Laurent Grasso. Uraniborg au Jeu de Paume

Laurent Grasso, Jeu de PaumeCette exposition, parce qu’elle est la première d’envergure du Français Laurent Grasso, sera pour beaucoup une révélation.

Que ceux qui ignorent son travail s’y rendent sans délai – attention, elle finit le 23 septembre – car l’on affaire à un grand artiste, si l’on accepte de qualifier ainsi celui qui, en nous en offrant une lecture à la fois singulière et universelle, re-créé le monde, voire l’univers.

Le dispositif paraît sophistiqué ; l’appréhension en est pourtant fort simple.
Le parcours présente deux axes, que l’on suit ensemble sans se poser de questions. D’un côté, ce sont des oeuvres "matérielles", d’un autre, des films.

Dans la première catégorie, extrêmement bien mis en scène, points de lumière plongés dans l’obscurité que l’on observe à travers de petites ouvertures comme l’on découvrirait le contenu d’un cabinet de curiosités, ce sont des peintures (de la main de l’artiste) façon Renaissance italienne ou des pays du Nord, mais avec quelques détails anachroniques – si peu finalement – ; ce sont des livres (comme une édition originale de De re militari de Roberto Valturio de 1483, ou un livre d’astronomie daté de 1646, italien également) ; le fragment d’une vipère enroulée en terre vernissée de Bernard Palissy (1560) ; ou encore une inscription au néon prévenant Visibility is a Trap (Le visible est un piège)…

Dans la seconde catégorie, cinq films de Laurent Grasso réalisés entre 2008 et 2012, d’une durée de 15 mn environ chacun, que l’on peut regarder (notamment) dans des salles dédiées. L’un montre le jardin extraordinaire de Bomarzo en Italie, peuplé de sculptures aussi monumentales que fantastiques issues de de la mythologie ; un autre des nuées d’étourneaux mouvantes dans un ciel romain aux couleurs somptueuses ; un autre offre tour à tour les étoiles, la lune, la mer et le soleil à partir de l’île de Ven située entre le Danemark et la Suède. Le 4ème suit le vol d’un faucon à l’aide d’une caméra attachée au volatile, quelque part au dessus de paysages désertiques d’Arabie, tandis que le dernier filme la côte de Carthagène au sud de l’Espagne et ses installations militaires plus ou moins dissimulées.

Uranibord, GrassoLe propos de l’exposition tourne autour de la perception, du visible et du caché ; de l’observation et des croyances.
Ce que l’on voit est avant tout d’une admirable cohérence : historique, avec un ancrage puissant dans la Renaissance, qui a modelé notre culture, nos connaissances, notre perception de l’espace et de sa représentation. Cohérence aussi de l’objet montré, qui n’est pas moins que le cosmos, avec l’intervention des dieux dans la vie terrestre, dans le jardin créé par le comte Orsini au XVIème siècle et ses drôles de créatures dans le premier film ; avec le ciel dans les trois suivants, exploré avec les télescopes autant qu’à travers le vol des oiseaux ; mais aussi la mer, que ce soit au large de l’île de Ven ou au bord des côtes espagnoles.

Uranibord nous emmène dans le royaume de la curiosité, de l’observation, de la découverte et du mystère propre aux XV° et XVI° siècles européens. Dans celui du rêve aussi, et de l’imaginaire (fortement sollicité devant les nuées d’oiseaux migrateurs filmés depuis la Villa Medicis), dans celui de la contemplation enfin face aux mondes céleste, marin et minéral. Un peu comme si Laurent Grasso avait aboli les frontières historiques comme géographiques, nous invitant à regarder ce qui est et à deviner ce qui se cache, avec un esprit libre de toute limite et disponible à toutes les re-créations visuelles.

Laurent Grasso. Uraniborg
Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Le mardi de 11 h à 21 h, du mer. au dim. de 11 h à 19 h
Entrée de 5,50 € à 8,50 €
Jusqu’au 23 septembre 2012

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Anri Sala au Centre Pompidou

Anri Sala, Centre PompidouL’installation d’Anri Sala, l’artiste qui représentera la France à la prochaine Biennale de Venise en 2013, nous invite à une expérience originale. Conçue spécialement pour le Centre Pompidou, dépourvue de titre, elle est faite de très peu d’objets, de cinq grands écrans sur lesquels sont projetés quatre films, et de beaucoup de sons. C’est une œuvre qui se vit davantage qu’elle ne se visite.

Le vaste espace d’exposition de la Galerie Sud est en grande partie plongé dans la pénombre. Title Suspended, une sculpture de l’artiste de 2008 appartenant au Centre, présentée sur un mur immaculé accueille le visiteur. Il s’agit d’une paire de gants de latex violet figurant des mains articulées en face à face, qui tournent lentement, tantôt "habitées", tantôt laissant choir un doigt comme abandonné, et que l’on resterait longtemps à décrypter si le son ne nous attirait pas irrésistiblement vers la suite de l’installation.

Anri Sala, batterieC’est que la musique est l’une des composantes essentielle de l’œuvre : elle enveloppe le visiteur en permanence et rythme ses déplacements dans l’exposition. Trois musiques fort différentes mais qui s’imbriquent parfaitement sont réunies : une symphonie de Tchaïkovski, une nouvelle version de Should I Stay or Should I Go des Clash et le rythme de dix batteries (Doldrums, 2008).
Ces musiques viennent aussi bien des films eux-mêmes (qui montrent à certains moments des personnages en train de jouer), que des dix-septs hauts-parleurs disséminés dans l’espace d’exposition, en encore des batteries installées ici et là et qui se mettent à jouer en automate par intermittence.

