
Entrée de 8 € à 12 €

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Babylone au Musée du Louvre

Exposition Babylone au Louvre, dragon passant à droiteCité mythique et tour de légende, Babylone et Babel n’ont cessé de nourrir l’imagination des Occidentaux au fil des siècles. Elles n’en finissent pas de fasciner, à voir les foules qui se pressent à l’exposition du Musée du Louvre.

Il n’empêche que Babylone a bel et bien existé, il en reste des traces, découvertes il est vrai tardivement, à la fin du XIXème siècle. Une double dimension – historique et mythique – que l’exposition se proposer de restituer.

Parcours savant, donc – on est bien au Louvre ! – pour présenter quelques quatre-cents pièces dont beaucoup ne sont pas très "parlantes". L’effort de vulgarisation n’est pas tout à fait tangible (textes denses avec phrases à tiroirs, polices de caractères peu lisibles) et l’on se demande ce que les visiteurs – au demeurant affublés d’écouteurs poussés au volume maximum ; ce qui peut-être change tout – en retiendront.

Mais finalement peu importe : voici de petites tablettes d’argile couvertes d’écriture cunéiforme, ; les plus anciennes ont quatre mille deux cents ans, certaines évoquent des rites qui semblent aussi vieux que le monde, comme l’interprétation des rêves ; à leur étrange manière, elles nous parlent de nous. Voici le fameux Code d’Hammurabi, trois mille huit cents ans d’âge (visible dans le plus grand calme toute l’année dans le même musée, tout comme un grand nombre d’objets présentés dans cette partie de l’exposition) : cette stèle en basalte nous dit les lois qui régissaient la société de la grande Babylone et notamment la célèbre loi du talion. Et ces stèles de calcaire ou de schiste, belles et finement gravées, véritables pages illustrées, nous montrent une représentation de la puissance du roi qui fera long feu : assis sur son trône, associé au disque solaire, autrement dit à la justice…
Ainsi se déroule sous nos yeux l’histoire de la cité mésopotamienne, du prince Gudéa de Lagash, modèle du souverain sage et pacifique à Alexandre le Grand qui y mourut en 323 av. J.-C. (en rêvant de rendre toute sa splendeur à la déjà vieille Babylone), en passant par Nabuchodonosor II, bâtisseur de la néo-Babylone, puis la conquête par Cyrus en 539 av. J.-C. et la fin de son indépendance.

Un saut de puce, et l’on passe des tablettes d’argile et de la culture cunéiforme (éteinte probablement en l’an 75 de notre ère) aux bons vieux volumen, la forme de livres que l’on connaît : c’est le moment où l’exposition s’intéresse à "la Babylone des récits". Parmi les premiers à s’être attaqués à la question : les Grecs de l’époque classique. Hérodote, qui ne s’y est probablement jamais rendu introduit des éléments de légende comme celle de Sémiramis. Puis naît la tradition des "merveilles du monde" : Babylone, avec ses murailles et ses jardins suspendus y occupe une belle place.
Evidemment, les écrits bibliques sur la conquête de Jérusalem et la déportation des Hébreux en Babylonie par Nabuchodonosor II ne sont pas pour rien dans la légende noire de la cité. Idem pour l’épisode de la Tour de Babel dans la Genèse, symbole de l’orgueil des hommes.
Plus tard, les peintures illustreront ces malédictions et l’on verra que, de forme carrée à l’origine, la fameuse tour à étages ou ziggourat de Babylone est devenue ronde sous le pinceau de Pierre Brueghel l’Ancien et de bien d’autres. L’on verra également la terrible gravure de Dürer montrant la cité sous les traits d’une prostituée…

Des récits bibliques au XXème siècle, le rapport à Babylone ne sera qu’ambivalence, passant tour à tour (et selon les points de vue plus ou moins dogmatiques) de la haine à l’émerveillement. L’on voit par là que l’histoire de Babylone relatée dans cette exposition est bien plus que celle d’une ville de l’Antiquité, elle est aussi une histoire de notre pensée, de nos croyances et de nos fantasmes.

Babylone
Jusqu’au 2 juin 2008
Musée du Louvre, Hall Napoléon
TLJ de 9h à 18h, sauf le mardi
Jusqu’à 22h les mercredi et vendredi, 20 h le samedi
Et du 22 mai au 1er juin : jusqu’à 22 h TLJ sauf le mardi et le 29 mai
Entrée 9.50 €
Gratuit le premier dimanche du mois.

L’exposition sera ensuite présentée au Pergamon Museum de Berlin du 26 juin au 5 octobre 2008, puis au British Museum du 13 novembre 2008 au 15 mars 2009

A visiter également : le mini-site de l’exposition

Image : Dragon passant à droite, panneau de briques en relief, terre cuite à glaçure de couleur, H. : 1,16 m ; L. : 1,67 m ; ép. : 8 cm. Règne de Nabuchodonosor II, début du VIe siècle av. J.-C (dernier état de la Porte d’Ishtar), Babylone, Porte d’Ishtar. Fouilles Koldewey 1902, Vorderasiatisches Museum Berlin, VA Bab 4431 – © Olaf M. Tessmer / SMB – Vorderasiatisches Museum Berlin

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