Élisabeth Louise Vigée Le Brun enfin exposée

Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille
Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait au chapeau de paille

Les amateurs de belle peinture ne passeront pas à côté de la première exposition monographique jamais consacrée à Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842), à voir au Grand Palais à Paris jusqu’au 11 janvier 2016.

Comptant parmi les plus grands portraitistes de son temps, elle fut aussi la seule femme que notre époque a gardé en mémoire.
Elle avait du talent à revendre, a beaucoup travaillé (elle a peint quelques 670 tableaux), a su s’entourer, faire connaître son art… Elle a dû aussi beaucoup voyager. C’est peut-être ce qui explique qu’aujourd’hui ses tableau sont un peu partout, en Europe bien sûr, mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique, dans des collections publiques et privées, comme en témoignent les origines des près de 130 œuvres, pour l’essentiel des peintures, mais aussi quelques admirables pastels, fusains et sanguines réunis sur deux niveaux des galeries du Grand Palais.
Une vaste exposition, donc, bien faite, qui conduit le visiteur à découvrir l’ensemble de l’œuvre de la portraitiste, de manière chronologique et thématique, et se faisant, suivre sans vie dans son contexte historique. Car le destin d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun est pour grande partie lié à l’évolution du régime en France.
Fille d’un pastelliste reconnu, le premier à reconnaître ses dons, à l’instruire et à l’encourager dans son art, Élisabeth Vigée doit dès l’âge de 12 ans lorsqu’elle perd son père poursuivre son apprentissage en se tournant vers d’autres proches, les ateliers et les tableaux de maître. Mais son talent de portraitiste lui vaut rapidement le succès, qui reçoit son couronnement lorsqu’elle devient peintre officiel de la reine Marie-Antoinette en 1778.
Elisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l'Abondance
Elisabeth Vigée Le Brun, La Paix ramenant l’Abondance

Particulièrement habile dans cet « art du portrait à la Française », elle sait à la fois respecter une certaine ressemblance tout en amendant « la nature » de ce qu’il faut pour que modèle soit flatteusement représenté. Courtisane, petite bourgeoise ayant accédé aux plus hautes strates de la société grâce à son art, ses connaissances et celles de son époux Le Brun, marchand d’art, ses ambitions n’en sont pas pour autant artistiques. Elle aime surprendre (elle enfreint les conventions en représentant la Reine en robe de « de gaulle », c’est-à-dire en simple robe d’intérieur de coton blanc). Elle aspire aussi à dépasser les limites du portrait pour accéder à la peinture d’histoire, noble entre toutes, qui n’était guère accessible aux femmes peintres. Pourtant, c’est avec une belle allégorie (La paix ramenant l’abondance, Louvre) qu’elle est admise, en 1783, à l’Académie royale de peinture et de sculpture.

Elisabeth Vigée Le Brun, La Reine et ses enfants
Elisabeth Vigée Le Brun, La Reine et ses enfants

En 1787, alors que la popularité de la Reine est en berne, elle est chargée de réaliser un grand tableau la montrant entourée de ses enfants. Il faut dire que l’année précédente elle avait livré un très émouvant autoportrait avec sa fille, dans une composition rappelant les vierges à l’enfant de Raphaël – un des nombreux tableaux où, dans la veine rousseauiste de l’époque, Élisabeth Vigée Le Brun a parfaitement su saisir la fraîcheur de l’enfance et la tendresse du lien maternel. Mais l’impressionnant tableau La Reine et ses enfants ne convainc pas à l’époque : pas assez d’amour maternel sur le visage d’une reine encore entachée par l’affaire du collier. En 1789, Vigée Le Brun, artiste de cour, se trouve en mauvaise posture. Début octobre, elle fuit Paris pour rejoindre l’Italie. Pour quelques mois pense-t-elle. Mais les événements sont ceux qu’ils sont et, d’Italie, elle se rend à Vienne, puis de Vienne à Saint-Pétersbourg… son exil durera plus de douze ans. Partout cependant, elle parvient à se faire une clientèle dans les cercles choisis et à vivre de son art jusqu’à son retour en France. Sous l’Empire, elle continuera à peindre les portraits de l’aristocratie européenne et, au soir de sa vie, couchera sur le papier d’épais Souvenirs.

