Il était une fois l'Orient-Express

exposition_orient-express_afficheL’Orient-Express… le nom est mythique et fait encore rêver aujourd’hui, tant il évoque les attraits de l’ailleurs et l’exotisme de l’Orient, le confort, le luxe et le raffinement… mais aussi le charme d’un voyage qui prend son temps, à l’opposé de la vitesse contemporaine que l’avion autorise et que d’aucuns regrettent presque.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes : quand, en 1883, l’Express d’Orient quitta la gare de Strasbourg (ancien nom de la gare de l’Est) à Paris pour rejoindre Istanbul, l’une des principales révolutions que ce train apportait était la rapidité du trajet. Pensez donc : relier la capitale de l’Empire ottoman en 4 jours à peine, quand jusqu’alors il en fallait 15 au départ de Marseille !

Mais le train bleu et or présentait bien d’autres nouveautés, qui étaient autant d’atours à une époque où la soif de modernité et la foi dans le progrès étaient infinis. La première idée de génie de Georges Nagelmackers, l’ingénieur belge inventeur du projet, fut d’importer en Europe une innovation américaine de taille : le wagon-lit. Il l’améliora toutefois considérablement. Alors que les trains de George Pullman n’offraient qu’une intimité relative – les couchettes n’étaient isolées les unes des autres que par des rideaux, ce qui gênait quelque peu la clientèle, en particulier féminine – ceux de la Compagnie des wagons-lits proposaient de véritables cabines individuelles, ce qui évidemment change tout…

exposition_orient_express_salonDe plus, Georges Nagelmackers voulait offrir le must en matière de confort et de décor. Il fait appel aux meilleurs artisans, choisit les matériaux les plus nobles, soigne les moindres détails. Le cuir vient de Cordoue, le tissu de Gênes, les tapisseries des Gobelins ; la vaisselle est en argent, les verres en cristal, les draps damassés. Dans les années 1920, il fait appel au décorateur René Prou et au joaillier et maître verrier René Lalique qui conçoivent un écrin Art déco qui deviendra emblématique du style « Orient-Express ». Ainsi, c’est dans un cadre prometteur de luxe, de calme et même de volupté qu’une poignée de privilégiés gagnaient un Orient encore largement fantasmé, en ce siècle marqué par la vogue de l’Orientalisme.

Evidemment, l’entreprise n’aurait pu aboutir sans une autre grande réussite, et qui ne se fit pas sans effort ni opiniâtreté : faire traverser à l’Orient-Express de multiples frontières. Celles de Bavière, Autriche, Serbie, Bulgarie et Roumanie sont effet franchies sans aucune formalité administrative pour les passagers qui au départ remettent simplement leur passeport au personnel. Après la Première guerre mondiale, un autre trajet est mis en place, grâce au tunnel du Simplon, qui permet de contourner l’Allemagne et de gagner encore en efficacité.

exposition_orient_express_cabinet_toiletteEnfin, à défaut de pouvoir tout raconter ici (ce que l’exposition fait de toutes façons merveilleusement), un autre coup de génie de l’ingénieur belge mérite d’être souligné : pour le voyage inaugural de 1883, monte à bord un groupe d’hommes (exclusivement…) soigneusement triés sur le volet, savant dosage d’artistes, de souverains et de journalistes. Ces derniers, fort enthousiastes, assureront, pour le prix du voyage qui leur a été offert, une publicité extraordinairement efficace. Bref, Georges Nagelmackers a aussi inventé le voyage de presse !

En visitant l’exposition présentée à l’IMA à Paris jusqu’à fin août, on découvre d’authentiques wagons de l’Orient-Express « dans leur jus », mais aussi une multitude de documents et d’objets qui font revivre toute une ambiance, des personnages (y compris ceux, nombreux, liés au spectacle, à la littérature et au cinéma), une époque  – en particulier celle de l’Entre-deux-guerres, âge d’or de l’Orient-Express marquée par les artistes des Années folles et le style Art déco -, mais aussi une aventure et, plus encore peut-être, un rêve.

 

Il était une fois l’Orient-Express

Institut du monde arabe

1, rue des Fossés-Saint-Bernard – Paris 5ème

Jusqu’au 31 août 2014

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Maestro. Léa Fazer

maestro

C’est le film le plus joli, sensible et intelligent vu depuis longtemps.

Henri, un jeune comédien en mal de rôle, tempérament sûr de lui et potache, toujours prêt à amuser la galerie et à flamber, se voit engagé par un grand réalisateur, Cédric Rovère, respecté et admiré pour le cinéma d’auteur auquel il est resté fidèle depuis le début de sa longue et belle carrière. A l’origine du scénario, une histoire vraie : celle du jeune Jocelyn Quivrin (aujourd’hui disparu) qui découvre Eric Rohmer en jouant dans ce qui sera en fait la dernière œuvre du cinéaste, Les amours d’Astrée et de Céladon, un film en costumes et quelque peu pastoral tiré du roman du XVIIème siècle d’Honoré Urfé. Film qu’on avait adoré soit dit en passant.

