Sang et lumières. Joseph Peyré

sang-et-lumieres_peyreTroisième épisode du feuilleton des Goncourt signé Andreossi. C’est dans les arènes de l’Espagne des années 1930 qu’il nous emmène cette fois… La langue a l’air fort belle !

Joseph Peyré est envoyé à Madrid par son journal en 1934. Il a déjà écrit quelques romans, loués par son ami Joseph Kessel, dans lesquels il mettait volontiers en scène des comportements héroïques. Il revient d’Espagne avec ce récit qui obtient le prix Goncourt l’année suivante, récit que l’on ne saurait réduire à l’apologie de l’art tauromachique. Il n’est nullement question pour Peyré de contester la mort du taureau dans les arènes, mais en centrant le roman sur la fragilité du torero, il met l’accent sur un environnement taurin balançant entre la fascination des lumières et le goût du sang.

Les différents acteurs ont précisément leur place dans l’intrigue. En premier lieu une société de misère productrice de violence. La situation politique de l’Espagne est soulignée en arrière-plan : le pays connaît un climat de pré-guerre civile, avec attentats, bombes, pillages. Pauvreté et humiliation sont le terreau sur lesquels naissent ceux qui vont tenter d’accéder au paradis de la popularité et de la richesse : « l’ancien souffleur de verre métamorphosé par l’or des arènes goûtait ainsi à nos yeux sa revanche, celle des gitanes, errants et ouvriers faméliques de la Frontera, qui vivaient toute leur vie dans le désespoir des hivers, sur les milliers d’hectares incultes traversés par les chevauchées de señoritos et des amazones en chasse, et qui se rangeaient le long des ruelles et des chemins pour ne pas être cravachés ».

Les portraits de l’entourage du torero sont sévères : membres de la « cuadrilla » buveurs, violents ou simplement pitoyables, journalistes qui attendent les pots de vins généreux pour orienter la teneur de leurs articles, gestionnaires de la fortune des toreros véreux, amantes prêtes à abandonner sans scrupule la vedette qui ne fait plus recette. C’est sans doute la foule des arènes qui subit les attaques les plus virulentes de Joseph Peyré : « Mais la clameur du public qui montait, roulait à la cadence des passes du dompteur, et refluait comme une mer, je l’écoutais les yeux fermés, comme un présage redoutable, pour tout ce qu’elle soulevait d’eaux troubles, de violence, pour tout ce qu’elle dressait de haine contre nous ».

Pas de critique radicale de la corrida dans le roman. Toutefois le regard porté sur le taureau ne manque pas de compassion : « La souffrance, le froid, ramassaient la bête, qui avait pris cet air enfantin d’étonnement, ce regard qu’on ne peut pas supporter ». Si le torero apparaît finalement comme une victime, ce n’est pas le taureau qui est en cause, mais plutôt les passions exacerbées d’un public en mal d’émotions fortes, et, quelquefois, du beau geste : « Cette foule attend le rare moment de plaisir : le spasme d’émotion dont on parle toujours, le spasme de quelques secondes qui laisse du plaisir pour une vie ». Un roman qui a su traduire sans complaisance la violence de l’univers des arènes.

Andreossi

Sang et lumières

Joseph Peyré

Grasset 1935.

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Les bas-fonds du baroque. Petit Palais

Bartolomeo Manfredi, Bacchus et un buveur, vers 1621, Rome, Galleria nazionale di Arte antica in Palazzo Barberini © Sopraintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico ed etnoantropologico e per Pollo Museale della citta di Roma.
Bartolomeo Manfredi, Bacchus et un buveur, vers 1621, Rome, Galleria nazionale di Arte antica in Palazzo Barberini © Sopraintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico ed etnoantropologico e per Pollo Museale della citta di Roma.

L’exposition qui a ouvert ses portes le 24 février au Petit Palais à Paris après avoir été montrée à la Villa Medicis à Rome attire déjà les foules.

Ce n’est que justice car le thème, en soi inédit, est traité de façon convaincante et, pour ne rien gâcher, présenté dans une scénographie des plus réussies.

