Potiche. François Ozon

François Ozon, Potiche, Deneuve et Godrèche

Il faut voir Mme Suzanne Pujol – Catherine Deneuve – en survêtement rouge courant à foulées sages dans le parc, avant de rentrer non moins sagement servir le petit-déjeuner à son macho de mari, et encore en se faisant enguirlander pour avoir donné sa semaine à la femme de cuisine : voici une potiche de belle qualité, jolie, bien mise, souriante, dévouée, soumise sans état d’âme.

Et il faut voir la même, près de deux heures après, dans la scène finale du film : cheveux défaits, tailleur blanc et micro en main entonnant C’est beau la vie de Jean Ferrat (toute ressemblance avec une personnalité politique en vue ne pourrait être fortuite) : Suzanne vient d’être élue député et son sourire n’a plus rien de niais ; il est celui d’une femme épanouie, enfin rendue à elle-même.

Que de chemin parcouru ! Et avec quelle joie pour le spectateur !!
François Ozon a adapté la pièce écrite par Barillet et Grédy pour Jacqueline Maillan qui raconte comment, à la fin des années 1970, l’épouse d’un industriel, dont la vie se résume au foyer, aux enfants et à quelques pauvres poèmes, va se trouver, à l’occasion d’un conflit social, contrainte de prendre la tête de l’usine de parapluie de son époux. Et trouver là le commencement de sa réalisation et de son bonheur.

Le réalisateur de Huit femmes met les femmes une nouvelle fois à l’honneur, dirigeant ses comédiennes avec autant de soin qu’il les coiffe, les maquille et les habille. Catherine Deneuve est impressionnante : si son talent comique, ou pour jouer les maîtresses-femmes est plus qu’établi, la façon dont elle interprète la nigaude du début laisse admiratif. Il n’est pas donné à la première fine venue de composer, sans excès ni caricature, une potiche si juste.
Au plaisir du casting s’ajoute celui des répliques efficaces du boulevard dont certaines font mouche, sans compter celui de la reconstitution historique de ces années-là : costumes et décors, tout y est jusqu’aux chansons et à la R16 !
Il y a aussi l’émotion de retrouver le couple Depardieu-Deneuve ; et encore celle d’une certaine forme d’hommage au cinéma de Jacques Demy, avec l’explosion des couleurs et le ballet des parapluies, ou cette scène où Mme Pujol conseille sa fille, comme Madame Emery jouée par Anne Vernon, il y a quelques 45 ans, conseillait sa fille Geneviève, alors jouée par… Catherine Deneuve.

Potiche
Une comédie de François Ozon
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Jérémie Renier, Judith Godrèche
Durée 1 h 43
Sorti en salles le 10 novembre 2010

Photo © Mars Distribution

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The Social Network. David Fincher

The social network

Ce film procure une jubilation rare et entière : celle d’être comme une petite souris dans les coulisses du théâtre où est né le réseau planétaire réunissant, virtuellement, 500 millions d’individus : Facebook, valorisé, paraît-il, à 20 milliards de dollars. D’un côté, on parle de réseau social, de communauté humaine, d’un autre, on parle de gros, de très gros sous : toute l’ambiguïté de Facebook est là, et le film le montre magistralement.

En prenant l’angle (savoureux) du tribunal de conciliation visant à établir la part exacte de chacun dans la création du réseau, David Fincher, par flash-backs successifs, déroule l’histoire depuis son début.

La scène inaugurale annonce toute la suite. Mark Zuckerberg, étudiant à Harvard a une conversation avec sa petite amie ; elle finit par lui annoncer qu’elle le quitte. Les contours de Mark sont dès lors tracés : brillantissime, quasiment handicapé émotionnellement et extraordinairement assoiffé de reconnaissance sociale, déjà animé d’un désir de revanche. Il fait de son intelligence une arme redoutable, mettant en œuvre sa créativité, son audace, son opiniâtreté et son discernement dans le choix de ses complices au service de cette incroyable entreprise. Sa toile va très vite couvrir Harvard, puis les autres universités américaines, avant, tout aussi rapidement, de s’étendre au monde entier.
Le tout sans jamais sacrifier deux objectifs : que cela reste "cool" (= social, communautaire, sympathique) et, en même temps, que cela devienne grand, très grand : immense. Même si pour y arriver il faut au passage mentir, trahir ses amis et faire affaire avec les financiers de la Silicon Valley.
Avec sa narration efficace, ses rythmes alternés, ses gros plans édifiants, la mise en scène sert magnifiquement le propos, celui de la construction, brique après brique, d’un projet dont le dessin se décide au fur et à mesure, dans lequel Mark embarque sans états d’âme toutes les contradictions, et dont le résultat sera finalement à l’image de sa genèse : une histoire d’hommes, pour beaucoup dévorés d’ambition et de besoin de reconnaissance, à la fois amicale et minée de pièges. Comme ce tribunal de l’impossible conciliation où, malgré toute sa faconde et sa brillance, ce beau monde a du mal à dissimuler ses misères.

