El Greco au Grand-Palais

Quelle merveilleuse exposition à aller voir au Grand-Palais avant qu’elle ne ferme ses portes le 10 février ! Il s’agit de la première grande rétrospective consacrée au Greco (1541-1614) à Paris… Cela paraît incroyable, mais la patience de ses admirateurs est largement récompensée. Aussi simple qu’efficace, le parcours, monté sur de grands murs blancs, présente quelques soixante-dix peintures augmentées de dessins et tableaux d’élèves – ceux-ci anecdotiques. Organisés en un ordre globalement chronologique, qui préserve la réunion, logique, de « séries », les tableaux sélectionnés Guillaume Kientz et Charlotte Chastel-Rousseau sont tous de haut vol.

Et on s’envole vers des sommets de spiritualité. A l’exception des « Fables », et de quelques portraits, l’ensemble illustre le Nouveau Testament (Greco est contemporain du Concile de Trente et de ses suites) : des Vierge, des Marie-Madeleine, Saint-Pierre et Saint-Paul, l’Adoration des Mages, l’Adoration des Bergers, Jésus chassant les marchands du Temple, Saint-François recevant les stigmates (le saint le plus représenté par le Greco), Saint-Martin et bien sûr le Christ.

Cardinal Fernando Niño de Guevara, 1600-1601, Metropolitan museum of art, New York

Né en Crête, commençant sa carrière à Venise dans le sillage de Véronèse, Titien, Tintoret, Basano (difficile alors d’y faire sa place), il poursuit sa route par la Rome de Michel-Ange (compliqué aussi) pour finalement gagner Tolède, alors plus importante cité de Castille. Là, il reçoit des commandes, installe son atelier, peint notamment son fameux Enterrement pour le comte d’Orgaz pour la chapelle Santo Tomé et surtout, commande royale, Le songe de Philippe II.

Succès modeste de son vivant, oubli complet après sa mort. Il faudra attendre la fin du XIX° et les révolutions picturales d’alors pour le redécouvrir. Picasso, Bacon, les Expressionnistes allemands l’adorèrent. On comprend pourquoi. Ses couleurs, empreintes de l’école vénitienne, elles ont un acidulé d’une modernité saisissante. Si certaines de ses compositions sont fracassantes (la Sainte-Famille notamment), ce qui frappe le plus est l’expression de ses personnages. A-t-on vu Vierge plus consentante, emplie, que la Vierge de l’Annonciation peinte à ses débuts ? A-t-on vu des Christ plus poignants, sans cet excès de dolorisme parfois reproché aux Maniéristes ? Et que dire des saints, en particulier Saint-François qui ferait s’agenouiller un morceau de bois ?

Ces tableaux sont tous magnifiques, viennent le plus souvent des Etats-Unis, de Tolède ou d’ailleurs. Encore quelques jours pour en profiter à Paris tant qu’ils y sont réunis.

El Greco

Grand-Palais

Jusqu’au 10 février 2020

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Le rêveur de la forêt. Musée Zadkine

Dès l’entrée de ce musée intimiste, les œuvres de Zadkine, longs personnages de bois, sans tête, en forme de totems, rassemblés sur le même socle, évoquent la forêt. La thématique de l’exposition vient des mots mêmes de l’artiste (1888-1967), qui a sculpté le bois en laissant la matière exister après le passage du ciseau.

Parmi les quelques quarante artistes représentés ici, des plus anciens (Rodin, Gauguin…) aux plus jeunes (Hicham Berrada, Ariane Michel…), les rapports de l’humanité à la forêt se déclinent en plusieurs versions, suscitant la réflexion du visiteur d’aujourd’hui, qui a ainsi l’occasion de rêver à la place qu’il occupe dans une nature formatrice.

Pour Zadkine ou Giacometti le rapport est étroit entre les hommes et la forêt, par une représentation analogique : le second façonne des personnages-arbres, tandis que le premier fait surgir les corps des troncs. Avec le « Torse » Zadkine montre bien que c’est l’humanité qui reconnaît sa parenté avec les arbres. Laure Prouvost insiste en greffant des seins sur les branches.

Ce sont les productions de l’arbre qui intéressent d’autres plasticiens : une feuille d’aucuba est mise en valeur par Marc Couturier, tandis que Dubuffet signe un tableau d’écorces et de feuilles (« Chaussée boiseuse ») et Germaine Richier fait des ramures et du feuillage une chauve- souris. L’énergie dont fait preuve la croissance végétale est soulignée par les œuvres d’Arp, d’Hicham Berrada ou de Giuseppe Penone : celui-ci enserre l’arbre par une main de bronze et le laisse croître autour de la main.