Maestro raconte ainsi la rencontre de deux personnages et à travers eux de deux mondes. L’un est jeune, inculte et croit que la culture ne sert à rien. L’autre est âgé, nourri de culture classique, amoureux de la langue, de la poésie, de la beauté d’un paysage ou d’un sentiment. L’un est bien l’enfant de son époque, l’autre semble être l’un des derniers survivants d’un temps révolu.

Plongé dans l’univers rohmérien, où il découvre des congénères fort différents de ceux qu’il fréquente d’habitude, recevant les conseils du vieux cinéaste, Henri va peu à peu évoluer, comprendre qu’une belle voiture n’est pas la seule manière de séduire une fille et que pour la beauté de l’art certains sont prêts à sacrifier leur confort, oublier leurs problèmes de fins de mois et à se passer de portable…

Superbe chemin initiatique conduit par la grâce de la transmission et conforté par l’exemple des pairs, le film – et c’est notamment ce qu’il a de merveilleux – ne ressemble pas à une « leçon ». Le regard porté sur le vieux cinéaste, mêlant admiration et recul dans un subtil équilibre, est d’une tendresse incroyable. Dans cette ode à la beauté, à la littérature et à la culture, il n’y a pas une once de prétention. D’un bout à l’autre, au fil d’une tout aussi tendre moquerie, l’humour nous fait aimer tous les personnages. Et à travers Cédric Rovère on découvre avec un ravissement absolu les émouvantes coulisses d’un tournage de Rohmer – où par exemple et comme de naturel, les lectures se font dans la crypte d’une chapelle médiévale… Dieu que tout cela est bien écrit, bien fait, bien joué. Et si beau.

Maestro

Un film de Léa Fazer

Avec Pio Marmai, Michael Lonsdale, Déborah François

Sorti en salles le 23 juillet 2014

Durée 1 h 25

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L’Homme qu’on aimait trop. André Téchiné

lhommequonaimaittrop

Toussaint 1977, Agnès Leroux disparaît. Elle est la fille de Renée Leroux, propriétaire du Palais de la Méditerranée, célèbre casino niçois. Le corps de la jeune femme n’est jamais retrouvé. Accusé de meurtre, l’avocat Maurice Agnelet est acquitté à l’issue d’un procès intervenu des décennies après. Ce n’est que cette année, en 2014, qu’il a finalement été condamné.

André Téchiné ne raconte pas ce rocambolesque feuilleton judiciaire, mais ce qui le précède : comment ce drame a pu arriver. Comment Agnelet a séduit Agnès Leroux, comment il l’a dressée contre sa mère, comment il a fait main basse sur son argent. Montrant le jeu de séduction et de pouvoir dont la riche héritière fut la victime, Téchiné se garde de conclure. Mais après une telle démonstration, le spectateur n’a pas de mal à imaginer comment le jeune arriviste a aussi pu la faire assassiner.

Pour autant, et avec beaucoup de subtilité, Téchiné ne fait pas de son film un portrait à charge contre ce « petit avocat qui n’a pas les moyens de ses ambitions » ainsi que le qualifie Renée Leroux dans l’une de ses tentatives de mettre sa fille en garde contre lui. Il s’agit plutôt – domaine dans lequel le réalisateur excelle – de la mise à nu de la relation entre les êtres. Eclairage frontal, qui ne révèle pas, loin s’en faut, que de belles choses. Si Maurice Agnelet est dépourvu de talent (et donc de clientèle), il a une sorte de grâce (comment l’expliquer autrement ?) : celle de plaire aux femmes. Il utilise donc cette seule qualité pour satisfaire son ambition dévorante, d’abord auprès de la mère, la flattant afin d’entrer à son service – ce qui lui vaut un échec cuisant – , puis s’en prenant à sa fille, et cette fois avec un succès au-delà de toute espérance. Agnès est fragile, en opposition avec sa mère malgré beaucoup d’amour de part et d’autre, très adolescente dans le fond. On la voit se jeter dans la gueule du loup avec un empressement qui fait mal. Agnelet n’a finalement pas beaucoup de mérite à prendre sur la jeune femme une emprise totale, alimentée par l’amour fou et à sens unique que celle-ci lui porte. Une emprise qui ira très loin, non sans l’aide de la mafia locale, dont l’avocat apparaît finalement comme un opportuniste maillon.