De la Rome baroque, on connaît le faste, les grands et beaux édifices religieux et civils, la théâtralité jusque dans les tableaux et les sculptures. On pense cité papale triomphale, on pense au Bernin et à Borromini.

L’exposition nous fait découvrir une autre facette de la ville où, en ce début du XVII° siècle, affluent des peintres venus de toute l’Europe pour y étudier les chefs d’œuvres de l’Antiquité et ceux de la Renaissance, mais aussi pour essayer de profiter des commandes que promettent les chantiers en cours.

Un certain nombre d’entre eux, les Bentvueghels (un surnom qui signifie « oiseaux de la bande » en néerlandais), artistes de l’Europe septentrionale, y mènent une vie de bohème débridée qu’ils se plaisent, non sans esprit de provocation, à mettre en scène dans leurs tableaux. Beuverie, jeu, sorcellerie, luxure, prostitution, rixes, brigandage, crimes… tout y passe. L’intronisation d’un nouveau, par exemple, donne lieu à un baptême sacrilège placé sous la protection de Bacchus.

Pour autant, on a du mal à ne voir dans ces œuvres qu’une mise en abyme de la vie d’artiste. En effet, se trouvent réunis ici des peintres extrêmement différents, de la clique des Nordiques précitée (au premier rang desquels leur chef de file Peter van Lear) aux Français Simon Vouet, Le Lorrain ou Valentin de Boulogne, en passant par les Italiens Manfredi ou Caroselli, dont on a du mal à penser qu’ils menaient tous l’existence de débauche et de vice que l’on voit sur les toiles. C’est là l’un des mystères de ces œuvres, toujours quelque part entre la réalité et la fiction. Un autre est l’interprétation du message des artistes : revendication d’un mode de vie transgressif, description sociale, dénonciation morale de mœurs dépravées ? Ces mystères, l’exposition ne les éclaircit pas, laissant le visiteur à sa propre lecture. Et c’est très bien ainsi.

La diversité des artistes représentés ici est d’ailleurs l’un des atouts considérables de l’exposition où, aux côtés de tableaux très caravagesques on trouve des palettes beaucoup plus claires, comme celles de Sébastien Bourdon ou de Jan Miel, mais aussi, succédant à des compositions très théâtrales, des portraits beaucoup plus naturalistes, comme le Mendiant de l’Espagnol Ribera, sans doute l’œuvre la plus touchante de la sélection.

Valentin de Boulogne, Concert au Bas-relief, vers 1620-25, © Musée du Louvre, dist. R M N - Grand Palais / Martine Beck-Cppola.
Valentin de Boulogne, Concert au Bas-relief, vers 1620-25, © Musée du Louvre, dist. R M N – Grand Palais / Martine Beck-Cppola.

Aussi cohérents soient-ils, les motifs ne jouent pas la répétition. Loin d’enfermer le spectateur dans de nocturnes Bacchanales ou entre les mains de diseuses de bonne aventure, le parcours lui permet de découvrir aussi une autre façon de représenter la Ville éternelle : celle où, au pied des vestiges antiques ou des chefs d’œuvres de la Renaissance, grouille tout un bas-peuple sans sou, morale ni manière (voir par exemple la Trinité-des-Monts rayonnante, mais avec une scène de prostitution dans l’obscurité, peinte par Le Lorrain). Une cohabitation saisissante, loin de la splendeur habituelle des vues de paysages romains !

La dernière partie de l’exposition est tout aussi intéressante. On y retrouve des scènes de taverne de la même veine picturale que celles du début, mais dans une atmosphère tout autre. Ici, les protagonistes ont fini de s’amuser. Les visages expriment une grande mélancolie. Les regards sont hagards ou interrogent le spectateur avec une once de philosophie. Et les verres dans lesquels ils ont bu semblent tout à coup briller de l’éclat de la vanité.

