Bill Viola au Grand Palais

bill_violaL’exposition est à la fois un événement et une expérience. Événement car il s’agit de la première rétrospective de l’œuvre du vidéaste new-yorkais de 63 ans présentée à Paris. Expérience parce qu’au fil de vingt écrans et projections de films qui durent de 7 à 35 mn chacun, plongé dans le noir et démuni de toute explication, le public se trouve livré à lui-même pour découvrir ces œuvres déconcertantes.

Les premières datent des années 1970 (The Reflecting pool notamment), la plus récente de l’année dernière. Le tout constitue des heures de films. Autant dire qu’on ne peut pas tout voir en une seule fois. Peu importe, ce qui est vu est vu. Et en définitive, l’ensemble est tellement passionnant qu’on y revient.

Bill Viola met en scène des personnes tantôt seules, tantôt à deux, parfois en groupe. L’un de ses thèmes récurrents est celui de la disparition associée à l’eau, noyade, déluge qui emporte tout, eau dans laquelle on plonge pour semble-t-il s’anéantir. Mais ce n’est peut-être pas définitif. Formellement, d’abord, arrivée à sa fin, la vidéo revient à son début en un cycle d’apparition et d’évanouissement toujours renouvelé. Plus encore, Bill Viola montre la vie au-delà de la mort, l’eau qui a englouti revenant sous forme de pluie libérer les âmes.

Les hommages à la peinture et aux grands maîtres du passé sont saisissants (Goya avec The Sleeop of Reason, Jérôme Bosch avec The Quintet of the Astonished). L’œuvre la plus fascinante du parcours, Going Forth By Day, ensemble de cinq projections simultanées de 35 mn chacune dans une salle rectangulaire assez monumentale est une référence aux fresques de Giotto dans la basilique Saint-François d’Assise. Comme dans la plupart des œuvres de Bill Viola, le son est très présent. On suit ainsi l’un des films et les sons des autres viennent s’y superposer. Par exemple, dans First Light, pendant que les secouristes – qui n’ont pu secourir personne – s’endorment, épuisés et impuissants au bord d’un lac dans le silence assourdissant de leur détresse, le déluge qui s’abat sur la ville dans un autre film de la pièce, en un bruit de chute d’eau fracassant, vient recouvrir leur sommeil tel un terrible cauchemar.

L’expérience du visiteur est propre à l’art vidéo : planté devant une œuvre beaucoup plus longtemps qu’il ne l’est la plupart du temps devant un tableau ou une photo, à l’affût du moindre changement dans des films qui se déroulent très lentement, attentif à l’action qui forcément viendra (mais quand ?), le spectateur est obligé de ralentir, de se poser. Les vidéos ont un pouvoir hypnotique fort, qui met dans un état proche de la méditation, un état délicieux, et qui ne manque pas de questionner sur l’approche que nous avons de l’art en général : pourquoi passons-nous si vite devant les œuvres ? Que voyons-nous ? Et qu’en reste-t-il ?…

Bill Viola

Galeries nationales du Grand Palais

Square Jean Perrin, Champs-Elysées, avenue du Général Eisenhower, Paris 8ème

Ouvert de 10h à 22h (jsq à 20h le dimanche et lundi)
Fermeture hebdomadaire le mardi, fermeture le lundi 14 juillet

Entrée 13 euros (TR 9 euros)

Jusqu’au 21 juillet 2014

Bill Viola, Going Forth By Day (détail), 2002, « First Light » (panneau 5), installation vidéo sonore, cycle de cinq projections, 36 minutes, performers : Weba Garretson, John Hay, Collection Pinault, Photo Kira Perov
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Deux jours, une nuit. Jean-Pierre et Luc Dardenne

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C’est à nouveau un film qui prend aux tripes que nous offrent les frères Dardenne. Sélectionné au dernier Festival de Cannes, il en revenu bredouille. Pourtant, ce dernier opus n’est pas moins fort que Rosetta (si ce n’est l’effet de « surprise » d’alors) qui leur avait valu leur première Palme d’Or en 1999.