Ce triangle-là est magnifiquement mis en scène. Lointaine observation, coup de téléphone, tête-à-tête, lettre : André Téchiné utilise tous les moyens de rencontre entre eux avec une égale force, comme pour mieux montrer l’incompréhension soldant toutes ces tentatives de communication, que ce soit entre la mère et la fille Leroux ou entre Agnès et Maurice. En toile de fond de ce drame, les paysages et la lumière sont d’une splendeur presque indécente ; le réalisateur souligne les mille nuances de la lumière naturelle de la côte d’Azur comme il montrait celles du sud-ouest dans Ma saison préférée. L’interprétation du trio est proprement magnifique : Catherine Deneuve, tout en détermination, impeccable, Guillaume Canet très convaincant en manipulateur qui ne se force pas, et une Adèle Haenel qui, entre rires enfantins, larmes d’angoisse et rage écumante, va très loin dans son jeu et s’expose avec un engagement très impressionnant.

L’Homme qu’on aimait trop, d’André Téchiné

Sorti en salles le 16 juillet 2014

Durée 1 h 56 mn

 

 

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Le mythe Cléopâtre à la Pinacothèque de Paris

Portrait de Cléopâtre VII, Milieu du Ier siècle av. J.-C. Musée des antiquités, Turin
Portrait de Cléopâtre VII, Milieu du Ier siècle av. J.-C.
Musée des antiquités, Turin

Les calendriers des manifestations parisiennes sont parfois plutôt bien accordés.

Alors que les Galeries nationales du Grand Palais présentent jusqu’au 19 juillet une exposition consacrée à l’empereur romain Auguste, la Pinacothèque de Paris en organise une dédiée à la belle Cléopâtre. Elle est visible jusqu’au 7 septembre 2014.

Les deux sont en quelque sorte complémentaires, avec pour points communs César et Marc-Antoine.

César fut le premier des empereurs romains avec lesquels la reine d’Egypte s’associa, afin de sauvegarder l’indépendance de son pays. Elle donna à César un fils et, en -46, s’installa à Rome, dans sa villa du Trastevere. Elle y mena un train de vie luxueux et raffiné qui inspira une société romaine frappée d’Egyptomania.

L’assassinat de César en -44 prive Cléopâtre de son protecteur et elle retourne à Alexandrie. L’année suivante, Antoine, fidèle compagnon de César et Octavien, fils adoptif de ce dernier et futur Auguste, bien que rivaux, unissent leur force pour combattre Brutus et Cassius les assassins de César. Ils se partagent l’Empire : à Antoine l’Orient, à César l’Occident.

C’est ici que réapparaît Cléopâtre, qui en -41, devient la maîtresse d’Antoine. Tous deux partagent alors durant une année à Alexandrie une vie digne de celle des dieux : « la vie inimitable » ainsi que l’a désignée Plutarque. En dépit de bien des péripéties, cette histoire d’amour durera jusqu’à leur mort.

En -31 effet, la rivalité entre Antoine et Octavien trouve son dénouement dans la bataille d’Actium, avec la victoire de la flotte romaine dirigée par Agrippa sur celle d’Antoine et de Cléopâtre. L’année suivante, après l’entrée d’Octavien dans Alexandrie, Antoine se suicide. Quelques jours après, c’est au tour de Cléopâtre de se donner la mort, à l’âge de 39 ans.

Le mythe de Cléopâtre, alors déjà en marche, n’a cessé depuis de se perpétuer.

Pour aborder ce personnage fascinant, la Pinacothèque n’a pas fait les choses à moitié, réunissant pas moins de 350 pièces. Son exposition se déploie en deux parties.

La première présente de nombreuses œuvres archéologiques venue des grandes institutions italiennes (Musées du Vatican, Musée archéologique National de Naples, Musée des Antiquités de Turin…), mais aussi de la fondation Gandur pour l’Art en Suisse ou, plus proche de nous, de la Bibliothèque nationale de France. Des pièces appartenant au collectionneur Guy Weill Goudchaux sont présentées au public pour la première fois.

Manteau royal de Cléopâtre, rôle tenu par Elisabeth Taylor dans le film de Joseph Mankiewicz, Cléopâtre (1963). Tissu lamé de soie et d’or. (Collection Costumi d’Arte- Peruzzi- Rome).
Manteau royal de Cléopâtre, rôle tenu par Elisabeth Taylor dans le film de Joseph Mankiewicz, Cléopâtre (1963). Tissu lamé de soie et d’or. (Collection Costumi d’Arte- Peruzzi- Rome).

Statues et objets mobiliers de toutes sortes restituent l’histoire de la dernière Reine d’Egypte, Cléopâtre VII. Sont notamment rappelées l’origine grecque de la dynastie – les Ptotémée – à laquelle elle appartient, ainsi que la durée de son règne : 22 ans, après avoir accédé au trône à l’âge de 18 ans !

Les personnages romains évoqués plus haut sont également abondamment illustrés, mais la part la plus belle est faite naturellement à la culture égyptienne, avec des œuvres relatives aux cultes funéraires, aux cultes divins et aux arts, le tout à travers statues, statuettes, amulettes, vases, bijoux… tous plus splendides les uns que les autres.