Les films sont découpés en douze séquences, issues d’un montage spécifique pour l’installation de quatre films réalisés par Anri Sala entre 2008 et 2011. Ces séquences s’enchaînent d’un écran à un autre dans le sens des aiguilles d’une montre, et c’est le déclenchement de la musique qui indique où le film reprend, invitant le visiteur à se déplacer.
Le tout dure une heure ; chaque étape laisse le temps de s’installer, sur un cube où le plus souvent à même le sol noir conçu pour amortir tout bruit de pas.

Les films montrent Sarajevo pendant le siège de 1992 à 1995 (1395 Days without Red), un dôme géodésique à Berlin (Answer Me), une salle des fêtes désertée à Bordeaux (Le Clash) et le site aztèque de Tlatelolco à Mexico (Tlatelolco Clash). Les personnages ne parlent presque pas, mais les images, d’un puissant effet hypnotique et associées à la musique sont très évocatrices.

Anri Sala 1395 days without redEn particulier, la peur, la claustration, le désir – toujours contrarié – de s’échapper sont fortement à l’œuvre dans 1395 Days without Red, qui renvoie aux 1395 jours où les habitant de Sarajevo n’ont pas porté de rouge pour ne pas être pris pour cible par les snipers : une jeune femme marche dans les rues désertes, comme hantée à la fois par le présent et le souvenir ; elle semble chercher son courage et son chemin au rythme de la symphonie de Tchaïkovski qu’elle chantonne ; aux carrefours, elle se met à courir, puis perd son souffle, s’arrête, recommence à marcher.
A Berlin, le bruit de la batterie dont l’homme joue couvre la dispute qui l’oppose à une femme ; on/il entend à peine ce qu’elle a à dire, si ce n’est Answer me.
La narration, aussi ténue soit-elle, résulte donc autant de la musique que des images.

Europe libre, Europe en guerre passée ou contemporaine, Amérique Latine violente hier et aujourd’hui : les lieux ne sont évidemment pas neutres. Ici comme ailleurs, il est question de séparation, de perte, de solitude.
En contre-point, la musique symphonique de Tchaïkovski évoque un collectif et une harmonie dont le contraste est d’autant plus poignant que lorsqu’il fait jouer Should I Stay or Should I Go au Mexique, ce n’est pas un groupe qui opère, mais une vieille femme qui passe des cartes dans une orgue de Barbarie…

Mais un autre contre-point attend le visiteur qui s’éloigne des écrans pour se diriger vers la baie vitrée qui donne sur l’extérieur, avec la fontaine Stravinski et les terrasses, où il découvre un monde grouillant, coloré, vivant. Cette vision de la réalité fait-elle partie d’un autre film ? Des passants curieux se tournent pour voir ce qu’il se passe à l’intérieur : nous voici nous-même acteur du grand film symphonique qu’est la déconcertante et passionnante installation de ce talentueux artiste Franco-Albanais de 38 ans.

Anri Sala
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou – Paris 4ème
De 11 h à 21 h, nocturnes tous les jeudis jusqu’à 23 h
Fermé le mardi
Entrée de 11 à 13 euros
Jusqu’au 6 août 2012

Images :
Title Suspended, 2008 © Anri Sala
Doldrums, 2008 Courtesy : Marian Goodman Gallery, New York – Vue de l’installation à la Serpentine Gallery, Londres © photo : Sylvain Deleu
1395 Days without red, Anri Sala, en collaboration avec Liria Begeja © Milomir Kova

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Monumenta 2012 – Daniel Buren

Excentrique(s), travail in situ

Monumenta 5ème, c’est parti !
Après Anselm Kiefer en 2007, Richard Serra en 2008, Christian Boltanski en 2010 et Anish Kapoor en 2011, c’est au tour de Daniel Buren d’investir la nef du Grand Palais jusqu’au 21 juin 2012.
Il faut profiter de l’une de ces belles journées que nous avons enfin en ce moment à Paris pour aller découvrir Excentrique(s), tant la lumière et la couleur du ciel y jouent un rôle important.

Peu étonnant finalement de la part d’un artiste qui a fait du "travail in situ" sa spécialité, produisant essentiellement des installations éphémères absolument conçues pour un lieu précis, Daniel Buren semble, avec le recul, être celui qui jusqu’à présent s’est le mieux approprié le volume du Grand Palais.
Plus étonnant en revanche : il n’a pas joué sur la monumentalité de l’espace. Pas uniquement en tout cas. Cela ne veut pas dire que Excentrique(s) est plus ou moins séduisante que les installations de ses prédécesseurs, c’est plutôt qu’elle nous fait percevoir la nef sous un jour nouveau.

Point d’importance, il est le premier à avoir fait déplacer l’entrée. Au lieu d’accéder directement sous la grande coupole comme nous y invite l’entrée principale côté rue, Daniel Buren nous fait entrer par une petite porte placée en bout de bâtiment, côté nord : il y a une approche, une progression ; l’invite à la découverte et à la balade est manifeste.