Fidèles à la veine sociale qu’ils explorent avec acuité depuis des années, les réalisateurs belges restent fidèles aussi à une façon de faire qui continue d’étonner par son efficacité, faite de sobriété et d’économie de moyens. Il faut dire que le fil scénaristique est redoutablement bien tenu, tendu même, ménageant le suspense jusqu’à la fin. La mise en scène, toujours au plus près des personnages montre sans concession autant ceux-ci que des situations. Car évidemment il s’agit tout autant de situations que de personnes.

Sandra, ouvrière dans une usine de panneaux solaires, en retour d’un congé maladie pour dépression, est licenciée. Sauf si ses collègues – ils sont dix-huit – renoncent à percevoir leur prime : avec un cynisme sans limite, le directeur fait ainsi reposer la responsabilité de sa décision sur les autres ouvriers. La jeune mère de famille a un week-end devant elle pour convaincre un par un ses collègues de se priver des 1000 euros dont ils ont tous besoin afin qu’elle garde son emploi.

Les situations se répètent donc, avec une constante, qui est la gêne de Sandra de se présenter à ses homologues « comme une mendiante », et des variables : la réaction de chacun face à sa demande. Elle rencontre parfois de la tendresse, parfois de l’indifférence, mais qui souvent sonne faux, parfois de la violence, qui n’est que le marqueur de la dureté des conditions sociales. Fragilisée à l’extrême, aidée par un mari aussi fin qu’aimant, Sandra découvrira par dessus-tout une humanité qui lui redonnera la force de se battre. Un rai de soleil dans ce tableau si sombre.

Impeccablement dirigés comme à l’accoutumée, les comédiens incarnent leurs personnages avec un naturel plus que convaincant. Mais la plus déconcertante de tous est Marion Cotillard, qui joue Sandra avec un talent insoupçonné jusque-là. Son visage, le timbre de sa voix, son corps même transmettent à chaque instant la variété de ses émotions et de ses pensées. Car pendant ce week-end là, rien n’est solide pour elle si ce n’est sa famille. Sandra est sur un fil, prêt à se rompre. Elle ne sait pas ce qui l’attend, elle ne sait pas si cela dépend d’elle, ni même de qui autrement. Et cette incertitude fondamentale, traduite dans une succession de moments de découragement, d’espoir, de désespoir, de doute et de joie, on la vit avec Sandra sans la lâcher un seul instant, grâce à la justesse d’un jeu qui fait de Marion Cotillard l’une de nos plus étonnantes comédiennes.

Deux jours, une nuit

Un film de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Pili Groyne

Durée 1 h 35

Sorti en salles le 21 mai 2014

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Les Impressionnistes en privé. Musée Marmottan Monet

 Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

Claude Monet, Hémérocalles au bord de l’eau, vers 1914-1917, collection particulière par l’intermédiaire du Museum of Fine Arts, Houston © Collection particulière

C’est le 21 juin 1934 que l’hôtel particulier de la rue Louis-Boilly dans le 16ème arrondissement de Paris, ancien relais de chasse du duc de Valmy acquis par l’industriel Jules Marmottan en 1882, a ouvert ses portes au public. Disparu en 1932, Paul Marmottan, fils de Jules, souhaitait en effet que le lieu devienne un musée pour présenter sa collection de mobilier, d’objets d’art décoratif et de tableaux Premier Empire.

Enrichi progressivement par donations, le fonds Marmottan va prendre une teinte résolument impressionniste à partir de 1957, avec le legs de Victorine Donop de Monchy, fille de Georges de Bellio, médecin et grand admirateur des Impressionnistes. C’est grâce à elle que le Musée détient le fameux Impression, Soleil Levant de Monet, considéré comme « l’acte de naissance » de l’Impressionnisme. En 1966, le legs de Michel Monet, le second fils du peintre, place le Musée Marmottan au premier rang mondial des collections d’œuvres de Claude Monet. Enfin, le legs Thérèse Rouart fait du Musée la première collection publique d’oeuvres de Berthe Morisot.