Toute une séquence montre l’influence de la civilisation égyptienne sur la civilisation romaine : adoption de certains cultes comme celui d’Isis, reprise de motifs iconographiques traditionnels….

La seconde partie de l’exposition, plus courte, est consacrée à la représentation du mythe de Cléopâtre dans les arts visuels : peintures des XVI° au XIX° siècles illustrant son suicide, le sein mordu par un aspic ; décors de théâtre issus de la pièce de Shakespeare ; costumes de cinéma… Parmi ces derniers, on admirera notamment les robes portées par Elizabeth Taylor dans le film de Mankewicz en 1963 : du très grand art également !

 

Le mythe Cléopatre

Pinacothèque de Paris

Place de la Madeleine et rue Vignon – Paris 8° et 9°

TLJ de 10h30 à 18h30, nocturnes les mercredi et vendredi jusqu’à 21h

Entrée 12,50 euros, tarif réduit 10,50 euros

Jusqu’au 7 septembre 2014

 

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Bill Viola au Grand Palais

bill_violaL’exposition est à la fois un événement et une expérience. Événement car il s’agit de la première rétrospective de l’œuvre du vidéaste new-yorkais de 63 ans présentée à Paris. Expérience parce qu’au fil de vingt écrans et projections de films qui durent de 7 à 35 mn chacun, plongé dans le noir et démuni de toute explication, le public se trouve livré à lui-même pour découvrir ces œuvres déconcertantes.

Les premières datent des années 1970 (The Reflecting pool notamment), la plus récente de l’année dernière. Le tout constitue des heures de films. Autant dire qu’on ne peut pas tout voir en une seule fois. Peu importe, ce qui est vu est vu. Et en définitive, l’ensemble est tellement passionnant qu’on y revient.

Bill Viola met en scène des personnes tantôt seules, tantôt à deux, parfois en groupe. L’un de ses thèmes récurrents est celui de la disparition associée à l’eau, noyade, déluge qui emporte tout, eau dans laquelle on plonge pour semble-t-il s’anéantir. Mais ce n’est peut-être pas définitif. Formellement, d’abord, arrivée à sa fin, la vidéo revient à son début en un cycle d’apparition et d’évanouissement toujours renouvelé. Plus encore, Bill Viola montre la vie au-delà de la mort, l’eau qui a englouti revenant sous forme de pluie libérer les âmes.

Les hommages à la peinture et aux grands maîtres du passé sont saisissants (Goya avec The Sleeop of Reason, Jérôme Bosch avec The Quintet of the Astonished). L’œuvre la plus fascinante du parcours, Going Forth By Day, ensemble de cinq projections simultanées de 35 mn chacune dans une salle rectangulaire assez monumentale est une référence aux fresques de Giotto dans la basilique Saint-François d’Assise. Comme dans la plupart des œuvres de Bill Viola, le son est très présent. On suit ainsi l’un des films et les sons des autres viennent s’y superposer. Par exemple, dans First Light, pendant que les secouristes – qui n’ont pu secourir personne – s’endorment, épuisés et impuissants au bord d’un lac dans le silence assourdissant de leur détresse, le déluge qui s’abat sur la ville dans un autre film de la pièce, en un bruit de chute d’eau fracassant, vient recouvrir leur sommeil tel un terrible cauchemar.

L’expérience du visiteur est propre à l’art vidéo : planté devant une œuvre beaucoup plus longtemps qu’il ne l’est la plupart du temps devant un tableau ou une photo, à l’affût du moindre changement dans des films qui se déroulent très lentement, attentif à l’action qui forcément viendra (mais quand ?), le spectateur est obligé de ralentir, de se poser. Les vidéos ont un pouvoir hypnotique fort, qui met dans un état proche de la méditation, un état délicieux, et qui ne manque pas de questionner sur l’approche que nous avons de l’art en général : pourquoi passons-nous si vite devant les œuvres ? Que voyons-nous ? Et qu’en reste-t-il ?…

Bill Viola

Galeries nationales du Grand Palais

Square Jean Perrin, Champs-Elysées, avenue du Général Eisenhower, Paris 8ème

Ouvert de 10h à 22h (jsq à 20h le dimanche et lundi)
Fermeture hebdomadaire le mardi, fermeture le lundi 14 juillet

Entrée 13 euros (TR 9 euros)

Jusqu’au 21 juillet 2014

Bill Viola, Going Forth By Day (détail), 2002, « First Light » (panneau 5), installation vidéo sonore, cycle de cinq projections, 36 minutes, performers : Weba Garretson, John Hay, Collection Pinault, Photo Kira Perov
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Deux jours, une nuit. Jean-Pierre et Luc Dardenne

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C’est à nouveau un film qui prend aux tripes que nous offrent les frères Dardenne. Sélectionné au dernier Festival de Cannes, il en revenu bredouille. Pourtant, ce dernier opus n’est pas moins fort que Rosetta (si ce n’est l’effet de « surprise » d’alors) qui leur avait valu leur première Palme d’Or en 1999.