Les Bas-fonds du Baroque: la Rome du vice et de la misère

Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Avenue Winston-Churchill – Paris 8°

Du mardi au dimanche de 10 h à 18h, le vendredi jusqu’à 21 h

Jusqu’au 24 mai 2015

 

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La toilette, naissance de l'intime. Musée Marmottan Monet

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Eugène Lomont. 1898. Huile sur toile. 54 x 65cm. Beauvais, Musée départemental de l’Oise © RMN Grand Palais / Thierry Ollivier

La nouvelle exposition du musée Marmottan Monet, qui succède à Les impressionnistes en privé et Impression, soleil levant est une belle surprise.

Le musée, habituellement associé au XIX° siècle, élargit considérablement son horizon, pour couvrir une période courant du XVI° au XXI° siècles, tout en zoomant sur un sujet passionnant : celui de la toilette. Car à parcourir les salles, on s’aperçoit qu’à travers ce thème, c’est toute une étude, à la fois sociale et esthétique que l’on suit. Cette double lecture historique – histoire des mœurs et histoire de la représentation –  transcende ainsi la découverte (ou la redécouverte) de la centaine d’œuvres réunies ici, un ensemble de haute tenue.

Le parcours, chronologique, nous rappelle qu’après les bains collectifs (les étuves) fréquentés au Moyen-Age, période traumatisée par la peste, la Renaissance se méfie de l’eau comme… de la peste justement, accusée de transmettre les miasmes. On ne rencontre guère que Montaigne pour, dans ses Essais, considérer « En général le baigner salubre ».

La défiance se poursuit au XVII° siècle, dans un contexte moral et religieux qui rejoint les préoccupations médicales. La toilette est sèche, c’est-à-dire que l’on se nettoie avec du linge blanc, censé purifier. Autant dire que son usage est plus fréquent dans les milieux aisés que chez les plus pauvres. Si l’eau reste réservée aux mains, en revanche, on recourt largement aux fards et aux parfums, ainsi qu’au soin apporté à la coiffure. Évidemment, nul besoin d’intimité pour tout cela.

Le XVIII° siècle apparaît comme le plus tiraillé sur ce sujet. Les manuels de médecine se mettent à reconnaître les effets bénéfiques des ablutions. Les bains, tout en restant exceptionnels et réservés à l’aristocratie, font leur apparition. S’ils sont alors associés à une certaine sociabilité, tel n’est pas le cas d’une autre invention : le bidet. Celui-ci, associé à une vie lascive et dissolue, fait scandale. Il reçoit grand accueil dans les romans libertins et donne lieu à une iconographie quelque peu coquine, dont on voit de forts jolis exemples dans l’exposition (Jeune femme à sa toilette de François Eisen et bien sûr l’ensemble « secret » – et pour cause – de François Boucher, qui lui traite notamment du bourdalou). C’est à ce moment-là qu’on va commencer à considérer que la toilette n’a pas forcément à être publique et qu’il faut lui réserver quelque endroit et moment d’intimité… Dans le tableau d’Eisen, on voit une fillette qui est priée de quitter les lieux…

Pierre Bonnard, Nu dans la baignoire, sans date (vers 1940 ? ). Aquarelle et gouache sur papier, 23,5 x 31,5 cm.  ADAGP Courtesy Galerie Bernheim-Jeune, Paris/Christian Baraja
Pierre Bonnard, Nu dans la baignoire, sans date (vers 1940 ? ). Aquarelle et gouache sur papier, 23,5 x 31,5 cm. ADAGP Courtesy Galerie Bernheim-Jeune, Paris/Christian Baraja

Mais c’est le XIX° qui est fondateur de notre approche actuelle de la toilette – et par là-même de l’idée d’intimité. Lavage à l’eau et hygiène deviennent indissociables. La table de toilette, avec son dessus en marbre sur lequel on pose broc et cuvette, s’installe dans les milieux bourgeois dès 1830. Plus tard, pour mieux laver le corps, on se met debout dans le tub (grande cuvette en zinc), dans lequel on peut s’asperger. Si au début du XX° siècle les salles de bains privatives ne sont pas encore très courantes, il n’empêche, avec cette évolution de l’hygiène, la toilette a désormais lieu dans un espace clos. C’est ainsi, dans ces instants « pour soi », que naît l’intime, et finalement, d’une certaine manière, qu’est reconnu l’individu.