Autre surprise, que renforce ce premier point : l’installation surbaisse extraordinairement le plafond ! Ce sont quelques 350 cercles de plastique coloré, bleu, jaune, orange, vert, reliés les uns aux autres, qui, placés à quelques mètres à peine du sol couvrent la totalité de l’espace excepté celui de la coupole centrale. Ces ronds de cinq diamètres différents sont simplement soutenus par des piliers légers blancs et noirs, formant une sorte de forêt de parasols qui laisseraient passer la lumière…
Lorsque l’on gagne le centre, le "ciel" se dégage entièrement (Daniel Buren évoque une "clairière") et l’on profite pleinement de la hauteur de la nef, dont la verrière, à cet endroit, se trouve partiellement colorée de bleu, en une sorte de damier.
Rendant l’aspiration vers le haut plus saisissante encore, (ici l’artiste parle de "montgolfière"), de grands miroirs ronds disposés sur le sol, sur lesquels l’on peut marcher librement, permettent aussi de percevoir cette fameuse hauteur de 45 mètres… sous ses pieds ! Vertige garanti.

Éminemment ludique, paradis des grands et des petits enfants, l’installation livre de merveilleux jeux de couleurs dès que le soleil déborde des nuages : les ronds projetent leurs teintes "pop" sur le sol de béton, sur les piliers noirs et blancs qui du coup se nuancent délicatement, et sur les visiteurs bien sûr…
L’ambiance est chaleureuse et ensoleillée sous le jaune et le orange, aquatique sous le bleu, un peu étrange sous le vert. Le tout alterne joyeusement ; la nef du Grand Palais a perdu son caractère monumental un peu intimidant, pour devenir un lieu où l’on se sent protégé, mais sans rien perdre de sa liberté, sans rien perdre non plus de l’immense volume d’air sous la voûte centrale ni de la fantastique ouverture céleste de la verrière. Un sacré challenge, et une grande réussite !

Excentrique(s), travail in situ
Daniel Buren
Monumenta 2012
Nef du Grand Palais, porte nord – Paris 8ème
TLJ sf le mar., de 10 h à 19 h le lun. et le mer. et jsq minuit du jeu. au dim.
Entrée 5 €
Jusqu’au 21 juin 2012

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Giacometti et les Etrusques. Pinacothèque de Paris

Kylix, Giacometti et les Etrusques à la Pinacothèque de ParisGiacometti et les Étrusques : le rapprochement ne dérange pas, bien au contraire. Les statuettes en bronze filiformes des uns et de l’autre présentent des plastiques si proches que le premier coup d’œil suffit à accepter la réunion, en un même lieu, de ces œuvres séparées de plus de deux millénaires.

L’influence de la production Étrusque sur celle de Giacometti est affaire de spécialistes, dont certains insistent sur la fréquentation par le sculpteur Suisse des salles d’Antiquité et d’archéologie du Louvre, puis la découverte de l’exposition Étrusque dans ce même musée en 1955, et enfin un voyage en Italie où il découvrit, à Volterra, la fameuse Ombre du soir.

Mais, étrangement, ces développements d’historiens d’art paraissent presque superficiels face aux œuvres elles-mêmes, face à la profondeur historique de la civilisation Étrusque et à la puissance de l’œuvre de Giacometti.

Grande Femme debout, Giacometti et les Etrusques à la Pinacothèque de ParisPassionnante en revanche est la question soulevée par Genet, et rappelée à la Pinacothèque, du rapport de Giacometti à la mort à travers ses œuvres : "Giacometti me dit qu’autrefois il eut l’idée de modeler une statue en terre et de l’enterrer (…) non pour qu’on la découvre, ou alors bien plus tard, quand lui-même et jusqu’au souvenir de son nom aurait disparu", se souvient l’écrivain dramaturge. Ce désir de rendre ses œuvres à l’éternité trouve naturellement grand écho dans cette exposition, où ses bouleversantes peintures et sculptures cohabitent avec les urnes cinéraires et les objets funéraires destinés à accompagner les défunts.
Plus encore que les similitudes formelles, ce sont les interrogations soulevées par les œuvres de Giacometti qui renvoient aux grandes civilisations antiques, à leur rapport à la mort, et réciproquement. Dans son œuvre graphique comme plastique, Giacometti n’a cessé de représenter l’Homme dans son plus total dénuement, les mains vides et dans une absolue solitude. Peut-être n’a-t-il jamais cessé d’interroger la condition de l’Homme, le sens de la vie, et d’y apporter avec ses figures une réponse désespérée.
La confrontation directe avec les oeuvres de la protohistoire puis de l’Histoire classique de la Méditerranée exacerbe cette lecture.

Cette approche est frappante dès la première partie de l’exposition, essentiellement consacrée à la civilisation Étrusque (IXème siècle avant J.-C. au 1er siècle de notre ère). Placée à côté d’une statue en pierre du VIIème siècle av. J.-C. (période dite orientalisante car marquée par l’adoption des motifs orientaux), la peinture épurée Deux têtes (1960) fait forte impression : on y ressent plus que jamais tout le vide qui entoure la figure d’homme, à la fois d’une formidable présence mais placé en bas du tableau sur un fond gris, comme littéralement enterré.

