A la fameuse matinée Guermantes, au cours de laquelle des réminiscences successives lui donnent enfin la clé du livre à écrire, le narrateur est frappé par la transformation physique des convives qui, comme lui, pendant ces longues années où il ne les a pas vus, éloigné de Paris qu’il était dans une maison de santé, ont terriblement vieilli.
Mais si ces êtres, qui l’ont entouré tout au long de sa vie, ont changé avec l’âge, il voit bien aussi ce qui en eux est resté identique.
« Revisitant » ces personnages, il se rend compte que chacun d’eux a joué, à différentes époques de sa vie, des rôles fort différents :
Et combien de fois ces personnes étaient revenues devant moi au cours de leur vie, dont les diverses circonstances semblaient présenter les mêmes êtres, mais sous des formes, pour des fins variées !
Mais malgré cette diversité, ils ont fini par constituer un tout, peut-être la trame de sa vie :
Et la diversité des points de ma vie par où avait passé le fil de celle de chacun de ces personnage avait fini par mêler ceux qui semblaient le plus éloigné, comme si la vie ne possédait qu’un nombre limité de fils pour exécuter les dessins les plus différents.
Une simple relation mondaine, même un objet matériel, si je le retrouvais au bout de quelques années dans mon souvenir, je voyais que la vie n’avait pas cessé de tisser autour de lui des fils différents qui finissaient par le feutrer de ce beau velours inimitable des années, pareil à celui qui dans les vieux parcs enveloppent une simple conduite d’eau d’un fourreau d’émeraude.
Malgré l’évolution des situations et des relations, notamment la fréquentation régulière de personnages « divinisés » par le narrateur, qui les a finalement rendus à leur prosaïsme, l’auréole de mystère dont il les entourait avant de les connaître demeure intacte dans le passé :
C’est pendant des années que Bergotte m’avait paru un doux vieillard divin, que je m’étais senti paralysé comme par une apparition devant le chapeau gris de Swann, le manteau violet de sa femme, le mystère dont le nom de sa race entourait la duchesse de Guermantes jusque dans un salon : origine presque fabuleuse, charmante mythologie de relations devenues si banales ensuite, mais qu’elles prolongeaient dans le passé comme en plein ciel, avec un éclat pareil à celui que projette la queue étincelante d’une comète.
Excellent week-end et excellente lecture à tous.
En découvrant enfin le livre qu’il doit écrire (cf. billets du
Après de longues années passées loin de Paris dans une maison de santé, c’est en se rendant à une matinée chez le prince de Guermantes que le narrateur découvre, en retrouvant le temps perdu, le livre qu’il a à écrire.
En buttant, à Paris, sur deux pavés mal équarris, le narrateur a revécu la sensation de bonheur qu’il avait éprouvée bien des années auparavant à Venise.
Le narrateur prend conscience que pour saisir les moments de félicité qu’il a éprouvés furtivement à l’occasion de ses réminiscences – tel l’instant où il a butté sur deux pavés inégaux dans la cour de l’hôtel des Guermantes, ou celui où il a goûté d’une petite madeleine trempée dans du thé lorsqu’il était enfant – bref, pour rechercher ce temps perdu, il devra écrire « son livre ».
En réfléchissant sur le sentiment de félicité qui l’envahit lors de ses réminiscences, lesquelles le font revivre les sensations heureuses de son voyage à Venise ou encore de son enfance à Combray, le narrateur réalise que ce n’est que dans ces moments « extra-temporels » qu’il touche l’essence des choses.
Dans les instants furtifs mais d’intense félicité de ses réminiscences, telle celle provoquée par la petite madeleine, le narrateur a compris qu’il touchait enfin à l’essence des choses, non pas à celles vécues – sa vie ne lui a procuré que des désillusions – mais à celles qui sont en lui-même.
A la toute fin de A la recherche du temps perdu, alors qu’il est malade et craint de ne pas avoir la force d’écrire son oeuvre, le narrateur évoque ce moment de réminiscences où, lorsqu’il était dans l’hôtel des Guermantes, un tintement de sonnette lui fit "entendre" celui qui, quand il était enfant, à Combray, marquait le signal du départ de M. Swann que ses parents venaient de raccompagner à l’entrée du jardin, c’est-à-dire celui du moment où il pourrait embrasser sa mère avant de dormir.
Revenu à Paris après de longues années passées en vain dans une maison de santé, le narrateur, qui a perdu tout espoir d’écrire, notamment en perdant, plus généralement, toute foi en la littérature, se rend à une matinée chez le prince de Guermantes.
Alors qu’il se rend à une matinée, le narrateur, trébuchant sur deux pavés disjoints de la cour de l’hôtel des Guermantes, éprouve la même et heureuse sensation qu’il avait connue, bien des années auparavant, sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc à Venise.