Fidèles à la veine sociale qu’ils explorent avec acuité depuis des années, les réalisateurs belges restent fidèles aussi à une façon de faire qui continue d’étonner par son efficacité, faite de sobriété et d’économie de moyens. Il faut dire que le fil scénaristique est redoutablement bien tenu, tendu même, ménageant le suspense jusqu’à la fin. La mise en scène, toujours au plus près des personnages montre sans concession autant ceux-ci que des situations. Car évidemment il s’agit tout autant de situations que de personnes.

Sandra, ouvrière dans une usine de panneaux solaires, en retour d’un congé maladie pour dépression, est licenciée. Sauf si ses collègues – ils sont dix-huit – renoncent à percevoir leur prime : avec un cynisme sans limite, le directeur fait ainsi reposer la responsabilité de sa décision sur les autres ouvriers. La jeune mère de famille a un week-end devant elle pour convaincre un par un ses collègues de se priver des 1000 euros dont ils ont tous besoin afin qu’elle garde son emploi.

Les situations se répètent donc, avec une constante, qui est la gêne de Sandra de se présenter à ses homologues « comme une mendiante », et des variables : la réaction de chacun face à sa demande. Elle rencontre parfois de la tendresse, parfois de l’indifférence, mais qui souvent sonne faux, parfois de la violence, qui n’est que le marqueur de la dureté des conditions sociales. Fragilisée à l’extrême, aidée par un mari aussi fin qu’aimant, Sandra découvrira par dessus-tout une humanité qui lui redonnera la force de se battre. Un rai de soleil dans ce tableau si sombre.

Impeccablement dirigés comme à l’accoutumée, les comédiens incarnent leurs personnages avec un naturel plus que convaincant. Mais la plus déconcertante de tous est Marion Cotillard, qui joue Sandra avec un talent insoupçonné jusque-là. Son visage, le timbre de sa voix, son corps même transmettent à chaque instant la variété de ses émotions et de ses pensées. Car pendant ce week-end là, rien n’est solide pour elle si ce n’est sa famille. Sandra est sur un fil, prêt à se rompre. Elle ne sait pas ce qui l’attend, elle ne sait pas si cela dépend d’elle, ni même de qui autrement. Et cette incertitude fondamentale, traduite dans une succession de moments de découragement, d’espoir, de désespoir, de doute et de joie, on la vit avec Sandra sans la lâcher un seul instant, grâce à la justesse d’un jeu qui fait de Marion Cotillard l’une de nos plus étonnantes comédiennes.

Deux jours, une nuit

Un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Pili Groyne

Durée 1 h 35

Sorti en salles le 21 mai 2014

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Les Impressionnistes en privé. Musée Marmottan Monet

 Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

C’est le 21 juin 1934 que l’hôtel particulier de la rue Louis-Boilly dans le 16ème arrondissement de Paris, ancien relais de chasse du duc de Valmy acquis par l’industriel Jules Marmottan en 1882, a ouvert ses portes au public. Disparu en 1932, Paul Marmottan, fils de Jules, souhaitait en effet que le lieu devienne un musée pour présenter sa collection de mobilier, d’objets d’art décoratif et de tableaux Premier Empire.

Enrichi progressivement par donations, le fonds Marmottan va prendre une teinte résolument impressionniste à partir de 1957, avec le legs de Victorine Donop de Monchy, fille de Georges de Bellio, médecin et grand admirateur des Impressionnistes. C’est grâce à elle que le Musée détient le fameux Impression, Soleil Levant de Monet, considéré comme « l’acte de naissance » de l’Impressionnisme. En 1966, le legs de Michel Monet, le second fils du peintre, place le Musée Marmottan au premier rang mondial des collections d’œuvres de Claude Monet. Enfin, le legs Thérèse Rouart fait du Musée la première collection publique d’oeuvres de Berthe Morisot.

Pour fêter son 80ème anniversaire, le Musée Marmottan rend hommage à son histoire, en montrant son attachement aux collectionneurs, sans lesquels il n’existerait pas, et sa fidélité à la veine impressionniste de son fonds. Il a ainsi réuni, en une exposition exceptionnelle, une centaine de tableaux, dessins, pastels et sculptures, tous détenus par des particuliers. 51 collectionneurs exactement, dont une bonne moitié étrangers, ont ainsi prêté leur concours à l’événement. Beaucoup d’œuvres n’ont jamais été exposées au public, ou il y a fort longtemps. Autant dire qu’il s’agit là d’une occasion unique de les découvrir, d’autant que la plupart sont de premier rang, et même certains des chefs d’œuvres.