La visite de l’exposition est un éblouissement. Transparence et éclat des carnations, fraîcheur des chairs, expression des regards, soin apporté au traitement des étoffes, splendeur des couleurs, élégance, sensualité, tendresse… face à chaque portrait c’est une personne que l’on voit, malgré l’aspect évidemment très présent de tout ce qui fait les « attributs » de la personne (et qui marque son rang dans l’échelle sociale). Et si elle réussissait merveilleusement les portraits de femmes et d’enfants, elle n’était pas moins douée pour représenter les hommes. Pour n’en citer qu’un, le superbe portrait du peintre Joseph Vernet. Enfin, ses nombreux autoportraits témoignent de la beauté de Mme Vigée Le Brun, une beauté qu’Augustin Pajou a parfaitement restituée en un magnifique buste en terre cuite (Louvre).
Élisabeth Louise Vigée Le Brun
Jusqu’au 11 janvier 2016
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La maternelle, Léon Frapié

la_maternelle

Remontons le temps à nouveau grâce au feuilleton des Prix Goncourt. Voici le deuxième du nom, qui a l’air rudement bien ! Merci Mr Andreossi !

Mag

A plus d’un titre, le roman qui obtint le deuxième prix Goncourt en 1904, nous étonne et se lit encore de nos jours avec beaucoup d’intérêt. On trouve, dans la confrontation entre les professionnels de l’éducation et les enfants dont ils ont la charge, certes des différences importantes avec notre époque, mais aussi des continuités. Si les enfants d’alors n’ont plus grand-chose en commun avec ceux d’aujourd’hui, des ressemblances restent dans le monde des éducateurs.

Léon Frapié, dans une veine naturaliste, donne la parole à Rose, une jeune femme orpheline, qui, malgré un baccalauréat et une licence, doit accepter un emploi de femme de service dans une école maternelle. La narratrice se retrouve au coeur de l’éducation de la petite enfance, qui plus est dans un quartier parisien très populaire, actrice pour donner les soins du corps que son statut impose, mais aussi spectatrice de l’application des idéaux de l’Ecole Républicaine par les maîtresses.

Ces petits sont décrits « à la Zola » : enfants de miséreux qui n’ont pas toujours de dessert dans leur sac pour leur déjeuner mais qui peuvent bénéficier de vin (avant 7 ans !) ; dont l’alimentation déficiente (malgré la cantine) produit une « espèce chétive », « un ensemble de figures pâlottes, propres, mais ‘pas fraîches’ ; on sentait la chair creuse, la substance inférieure, les cheveux même paraissaient communs et fanés ». La violence qu’ils subissent est vigoureusement dénoncée.

Alors que la petite Louise arrive à l’école le visage tuméfié, sous les moqueries de ses camarades heureux de n’être pas seuls à subir de tels sévices, l’institutrice, pour calmer la classe, ne manque pas d’inspiration : elle les fait chanter en chœur « Petit papa, c’est aujourd’hui ta fête, /j’avais des fleurs pour couronner ta tête… ». Enfants d’alcooliques, ils sont trop nombreux par famille, et les parents attendent de l’école une bonne éducation : « Celui-là, madame, n’ayez pas peur de taper dessus, c’est un sale enfant ! Il a tous les défauts ! ».

L’Ecole représente la société hiérarchique où chacun est à sa place : femme de service et institutrice ne sont pas du même monde : « Certes, l’attitude correcte de ces dames à mon égard ne se dément dans aucune circonstance ; mais quand elles réclament Rose pour certaines besognes, elles possèdent vraiment, sans affectation, un air, un accent qui établissent la distance infranchissable entre nous ; on sent combien un tablier bleu différencie une femme d’une autre. (…) Ces dames préfèreraient supporter les pires privations plutôt que de toucher à mon torchon ».

Léon Frapié, maintient habilement l’intérêt par une intrigue qui ne se dit jamais comme telle, où passe aussi la question des genres : le jeu de cache- cache entre Rose et le délégué cantonal à l’enseignement fournit la tension nécessaire à l’histoire. Des phrases courtes animent le récit et les formules font mouche : « un désespéré n’ayant pu obtenir la haute position qu’il convoitait a corrigé le sort par deux coups de revolver. Nous recelons plus de lâcheté, nous, les femmes : si nous ne pouvons pas gravir les marches, nous acceptons de les laver… ».

Andreossi

La maternelle

Léon Frapié

Phébus

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Mia madre. Nanni Moretti

mia_madre_nanni_morettiCinéaste engagée, Margherita démarre tout juste un nouveau film, alors qu’elle vient de rompre avec son compagnon et élève seule sa fille adolescente – laquelle pense davantage aux plaisirs de son âge qu’aux obligations du lycée.