Pour fêter son 80ème anniversaire, le Musée Marmottan rend hommage à son histoire, en montrant son attachement aux collectionneurs, sans lesquels il n’existerait pas, et sa fidélité à la veine impressionniste de son fonds. Il a ainsi réuni, en une exposition exceptionnelle, une centaine de tableaux, dessins, pastels et sculptures, tous détenus par des particuliers. 51 collectionneurs exactement, dont une bonne moitié étrangers, ont ainsi prêté leur concours à l’événement. Beaucoup d’œuvres n’ont jamais été exposées au public, ou il y a fort longtemps. Autant dire qu’il s’agit là d’une occasion unique de les découvrir, d’autant que la plupart sont de premier rang, et même certains des chefs d’œuvres.

Le parcours est très simple, très lisible. On commence par les prémices de l’Impressionnisme, avec à droite de belles marines du Hollandais Jongkind et à gauche celles de Boudin, qui apprit la peinture de plein air à Monet, ainsi que des paysages de Corot, d’une finesse inouïe comme toujours. Le travail sur la lumière des deux premiers, le pinceau légèrement flouté du troisième annoncent les recherches et les développements des Impressionnistes. Le père de la peinture moderne, Manet, est également au rendez-vous, avec la version préparatoire du Bar aux Folies Bergère.

Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©
Alfred Sisley, Une cour à Chaville, vers 1879, collection de la famille Curtin (service presse / Musée Marmottan Monet) ©

Puis voici l’émergence des Impressionnistes, avec leur première exposition de 1874 (qui fut un échec) et les années de travail ensemble. Pissaro, Sisley, Cézanne, Monet, Guillaumin, Renoir, Morisot, ils sont tous là. Les paysages se suivent, se complètent, s’apparentent mais ne se ressemblent pas. Sisley fait des merveilles aussi bien au bord de l’eau (Tournant du Loing à Moret. Printemps) que sous la neige (Une cour à Chaville) ; on découvre Monet sur les planches à Trouville ; on retrouve Pissarro dans les foins. Cézanne et Renoir se saluent d’un bouquet, l’un de géraniums, l’autre de roses et de pivoines. Tout cela est tour à tour ou tout à la fois merveilleusement coloré, lumineux, paisible, gai, léger… tout simplement très beau.

Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja
Paul Cézanne – Géraniums et pieds d’alouette dans un petit vase de Delft, vers 1873 hst 52 x 39 cm Signé en bas à gauche : P. Cézanne, Collection particulière, France © Christian Baraja

La dernière partie de l’exposition traite les artistes séparément : en effet, avant la fin du siècle, chacun a pris son propre chemin. Un nouveau peintre a aussi fait son apparition : Caillebotte, dont on admire ici de magnifiques tableaux aux plans « photographiques » : œuvres parisiennes comme Rue Halévy, vue du sixième étage, mais aussi peintures de sa propriété en extérieur, dont les véritables sujets semblent être les massifs fleuris, comme Les soleils, jardin du Petit-Genevilliers ou encore Les Dahlias. Degas est magnifiquement représenté par des pastels tels que La toilette après le bain mais aussi par la splendide sculpture Petite danseuse de 14 ans. Et l’on a même droit à un clin d’œil de Rodin, dont est présentée une étude en terre cuite du Penseur.

L’exposition se termine avec deux tableaux du « dernier » Monet, hyper-modernes, à la limite de l’abstraction : un étonnant Leicester Square (Londres), la nuit (très nocturne effectivement !) et des Hémérocalles au bord de l’eau, dans la veine des Nymphéas, mais qui justement n’en sont pas et dont les belles teintes orangées claquent merveilleusement sur le fond vert et bleu des végétaux aquatiques et de l’eau.

 

Musée Marmottan

2, rue Louis-Boilly – Paris XVIème

Tél. : 01 44 96 50 33

TLJ sauf le lundi, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h

Entrée 10 euros, tarif réduit 5 euros

Jusqu’au 6 juillet 2014

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Monumenta 2014. L'Etrange cité. Ilya et Emilia Kabakov

Monumenta 2014, Ilya et Emilia Kabakov, L'étrange cité Photos Didier Plowy pour la Réunion des musées nationaux - Grand Palais,
Monumenta 2014, Ilya et Emilia Kabakov, L’étrange cité Photos Didier Plowy pour la Réunion des musées nationaux – Grand Palais

On aime Monumenta pour plein de raisons, à commencer par son annualité, qui en fait une sorte de rituel – en oubliant qu’on en a été privé l’an dernier pour des motifs budgétaires – depuis 2007.