Les peintres ont merveilleusement saisi ces instants (et les sculpteurs aussi, tel Degas) : voir les toiles de Toulouse-Lautrec, Degas, Bonnard, mais aussi Steilen. Le XX° siècle ne sera que la généralisation de ce principe, ce qui n’empêchera pas les artistes de continuer à illustrer, inlassablement, le thème de la femme à la toilette, avec leur nouveau langage bien sûr (Kupka, Léger, Picasso). La période la plus récente, elle, inscrit ces représentations dans une perspective davantage publicitaire et dans la banalisation apparente de cette intimité. Mais c’est surtout un retournement de situation que nous propose les dernières oeuvres du parcours : les femmes ne sont plus épiées (cf le sujet ancien de Suzanne et les vieillards), ce sont elles qui, dans leur bain, recherchent le regard du spectateur.

 

La toilette, naissance de l’intime

Musée Marmottan Monet

Du mardi au dimanche 
de 10 h à 18 h, nocturne les jeudis jusqu’à 21 h

2, rue Louis-Boilly 75016 Paris

Jusqu’au 5 juillet 2015

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Rodin, le laboratoire de la création. Musée Rodin

E. Druet, le Baiser vers 1898 épreuve gélatino argentique. ph373
E. Druet, le Baiser vers 1898 épreuve gélatino argentique. ph373

En attendant la fin de la rénovation de l’Hôtel Biron et la nouvelle muséographie prévue pour l’automne 2015, le Musée Rodin à Paris propose jusqu’au mois de septembre une passionnante exposition très justement intitulée « Le laboratoire de la création ».

Il s’agit de plonger dans l’atelier d’Auguste Rodin (1840-1917) pour approcher son œuvre d’un œil différent : découvrir les sculptures en train de se faire. Pour construire ce parcours, le musée a sorti de ses réserves quelques 150 plâtres et terres cuites et, plus inattendu, y a ajouté de nombreuses photos montrant l’artiste et surtout ses créations au cœur de son atelier ou telles qu’elles furent exposées à l’époque. Ces photographies rendent le propos particulièrement vivant, quand les œuvres plastiques soulignent toute la dynamique du processus de sculpture.

De L’Age d’Airain qui l’a fait connaître en 1877 à la Muse Whistler, en passant par les grandes commandes publiques que furent La Porte de l’Enfer (avec Ugolin, Le Penseur…) et les monuments aux Bourgeois de Calais, à Victor Hugo et à Balzac, le public peut ainsi redécouvrir l’ensemble de la carrière d’Auguste Rodin. Il peut aussi en profiter pour aller revoir, après la visite de l’exposition, les bronzes et les marbres exposés dans le jardin, plein de charme en toutes saisons, histoire de compléter ce joli tour d’horizon.

Charles Bodmer, tête de St Jean-Baptiste sur une sellette vers 1886
Charles Bodmer, tête de St Jean-Baptiste sur une sellette vers 1886

Outre la splendeur et la force de vie incroyables que dégagent les sculptures de Rodin, qu’elles soient d’ailleurs achevées ou en cours de modelage, l’importance et la qualité des photographies constituent l’autre point frappant du parcours.

En fait, Rodin s’est servi de la photographie tout au long de sa carrière, au début, pour illustrer les articles de presse qu’on lui demandait, puis tout simplement pour faire connaître et diffuser l’ensemble de son œuvre. Les photographes sont divers, qu’il s’agisse d’Eugène Druet, amateur imposé par l’artiste, de professionnels comme Charles Bodmer, Freuler et Victor Pannelier, Jacques-Ernest Bulloz, ou encore de photographes de l’école pictorialiste comme Edward Steichen, qui a passé une nuit entière à photographier le Balzac de Rodin sorti de l’atelier de Meudon. Le résultat, superbe, fit dire à l’artiste, pour qui cette sculpture fut un échec : « Enfin, le public va comprendre mon œuvre ! ». Les autres photographies méritent aussi le détour. Pour n’en citer que quelques unes : La tête de Saint Jean Baptiste en plâtre par Charles Bodmer (vers 1887), Le Penseur en terre retouché à la mine de plomb par Victor Pannelier (1882), Rodin au milieu de ses œuvres dans le pavillon de l’Alma à Meudon (1902) par Eugène Druet ou encore l’Essai d’installation du monument à Victor Hugo dans les jardins du Palais Royal en 1909 : comme si on y était !