C’est dans cette vie un peu sur le fil que survient la maladie de sa mère. Margherita essaie, le soir, d’aller la voir à l’hôpital et, le jour, d’assurer un tournage qui s’avère compliqué avec un acteur américain insupportable. Son frère, lui, s’est mis en disponibilité professionnelle et veille sur la mère à chaque instant.

Pour traiter ce douloureux sujet, Nanni Moretti fait preuve d’une grande acuité et d’une grande sensibilité. L’air de rien, il montre tous les aspects de ce moment déchirant que constitue la perte d’un parent, à travers des personnages très bien dessinés et tous impeccablement interprétés.

Chez Margherita, qui est au centre du film, c’est à la fois le déni de ce qui est en train d’arriver (elle ne comprend pas la gravité de la maladie de sa mère), l’impression de ne plus rien maîtriser (sa fébrilité face aux situations les plus courantes de la vie), la culpabilité (ses moments de colère, son visage soudain absent et bouleversé sur le tournage). Elle réalise aussi qu’elle ignore tout du quotidien de sa mère (les gens qu’elle voit, ce qu’elle aime manger, où elle range ses affaires). Ces sentiments résonnent d’autant plus fort que la relation entre les deux femmes, faite d’admiration et de connivence, est très belle, et que Margherita est plutôt ce qu’on appelle une « femme forte ».

Le personnage du frère apparaît comme le contrepoint de celui de Margherita. Il est celui qui a mis le reste de sa vie entre parenthèses avec détermination. Il comprend ce qui se passe, l’assume et assure. Calme, discret et efficace, il irradie d’amour et de bienveillance, envers sa mère bien sûr mais aussi sa sœur qu’il ne juge jamais.

Dans ce contexte, l’acteur américain à l’ego envahissant – et la mythomanie maladive – pourrait n’exprimer que la superficialité du monde du cinéma et la vanité de la vie. Pourtant, Nanni Moretti le préserve de l’archétype, en le dotant d’un humour dévastateur et en n’omettant pas d’en dévoiler la faiblesse à la fin du film.

Quant à la mère, comment ne pas l’aimer. A la fois malade ordinaire avec ses incompréhensions et ses impatiences, elle demeure femme de lettres (elle a enseigné le latin toute sa vie avec passion et n’en a rien oublié), aimante (ses élèves le lui rendaient bien), mère et grand-mère attentive. Sa lucidité et son intelligence font mal (pourquoi a-t-on l’air de nous prendre pour des imbéciles, nous les malades, dit-elle en substance), mais pas autant que lorsqu’on la voit décliner plus sérieusement.

C’est avec la même élégance que Nanni Moretti traite de la question de la transmission. Dans un cauchemar, Margherita se demande ce que deviendront tous les livres de l’ancien professeur après sa mort ; sa fille se décide enfin à faire des efforts en latin quand elle voit sa grand-mère malade – et lui demande de l’aider. Et ses anciens élèves ne l’oublieront pas… Que laisse-t-on de toute une existence, qu’est-ce qui fait la valeur d’une vie ? Pas le cinéma, a l’air de répondre Nanni Moretti dans ce film magnifique.

Mia madre

Un film de Nanni Moretti

Avec Margherita Buy, John Turturro, Giula Lazzarini, Nanni Moretti, Beatrice Mancini

Durée 1h47

Sorti en salles le 2 décembre 2015

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L'esprit et la main et le bivouac de Napoléon à la Galerie des Gobelins

mobilier_national_esprit_et_mainVous avez jusqu’au 13 décembre pour profiter de cette double exposition proposée par le Mobilier National dans sa majestueuse Galerie des Gobelins à Paris.

Deux exposition en une, donc, mais organisées dans le même objectif de montrer l’excellence française dont le Mobilier National est un représentant.

La partie la plus inédite est L’esprit et la main qui, pour la première fois, montre au public l’envers du décor du Mobilier National : les ateliers de restauration. Au nombre de sept, ils sont la perpétuation d’un savoir-faire ancestral et indispensable au service du mobilier de l’Etat, qu’il soit multi-séculaire ou contemporain.

Ateliers de tapisserie de décor, de tapisserie d’ameublement, de menuiserie, ateliers de restauration en ébénisterie, en lustrerie-bronze, en tapisserie et enfin en sièges : l’ensemble des composantes de ce riche « patrimoine immatériel » sont ici réunies.