Pour le lieu ensuite, unique, tant par son volume incomparable que par la beauté et la surface de sa verrière.

Pour la surprise, enfin. Chaque fois, carte blanche est donnée à un artiste contemporain différent, d’envergure internationale, qui conçoit une œuvre spécifiquement adaptée au lieu ; pour le grand public, ce peut être ainsi l’occasion de découvrir un grand artiste d’aujourd’hui.

etrange_cite_coupoleL’édition 2014 de Monumenta renoue en quelque sorte avec la première dans le dispositif choisi. Comme Anselm Kiefer – dont Chute d’étoiles semble rétrospectivement le projet le plus abouti et le plus séduisant jusqu’à présent – Kabakov et son épouse ont installé un ensemble architectural dans la cathédrale de verre et d’acier. Aux « maisons » de l’artiste allemand répond L’Etrange cité des Kabakov. Ce n’est pas le seul lien. Là où Kiefer citait Céline et Paul Celan, le couple russe évoque L’Enfer de Dante. Il y ajoute une dimension musicale très forte, avec Wagner ou encore Bach, qui magnifie le tout. On retrouve aussi le lien avec l’histoire de l’art, accueillis aux portes de la cité par une coupole renversée qui rappelle les grands édifices, notamment religieux, et les vitraux multicolores des églises. Les couleurs des vitraux changent en fonction de la musique, selon la théorie de la synesthésie du début du siècle dernier. On parle « d’art total » : bien que l’expression soit un chouia snob aujourd’hui, il s’agit visiblement bien de cela.

OLYMPUS DIGITAL CAMERALa suite de la visite entraîne dans différentes constructions telles que Le musée vide (efficace), Comment rencontrer un ange (forcément poétique), ou encore Les Portails (poignant), qui chacune abrite un monde ou au moins l’expression d’une idée qui suffit à faire monde, et le tout forme l’univers cohérent qu’est cette cité toute blanche ceinte d’un double mur ouvert.

Ilya et Emilia Kabakov y évoquent la Renaissance, la peinture, l’architecture, la sculpture, la science, mais aussi la Bible, les croyances des civilisations anciennes, la mort et le passage dans l’autre monde.

C’est souvent très beau, parfois extrêmement émouvant. On avance doucement, on s’arrête, on revient, on poursuit. Le dispositif de Monumenta par les dimensions qu’il autorise se prête en lui-même à la promenade, on l’a souvent dit ici. L’appel à l’imaginaire et à la spiritualité de l’œuvre des Kabakov favorise particulièrement cette approche très personnelle, intime et méditative. Une très belle expérience que les visiteurs, qui vont d’étonnement en étonnement, vivent dans le calme et le recueillement.

Monumenta 2014

L’Etrange cité d’Ilya et Emilia Kabakov

Grand Palais – avenue Winston Churchill – Paris 8ème

Dim., lun., mer. de 10 h à 19h, du jeu. au sam. de 10 h à minuit

Entrée 6 euros, tarif réduit 3 euros

Jusqu’au 22 juin 2014

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Les secrets de la laque française aux Arts décoratifs

Détail d’un panneau de berline, Paris, attr. à Guillaume ou Étienne-Simon Martin, vers 1745 © Münster, Museum für Lackkunst
Détail d’un panneau de berline, Paris, attr. à Guillaume ou Étienne-Simon Martin, vers 1745 © Münster, Museum für Lackkunst

Plein feux sur le XVIIIème siècle français au Musée des Arts décoratifs à Paris, où est organisée, en collaboration avec le Lackkunst Museum de Münster en Allemagne, une exposition dédiée à cette technique particulière de laque. Le « vernis Martin » doit son nom aux frères qui, sans forcément en inventer la recette, furent ceux qui l’utilisèrent avec le plus d’éclat.

Le parcours retrace cette magnifique épopée, où l’artisanat a atteint un niveau tel que bien de ses productions peuvent être qualifiées de chefs d’œuvres, à une époque où la France jouissait dans ce domaine d’une remarquable renommée internationale.