The Social Network
De David Fincher
Avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake, Andrew Garfield
Durée 2 h
Sorti en salles le 13 octobre 2010

Photo © Sony Pictures Releasing France

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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Woody Allen

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody Allen

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu", telle est l’une des nombreuses prédictions que Cristal fait à Helena, octogénaire désespérée d’avoir été abandonnée par son mari. C’est que le vieil homme, refusant les outrages du temps, a décidé de vire comme un trentenaire célibataire, prêt à accueillir, dans sa garçonnière flambant neuve, de jeunes beautés. Pendant ce temps, Helena s’accroche aux positifs oracles de Cristal, à son verre de scotch et à sa fille Sally. Celle-ci n’est pas des plus satisfaite non plus : son mari traînasse à la maison dans l’attente d’une hypothétique publication de son dernier roman et, alors que Sally voudrait fonder une famille, le ménage dépend encore financièrement d’Helena. Ce n’est que le début ; l’un après l’autre, chacun de ces quatre personnages va mettre les pieds dans une romance et les choses vont délicieusement se compliquer.

Avec son inénarrable sens du récit, Woody Allen fait avancer ces différentes histoires, qui toutes ensemble se tressent les unes aux autres, puisque au départ les quatre protagonistes sont bel et bien liés. A l’origine du méli-mélo dans lequel ils se jettent, il y a de la peur, de la tristesse et de l’ennui, mais que viennent chasser de fabuleuses lueurs d’espoir si ce n’est d’illusions.
Evidemment, à l’arrivée, il y aura des déceptions, voire des désillusions mais, curieusement, c’est Helena qui semble s’en sortir le mieux. Alors que, perdue, elle n’a rien voulu d’elle-même, remettant ses décisions aux bonnes divinations d’un médium de pacotille, elle trouve finalement la grâce sur son chemin… Un joli tour de plus joué par le cinéaste new-yorkais qui se moque avec tendresse des affres de la vieillesse, maltraite les hommes, aime toujours autant les femmes et, pour son quatrième film britannique n’a rien perdu de sa verve et de son désopilant sens de l’humour.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You Will Meet a Tall Dark Stranger)
Woody Allen
Avec Naomi Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin
Durée 1 h 38

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Le Triptyque de Puccini à l'Opéra national de Paris

Philippe Jordan

Trois mots pour résumer ce spectacle, la première création de la saison de l’Opéra Bastille : très belles soirée.

Il Trittico est un ensemble de trois courts opéras d’une heure, que Puccini a composés pour être joués ensemble. Nécessitant beaucoup de chanteurs, il est rarement monté, et ne l’avait d’ailleurs pas été à Paris depuis près de vingt-cinq ans.

Ces trois pièces nous plongent dans des époques fort différentes. La première, Il Tabarro, se passe au début du XXème siècle sur une péniche à Paris, où l’infidélité de la femme du marinier conduit son époux à assassiner l’amant : c’est un mélodrame à l’intérêt narratif assez limité et d’humeur franchement sordide. La deuxième se passe au XVIIIème siècle, avec l’histoire tragique de Suor Angelica, fille de haut rang qu’un pêché de chair dont est né un enfant a conduit au couvent. Remontant encore le temps, Gianni Schicchi se passe au Moyen-Age à Florence, mais apparaît certainement comme la plus actuelle : il s’agit d’une farce, et les traits dont le personnage de Gianni Schicchi fait la satire – la cupidité et l’hypocrisie d’une famille endeuillée – sont bien éternels.