Le visiteur découvre dans chacun de ces sept espaces d’ateliers, à travers les matériaux, outils, œuvres exemplaires achevées et ouvrages en cours, comment travaillent ces techniciens d’art. A certaines heures, ceux-ci sont présents et l’on peut alors échanger avec eux et écouter leurs explications passionnées. Des films ponctuent le parcours et, avis aux amateurs et appel aux vocations, les formations dispensées au Mobilier National sont évoquées, puisqu’il faut penser à la transmission de cette excellence dans le travail du textile, du bois et du bronze pour préparer l’avenir et assurer la conservation et l’enrichissement des biens mobiliers de la République…

bivouac_napoleonL’autre exposition est une riche illustration des travaux du Mobilier National, puisqu’elle présente le bivouac de Napoléon, dont la restauration a été réalisée dans ses ateliers.

Comme on sait, Napoléon Ier passait beaucoup de temps en campagne et en voyage. A cet effet, il bénéficiait de toute une organisation qui reproduisait pour partie l’étiquette impériale, dont l’ingéniosité mais aussi le raffinement sont ici manifestes. Nécessaires de toilette, lampes, services de table, meubles pour travailler, pour se reposer… tout devait être aisément transportable. Entre luxe et simplicité, entre souci de représentation et nécessité de formats modestes, ces meubles et objets venaient joliment se ranger dans de précieux étuis et malles. Le clou de l’exposition est bien sûr la restitution du bivouac, c’est-à-dire du mobilier de camp sous la toile de tente à l’époque du Premier Empire. L’ensemble sous un splendide ciel étoilé… Lit pliant (le fameux « lit parapluie » inventé par le serrurier Desouches et que Napoléon adopta résolument, jusqu’à sa mort à Saint-Hélène), fauteuil, tabouret, bureau, flambeau, tapis, toile de Jouy de la tente… tout y est !

D’autres éléments complètent ce voyage dans le temps, comme de somptueuses pièces du service particulier de l’Empereur en porcelaine de Sèvres (celui-ci ne servait pas aux campagnes militaires, au cours desquelles il utilisait un simple service en argent), un nécessaire de voyage dit « porte-manteaux », une lampe portative issue de l’atelier du bronzier Tomir, dans oublier des tableaux montrant Napoléon Ier in situ…

Un bel et cohérent ensemble qui s’articule de la manière la plus harmonieuse qui soit avec l’exposition L’esprit et la main, en un parcours très élégamment scénographié sur les deux niveaux de la galerie.

L’esprit et la main, héritage et savoir-faire des ateliers du Mobilier National

Le bivouac de Napoléon, luxe et ingéniosité en campagne

Galerie des Gobelins

42, avenue des Gobelins – Paris 13°

TLJ sauf le lundi, de 10 h 18 h

Visites conférences le samedi à 14h30 et à 16h

Jusqu’au 13 décembre 2015

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Daum, Variations d'Artistes

Arman, L'âme de Vénus, pâte de cristal et or (2009), pâte de cristal et argent (2008)
Arman, L’âme de Vénus,
pâte de cristal et or (2009), pâte de cristal et argent (2008)

Art et artisanat se tiennent la main sur la butte Montmartre, grâce à l’exposition visible à l’Espace Dalí jusqu’au 3 janvier 2016.

Y sont présentées des créations de la maison Daum imaginées par des artistes célèbres depuis les années 1960. Le premier d’entre eux est bien sûr l’hôte des lieux : Salvador Dalí, dont la première rencontre avec le maître-verrier nancéien eu lieu en 1968. Au cours de vingt années de collaboration et d’amitié entre l’artiste catalan et Jacques Daum, vingt-et-une œuvres furent élaborées. On les découvre à l’espace Dalí, voisinant avec celles d’autres artistes de la période récente et contemporaine tels César, Arman, Ben, Richard Texier, Jérôme Mesnager

Chacune d’elles témoigne d’un mariage réussi entre la tradition (la création artisanale à base de pâte de verre, dont le rendu a évolué avec la mise au point de la pâte de cristal, plus douce) et la modernité. Pour comprendre leur genèse, peut-être faut-il remonter aux débuts de la cristallerie de Nancy née en 1878. Dès 1893 en effet, Antonin, fils du fondateur Jean Daum, créé un département d’art : il sera fer-de-lance dans le développement de l’Art Nouveau, qui avait pour dessein d’abolir les frontières entre art et artisanat. Daum s’associe alors avec Majorelle ou encore Henri Bergé. A partir des années 1920, les lignes se simplifient, le verre se givre : c’est le style Art Déco qui commence à se déployer. La pâte de cristal (par ajout de plomb dans la composition du verre) permet d’obtenir cette matière claire et épaisse qui peut prendre des formes et des couleurs extrêmement variées, et qui est aujourd’hui encore la marque de reconnaissance des création de la belle maison lorraine.