Jusqu’au XVIIème siècle, les laques, dont le raffinement séduisait une riche clientèle, étaient importés du Japon et de Chine. Mais le renchérissement des importations a conduit les artisans européens à chercher à imiter la technique. En France, les frères Martin furent les plus célèbres de ces artisans.

L’exposition rend compte de l’évolution que connurent le procédé et ses applications. D’abord clairement dans l’imitation des modèles chinois et japonais, la production française s’en affranchit petit à petit. L’étape la plus spectaculaire est l’intervention de couleurs autres que le rouge et le noir orientaux, avec des fonds beaucoup plus lumineux : voici de très beau bleus, jaunes, verts pâles, blancs… Puis les motifs vont eux aussi s’émanciper, délaissant tranquillement les paysages typiquement asiatiques pour adopter ceux des peintres français de l’époque, Greuze, Boucher, Oudry ou Vernet. Paysages maritimes, scènes de genre, portraits, motifs antiquisants… ornent meubles, étuis, bonbonnières et autres tabatières.

A travers près de 300 objets, le parcours témoigne de la grande diversité des supports utilisés. Bois bien sûr, mais aussi métal, argent, céramique et même tôle… des matériaux les plus précieux aux plus économiques, les artisans français ont tout essayé pour répondre à la demande d’une clientèle de plus en plus nombreuse.

C’est ainsi que l’on admire d’exceptionnelles commodes, d’adorables tables chiffonnières, des harpes époustouflantes, un incroyable clavecin, des nécessaires de toilette, des instruments scientifiques, des écritoires, des rafraîchissoirs, des brûle-parfums… sans oublier des voitures à cheval à couper le souffle, en particulier l’immense berline en laque rouge et noire et bois doré, exemplaire parmi 24 d’une commande passée à Paris par la cour du Portugal en 1727…. A mi-parcours, un petit film montre les secrets des ateliers de restauration des laques français. Du microscope au pinceau, un travail d’ultra-précision pour respecter ce patrimoine d’un luxe et d’un raffinement inouïs, mais d’une immense fragilité.

 

Les secrets de la laque française.  Le vernis Martin

Musée des Arts décoratifs

107, rue de Rivoli – Paris 1er

Métro : Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries

Du mardi au dimanche de 11h à 18h, le jeudi jusqu’à 21 h

Entrée 11 euros, tarif réduit 8,50 euros

Jusqu’au 8 juin 2014

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Carl Larsson, L'imagier de la Suède

 

 Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile © Nationalmuseum, Stockholm

Carl Larsson, Le peintre en plein air, 1886, huile sur toile
© Nationalmuseum, Stockholm

Quelle découverte merveilleuse ! Carl Larsson (1853-1919), grand peintre suédois, fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective en France. Elle est présentée au Petit Palais à Paris, « en contre-point de l’exposition Paris 1900 » ainsi que le souligne le musée.

Mais attention, si cette dernière exposition, qui rencontre un grand succès est visible jusqu’au 17 août, en revanche celle dédiée à Carl Larsson s’achève dès le 7 juin.

Cent vingt œuvres sont réunies, en majorité des aquarelles, mais aussi des peintures à l’huile, des dessins préparatoires et quelques eaux-fortes. Tout enchante. Carl Larsson, qui fit ses débuts dans la peinture d’histoire et dans l’illustration de presse, manifestant d’emblée un don pour le dessin évident, s’installa en France dès 1877 et pour une bonne dizaine d’années, espérant s’y faire connaître. Il passa quelques temps avec l’école de Barbizon et fréquenta la colonie d’artistes anglo-saxons et scandinaves établie à Grez-sur-Loing près de Fontainebleau. Mais ses espoirs furent déçus : ce n’est pas en France qu’il connut le succès.

 Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, Dans le jardin potager, 1883, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

L’exposition s’ouvre avec ces tableaux, peintures à l’huile et surtout aquarelles, exécutés France. Ce sont des scènes d’extérieur montrant des paysans et des potagers, peints d’une main douce et vaporeuse, avec des teintes printanières claires et gaies, que les touches blanches d’une coiffe ou d’un tablier font joliment twister.