Certains artistes éloignent la forêt de l’humanité : difficile de faire entrer les humains dans les forêts d’Hicham Berrada ou d’Eva Jospin, parce qu’elles semblent parfaitement se passer d’eux ou parce qu’elles apparaissent impénétrables. La « Dernière Forêt » de Max Ernst, envahie par les formes végétales n’a pour témoin que la lune.

Passé dans l’atelier de Zadkine en traversant le jardin, à côté d’autres œuvres, on retiendra l’installation d’Ariane Michel : une vidéo aux tons sombres montre un homme imitant les bruits de la forêt, la nuit, à l’aide de divers instruments. On retrouve ceux-ci déposés au pied de l’écran, la plupart objets d’un quotidien trivial qui contraste fortement avec l’image des mystères de la forêt, la nuit. Si la forêt est inimitable, c’est qu’elle est irremplaçable.

Andreossi

Le rêveur de la forêt

Musée Zadkine

100bis rue d’Assas Paris

Jusqu’au 23 février 2020

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Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo au Palais des Papes

Pour cet artiste dont les galeries sont les murs des villes il peut paraître paradoxal d’être exposé à l’intérieur de la Grande Chapelle du Palais des Papes en Avignon. Pourtant il fallait bien présenter un jour ce parcours artistique de 60ans pour mesurer l’importance d’une œuvre par définition dispersée, mais présentant une très grande cohérence.

Ernest Pignon-Ernest explique sa découverte d’une photo d’Hiroshima « où l’on voit que l’éclair atomique a brûlé le mur, décomposant un passant dont il ne reste que l’ombre portée, littéralement photogravée, pyrogravée sur la paroi ». C’était en 1966 et depuis il n’a cessé d’utiliser les murs pour y apposer des dessins de corps en lien avec une préoccupation politique et sociale. Et toujours les lieux où il colle ses sérigraphies sont soigneusement choisis en fonction du sens qu’il donne à son propos.

Pour cet art éphémère (car l’affiche sur les murs se dégrade vite) la photographie est nécessaire pour rendre compte du travail réalisé. Du coup on comprend que l’œuvre est l’ensemble de ce que l’artiste propose : dessin, mur, ville, photo sont inséparables. La force qui se dégage des dessins tient, on le voit bien dans cette exposition, à l’alliance entre lieu et images des corps.

Ainsi la souffrance représentée des femmes avortées dans la clandestinité renvoie à la loi répressive par le biais de la mention « Défense d’afficher » à côté du dessin. La dénonciation des accidents du travail, aussi dans les années 70, par le portrait d’un homme touché à la tête, est d’autant plus marquante que le mur support est crevassé. Il aurait fallu piétiner les corps des fusillés de la Commune pour monter les marches du Sacré Cœur à Paris.

Les interventions d’Ernest Pignon-Ernest réveillent les consciences aussi bien à Alger avec le portrait de Maurice Audin, « disparu » à 25 ans sous les coups des militaires français, en Afrique du Sud avec cette émouvante femme portant un homme dans ses bras, par les images de celles et ceux qui sont passés par la prison Saint Paul de Lyon durant l’Occupation, ou bien encore en affichant la solitude contemporaine dans les cabines téléphoniques.

Le classicisme de son trait entretient le lien avec la peinture des musées, et c’est à Naples qu’il a évoqué le plus explicitement cette reconnaissance par la reprise en particulier d’œuvres du Caravage. C’est l’occasion pour cette exposition de présenter aussi les travaux préparatoires de l’artiste, qui montrent la précision de sa recherche afin d’obtenir le résultat le plus saisissant.

Andreossi

Ernest Pignon-Ernest, Ecce homo,

Avignon, Palais des Papes jusqu’au 29 février 2020

 

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En France. Marius-Ary Leblond

Ce sont deux cousins Réunionnais qui se cachent derrière ce pseudonyme de Marius-Ary Leblond qui obtint le Goncourt en 1909. Le titre est quelque peu trompeur, tant le récit ne concerne de la France que sa capitale, ville où un jeune créole vient effectuer ses études en ce début du XXème siècle. Paris est le lieu de toutes les découvertes, d’une forme de la civilisation « moderne » à une éducation sentimentale qui ouvre de larges horizons.