Salvador Dalí, Porte-manteau montre, 1971
Salvador Dalí, Porte-manteau montre, 1971

Au fil des différentes sections qui jalonnent l’agréable déambulation, on aime perdre ses repères devant des œuvres qui semblent hors du temps, impression que la pâte de verre, matériau ancien, imprime fortement aux sculptures, y compris surréalistes.

Il faut dire que les artistes exposés ont largement puisé leur inspiration dans la mythologie (cf. le Pégase et le Cyclope de Dalí, l’ensemble de Venus de Milo de Arman et de Dalí ) et dans la nature (impressionnant regroupement intitulé « La nature transfigurée »).

Les couleurs, d’une audace folle, sont quant à elles à ranger plutôt du côté de la modernité. Ce sont des jaunes et des verts acides, des bleus turquoise ou Klein, des rouges et des roses profonds… Le tout magnifiquement éclairé (le contraire eût été dommage : la pâte de verre est tellement sensible à la lumière !) dans cet espace intimiste et un peu décalé joliment situé, qui justifie pleinement la volée de marches à expédier pour y accéder…

Daum, Variations d’Artistes

Espace Dali

11 rue Poulbot – 75018 Paris

Ouvert TLJ de 10h à 18h

Entrée : de 5,5 à 11,5 €

Jusqu’au 3 janvier 2016

 

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Trois femmes puissantes. Marie Ndiaye

trois_femmes_puissantesPour le 10ème épisode de notre feuilleton littéraire « Les prix Goncourt », Andreossi nous fait part de sa lecture du prix Goncourt 2009. Bonne lecture ! Mag

Trois histoires composent ce « roman » : au lecteur, à la lectrice, de découvrir en quoi les femmes plus ou moins en scène dans chacun de ces récits manifestent la puissance revendiquée dans le titre.

Norah revient en Afrique à la demande de son père, qu’elle a très peu revu depuis qu’il est retourné au pays avec son fils. Ce frère, qu’elle a aimé, est accusé de meurtre, et c’est en tant qu’avocate que son père lui demande de l’aide. Norah doit réaliser un gros travail de mémoire pour retrouver les êtres qu’elle a connus autrefois derrière les images qu’ils présentent aujourd’hui.

Rudy, revenu d’Afrique avec sa femme Fanta à la suite d’épisodes de violence, tente de comprendre les raisons des échecs multiples qui marquent sa vie. Après maints débats intérieurs il retrouve la paix avec son fils, une fois rétabli le souvenir de la violence paternelle originaire. Enfin la troisième histoire est la plus désespérante. Khady, à la suite de son veuvage, perd tout. De déchéance en déchéance elle arrive jusqu’à la mort en tentant de fuir l’Afrique pour le paradis européen.

Ces trois portraits de femmes (puisque le titre du livre nous impose trois femmes) dont l’un est très en creux, ont pour point commun le plus évident l’Afrique, et pour arrière fond la question du passé et de son oubli. Leur mal être conduit les personnages à puiser dans leur intériorité, et à trouver la puissance nécessaire au fond d’eux-mêmes pour faire émerger une identité mise à mal par les déracinements antérieurs. Marie Ndiaye nous raconte qu’une grande force personnelle est nécessaire pour se dégager des diverses influences extérieures qui parasitent la volonté propre.

L’écriture, aux nombreux retours à la ligne, manifeste les débats internes, sans qu’on puisse toutefois parler d’une suite de monologues intérieurs. On ne quitte pas l’esprit des personnages, jusqu’à se sentir parfois prisonniers de leurs états d’âme, d’où la difficulté à les cerner véritablement d’un point de vue extérieur. Quelle parole possible entre l’oubli du passé et le brouillage issu du discours des autres ? « La rumeur qui ornait ses songes, vaguement composée de la voix de son mari, de la sienne, de quelques autres encore, anonymes, issues du passé, lui avait donné l’illusion qu’elle parlait de temps en temps ».

Un Goncourt 2009 qui garde une part de mystère sur ces trois femmes que l’on veut bien croire puissantes, mais dont le destin nous laisse toutefois troublé.

Andreossi

Trois femmes puissantes

Marie Ndiaye

Gallimard, 2009

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Un vrai elisir d'amore à l'Opéra national de Paris

alagna_nemorino_elisirComment ne pas sortir enchanté de cette représentation, quand on a été transporté de joie, quand on a vibré aussi bien sûr (ah, la bien-nommée furtiva lagrima !) tout au long de cet Elisir d’amore de Donizetti repris ce mois-ci à l’opéra Bastille ?