Du sombre Paris populaire d’il y a cent ans au flamboiement trompeur de l’Italie médiévale en passant par la cruelle clarté du couvent, les atmosphères se suivent et ne se ressemblent pas. Les décors portent ces ruptures – gris dans Il Tabarro puis blanc et bleu ciel d’un kitsch total dans Suor Angelica, rouge et noir enfin dans Gianni Schicchi – et ne dérangent pas.

Le reste est bien mieux que cela : une qualité vocale homogène, une direction d’acteurs des plus vivantes qui soutient la curiosité et le plaisir, et une direction musicale qui fait elle aussi ressortir les reliefs et les contrastes du Triptyque. Il est si merveilleux, après avoir commencé par le plus terne, de poursuivre dans l’émotion la plus bouleversante avant de finir dans l’amusement le plus débridé, digne de la Commedia dell’arte. Il est magnifique de vibrer sous la voix touchante de Tamar Iveri pour découvrir la douceur puis la douleur déchirante de Suor Angelica ; mais aussi de se laisser séduire par un autre inconnu, Saimir Pirgu dans le rôle du fiancé dans Gianni Schicchi, jeune homme à la voix très en place, puissante et suave, et au jeu d’acteur au plaisir communicatif – il faut dire qu’il s’agit pour ce ténor albanais de 29 ans de sa première distribution à l’Opéra de Paris.
Il est divin, enfin, d’écouter Puccini joué par l’orchestre à la fois posé et pétillant de Philippe Jordan, dont les mains sublimes qui s’agitent avec grâce constituent à elles-seules un spectacle chavirant.

Le Triptyque (Il Trittrico)
Trois opéras en un acte composés par Giacomo Puccini
Opéra national de Paris
Prochaines représentations les 25 et 27 octobre 2010
A 19 h, durée 3 h 45 avec 2 entractes
Places de 5 € à 180 €

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Luca Ronconi
Décors Margherita Palli
Costumes Silvia Aymonino
Lumières Gianni Mantovanini
Chef de Chœur Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-De-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Décors et Costumes du Teatro Alla Scala, Milan
en coproduction avec Le Teatro Real, Madrid

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Laura, à moitié réelle, à moitié rêvée

Laura, Otto PremingerAvez-vous vu Laura ? Quelle que soit votre réponse, on ne sait qui envier le plus tant sa rencontre transforme ? Demandez à Waldo Lydecker, demandez à Mark McPherson, les protagonistes du film… demandez moi. Il y a tant à dire sur Laura, le film. Mais ce serait dévoiler l’intrigue. Alors je parlerai de Laura, la femme.

Laura est morte assassinée. Qui était-elle ? Pour le découvrir, le détective Mark McPherson fouille le passé. Ses relations la décrivent idéale et irrésistible. Mark est sceptique, c’est son métier. Pourtant, la vision de son portrait, un soir, le subjugue. Il s’en dégage une émotion trop forte. Le détective va utiliser son enquête pour assouvir sa curiosité et l’alcool et les cigarettes pour calmer son trouble.
Laura n’est pas une femme fatale. Elle n’en a pas le caractère vénéneux. Il n’empêche qu’on succombe à son érotisme innocent. Paradoxe direz-vous. Et pourtant. Sans qu’elle cherche rien, tous les hommes éprouvent à son contact des sentiments exacerbés. D’amour et de jalousie, même après sa mort.
Certes Laura est belle, très belle même. Son image un peu lisse aurait pu suffire pour que chaque homme y greffe ses fantasmes. Mais ces messieurs en ont vu(es) d’autres. Non, la vérité, c’est que Gene Tierney qui incarne Laura est envoutante parce que… parce que…. Au fait, pourquoi l’est-elle à ce point ?
À moitié réelle, à moitié rêvée, Laura je vous l’ai dit, transforme. À son contact, le faible devient fort, le cérébral devient impulsif, le romantique devient cynique. Et vice versa. On veut la posséder mais elle décide de tout. Belle, intelligente, sensible, moderne, Laura est un des plus beaux portraits de femmes de l’histoire du cinéma. Moi, comme Waldo, comme Mark, comme Shelby Carpenter (Vincent Price, second rôle de luxe), et comme tous ceux qui l’ont vu, nous effaçons devant elle. Mais pour vivre plus fort.