Déjà, on remarque le regard respectueux, presque aimant, de ce peintre d’extraction très modeste à l’égard des travailleurs. On admire aussi dès le début le sens de la composition et le cadrage moderne de l’artiste suédois – cadrage qui deviendra de plus en plus audacieux avec le temps. Le superbe Le peintre en plein air réalisé en Suède en témoigne. La perspective de cette scène de neige est construite en douce diagonale, qui permet de montrer le peintre entouré des siens sur le côté, tout près du spectateur, et en même temps la profondeur du paysage si simple et si beau qu’il s’apprête à peindre. Ce que l’on découvre enfin dès ces premières oeuvres est la façon dont Carl Larsson donne vie à tout ce qu’il représente. Il est en cela un illustrateur extraordinaire. Avec lui, on n’est jamais dans la théorie ou la poésie. Les personnages, personnes pour la plupart mais aussi animaux domestiques, sont vibrants de vie. Leurs regards parlent – il n’a pas son pareil pour restituer la naïveté ou l’espièglerie dans les yeux d’un enfant -, leurs corps expriment l’abandon du repos ou l’attention soutenue de l’activité qui les anime. Les portraits, tels l’impressionnant dessin au fusain d’August Strindberg, son vieil ami devenu ennemi, ou celui, ô combien touchant de son menuisier, sont ceux de personnalités qu’il nous semble pouvoir connaître.

 Carl Larsson, "Murre". Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm
Carl Larsson, « Murre ». Casimir Laurin, 1900, aquarelle © Nationalmuseum Stockholm

La suite de l’exposition confirme ces talents, magnifiquement épanouis dans le genre qui lui valu un très grand succès dans son pays et en Allemagne : la peinture d’intérieur. Sur ses aquarelles d’une grande finesse s’étale le bonheur familial du peintre à l’enfance malheureuse, entouré de son épouse, de leurs enfants, de leurs domestiques, sans oublier ni le chien ni le chat. Un film de cette vie-là montré vers la fin du parcours confirme l’ambiance gaie et apaisante des scènes représentées par Carl Larsson. Mièvre ? Pas du tout ! D’abord parce que comme on l’a dit, tout cela regorge de vie, mais aussi parce que les intérieurs – à savoir la maison de campagne de la famille – sont très surprenants. Ce sont des meubles aux couleurs vives (orange, vert, bleu), des murs aux décors plein de fantaisie (et néanmoins très harmonieux), des tissus clairs et modernes, des plantes souples et des fleurs du jardin en veux-tu en voilà… bref, tout sauf les atmosphères bourgeoises confinées voire étouffantes de l’époque.

Il faut dire que Mme Karin Larsson – peintre elle-même avant son mariage – était également dotée d’un grand sens artistique. Elle tissait ses propres tissus, dessinait des meubles (son support à plantes n’est-il pas extra ?), composait de splendides bouquets. Tout cela fait le cadre frais et chaleureux d’une vie domestique calme et joyeuse, si brillamment exécutée que l’on se demande pourquoi la France a boudé – ou tout au moins ignoré –  l’œuvre de Carl Larsson si longtemps.

Carl Larsson, L’imagier de la Suède

Petit Palais

Avenue Winston Churchill, 75008 Paris

Tous les jours sauf lundi et jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Entrée : 8€ / 6€ / 4€ (gratuit jusqu’à 13 ans)

Jusqu’au 7 juin 2014

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Le Roi Lear au théâtre de la Ville

Après l’avoir créé au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône) dont il est le directeur, le metteur en scène Christian Schiaretti montre « son » Roi Lear au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’à la fin du mois. Il ne reste qu’une poignée de dates, alors précipitez-vous pour réserver la vôtre car cette production est une réussite totale. Une soirée de plus de trois heures de pur plaisir.