Du reste, le public ne s’y est pas trompé ce dimanche 8 novembre, applaudissant à tout rompre une distribution qui brilla par son homogénéité tant vocale que scénique.

Il faut dire aussi que la mise en scène de Laurent Pelly fonctionne à merveille. Il transporte dans l’Italie du XX° siècle cette comédie sensée se dérouler dans un village basque au XVIII° siècle. Elle voit la romance entre un pauvre paysan et une riche fermière finir par triompher après bien des subterfuges,

Le hêtre sous lequel la belle Adina se repose dans la scène d’ouverture est devenu un parasol planté sur un énorme tas de bottes de foin. Une ambiance champêtre qui convainc de bout en bout, scènes de la noce et du Dr Dulcamara incluses. Celui-ci – il n’a de docteur que le nom, mais grâce à son talent de bonimenteur, la crédulité de tous les villageois lui est acquise – tient autant du colporteur des temps anciens que du camelot des grands boulevards à l’époque des grands magasins. Interprété par l’extraordinaire Ambrogio Maestri (quelle voix !), il semble tout droit sorti de la commedia dell’arte.

Un talent comique que l’on retrouve sans peine chez le baryton Mario Cassi en sergent Belcore, tout gonflé de vanité au motif qu’il porte l’uniforme, et croit obtenir grande victoire quand il emporte le oui d’Adina, sans s’apercevoir que ce n’est que par dépit qu’elle lui cède. Mais la belle (très jolie voix, délicate et colorée, de la soprano Aleksandra Kurzak) est moins légère qu’elle ne le voudrait elle-même, son cœur battant en secret pour Nemorino, lequel n’a pour richesses que son amour et sa fidélité. Pauvre Nemorino, naïf au cœur pur, qui espère obtenir celui d’Adina grâce à un précieux élixir… Mais même le vin de Bordeaux a du bon, telle peut être la morale de ce jeu de dupes, quand il s’agit de faire triompher les nobles et beaux sentiments !

C’est la première fois que Roberto Alagna incarne à Paris le rôle de Nemorino – l’un de ses préférés paraît-il. Il est évident qu’il est taillé pour, lui qui aime tant jouer, bouger, amuser et s’amuser sur scène ! Il fait mimiques et roulades, mais jamais trop. Et quand vient le moment du fameux Una furtiva lagrima chanté par ce paysan tout dégrisé et seul sur son tas de foin, Alagna l’exécute avec tant de grâce que c’est en réalité un prince que l’on entend à cette heure où les premières étoiles se mettent à briller.

L’elisir d’amore

Gaetano Donizetti

Opéra en deux actes créé en 1832

Durée 2 h 15, avec entracte de 30 mn

Opéra national de Paris

Jusqu’au 25 novembre 2015

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L’Affabuloscope au Mas d'Azil dans l'Ariège

mas_d_azil_affabuloscope2Mais qu’est-ce que « L’Affabuloscope » ? … C’est dans les Pyrénées que Andreossi l’a déniché. Il nous raconte sa visite : cela ne ressemble à rien d’autre. A découvrir absolument !

Mag

Claudius de Cap Blanc possède tout un monde, situé dans un grand hangar sur plusieurs niveaux, qu’il a baptisé Affabuloscope, dans ce village du Mas d’Azil en Ariège qui a donné son nom à une culture préhistorique vieille de plus de 10 000 ans, l’azilien. Bien heureusement, il nous offre la possibilité d’accéder à son univers, dont il garde des traces matérielles et littéraires grâce auxquelles notre imaginaire et notre réflexion s’excitent davantage que devant la technologie d’aujourd’hui tellement prosaïque.

Très habile artisan du bois Claudius crée des machines aussi indispensables que « le redresseur de torts », « l’auto-aliénateur » ou « la machine à creuser les déficits ». Mais on appréciera aussi les machines, évidemment bien plus complexes, qui visent par exemple à éradiquer les trois plus grands fléaux du monde (hypocrisie, cynisme et TVA), à produire le silence, ou encore à sisypher. Les vélos et motocyclettes en bois, avec leur jeu de couleur des diverses essences, sont des merveilles.

mas_d_azil_affabuloscope_1L’artiste aime les séries, et il consacre des salles entières à exposer des variations d’objets sur un même thème : la série des « sèches-larmes » nous propose divers moyens techniques aussi astucieux les uns que les autres pour tenter d’assécher les larmes1. Les « judas portatifs », qui permettent d’épier son prochain de manière discrète, sont exposés en de si nombreux modèles que chacun pourra trouver celui qui lui convient. Un parcours instructif nous montre les diverses étapes de l’histoire des « amidonnoirs », machines à amidonner, comme leur nom l’indique, de façon à « garantir une érection sans faille ». Une fascinante salle est entièrement consacrée à 388 pièces originales qui sont autant de manière de montrer « l’emboîtement l’un dans l’autre » dans une élégante « cosmogonie duale ».