Le parcours est très simple, très lisible. On commence par les prémices de l’Impressionnisme, avec à droite de belles marines du Hollandais Jongkind et à gauche celles de Boudin, qui apprit la peinture de plein air à Monet, ainsi que des paysages de Corot, d’une finesse inouïe comme toujours. Le travail sur la lumière des deux premiers, le pinceau légèrement flouté du troisième annoncent les recherches et les développements des Impressionnistes. Le père de la peinture moderne, Manet, est également au rendez-vous, avec la version préparatoire du Bar aux Folies Bergère.

Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©
Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©

Puis voici l’émergence des Impressionnistes, avec leur première exposition de 1874 (qui fut un échec) et les années de travail ensemble. Pissaro, Sisley, Cézanne, Monet, Guillaumin, Renoir, Morisot, ils sont tous là. Les paysages se suivent, se complètent, s’apparentent mais ne se ressemblent pas. Sisley fait des merveilles aussi bien au bord de l’eau (Tournant du Loing à Moret. Printemps) que sous la neige (Une cour à Chaville) ; on découvre Monet sur les planches à Trouville ; on retrouve Pissarro dans les foins. Cézanne et Renoir se saluent d’un bouquet, l’un de géraniums, l’autre de roses et de pivoines. Tout cela est tour à tour ou tout à la fois merveilleusement coloré, lumineux, paisible, gai, léger… tout simplement très beau.

Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja
Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja

La dernière partie de l’exposition traite les artistes séparément : en effet, avant la fin du siècle, chacun a pris son propre chemin. Un nouveau peintre a aussi fait son apparition : Caillebotte, dont on admire ici de magnifiques tableaux aux plans « photographiques » : œuvres parisiennes comme Rue Halévy, vue du sixième étage, mais aussi peintures de sa propriété en extérieur, dont les véritables sujets semblent être les massifs fleuris, comme Les soleils, jardin du Petit-Genevilliers ou encore Les Dahlias. Degas est magnifiquement représenté par des pastels tels que La toilette après le bain mais aussi par la splendide sculpture Petite danseuse de 14 ans. Et l’on a même droit à un clin d’œil de Rodin, dont est présentée une étude en terre cuite du Penseur.

L’exposition se termine avec deux tableaux du « dernier » Monet, hyper-modernes, à la limite de l’abstraction : un étonnant Leicester Square (Londres), la nuit (très nocturne effectivement !) et des Hémérocalles au bord de l’eau, dans la veine des Nymphéas, mais qui justement n’en sont pas et dont les belles teintes orangées claquent merveilleusement sur le fond vert et bleu des végétaux aquatiques et de l’eau.

 

Musée Marmottan

2, rue Louis-Boilly – Paris XVIème

Tél. : 01 44 96 50 33

TLJ sauf le lundi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h

Entrée 10 euros, tarif réduit 5 euros

Jusqu’au 6 juillet 2014

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Monumenta 2014. L'Etrange cité. Ilya et Emilia Kabakov

Monumenta 2014, Ilya et Emilia Kabakov, L'étrange cité Photos Didier Plowy pour la Réunion des musées nationaux - Grand Palais,
Monumenta 2014, Ilya et Emilia Kabakov, L’étrange cité Photos Didier Plowy pour la Réunion des musées nationaux – Grand Palais

On aime Monumenta pour plein de raisons, à commencer par son annualité, qui en fait une sorte de rituel – en oubliant qu’on en a été privé l’an dernier pour des motifs budgétaires – depuis 2007.

Pour le lieu ensuite, unique, tant par son volume incomparable que par la beauté et la surface de sa verrière.

Pour la surprise, enfin. Chaque fois, carte blanche est donnée à un artiste contemporain différent, d’envergure internationale, qui conçoit une œuvre spécifiquement adaptée au lieu ; pour le grand public, ce peut être ainsi l’occasion de découvrir un grand artiste d’aujourd’hui.

etrange_cite_coupoleL’édition 2014 de Monumenta renoue en quelque sorte avec la première dans le dispositif choisi. Comme Anselm Kiefer – dont Chute d’étoiles semble rétrospectivement le projet le plus abouti et le plus séduisant jusqu’à présent – Kabakov et son épouse ont installé un ensemble architectural dans la cathédrale de verre et d’acier. Aux « maisons » de l’artiste allemand répond L’Etrange cité des Kabakov. Ce n’est pas le seul lien. Là où Kiefer citait Céline et Paul Celan, le couple russe évoque L’Enfer de Dante. Il y ajoute une dimension musicale très forte, avec Wagner ou encore Bach, qui magnifie le tout. On retrouve aussi le lien avec l’histoire de l’art, accueillis aux portes de la cité par une coupole renversée qui rappelle les grands édifices, notamment religieux, et les vitraux multicolores des églises. Les couleurs des vitraux changent en fonction de la musique, selon la théorie de la synesthésie du début du siècle dernier. On parle « d’art total » : bien que l’expression soit un chouia snob aujourd’hui, il s’agit visiblement bien de cela.