Revenons au film. Dans sa forme, il est un modèle de maîtrise. Sa construction rigoureusement symétrique nous donne à voir Laura, d’abord à travers les yeux de Waldo Lydecker, puis à travers ceux de Mark McPherson. Hormis leur assurance et un même amour pour Laura, tout les oppose, de leurs manières à leurs destinées en passant par leur physique. La première scène du film est éloquente à ce sujet. Waldo (vous n’oublierez pas de sitôt Clifton Webb), intellectuel, brillant, arrogant et influent est confronté à Mark (Dana Andrews dans son meilleur rôle), un être taciturne et désabusé qui ne s’en laisse pas conter. Dans le deuxième acte du film, qui lui aussi se divise en deux parties, il faut voir Mark se débarrasser de sa douleur pour renaître à la vie, dans une trajectoire inverse à celle de Waldo.
Pour combler votre plaisir, pensez aussi à admirer les cadrages et lumières du débutant Joseph LaShelle (oscar), reconnaissez le thème musical de David Raksin et surtout, savourez l’intelligence des dialogues de ce film qui commence sur cette phrase culte pour tout cinéphile : « I shall never forget the weekend Laura died ». Tout est dit.

Laura (Laura)
Film noir d’Otto Preminger
Avec Gene Tierney, Dana Andrews, Clifton Webb
Durée 1 h 25
Sorti le 11 octobre 1944

© Action Cinémas / Théâtre du Temple

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Tournée. Mathieu Amalric

Tournée, Mathieu Amalric

Voici le film français le plus remarquable vu depuis un sacré bout de temps. Un de ces superbes moments de cinéma qui nous cueillent quand on ne les attend plus.

L’histoire n’est en réalité qu’esquissée – et ce flou même, qui est aussi celui de la caméra d’Amalric parfois, participe à la poésie folle du film : on sait peu de la vie Joachim Zand, producteur de spectacles joué par Mathieu Almaric soi-même. Lors de son escapade parisienne désespérée, entreprise pour trouver une salle, le voilà contraint de croiser son passé dont il n’a que des bleus à recevoir. Son frère lui voue une haine féroce – scènes magnifiques, si l’on ose dire, sur la rivalité fraternelle –, le monde de la télé dont il vient lui présente ses lettres de créance avec violence, son ex lui sert un plateau de reproches avec une douceur décapante, ses fils lui rappellent par leur seule existence d’enfants qu’il a aussi des devoirs de père.
On n’en saura pas plus sur sa vie au fil de ces heures à fond de train, entre verres et cigarettes, toujours border line, toujours en danger. Et puis il rejoint sa troupe. La troupe de sa tournée. De véritables strip-teaseuses venues des Etats-Unis, que Mathieu Amalric a découvertes en France, dans leur spectacle de New Burlesque où les danseuses inventent leur show, choisissent leurs costumes, jouent de l’humour et de la sensualité dans leurs corps hors norme, débordant des canons esthétiques.

Puisque ces danseuses existent vraiment, puisque le cinéaste a réellement filmé leur tournée, on peut parler de documentaire. Mais l’idée est troublante, car à l’écran l’on voit avant tout une histoire au plus beau sens du terme, une fiction, une incarnation romanesque. Des filles grosses et belles qui s’éclatent sur scène et n’arrivent pas à aller se coucher, à se séparer, à affronter le silence et la solitude. Un manager qui leur en promet, les déçoit, mais dont elles savent qu’elles sont pour lui les seules bouées. De ce décalage avec le prosaïsme, l’uniformité et l’aseptisation de la société, de cette mélancolie entêtante qui les réunit tous, combattue par la tendresse, le rire et le mouvement incessant, Mathieu Almaric semble avoir créé un monde, dont il nous montre comme par effraction trois longues nuits et journées, et dont même les apartés, tapant en plein mille, sont des perles inespérées.

Tournée
Un film français de Mathieu Amalric
Avec Mathieur Amalric, Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Roky Roulette, Kitten on the Keys, Evie Lovelle, Julie Atlas Muz
Durée 1 h 51
Sorti le 30 juin 2010

Photo © Le Pacte

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Tamara Drewe. Stephen Frears

Tamara Drewe Stephen FrearsCe fut LA comédie de l’été. Anglaise jusqu’au bout de l’humour. Verte campagne du Dorset bien peignée, parfaitement britannique. Jolie résidence d’écrivains, avec l’hôtesse-fermière en tablier à fleurs sur sa robe à carreaux coordonnée (ou l’inverse), qui confectionne avec soin de gros gâteaux dans sa cuisine aux reflets cuivrés. Un universitaire frustré en mal de reconnaissance les engloutit avec bonheur pour se consoler de ne point arriver à écrire. Le mari de l’impeccable fermière enchaîne lui les best-sellers, récolte le succès un brin blasé, et se venge de tout cela en courant le jupon avec non moins de succès. Deux adolescentes du cru s’ennuient à périr, passent le temps en épiant la vie du village, mais comme c’est bien peu, vont chercher le frisson en effleurant les pages des magazines people où, là au moins, s’étalent de beaux gosses.