Après de superbes séries d’urnes cinéraires biconiques, de vases canopes anthropomorphiques en terre cuite, de kyathos en bronze, d’askos, d’œnochoés et de cratères en céramique (le tout venu en majorité de Toscane et en particulier du Musée archéologique de Florence) nous faisant remonter les quatre grandes périodes de l’histoire Étrusque, de la période villanovienne jusqu’à la période hellénistique, la seconde partie se concentre sur la "Rencontre de deux mondes", faisant dialoguer à parts égales Antiquité et XXème siècle.

L'Ombre du soir, Giacometti et les Etrusques, Pinacotheque de ParisEsthétiquement, on l’a dit, tout se répond, des sculptures en bronze vert-de-gris longilignes et isolées, à la réunion dans une même vitrine de petits groupes de statuettes, tels ces Trois hommes qui marchent (1948) côtoyant quatre statuettes de la période hellénistique.

Au demeurant, considérées isolément, beaucoup de ces œuvres sont admirables.
Star Étrusque de l’exposition, L’Ombre du soir, étirée comme un fil, tête légèrement penchée vers l’avant et d’une finesse inouïe captive comme un aimant.

De Giacometti, l’on apprécie de trouver des œuvres issues de collections particulières, comme cette Cage de 1960, mais aussi d’en retrouver d’autres issues du riche fonds Maeght de Saint-Paul-de-Vence.

La dernière salle est à cet égard une grande réussite scénographique, présentant six Femmes de Venise parfaitement éclairées, à scruter tranquillement sous tous les angles. Dépassant la plastique générale, l’on s’attarde sur les détails. Peu à peu, seules les têtes paraissent en éveil, vivantes sur des corps passifs. Que font-elles ? Attendent-elles ? Mais quoi ? Quel bonheur que Giacometti ait renoncé a les enterrer et les ait laissées nous interroger sans fin.

Giacometti et les Étrusques
Pinacothèque de Paris
28 place de la Madeleine dans le 8ème, Paris
TLJ de 10h30 à 18h30, les mer. et ven. jsq 21 h
Les dim. 25 déc. et 1er jan., de 14h à 18h30
Entrée 10 € (TR 8 €)
Jusqu’au 8 janvier 2012
En parallèle, et à partir du 27 septembre, Les Collections de la Pinacothèque seront à nouveau visibles (voir la partie sur la collection permanente, billet du 13 février 2011)

Images :
Kylix à figures rouges, Ve siècle av. J.-C., Terre cuite, Museo etrusco Guarnacci-Volterra, © Photo : Arrigo Coppitz
Grande femme 1, ou Grande Femme debout 1, 1960, Bronze, 270 x 56 x 34 cm, Collection Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence © Succession Giacometti / ADAGP, Paris 2011 ; Photo : Claude Germain
L’Ombre du Soir, IIIe siècle av. J.-C., Bronze, Museo etrusco Guarnacci-Volterra © Photo : Arrigo Coppitz

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Anish Kapoor – Leviathan, Monumenta 2011

Leviathan, Anish Kapoor

Leviathan est la 4ème proposition du cycle Monumenta présenté sous la nef du Grand-Palais depuis 2009.
L’artiste invité à créer une œuvre spécifique pour ce lieu exceptionnel est toujours un grand nom de l’art contemporain, mais sans être pour autant bien connu du grand public. Tel est le cas du britannique d’origine indienne Anish Kapoor, qui succède jusqu’au 23 juin prochain à Anselm Kiefer, Richard Serra et Christian Boltanski.
Autant de souvenirs d’expériences sensorielles et émotionnelles inoubliables, qui désormais créent une attente et une exigence presque aussi élevées que la verrière de la célèbre nef.
La déception n’est pourtant pas pour cette fois.

Avec Leviathan, le spectacle se découpe en deux actes, tout aussi impressionnants l’un que l’autre.
Premier acte au débouché d’un seuil de porte à tambour où, après avoir été brièvement plongé dans l’obscurité complète, l’on se retrouve soudain entièrement immergé dans l’œuvre elle-même, immense volume sombre et parfaitement clos, rouge monochrome dont les nuances ne résulteront que des jeux de la lumière naturelle inondant la nef. Le souffle coupé, le nez en l’air, les yeux écarquillés, il faut de longues minutes pour digérer le choc visuel, avant de se demander de quoi il s’agit : forme ? Matière ? Et d’où viennent ces ombres et ces éclaircies qui se dessinent par moments sous la voûte ?
Petit à petit, l’on comprend mieux ; on reconnaît le découpage de la structure métallique de la verrière dans le jeu d’ombres chinoises, on réalise que cette œuvre gigantesque qui nous accueille en elle est faite d’un même matériau et que les lignes qui la strient ne sont que des motifs soulignant les formes concaves et convexes de la paroi.

Anish Kapoor, Leviathan

Puis, lorsqu’on en a assez de se trouver enfermé dans cette sorte de ventre alors que dehors est la lumière… il est temps de sortir.