OLYMPUS DIGITAL CAMERALa suite de la visite entraîne dans différentes constructions telles que Le musée vide (efficace), Comment rencontrer un ange (forcément poétique), ou encore Les Portails (poignant), qui chacune abrite un monde ou au moins l’expression d’une idée qui suffit à faire monde, et le tout forme l’univers cohérent qu’est cette cité toute blanche ceinte d’un double mur ouvert.

Ilya et Emilia Kabakov y évoquent la Renaissance, la peinture, l’architecture, la sculpture, la science, mais aussi la Bible, les croyances des civilisations anciennes, la mort et le passage dans l’autre monde.

C’est souvent très beau, parfois extrêmement émouvant. On avance doucement, on s’arrête, on revient, on poursuit. Le dispositif de Monumenta par les dimensions qu’il autorise se prête en lui-même à la promenade, on l’a souvent dit ici. L’appel à l’imaginaire et à la spiritualité de l’œuvre des Kabakov favorise particulièrement cette approche très personnelle, intime et méditative. Une très belle expérience que les visiteurs, qui vont d’étonnement en étonnement, vivent dans le calme et le recueillement.

Monumenta 2014

L’Etrange cité d’Ilya et Emilia Kabakov

Grand Palais – avenue Winston Churchill – Paris 8ème

Dim., lun., mer. de 10 h à 19h, du jeu. au sam. de 10 h à minuit

Entrée 6 euros, tarif réduit 3 euros

Jusqu’au 22 juin 2014

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Les secrets de la laque française aux Arts décoratifs

Détail d’un panneau de berline, Paris, attr. à Guillaume ou Étienne-Simon Martin, vers 1745 © Münster, Museum für Lackkunst
Détail d’un panneau de berline, Paris, attr. à Guillaume ou Étienne-Simon Martin, vers 1745 © Münster, Museum für Lackkunst

Plein feux sur le XVIIIème siècle français au Musée des Arts décoratifs à Paris, où est organisée, en collaboration avec le Lackkunst Museum de Münster en Allemagne, une exposition dédiée à cette technique particulière de laque. Le « vernis Martin » doit son nom aux frères qui, sans forcément en inventer la recette, furent ceux qui l’utilisèrent avec le plus d’éclat.

Le parcours retrace cette magnifique épopée, où l’artisanat a atteint un niveau tel que bien de ses productions peuvent être qualifiées de chefs d’œuvres, à une époque où la France jouissait dans ce domaine d’une remarquable renommée internationale.

Jusqu’au XVIIème siècle, les laques, dont le raffinement séduisait une riche clientèle, étaient importés du Japon et de Chine. Mais le renchérissement des importations a conduit les artisans européens à chercher à imiter la technique. En France, les frères Martin furent les plus célèbres de ces artisans.

L’exposition rend compte de l’évolution que connurent le procédé et ses applications. D’abord clairement dans l’imitation des modèles chinois et japonais, la production française s’en affranchit petit à petit. L’étape la plus spectaculaire est l’intervention de couleurs autres que le rouge et le noir orientaux, avec des fonds beaucoup plus lumineux : voici de très beau bleus, jaunes, verts pâles, blancs… Puis les motifs vont eux aussi s’émanciper, délaissant tranquillement les paysages typiquement asiatiques pour adopter ceux des peintres français de l’époque, Greuze, Boucher, Oudry ou Vernet. Paysages maritimes, scènes de genre, portraits, motifs antiquisants… ornent meubles, étuis, bonbonnières et autres tabatières.

A travers près de 300 objets, le parcours témoigne de la grande diversité des supports utilisés. Bois bien sûr, mais aussi métal, argent, céramique et même tôle… des matériaux les plus précieux aux plus économiques, les artisans français ont tout essayé pour répondre à la demande d’une clientèle de plus en plus nombreuse.

C’est ainsi que l’on admire d’exceptionnelles commodes, d’adorables tables chiffonnières, des harpes époustouflantes, un incroyable clavecin, des nécessaires de toilette, des instruments scientifiques, des écritoires, des rafraîchissoirs, des brûle-parfums… sans oublier des voitures à cheval à couper le souffle, en particulier l’immense berline en laque rouge et noire et bois doré, exemplaire parmi 24 d’une commande passée à Paris par la cour du Portugal en 1727…. A mi-parcours, un petit film montre les secrets des ateliers de restauration des laques français. Du microscope au pinceau, un travail d’ultra-précision pour respecter ce patrimoine d’un luxe et d’un raffinement inouïs, mais d’une immense fragilité.