Chaque objet est accompagné d’un commentaire, et l’écriture prend une grande place dans l’œuvre, ainsi qu’on peut le constater par l’énorme ouvrage manuscrit, consultable, qui conte en particulier maintes péripéties liées au travail de l’artiste : par exemple ses démêlées avec les autorités locales suite aux inscriptions de « pierres vulvaires », car il perpétue les traces préhistoriques du pays, bien sûr à sa manière d’ « enfant de la Matrie ». Pour Claudius de Cap Blanc l’Affabulatoire est une des modalités de l’être se faisant : « ce qui n’est pas, n’a jamais été, mais qui aurait pu être et qu’on peut amener à l’existence par un acte de création positivement délibéré ».

mas_d_azil_affabuloscope3Il se place dans la continuité aussi bien de Marcel Duchamp, que de René Char, ou Claude Lévi-Strauss : comme ce dernier il met en valeur les cultures mal connues. L’Affabuloscope nous fait découvrir celle des Pankous, une ethnie découverte par Jean-Baptiste Pauchard. Claudius présente dans des vitrines, comme dans les musées, des objets en bois, en os, en cuivre, finement travaillés, objets qui auraient pu être utilisés par les Pankous, mais que l’artiste a inventés : mais ne dit-on pas que le fouilleur qui trouve un trésor archéologique en est l’inventeur ? Tout cela nous amène à penser que les limites entre science et imaginaire sont bien ténues, et pour cela rendons grâces à Claudius de Cap Blanc et à son Affabuloscope.

Andreossi

L’Affabuloscope, zéro rue de l’Usine, 09350 Le Mas d’Azil

1 On trouvera à la rubrique « Histoire de larmes » de son site www.affabuloscope.fr plusieurs vidéos de démonstrations de ces précieux outils par l’artiste. Mais le site présente aussi bien d’autres richesses.

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L'Homme irrationnel. Woody Allen

lhomme_irrationnel_woody_allenChaque année nous livre un nouveau Woody Allen, et c’est toujours de bon cœur qu’on va le découvrir en salle, quasiment assuré de passer un bon moment, en retrouvant l’univers du cinéaste qui au fil du temps nous est devenu aussi familier qu’attachant.

Questions existentielles, philosophie et psychanalyse, magie, hasard, intrigues noires, pouvoir de séduction et passions… peuplent ensemble ou en ordre dispersé les films du cinéaste new-yorkais sans jamais nous lasser. Quoique…

Son avant-dernier opus Magic in the Moonlight était très réussi, débordant de toutes sortes de charmes, auxquels Colin Firth et Emma Stone n’étaient certes pas étrangers. C’est donc avec joie que l’on retrouve celle-ci dans L’homme irrationnel, cette fois accompagnée de Joaquin Phoenix.

Il campe Abe, professeur de philosophie débarquant dans une fac de province de la côte Est, précédé d’une sacrée réputation, qu’il confirme en grande partie dès son arrivée : passé engagé sur le terrain, thèses philosophiques peu conventionnelles, alcoolique, divorcé amateur de jeunes femmes… Sa renommée de coureur de jupons (d’étudiantes) est finalement la seule que son attitude dément. En fait, il est désormais totalement déprimé (et impuissant), désabusé par tout ce qui a fait le sel de sa vie : l’engagement, l’enseignement, l’amour.

Jill, la plus jolie et la plus brillante de ses étudiantes (Emma Stone), bouleversée par la noirceur d’âme de Abe, se lie d’amitié avec lui (qui le lui rend bien), avant de tomber carrément amoureuse de lui (qui lui résiste).

L’affaire serait restée au stade de la romance si un événement anodin et fruit du plus pur des hasards n’avait secoué notre héros, au point de lui redonner grand goût à la vie… Mais à quel prix ? C’est alors que l’intrigue amoureuse se double d’une intrigue policière.

Les deux mêlées suffisent pourtant à peine à maintenir le spectateur en éveil. Dialogues fournis auxquels s’ajoute un récit off à deux voix, le tout plutôt redondant, produisent un grand bavardage, qui apparaît un peu comme l’emplâtre posé sur un scénario un brin faiblard. On voit les événements arriver de plus ou moins loin, et du coup un certain ennui aussi. Heureusement le jeu impeccable de Joaquin Phoenix comme de Emma Stone nous permet, malgré tout, de passer un plutôt bon moment… On reviendra quand même l’année prochaine !