C’est ainsi que se découvre, toujours dans la nef, l’extérieur du Leviathan. Il s’agit d’une sorte de PVC gonflé, de couleur rouge sombre, très brillante, formant en plusieurs sphères reliées entre elles une espèce d’organe géant près de toucher le plafond de verre.
Promenade autour, multiplication des points de vue, admiration.
Au caractère proprement inédit de l’expérience, se mêle l’impression de simplicité que dégage cette oeuvre, très corporelle, très humaine, rassurante dans ses courbes, sa texture et sa teinte et, en même temps, occupant tant de place qu’elle en est effrayante…

Monumenta 2011
Anish Kapoor – Leviathan
Nef du Grand Palais – Avenue Winston Churchill 75008 Paris
TLJ sf mar., de 10h à 19h lun. et le mer. et de 10h à minuit du jeu. au dim.
Fermeture des caisses 45 min avant la fermeture de l’exposition
Métro : lignes 1, 9, 13 / Franklin Roosevelt ou Champs-Elysées-Clemenceau
Bus : lignes 28, 32, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Entrée : 5 euros (TR : 2,50 euros)
Le billet d’entrée donne également accès à la programmation culturelle du même jour
A voir jusqu’au 23 juin 2011

Monumenta 2011, Anish Kapoor, Leviathan

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Miró sculpteur au Musée Maillol

Exposition Miro à Maillol

L’exposition, sublime, est en grande partie une découverte.
On connaît le labyrinthe de sculptures et de céramiques, pour certaines monumentales, que Miró a créé pour la Fondation Maeght inaugurée à Saint-Paul en 1964.
Aimé Maeght avec qui il était lié depuis les années 1940 lui avait offert en ce lieu la possibilité de réaliser des œuvres en emprise totale avec la nature.
A Vence, et dans bien d’autres musées d’Europe notamment, se déploie largement l’œuvre peint de Miró, ces grandes toiles constellées de signes, d’étoiles, de taches de couleurs primaires et de traits rappelant la calligraphie, ces tableaux qui sont de larges plages où Miró recrée le monde, où se réunissent, se croisent ou s’entrechoquent tous les éléments de l’univers.

L’exposition à voir au Musée Maillol à Paris jusqu’au 31 juillet permet de compléter cette approche de l’artiste catalan, grâce à la réunion d’une centaine de sculptures issues de la Fondation Maeght. S’y ajoutent 19 céramiques (un aspect fondamental de sa création, entreprise avec Josep Llorens Artigas, à l’époque des premières sculptures) et une immense peinture, non seulement magnifique mais aussi indispensable pour mettre en évidence la cohérence de l’œuvre de Miró.

Dans les différentes disciplines, l’artiste semble toujours se situer à la frontière de l’observateur de la nature et du bâtisseur, de l’abstraction et de la figuration, de la géométrie et du déséquilibre. Face à ses sculptures, l’on se dit qu’il fait partie de ceux qui osent tout, qui ont l’ambition démesurée de créer une sorte de totalité, et trouvent, grâce à leur génie, les moyens plastiques d’y parvenir.

exposition miro sculpteur au musee maillolCe sont des assemblages d’objets hétéroclites, objets manufacturés et reliefs trouvés dans la nature mêlés, couverts de toutes les déclinaisons de patine imaginable, du noir le plus neutre à la couleur la plus éclatante, en passant par toutes sortes de reflets bruns, ocres, ou vert-de-gris. Ils forment des personnages étranges, souvent des femmes, mais aussi des hommes et même parfois les deux à la fois – ce peut-être en tournant autour de la sculpture (quand la mise en espace le permet !) que l’on découvre ces points de vue différents. Ce sont ailleurs des animaux un peu fantastiques, qui peuvent se présenter comme un simple chien ou un oiseau. Les deux mondes, humain et animal aiment à se rencontrer, un oiseau venant alors se poser sur la femme.

Les volumes sont souvent géométriques, alors qu’ici ou là des ex-croissances, des ajouts viennent menacer l’équilibre, mais sans jamais le rompre. La "composition" est toujours solide, même dans ses sculptures les plus étranges ou les plus aériennes.
S’y retrouvent les motifs récurrents de l’univers de Miró, comme les cornes, les croissants de lune, les étoiles, les pieds humains, les disques, les lignes primitives ou préhistoriques. La nature englobe terre et monde stellaire ; et l’homme semble se déployer avec la plus grande évidence dans cette totalité.

Se laissent découvrir, parfois un peu cachés, des incisions, toutes sortes de signes, à la fois évocations d’écritures anciennes et marques ultime d’accomplissement de l’œuvre par l’artiste. Comme pour rappeler qu’une sculpture, comme une peinture, non seulement s’inscrit dans l’Histoire mais aussi raconte une histoire, signée collectivement et individuellement.
Il en va sans doute également de cette démarche lorsque Miró titre ses œuvres Monument dressé en plein océan à la gloire du vent, Oiseau lunaire, L’horloge du vent… Il se fait alors poète au sens littéral, illustrant explicitement le lyrisme et l’onirisme de ses splendides créations.