 

Les secrets de la laque française.  Le vernis Martin

Musée des Arts décoratifs

107, rue de Rivoli – Paris 1er

Métro : Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries

Du mardi au dimanche de 11h à 18h, le jeudi jusqu’à 21 h

Entrée 11 euros, tarif réduit 8,50 euros

Jusqu’au 8 juin 2014

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Carl Larsson, L'imagier de la Suède

 

 Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile © Nationalmuseum, Stockholm

Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile
© Nationalmuseum, Stockholm

Quelle découverte merveilleuse ! Carl Larsson (1853-1919), grand peintre suédois, fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective en France. Elle est présentée au Petit Palais à Paris, « en contre-point de l’exposition Paris 1900 » ainsi que le souligne le musée.

Mais attention, si cette dernière exposition, qui rencontre un grand succès est visible jusqu’au 17 août, en revanche celle dédiée à Carl Larsson s’achève dès le 7 juin.

Cent vingt œuvres sont réunies, en majorité des aquarelles, mais aussi des peintures à l’huile, des dessins préparatoires et quelques eaux-fortes. Tout enchante. Carl Larsson, qui fit ses débuts dans la peinture d’histoire et dans l’illustration de presse, manifestant d’emblée un don pour le dessin évident, s’installa en France dès 1877 et pour une bonne dizaine d’années, espérant s’y faire connaître. Il passa quelques temps avec l’école de Barbizon et fréquenta la colonie d’artistes anglo-saxons et scandinaves établie à Grez-sur-Loing près de Fontainebleau. Mais ses espoirs furent déçus : ce n’est pas en France qu’il connut le succès.

 Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

L’exposition s’ouvre avec ces tableaux, peintures à l’huile et surtout aquarelles, exécutés France. Ce sont des scènes d’extérieur montrant des paysans et des potagers, peints d’une main douce et vaporeuse, avec des teintes printanières claires et gaies, que les touches blanches d’une coiffe ou d’un tablier font joliment twister.

Déjà, on remarque le regard respectueux, presque aimant, de ce peintre d’extraction très modeste à l’égard des travailleurs. On admire aussi dès le début le sens de la composition et le cadrage moderne de l’artiste suédois – cadrage qui deviendra de plus en plus audacieux avec le temps. Le superbe Le peintre en plein air réalisé en Suède en témoigne. La perspective de cette scène de neige est construite en douce diagonale, qui permet de montrer le peintre entouré des siens sur le côté, tout près du spectateur, et en même temps la profondeur du paysage si simple et si beau qu’il s’apprête à peindre. Ce que l’on découvre enfin dès ces premières oeuvres est la façon dont Carl Larsson donne vie à tout ce qu’il représente. Il est en cela un illustrateur extraordinaire. Avec lui, on n’est jamais dans la théorie ou la poésie. Les personnages, personnes pour la plupart mais aussi animaux domestiques, sont vibrants de vie. Leurs regards parlent – il n’a pas son pareil pour restituer la naïveté ou l’espièglerie dans les yeux d’un enfant -, leurs corps expriment l’abandon du repos ou l’attention soutenue de l’activité qui les anime. Les portraits, tels l’impressionnant dessin au fusain d’August Strindberg, son vieil ami devenu ennemi, ou celui, ô combien touchant de son menuisier, sont ceux de personnalités qu’il nous semble pouvoir connaître.

 Carl Larsson, "Murre". Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, « Murre ». Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

La suite de l’exposition confirme ces talents, magnifiquement épanouis dans le genre qui lui valu un très grand succès dans son pays et en Allemagne : la peinture d’intérieur. Sur ses aquarelles d’une grande finesse s’étale le bonheur familial du peintre à l’enfance malheureuse, entouré de son épouse, de leurs enfants, de leurs domestiques, sans oublier ni le chien ni le chat. Un film de cette vie-là montré vers la fin du parcours confirme l’ambiance gaie et apaisante des scènes représentées par Carl Larsson. Mièvre ? Pas du tout ! D’abord parce que comme on l’a dit, tout cela regorge de vie, mais aussi parce que les intérieurs – à savoir la maison de campagne de la famille – sont très surprenants. Ce sont des meubles aux couleurs vives (orange, vert, bleu), des murs aux décors plein de fantaisie (et néanmoins très harmonieux), des tissus clairs et modernes, des plantes souples et des fleurs du jardin en veux-tu en voilà… bref, tout sauf les atmosphères bourgeoises confinées voire étouffantes de l’époque.

Il faut dire que Mme Karin Larsson – peintre elle-même avant son mariage – était également dotée d’un grand sens artistique. Elle tissait ses propres tissus, dessinait des meubles (son support à plantes n’est-il pas extra ?), composait de splendides bouquets. Tout cela fait le cadre frais et chaleureux d’une vie domestique calme et joyeuse, si brillamment exécutée que l’on se demande pourquoi la France a boudé – ou tout au moins ignoré –  l’œuvre de Carl Larsson si longtemps.

Carl Larsson, L’imagier de la Suède

Petit Palais

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Tous les jours sauf lundi et jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Entrée : 8€ / 6€ / 4€ (gratuit jusqu’à 13 ans)

Jusqu’au 7 juin 2014

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