La banalité du thème est compensée par une grande finesse d’observations sur cette société qui va disparaître avec la guerre de 14-18, et par un style très agréable à lire. L’intégration du jeune Claude à la vie parisienne passe d’abord par les déambulations dans les rues de la capitale, et il est significatif de comparer ses deux visions d’un monument à quelques mois d’intervalle : « Notre-Dame, c’est cela Notre-Dame ? noir sali de blanc comme par des déjections d’immenses vautours, enfoncé dans l’asphalte et ressemblant ainsi à une grosse tortue, sans marches, silencieuse comme une ruine ». Plus tard : « Notre-Dame à droite, somptueusement soutenue dans un massif velouté de branchages vermeils, portée comme une châsse, s’élevait dans son luxe de dentelles de pierre aux tons d’argent et de diamant bleu, joyau séculaire resplendissant au printemps ».

C’est la diversité des types sociaux, inconnue sur son île natale, qui le surprend le plus. Par exemple des travailleurs Blancs : « Des ouvriers se pressaient, traînant la savate mais la figure fière, moustaches relevées, le coin d’œil galant ; (…) Claude, attendri, regardait, le cœur fraternel et neuf, ces gens qui étaient des travailleurs et qui étaient en même temps Blancs : habitué à voir réservés aux Noirs les ouvrages manuels, la dignité s’en relevait à ses yeux ».

Les portraits de ses collègues étudiants et des jeunes filles qu’il rencontre sont peints avec intelligence. Du côté des premiers : « A cette heure tous ses camarades continuaient de mener assez vivement leurs études, gais, confiants, même vantards, car en général ils se sentaient tous de la valeur rien que d’être à Paris ».

Du côté des jeunes filles, l’accent est mis sur les inégalités de conditions, entre des hommes aisés et des jeunes femmes cherchant à améliorer leur situation par l’éventail des liens aux hommes qui va de la prostitution au mariage. C’est le temps des mondaines, demi-mondaines, cocottes…, avec le risque de l’abandon pour cause de maternité : « Cependant c’était bien, authentiquement, à Paris la grande ville populaire, un abandon lâche de mère et d’enfant par un jeune homme de la bourgeoisie aimable et intelligent… ».

Un Goncourt oublié, qui fourmille d’observations pertinentes.

Andreossi

En France. Marius-Ary Leblond

 

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Le testament français. Andreï Makine

C’est Charlotte qui a séduit le jury du prix Goncourt 1995. Elle est l’attachante grand-mère du narrateur du « Testament français », celle qui été si importante pour lui dans sa passion pour la langue grand maternelle, pour la littérature française, et au bout du compte pour l’écriture.

Charlotte, qui a passé sa jeunesse en France, accueille tous les étés ses petits-enfants dans son village de Sibérie. Le narrateur est fasciné par les récits de ses souvenirs et par les documents qu’elle extraie d’une vieille valise, photos et vieux journaux du début du vingtième siècle, ou les petits cailloux enveloppés dans des papiers qui portent les noms de villes françaises. L’inondation de Paris de 1910, la mort du président Félix Faure dans les bras de sa maîtresse, la visite du couple tsariste dans la capitale française sont les éléments-clés que retient le jeune garçon.

Et le lecteur est conquis par la puissance d’évocation dont fait preuve Makine pour nous faire vivre l’intensité de ces étés avec Charlotte. Le roman est un éloge au pouvoir de la langue : « La langue, cette mystérieuse matière, invisible et omniprésente, qui atteignait par son essence sonore chaque recoin de l’univers que nous étions en train d’explorer ».

Très habilement l’auteur intègre les éléments de la vie de Charlotte, que le jeune garçon reconstitue, dans l’histoire de l’URSS, de la Révolution de 1917 à la chute de l’empire soviétique. Mais l’adolescent comprend que tout ne peut pas être connu de la biographie de sa grand-mère : « L’indicible ! Il était mystérieusement lié, je le comprenais maintenant, à l’essentiel. L’essentiel était indicible. Incommunicable. Et tout ce qui dans ce monde, me torturait par sa beauté muette, tout ce qui se passait de la parole me paraissait essentiel ».