Miró sculpteur
Musée Maillol
61, rue de Grenelle 75007 PARIS
M° Rue du Bac
TLJ de 10 h 30 à 19 h, le ven. jsq 21 h 30
Jusqu’au 31 juillet 2011
Entrée 11 € (TR 9 €)

Images : Tête de femme et oiseau, Bronze, 1972, 102 x 70 x 44 cm © Successió Miró/Adagp, Paris 2011 Archives Fondation Maeght, Saint Paul Photo Galerie Maeght, Paris Photo Claude Germain
Jeune fille s’évadant, Bronze peint, 1968, 198 x 34,5 x 65 cm avec socle © Successió Miró/Adagp, Paris 2011 Archives Fondation Maeght, Saint Paul Photo Claude Germain

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Sementes, Valor capital au MUDE, Lisbonne

Expositions sementes valor capital au Mude, Lisbonne

12 000 m2 consacrés à la mode et au design : tel est le programme du MUDE, ouvert en 2009 dans les anciens locaux de la Banque nationale d’Outre-mer, en plein cœur du quartier Baixa à Lisbonne.
La réhabilitation des lieux n’étant pas terminée, pas question pour autant d’attendre la fin des travaux pour commencer à montrer ! Deux expositions sont déjà magnifiquement installées, dans des lieux presque encore d’origine.
Au rez-de-chaussée, l’exposition permanente issue de la collection de l’homme d’affaires Francisco Capelo nous entraîne à travers des décennies de mode et de design, des années 1940 à nos jours. Nous y reviendrons.

Au sous-sol, la surprise est de taille : nous voici carrément dans la salle des coffres !
Tout y est : les multiples portes blindées équipées d’énormes verrous à combinaison, une odeur métallique saisissante, de petits bureaux coiffés de lampes de banquier, et bien sûr des coffres à perte de vue.
Inutile de chercher le grisbi toutefois : les coffres sont certes garnis, mais… de toutes sortes de semences !

Cette salle des coffres a été construite en 1964, à l’occasion du centenaire de la Banque nationale d’Outre-mer. Avec ses vestiaires, ses pièces individuelles pour recevoir les clients, son système de ventilation autonome, son plafond en acier sans tain, elle constituait un modèle de sophistication, d’élégance et de sûreté.
Le MUDE veut préserver ce design singulier dans son intégralité – association d’acier, de vert et de lignes années 1960 – et l’ouvre pour la première fois au public, mais pour protéger "un capital dont dépend la survie de l’espèce".

C’est ainsi que sous la lumière blafarde de massifs plafonniers blancs, quelques uns des 3 552 coffres présentent dans leur face vitrée des graines de toutes sortes, fèves, pois chiches, haricots, millas, sésame, maïs, ail blanc et rose, poivre, graines de tomates, fèves de cacao, tournesol, luzerne…
La symbolique est forte ; ce décalage entre l’écrin blindé destiné à protéger les valeurs économiques les plus élevées et quelques poignées de semences légères comme l’air dont la valeur semble nous avoir échappé au fil du siècle dernier, est des plus troublants.

La présentation de l’exposition revendique ce "choc" ; son objet étant de susciter une prise de conscience :

"Considérées comme un dot de mariage dans les temps anciens, les graines étaient utilisées comme monnaie dans le nombreuses transactions. Le processus de domestication des plantes et des animaux représente l’une des innovations majeures de l’histoire de l’Homme, avec de profondes répercussions socio-culturelles.
Aujourd’hui, avec la recherche scientifique pour améliorer les végétaux, le changement climatique et les manipulations génétiques, nous entendons parler de plus en plus de banque de graines, de diversification des systèmes de production, d’appauvrissement génétique, de maintien de la bio-diversité, de l’impact négatif de la nourriture transgénique, de l’agro-écolologie et de l’agriculture urbaine. (…) Dans ce contexte, le MUDE présente 500 variétés de semences plantées au Portugal, offrant une opportunité unique de révéler davantage ce capital culturel et le "design" que la nature nous a légué. L’idée de l’exposition est d’aider le public à prendre conscience, de le sensibiliser à la bio-diversité, à la préservation de ce capital qui est également synonyme d’origine et de naissance par sa capacité à germer et à créer la vie".

Museu do Design e da Moda
MUDE
R. Augusta, 24 – 1100-053 Lisboa PORTUGAL
Tel. + 351 21 888 61 17 / 23
Exposition Sementes, Valor capital à voir jusqu’au 20 mars 2011
Entrée libre

Exposition Sementes Valor capital au Mude à Lisbonne

fotografias: Luisa Ferreira | MUDE 2010

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A Venise, splendeur de la Punta della Dogana

Mapping the Studio, première salle à la Punta della Dogana

Après l’abandon de son projet de musée pour l’ïle Seguin à Boulogne-Billancourt, François Pinault s’est tourné résolument vers Venise, où il a commencé par acquérir et rénover le Palazzo Grassi pour y exposer certaines des quelque 2 000 œuvres que compte sa collection d’art contemporain. Une vocation non exclusive d’ailleurs puisqu’on a pu y voir, il y a deux ans, une très riche et belle exposition sur Rome et les Barbares.

Mais ce passionné d’art contemporain ne s’en est pas tenu là. Grâce à un partenariat de 33 ans conclu avec la Ville en 2007, il a récupéré, moyennant travaux, la disposition de la Punta della Dogana, anciens entrepôts de mer à l’abandon depuis des décennies.
Imposant pour sa rénovation une nouvelle fois le Japonais Tadao Ando, lauréat du prestigieux Pritzker Prize en 1995, architecte de la rénovation du Palazzo Grassi, François Pinault a ouvert en juin dernier après près d’un an et demi de travaux un magnifique espace d’exposition. Découvrant Mapping The Studio dans sa partie présentée à la Punta della Dogana (l’autre est visible au Palazzo Grassi), le visiteur a la conviction que la collection Pinault a trouvé ici son parfait écrin.