L’Homme irrationnel

Un film de Woody Allen

Avec Joaquin Phoenix, Emma Stone, Jamie Blackley, Parker Posey

Durée 1h34

Sorti en salles le 14 octobre 2015

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Splendeurs et misères au Musée d'Orsay

Sur le Boulevard (La Parisienne), Louis Valtat Photo Mathieu Rabeau/RMN/ Fondation Bemberg
Sur le Boulevard (La Parisienne), Louis Valtat
Photo Mathieu Rabeau/RMN/ Fondation Bemberg

« Bien que ces vaches de bourgeois
Les appellent des filles de joie
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent,
Parole, parole,
C’est pas tous les jours qu’elles rigolent (…) »

Comment ne pas penser à cette poignante chanson de Georges Brassens en parcourant la riche et intéressante exposition organisée au Musée d’Orsay jusqu’au 17 janvier, consacrée (la première en son genre) aux images de la prostitution, du Second Empire à la Belle Epoque ?

Le comte Henri de Toulouse-Lautrec a peint ces « filles de joie » en abondance dans les maisons closes bien sûr, mais aussi dans les cabarets, cafés-concerts et brasseries, tous lieux qu’il a assidûment fréquentés : on les y voit attendre le client, l’air mélancolique, las et résigné, parfois jouant aux cartes pour se divertir d’un ennui qui semble abyssal. Van Gogh, Manet, Picasso eux aussi ont représenté de telles expressions : leurs tableaux montrent ces filles seules, attablées devant un verre de bière ou de prune, ou simplement les bras croisés (Femme assise au fichu ou La mélancolie, Picasso, 1902).

Ces œuvres sont les plus touchantes de l’exposition car elles nous placent du point de vue des prostituées et de leur triste sort, dans une approche très humaniste.

Ce n’est pas la grille de lecture proposée par les commissaires d’exposition, qui placent ce sujet inédit dans une vision plus globale, procédant à une sorte d’inventaire de ces splendeurs et misères de la seconde moitié du XIX° siècle. Les lieux publics et privés de la prostitution (du boulevard aux maisons closes en passant par l’opéra Garnier), sa place dans l’ordre moral et social, la prostitution dans « le monde » (les courtisanes, ou demi-mondaines), la prostitution et la modernité… sont les principaux thèmes traités avec soin et sobrement mis en scène par Robert Carsen, au fil de salles essentiellement tendues de rouges, du brun tomette au cardinal le plus vif.

Olympia (1863) d'Édouard Manet (1832-1883) © Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt - Paris, musée d’Orsay
Olympia (1863) d’Édouard Manet (1832-1883) © Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt – Paris, musée d’Orsay

Le regard le plus souvent adopté par les nombreux artistes qui se sont collés au sujet à l’époque reste celui du client, réel ou potentiel, mais sans la compassion d’un Lautrec, d’un Picasso ou d’un Van Gogh. C’est plutôt un regard qui pointe l’altérité absolue, l’étrangeté que représente la prostituée, non seulement femme, mais encore femme de petite vertu. On l’achète, la domine, la réprouve. Et pourtant, sa séduction menace, et pas uniquement pour des raisons sanitaires. On nage en pleine ambiguïté dans ce jeu de pouvoirs. La citation de Felix Fénéon au sujet du tableau de Louis Valtat placé en ouverture de l’exposition, Sur le boulevard (la Parisienne), lors de son compte-rendu du Salon des Indépendants de 1893 est d’ailleurs assez explicite de cette fascination mêlée de mépris mais aussi de crainte : « Je gobe son grand tableau : une chouette filasse, putain comme chausson qui se trimballe sur le boulevard. Pour sûr, elle va rouler dans les grands prix les bourgeoisillons qui rôdent autour de ses froufrous ».

Cette peur semble atteindre son paroxysme avec l’Olympia de Manet. Soudain, la prostituée, représentée le plus souvent avec un voyeurisme certain (Degas n’était sur ce point pas le dernier) se met à regarder le spectateur en pleine face. La plus grande provocation du tableau est sans doute celle de renvoyer le spectateur à lui-même… Comme à la fin de la chanson de Brassens.

 

Splendeurs et misères

Images de la prostitution 1850-1910

Musée d’Orsay

Jusqu’au 17 janvier 2016

De 9h30 à 18h mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche
De 9h30 à 21h45 le jeudi
Fermé tous les lundi, les 1er mai et 25 décembre

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