A cheval entre deux cultures, la russe et la française, il reconnaît dans la langue de sa grand-mère « cette langue d’étonnement par excellence », et a appris avec Charlotte « cette mystérieuse consonance des instants éternels », ce qui ouvre aux potentialités de l’écriture : « Il fallait, par un travail silencieux de la mémoire, apprendre les gammes de ces instants. Apprendre à préserver leur éternité dans la routine des gestes quotidiens, dans la torpeur des mots banals. Vivre, conscient de cette éternité… »

Mais le livre est aussi un roman, avec son lot de tragédies, et de révélations finales. La figure de Charlotte restera le modèle d’un « mystérieux regard français ».

Andreossi

Le testament français. Andreï Makine

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Les eaux mêlées. Roger Ikor

La thématique du Goncourt 1955 fait écho à une question de la France d’aujourd’hui, celle de l’intégration des migrants. « Les eaux mêlées » se lit dans la suite de « La greffe de printemps », roman qui s’attache à suivre le parcours de Yankel Mykhanowitzki , parti de sa Russie natale avant la guerre de 14-18 pour fuir misère et pogrom, et se fixer à Paris comme casquettier. Le romancier nous plonge dans l’intimité d’un personnage qu’il sait rendre particulièrement attachant.

Ce sont finalement quatre générations de cette famille juive dont on suit les manières différentes de se mêler à la société française. Car Yankel est d’abord rejoint par sa femme et sa fille, puis par ses parents. Alors que son ambition était de devenir aussi français que possible, son épouse et son père, très accrochés à leur culture et leur religion, le poussent à revenir dans le quartier juif. La tension n’empêche pas les arrangements, mais ce n’est pas simple pour Yankel : « Parmi les Français, il regrettait la simplicité honnête et sans histoires de ses compatriotes ; parmi ceux-ci, vite agacé, il n’aspirait qu’à revenir vers les Français si largement ouverts sur le monde et la vie ».

Dans « Les eaux mêlées » il est davantage question des générations suivantes, des enfants et petits- enfants de notre héros. Yankel est fier du certificat d’études de son fils : « Voilà, Simon est vraiment français à présent ». Mais lorsque ce dernier choisit une épouse catholique, son père ne peut s’empêcher de penser : « Une juive, n’est-ce pas, c’est déjà une garantie ; les juifs sont des gens honnêtes, propres, simples. Naturellement, parmi les chrétiens aussi il y a d’honnêtes gens ; mais enfin on ne sait jamais. Et puis, même en écartant les mauvaises femmes, restent les innombrables sottes à cervelle d’oiseaux ; en tout goy sommeille le vieil antisémitisme, et il faut déjà un minimum d’intelligence pour ne jamais le laisser manifester ».

Arrive la période noire de l’Occupation. Une partie de la famille parvient à se cacher dans le sud de la France, tandis que d’autres périssent dans les camps nazis. Un petit-fils de Yankel est fusillé par les Allemands. Les réactions à la montée du nazisme ont été aussi différentes. Tandis que le fils Simon ne trouvait pas à s’inquiéter, le père n’était pas dupe : « Il ne savait pas que, comme le pigeon a le sens de l’orientation et la mouette le sens de la tempête, son père avait le sens du pogrom. En Simon, ce sens atavique s’était émoussé, sous l’effet de la France ».

Andreossi

Les eaux mêlées. Roger Ikor

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Histoire d’un fait divers, Jean-Jacques Gautier

La lecture du Goncourt 1946 nous montre comment l’interprétation de l’assassinat d’une épouse par son conjoint a évolué dans les esprits. Dans l’Histoire d’un fait divers Jean-Jacques Gautier s’évertue à faire comprendre la quasi légitimité de Lucien à tuer Fernande ! Pourtant le lecteur d’aujourd’hui peut découvrir ce que cet acte suppose de rapports asymétriques entre les hommes et les femmes.

L’auteur du roman, parti d’un fait divers réel, remonte le temps pour nous faire le portrait de Lucien, que l’on sait meurtrier dès le départ. Trois mariages se sont succédés pour lui : d’abord avec Léonie, qui a de l’ambition, qui entraîne le couple à Paris, mais l’union se termine dans la violence ; puis avec Germaine, dans une relation sans passion qui donne deux enfants, « Germaine la brave femme qu’il lui fallait, pas compliquée, pas méchante, courageuse, attentive à faire plaisir », mais qui meurt ; enfin avec Fernande, bien plus jeune que lui, avec laquelle la relation amoureuse est fondée surtout sur l’aspect physique.