Tel est le cadre bien planté dans lequel déboule la belle Tamara Drewe (Gemma Arterton), une fille du pays à l’époque peu gracieuse mais dont le nez raccourci et les jambes allongées sous son mini short ont fait d’elle une fille devenue irrésistible. Tous succombent, magazine people compris, et voilà la zizanie répandue aux quatre coins du domaine, pour le plus grand bonheur (enfin presque) de nos deux ados : adieu l’ennui !

Le spectateur est à la fête tout du long. Le scénario sans répit se déroule comme par magie malgré ses imperfections. Les dialogues se boivent comme du petit lait. Le trait satirique ne manque ni d’esprit ni de souffle. Et l’amour vrai fini par trouver sa place, quand le gougnafier prend les coups qu’il mérite : c’est que dans ce pays-là, les vaches savent rendre justice !

Tamara Drewe
Un film britannique de Stephen Frears
Avec Gemma Arterton, Roger Allam, Bill Camp
Durée 1 h 49
Sorti le 14 juillet 2010

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Crime d'amour. Alain Corneau

Crime d'amourElles sont belles, intelligentes et mènent grandes carrières dans une entreprise internationale.
L’une est presque arrivée au faîte de sa gloire, avec peut-être un poste en vue à Washington : c’est Christine, interprétée par Kristin Scott Thomas, cynique maniant la glace et le feu pour arriver à ses fins. L’autre, Isabelle, est sa subordonnée, cadre supérieur aussi brillante que jeune, incarnée par Ludivine Sagnier. Entre les deux femmes, le jeu de séduction et de pouvoir fonctionne à merveille, jusqu’à ce que les masques tombent, à l’épreuve du monde impitoyable des affaires. Trahie, blessée, Isabelle ne le supporte pas et s’apprête à commettre le pire.

Histoire de vengeance très finement élaborée, Crime d’amour est un très bon polar à l’ancienne, avec placement d’indices, égarement du spectateur puis méticuleuse reconstitution des faits. Ce que l’on voit dans la seconde partie – certes peut-être un peu lente – est une démonstration de la puissance de l’intelligence au service de la machination. La première partie est, elle, plus riche sur le plan social, où le tableau des relations de travail et financières est brossé avec beaucoup d’efficacité. Les actrices forment un duo redoutable ; excellentes l’une comme l’autre. Si le talent de Kristin Scott Thomas est depuis longtemps établi, Ludivine Sagnier continue d’étonner film après film par la palette de son jeu.

Crime d’amour
Un thriller d’Alain Corneau
Avec Kristin Scott Thomas, Ludivine Sagnier, Patrick Mille
Durée 1 h 44
Sorti le 18 août 2010

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Copacabana. Marc Fitoussi

Copacabana de Marc FitoussiC’est sous le ciel gris de Tourcoing que Babou l’exubérante, la pétillante, la colorée a fini par poser ses valises avec sa grande fille, après l’avoir trimballée sur tous les continents. Esméralda, lassée de l’épuisante fantaisie de sa mère, étudiante sage, aspire au bonheur conjugal bien rangé avec un jeune cadre commercial insipide.
Elle annonce son projet à sa mère et, dans le même élan, lui intime de ne pas venir à son mariage : trop délurée, trop fauchée, pas présentable. Blessée au vif malgré son infaillible répartie, Babou part travailler à Ostende pour prouver à sa fille qu’elle est capable de gagner sa vie comme tout le monde et de payer sa part du mariage.