Le lieu est magique, pris par tous les vents et toutes les lumières, à l’extrême pointe de la Dorsodura juste après la basilique Santa Maria della Salute, entre le Canal de la Giudecca et le Grand Canal, en face de Saint-Marc.
A l’intérieur, percé à l’étage de grandes fenêtres en demi-cercles et au niveau des rives de hautes portes aux grilles dessinées selon un modèle de Carlo Scarpa, l’intimité avec les œuvres n’est interrompue que par celle avec le ciel, l’eau, la lumière changeante de la Sérénissime selon l’heure et le côté où l’on se trouve.

Le bâtiment du XVIIème siècle totalise des espaces de près de 5 000 m², tout de briques roses, de béton lisse et de blanc immaculé. Après la première salle monumentale, qui semble ne faire qu’une avec les œuvres exposées, tant les accrochages et les choix sont judicieux et, malgré leur diversité, d’une cohérence remarquable, l’on circule d’une pièce à l’autre dans une déambulation où les surprises et les chocs se succèdent, l’esprit constamment en alerte et le plus souvent en émoi.

Rudolf Stingel à la Punta della DoganaPour l’essentiel, le parcours nous plonge dans du "lourd", que seule la grâce vénitienne semble pouvoir supporter : à L’Enfer des frères Chapman répondent les neufs gisants de marbre de Maurizio Cattelan, le couple mort peint par Marlène Dumas, ou, un peu plus loin, les squelettes en vitrine de Matthew Day Jackson. Aussi sombres soient-elles, ces œuvres n’en sont pas moins magnifiques de force suggestive et esthétique. Une émotion qui s’épanouit de tout son soûl dans le "cœur" du bâtiment, la vaste salle carrée à l’endroit de l’ancienne cour centrale, consacrée par les commissaires Alison M. Gingeras et Francesco Bonami à l’artiste italien Rudolf Stingel : trois immenses toiles au motif de grillage et un autoportrait – une photo militaire de 1976. L’espace prend tout à coup l’air à la fois de bunker, dans une évocation très forte de l’enfermement physique et mental, et de lieu de recueillement, avec ses fenêtres de toit laissant passer la lumière naturelle.

Mapping the Studio, Puntal della Dogana, VeniseL’exposition offre également des moments de détente, avec les superbes cubes scintillants de Rachel Whiteread – bien à leur place dans cette cité du verre, les photos rutilantes à l’humour mordant de Cindy Sherman, celles en noir et blanc de Hiroshi Sugimoto dédiées aux plus grands couturiers, le couple tendrement enlacé de Jeff Koons ou encore la série de 676 images publicitaires recueillies par le duo d’artistes suisses Fischli et Weiss. Mais aucune œuvre qui n’incite à la réflexion dans ce parcours très réussi.

Mapping the Studio
Venise, Punta della Dogana et Palazzo Grassi
Tous les renseignements y compris en français sur : www.palazzograssi.it

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C'est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst

expo vanites, pompeiSi c’est au XVII° siècle que les crânes apparaissent à profusion sur les tableaux de nature morte, en un genre appelé Vanités, de telles représentations de la mort sont présentes dans les maisons dès l’Antiquité.

Ainsi, à Pompéi, deux mosaïques ont été retrouvées sur ce thème. L’une montre un crâne et un papillon reposant sur une roue : le corps et l’âme livrés à la roue du destin. L’avertissement de cette allégorie macabre, certainement l’une de toutes premières de l’histoire de l’art, n’est autre que « Omnia mors adequat » (« La mort aplanit tout »).

Vingt siècles plus tard, Philippe Pasqua réinterprète le motif avec un crâne recouvert de feuilles d’argent et parsemé de grands papillons orangés, magnifique à dire vrai. Le sujet du « Memento mori » (« Souviens-toi que tu mourras ») est donc loin d’être épuisé, les artistes le réinterprétant inlassablement, en peinture, en sculpture ou en photo, comme l’exposition qui vient d’ouvrir au Musée Maillol le met en évidence.

Chronologiquement, le parcours est inversé : on plonge directement dans les œuvres contemporaines, avant de visiter les Anciens puis les Modernes. Un détail de peu d’importance, la thématique étant suffisamment explicite. Au demeurant, malgré les quelques 160 œuvres, l’exposition ne prétend pas à une représentation exhaustive des différentes périodes de l’histoire de l’art, d’autant que le sujet n’a pas été toujours aussi prisé qu’aujourd’hui.

En Europe du Nord, le contexte du XVIIème siècle, avec ses guerres de Religion favorise le développement des Vanités, où le peintre mêle crânes humains, bougies et sabliers symbolisant la fuite du temps, livres, fleurs et fruits, pour rappeler la futilité des connaissances, la corruption de la beauté et de la matière. En Europe du Sud, les peintres associent au contraire la Vanité à des scènes religieuses. Dans une petite salle, se répondent trois beaux Saint-François : celui de Caravage, en méditation, celui de Zurbaran, agenouillé, très émouvant et enfin, l’Extase de Saint François, de Georges de La Tour. Les jeux de lumière avec la clarté du crâne ressortant de l’ombre accentuent la gravité du message.