Trois portraits de femmes différentes dont une seule a vraiment été choisie par Lucien, celle qu’il tue parce qu’elle lui échappe : l’auteur en fait une femme superficielle, qui veut une vie agréablement faite d’argent, et des toilettes et sorties qui vont avec. C’est le même Lucien avec les trois : modeste, ouvrier, pauvre type sans éducation. C’est en fait sa propre faiblesse devant la force de Léonie ou de Fernande qui le déstabilise. Léonie : « elle vous débite les arguments avec une facilité, une surabondance, une volubilité sèche qui, très vite, ahurit son mari ». Fernande le renvoie à sa petitesse sociale : « J’aimerais bien, pour peu que j’en ai les moyens, aller me balader, sortir, voir du monde, me faire faire les mains au lieu de me les esquinter à récurer les casseroles, moi aussi… seulement voilà… Monsieur rapporte juste de quoi manger ».

Jean-Jacques Gautier ne s’intéresse pas aux différences de place sociale qui distinguent les unes des autres, qui font qu’une femme docile est préférable à une femme ambitieuse. Il argumente selon le schéma classique de l’alliance entre la colère, élément psychologique de fond chez Lucien, et l’alcool, artifice qui devrait permettre de supporter ses faillites. Mais ce n’est pas seulement ce mélange qui pousse à l’assassinat, c’est la volonté de l’emprise sur l’autre qui veut vivre sa vie.

Si l’ambiance imaginaire du roman est de son époque, l’écriture est plutôt efficace et peut hélas entraîner le lecteur à davantage comprendre Lucien que ses compagnes.

Andreossi

Histoire d’un fait divers, Jean-Jacques Gautier

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Les enfants gâtés. Philippe Hériat

Le Goncourt 1939 nous fait entrer dans le milieu de la haute bourgeoisie parisienne par le biais d’une thématique centrale pour cette classe, le mariage. La narratrice nous raconte son histoire de fille plutôt indocile, incapable toutefois de rompre avec les siens à cause de ce qu’elle appelle justement le marquage familial Boussardel.

Partie pour quelques semaines, Agnès reste deux ans aux Etats-Unis car elle est tombée sous le charme de Norman. Elle finit par se lasser de lui, le quitte, et retourne à Paris dans sa famille où elle retrouve tous les travers qu’elle déteste, ainsi que le provincialisme français : « J’avais connu là des amusements sportifs, garçonniers, aussi peu mondains que possible, offrant enfin cette apparence de libre consentement qui caractérise, en Amérique, les obligations comme les plaisirs. Ramenée presque sans transition dans ce bal de la Troisième République, j’éprouvais l’impression d’avoir reculé de trente ans ».

Elle a la faiblesse de passer une nuit avec son ancien amant américain, de passage à Paris, et se retrouve enceinte. L’habileté du romancier est de poser la question de l’alliance bourgeoise par son négatif : que faire de ceux et celles difficiles à marier ? La réponse pour les Boussardel est simple : marier ensemble les jeunes gens dont on ne sait que faire.

Agnès cache son état mais se confie à un cousin atypique, Xavier. Celui-ci n’hésite pas en lui proposant le mariage, ce que la famille s’empresse d’encourager. Cette alliance est sans vraie passion, mais la passion amoureuse ne fait pas partie de la culture Boussardel. Et Agnès se contente de peu : « Je partageais, à ma façon, son bonheur, sans pourtant partager ses plaisirs. Dès le premier soir j’avais compris qu’ils me seraient refusés. Cette disgrâce, qui m’étonnait moins et dont je commençais à soupçonner qu’elle est la condition commune à beaucoup de femmes, ne m’inspirait ni révolte ni amertume ».

Elle annonce enfin à sa famille qu’elle attend un enfant. Catastrophe : la tante Emma , tutrice de Xavier, lui annonce qu’il est impossible qu’il soit le père car il est réputé stérile (ce qui explique l’enthousiasme familial pour ce mariage avec Agnès l’indocile). On ne sait trop dans quelles circonstances Xavier tombe d’un balcon et se tue.

Agnès élève seule son enfant dans le sud de la France et ne se fait pas d’illusion sur sa capacité à briser les liens avec ses origines : « J’avais cru fuir les Boussardel. Il y en avait deux dans l’île : moi et mon fils ».