 

Rodin, le laboratoire de la création
Musée Rodin

79 rue de Varenne – Paris 7ème

Du mardi au dimanche de 10 h à 17h45, le mercredi jsq 20h45

Entrée 9 euros (TR 5 et 7 euros)

Jusqu’au 27 septembre 2015

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Batouala. René Maran

batouala_maranAujourd’hui, deuxième épisode du feuilleton littéraire, signé Andreossi, sur les prix Goncourt, avec le cru 1921. Pour du cru, c’est du cru.

Étonnant roman, prix Goncourt 1921, qui met en scène un chef Africain dans sa vie quotidienne sous la colonisation française. Réputé comme premier roman de la « négritude », il apparaît aujourd’hui comme l’exemple de l’intérêt des  jurés du Goncourt pour les questions de société, en promouvant parfois une littérature qui peut faire débat. De ce point de vue, c’est une réussite à plusieurs titres.

Si l’écrivain René Maran a été honoré par le prix dès son premier roman, l’administrateur des colonies en Oubangui qu’il était aussi a dû démissionner de son poste à la suite d’une campagne de presse agressive. Le livre a décidé de sa carrière d’écrivain, par rejet d’une administration sanctionnant un Noir (il était Martiniquais) osant écrire une vive critique (en particulier dans la préface) de la colonisation.

Pourtant, il s’agit de littérature avant tout et non de l’exposition d’idées. Comme il l’exprime dans sa préface, l’auteur se borne à constater, à enregistrer, en puisant dans les propos qu’il a entendu au cours de ses missions. Il reproduit beaucoup du vocabulaire local, surtout celui qui touche à l’environnement naturel, ce qui inscrit efficacement le récit dans un cadre original, et accentue l’impression que le narrateur est quelqu’un du pays plutôt qu’un colon. Dès les premières lignes nous sommes du côté des Noirs.

La trame de l’intrigue est mince (la rivalité entre Batouala et Bissibi’ngui pour l’amour de Yassigui’ndja) et ne constitue pas le plus grand intérêt du récit. Mais la forme d’écriture qui réussit à présenter à la fois le rôle des Blancs du point de vue des colonisés et les rites qui paraissent cruels aux yeux des colons est très efficace. Dans le premier registre la condamnation du colonialisme est sans appel : « Nous ne sommes que des chairs à impôts. Nous ne sommes que des bêtes de portage. Des bêtes ? Même pas. Un chien ? Ils le nourrissent, et soignent leur cheval. Nous ? Nous sommes, pour eux, moins que ces animaux, nous sommes plus bas que les plus bas. Ils nous crèvent lentement ».

Du côté du rituel, le lecteur a droit à une description de l’excision horrifiante dans son cynisme : « La vieille arrivait, interpellait l’une des danseuses, lui écartait rudement les cuisses, saisissait à pleins doigts ce qu’il fallait saisir, l’étirait à la manière d’une liane à caoutchouc et, d’un seul coup –raou !- le tranchait, puis, sans même retourner la tête, jetait derrière elle, à la volée, ces morceaux de chair chaude et sanglante, qui parfois atteignaient quelqu’un au visage. Quelle importance ces chairs pouvaient-elles avoir ? A peine tombées à terre, les chiens se les disputaient, en rognonnant ».

Mieux que de long discours ces phrases disent beaucoup sur la rencontre entre l’Afrique et ses colons.

Batouala, René Maran

Magnard, 2002

Andreossi

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