Pour l’essentiel, ces tableaux sont peu connus car issus de collections privées. Certains sont plus anecdotiques mais somme toute très frappants car ils montrent non pas des squelettes mais des cadavres en décomposition. Sur une œuvre anonyme d’un peintre espagnol, le macchabée, toutes tripes dehors est en proie à la voracité des petites bêtes, les attributs du pouvoir, sceptres, couronne, posés à ses côtés et renvoyés à leur vanité. Sur la Testa de Jacopo Ligozzi, une tête en voie de décomposition, bouche béante, est attaquée par les vers, alors que Seneta (vieillissement) est inscrit sur le cartouche inséré dans le livre… ça fait envie !

Galerie variée également du côté des oeuvres contemporaines, avec des tableaux de Miquel Barcelo, Richter, Ernst, de grande beauté ; mais aussi des crânes de Niki de Saint-Phalle, Annette Messager, et naturellement Damien Hirst.
Entre les deux périodes, un grand trou ou presque, les Vanités étaient passées de mode au Siècle des Lumières. Au siècle suivant, Géricault a traité le thème avec ses Trois crânes puis au début du XXème, Cézanne, Picasso, Braque ont eux aussi fait leurs Vanités mais leurs tableaux semblent relever d’un pur exercice de style.

Bague Codognato, Venise Mieux vaut s’attarder devant les vitrines présentant des pièces unique du joailler vénitien Codognato, famille installée près de la Basilique San Marco (elle en devint même l’orfèvre attitré), qui depuis 1866 s’inspire d’oeuvres de toutes époques pour créer des bagues et des colliers en forme de Memento Mori. Aux motifs de crânes se mêlent harmonieusement des animaux symboliques comme la salamandre, le rat ou le serpent ; au diamant et aux pierres précieuses se mêle le corail aux vertus protectrices… Des petites merveilles à ne pas louper.

"C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst"
Musée Maillol
61, rue de Grenelle, Paris 7e
Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, vendredi jusqu’à 21 h 30
Jusqu’au 28 juin 2010
De 9 € à 11 €

Images : Memento Mori, Mosaïque polychrome de Pompéi, 1er siècle, Base calcaire et marbres colorés, 41 x 47 cm, Musée national d’archéologie de Naples © Archives surintendance spéciale Beni et archologici Naples et Pompéi
Bague « Alchimie » Or, émail blanc sur or, diamants, émail, Epoque contemporaine, modèle des années 1940 Collection particulière, courtesy Codognato © Andrea Melzi

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Les décrottoirs

decrottoir, rue des Coulmiers

Ils sont bien modestes, tellement bas qu’on ne les remarque plus. Souvent il ne reste qu’un morceau de « ferraille » qui dépasse du mur, qu’on a oublié d’enlever dirait-on, qui a dû servir à quelque chose autrefois…
D’autres, pas bien nombreux, sont repeints, ils gardent encore leur forme d’origine et peuvent éveiller la curiosité du passant. Cette curiosité, alors, peut faire s’élever ces témoins discrets de la ville ancienne au noble rang de « petit patrimoine urbain ».

Les décrottoirs du quartier des Chalets à Toulouse, et ce n’est pas un bien vaste quartier, sont encore plus de 150. Certes, parfois il faut deviner, sous le métal rouillé et tordu, que cet objet bien utile a eu son heure de gloire, tout brillant du raclage des dessous de chaussures. Les rues devaient être bien boueuses il y a 80 ou 100 ans, pour que s’impose le besoin de se décrotter avant de pénétrer dans le couloir de sa maison toulousaine.
decrottoir, rue du PrintempsLe décrottoir, ici, est fiché dans le mur, à droite ou à gauche de l’entrée, parfois un de chaque côté, à quelques 15 ou 20 centimètres du sol. On grattait ses chaussures face au mur, alors que dans d’autres villes ce pouvait être fait en parallèle, parfois sur l’instrument planté dans le sol. Dans un premier temps, les décrottoirs paraissent assez divers dans leur forme. En fait, l’observation attentive permet de s’apercevoir que beaucoup ont perdu une partie de leur état d’origine au point de les rendre méconnaissables. Ils ont beaucoup souffert du vandalisme automobile, lorsqu’à l’époque de la reine Voiture ils ont été écrasés sous les roues et les pare-chocs des véhicules envahissant les trottoirs. La remontée du niveau du sol a pu les noyer à demi dans le bitume ou le pavage. La restauration des façades, quand elle n’a pas provoqué l’enlèvement de l’objet gênant, l’a parfois arrosé de crépi.

decrottoir, rue PauihacSi on en détermine l’architecture principale, on peut recomposer le type initial. Trois sont particulièrement fréquents. A défaut de connaître leur dénomination à l’époque de leur scellement, on inventera ici une typologie :
– les décrottoirs « cornes de bélier » : ils sont fixés en trois points, et c’est la « corne », située en dessous qui a pu être arrachée.
– Les décrottoirs « pomme de pin » : plus d’une vingtaine sont encore entièrement visibles.
– Les décrottoirs « farandole » : ils présentent une décoration semblable à une ronde de danseurs, les bras levés. Deux sous types coexistent, l’un rectangulaire, l’autre rond.
Les autres formes sont isolées, moins d’une dizaine sont représentées dans ce quartier.
Ils sont tout en bas, ne cherchent pas à relever la tête, mais leur fierté se dévoile quand ils se sentent reconnus.

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