Andreossi

Les enfants gâtés. Philippe Hériat

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Monsieur des Lourdines. Alphonse de Chateaubriant

Un Goncourt 1911 bien plaisant à lire, aux métaphores souvent originales et au vocabulaire parfois agréablement vieillot : « L’unique étage s’allongeait sous la carapace ensellée d’une haute et molle toiture, dont l’ardoise, niellée de verdures et de lichens safranés, venait faire visière sur des fenêtres à petits carreaux ; et les murailles étaient tout à fait de la couleur des vieux chemins ».

C’est donc d’abord pour l’écriture que l’on s’attache à ce roman, car les descriptions sont très exactement évocatrices, comme l’abattage de cet ormeau : « Maintenant les cognées se portaient en dessous avec ce bruit caverneux que répand une voix dans une maison vide. (…) Les hommes, attelés à la corde à court intervalle les uns des autres, arc-boutés dans les trous de l’herbage, tiraient à l’unisson. (…) Alors quelque chose d’insolite se passa dans l’ormeau. Puis, avec indifférence, sa cime oscilla, parut se déplacer. Un craquement parti de la base, guère plus fort que le pétillement dans le feu d’un bois sec, se reproduisit plus profond, se multiplia, éclata dans un déchirement sinistre, foudroya l’air ; et l’arbre, en silence, décrivit son immense quart de cercle ».

Il en est de même pour camper les personnes. Ainsi ce magistrat : « C’était un pur bonnet carré, tout droit canon et tout hermine, et qui, dans l’exercice de ses fonctions, passait pour aussi tranchant qu’un canif ouvert de toutes ses lames ». Ainsi les pleurs de Célestin : « Célestin pleurait, non pas avec des larmes, mais de tous les muscles de son visage, ainsi que pleurent les paysans ».

Mais l’histoire ? C’est celle d’un gentilhomme campagnard du Poitou, vers la fin du XIXème siècle. Il est très attaché à sa terre, qu’il parcourt avec la passion d’un amoureux de la nature. Il a peu de contact avec « le monde » comme on disait à l’époque, et ne s’éloigne pas de son épouse malade. Son seul souci est son fils, qui vit à Paris et dépense sans compter l’argent que lui alloue son père.

Cette aide ne lui suffit pas d’ailleurs puisqu’un jour son père reçoit de la part d’un usurier la demande d’une très forte somme d’argent à rembourser. Le père doit vendre une grande partie des biens pour éviter la prison à son fils. La mère meurt d’inquiétude et le fils revient. Retournera-t-il à Paris ou restera-t-il auprès de son père pour sauver le domaine qui a pu être préservé?

Andreossi

Monsieur des Lourdines. Alphonse de Chateaubriant

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L’été indien aux serres d’Auteuil

Par un samedi de septembre, alors que les journées du patrimoine battaient leur plein sous un soleil radieux, nous avons délaissé monuments historiques, ouvertures exceptionnelles et files d’attente pour découvrir ce qui nous attendait toute l’année et depuis des années : les serres d’Auteuil.

Pas un chat en ce milieu de matinée. La lumière de septembre est douce (mais que dire de celle d’octobre…), l’air encore frais, les couleurs des arbres commencent à ambrer. L’architecture turquoise fané a quelque chose de suranné que la saison ennoblit. Les serres d’Auteuil ne sont-elles d’ailleurs pas elles aussi, pour partie, patrimoine en péril ?

L’ambiance y est parfois tropicale, qui contraste fort avec l’air limpide et sec de l’extérieur. Palmiers, bananiers, poivriers, broméliacées (une histoire, en autres, d’ananas), bégonias, oliviers … arbres et plantes en tous genres et de tous continents se succèdent. C’est un peu le monde entier dans une (grande) bouteille. C’est calme, doux, tranquille. On se laisser intriguer, attirer, séduire par telle ou telle espèce, sans jamais se sentir pris dans un programme.

Ce qui n’empêche pas d’apprendre des choses : au hasard, épiphyte (titre du billet du 8 septembre dernier) qualifie une plante perchée sur une autre plante. Ainsi de la fougère platycerium alcicorne. En attendant l’exemple in vivo, voici la photo.

Dehors est un jardin magnifique, peu connu, sans doute l’un des plus beaux de Paris. La saison est aux pourpres et orangés des fleurs de fin d’été : une splendeur. Le square des Poètes le jouxte comme de naturel. Y trônent  notamment des statues de poètes, un cèdre du Liban et des jeux pour enfants.

Jardin des serres d’Auteuil – Jardin botanique de Paris, 3 avenue de la Porte d’Auteuil – 1 avenue Gordon Bennett – 75016 Paris

 

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