Babou l’ex-baba à Ostende hors saison (ciel blanc et tourisme vieillissant), en train de vendre des appartements en multipropriété (coquette illustration des arnaques du capitalisme), pour une société qui en matière de gestion des ressources humaines ne recule devant rien pour placer sa camelote via des salariés aux abois (mensonges, humiliations, compétition sauvage) : la situation est pour le moins cocasse. La comédie fonctionne à merveille. Isabelle Huppert, dont on connaît l’étendue du talent dans le registre dramatique, s’avère tout aussi à son aise dans celui de l’humour.
Elle campe un personnage guidé par ses seuls désirs et plaisirs, en apparence égocentrique, mais dont la générosité profonde se dessine peu à peu. Sa fille – dans le film comme à la ville – Lolita Chammah, joue Esméralda avec beaucoup de justesse, jeune femme à la fois effacée, en colère et très aimante. Les seconds rôles, féminins (Aure Atika, Noémie Lvovsky, Magali Worth) comme masculins (Luis Rego en particulier) participent de la totale incarnation de cette histoire improbable, mais dont les ressorts affectifs, économiques et sociaux sont criants de vérité.

Copacabana
Un film français de Marc Fitoussi
Avec Isabelle Huppert, Lolita Chammah, Aure Atika, Noémie Lvovsky, Magali Worth, Luis Rego
Durée 1 h 47
Sorti le 7 juillet 2010

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La vie est belle, avec Ben

La vie est belle, Frank Capra

Maglm m’invite à produire un billet de mon choix. Sur le cinéma, ai-je cru comprendre malgré tout. Alors, audace de timide, je choisis pour mon baptême d’écrire sur un « classique ». Osons ! Moteur !

George Bailey n’y croit plus. George Bailey veut mourir. George Bailey s’apprête à se jeter dans le fleuve. Clarence, un ange de seconde classe (comprendre, sans ailes encore) est dépêché sur Terre pour ramener George Bailey à de meilleures intentions. Son stratagème est le plus compliqué et le plus beau qui soit : montrer à George le monde tel qu’il aurait été s’il n’avait pas existé. George. Un gars simple, plein de rêves, plein d’amour, idéaliste dans un monde en crise (voir la saisissante séquence du Jeudi noir ). Un gars combatif mais peu à peu usé par le poids des responsabilités. Un gars riche d’une famille soudée et d’amis nombreux, mais rongé par la frustration. Un gars à la fois banal (mais pas médiocre) et exceptionnel (mais pas sans défauts). Un monsieur-tout-le-monde en somme. Son monde est le nôtre et le film nous suggère de ne pas oublier de l’apprécier. Véritable déclaration de foi envers les hommes, il nous montre aussi que l’accomplissement personnel et le bonheur peuvent prendre des voies détournées.

Bercé d’angélisme. Naïf. Tout cela a été dit du film. Une fois vos larmes séchées (j’exclus d’emblée la possibilité de ne pas avoir les yeux embués), vous culpabiliserez de votre « sensiblerie ». Mais vous aurez tort. Laissez-vous emporter par un lyrisme que plus personne aujourd’hui n’oserait assumer. Naïf ? Ce serait négliger la noirceur du film. Certes, le réalisateur sait ce que « happy end » signifie. Et alors ? Pour forcené qu’il soit, son optimisme n’est pas sans faille. Il laisse entrevoir un possible univers de désolation. Après tout, sans George ou sans l’apparition providentielle de son ange gardien, le cauchemar serait la réalité. Naïf donc ? Non, définitivement non. Alors quoi ? Émouvant ? Inquiétant ? Le film vous en apprendra sur votre humeur. Confrontez-vous à lui.

J’ajoute. Quand un film passe à ce point les époques, quand chacune de ses visions s’enrichit des précédentes et prépare les suivantes, quand la forme et le fond sont au diapason (ah, son noir et blanc !), quand la réflexion qu’il suscite dispute à l’émotion qu’il procure, quand il contient en lui les ressources pour accompagner les difficultés d’une vie, il vaut d’être connu. Un chef d’œuvre se distingue par sa capacité à éclairer et à se laisser approprier par le plus grand nombre. C’est ma définition. C’est aussi mon jugement sur le film. Je le dis après tant d’autres, parfois très illustres.

Le film ? Il date de 1946. C’est « La vie est belle » de Frank Capra. Il donne ses lettres de noblesse à la comédie dramatique et rappelle que les contes ne sont pas que pour les enfants. George Bailey ? C’est James Stewart. Avec ce seul film, il montre l’étendue de son talent. Discret mais immense.

La vie est belle (It’s a Wonderful Life)
De Frank Capra
Sorti le 10 décembre 1947
Avec James Stewart, Donna Reed, Henry Travers
Durée 2 h 09

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