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A la base, un texte formidable : la renversante pièce de Shakespeare – drame, humour et poésie tout mêlés – dans la traduction ciselée d’Yves Bonnefoy. Pour le servir, de superbes comédiens, avec une sorte d’OVNI au milieu (on adore quand Schiaretti dit à son propos : « Il est d’un métal inconnu », tant ceci est vrai), dans le rôle-titre : Serge Merlin, 81 ans à ce qu’on dit, un corps frêle et agile comme celui d’un oiseau, une barbe de philosophe grec, des yeux brillants comme l’émeraude et vifs comme l’éclair. Il interprète un Roi Lear des plus humains, aveuglé par son orgueil et d’une susceptibilité sans mesure, qui se comporte comme un vieillard retombant en enfance. La fragilité croissante du roi, de plus en plus démuni – et lucide – au fil de la pièce, Serge Merlin la restitue parfaitement, dans un jeu d’une variété inouïe, de l’être hurlant son ire à travers la lande, mains et regard interpellant les cieux, à la pauvre silhouette qui ne tient debout que par la force de son amour paternel lorsqu’à la fin il retrouve Cordélia.

Princes, filles, chevaliers, fou, sbires : ils sont tous excellents aussi, avec peut-être des coups de cœur tout particuliers pour Pauline Bayle, touchante à point dans le rôle de la pure Cordélia, Vincent Winterhalter dans celui du fidèle Kent, Philippe Duclos, parfait comte de Gloucester ou encore Christophe Maltot dans le rôle de son loyal fils Edgar.

La mise en scène est impressionnante de simplicité et d’efficacité : une scène circulaire ceinturée de murs percés de larges ouvertures, le tout d’un même bois clair, tient lieu d’unique décor. Des costumes d’époque, quelques accessoires et un jeté de terre fraîche complètent ce cadre sobre. Lumières, son et direction d’acteurs font le reste. Quand on doit être à la Cour, on y est (spectaculaires entrées en scène), quand on doit être dans la lande on y est (quel orage !… puis quel clair de lune…). Comme si la duperie sur laquelle est fondée la pièce de Shakespeare fondait aussi la mise en scène. Mais comme il est bon d’y « croire » aussi facilement, de se laisser emporter si loin et aussi longtemps par cette duperie merveilleuse qu’est le théâtre !

Le Roi Lear

de Shakespeare

Mise en scène de Christian Schiaretti, scénographie et accessoires de Fanny Gamet

Théâtre de la Ville

2 place du Châtelet – Paris 4e

Tél. 01 42 74 22 77

Jusqu’au 28 mai 2014

Puis au Bateau Feu, à Dunkerque, les 4, 5 et 6 juin 2014

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Van Gogh – Artaud. Le suicidé de la société. Musée d'Orsay

Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum
Vincent Van Gogh (1853-1890) Route de campagne en Provence de nuit 1890 Huile sur toile H. 92 ; L. 73 cm Otterlo, collection Kröller-Müller Museum © Kröller-Müller Museum

A la veille de l’inauguration d’une rétrospective consacrée à Vincent Van Gogh (1853-1890) présentée au Musée de l’Orangerie à Paris de janvier à mars 1947, le galeriste Pierre Loeb propose à Antonin Artaud (1896-1948) d’écrire un texte sur le peintre hollandais.

D’abord peu emballé, c’est lorsque il découvre dans la presse des extraits du livre du docteur Beer intitulé Un démon de Van Gogh que, fou de rage face au jugement porté par le médecin (et la société) sur la santé mentale de Van Gogh, il écrit, pratiquement d’un jet, Van Gogh, le suicidé de la société. Le texte, dicté à son assistante Paule Thévenin entre le 8 février et le 3 mars 1947, publié la même année, recevra le prix Sainte-Beuve.

L’exposition à voir jusqu’au 6 juillet 2014 au Musée d’Orsay redonne vie à cet essai dans lequel Artaud s’élève contre la médecine psychiatrique, laquelle avec la complicité de la société aurait poussé Van Gogh au suicide, tout en tressant une couronne de lauriers au peintre dont l’œuvre criait « d’insupportables vérités ».

Des extraits du texte servent de fil conducteur au parcours qui réunit une bonne quarantaine de tableaux, des aquarelles et des dessins du peintre, issus pour partie des collections du musée d’Orsay mais aussi de collections muséales et privées internationales.

S’y ajoutent des dessins d’Antonin Artaud et des photographies, principalement de Denise Colomb, ainsi qu’une de Man Ray de 1926 rappelant les liens de l’homme de théâtre avec le groupe des Surréalistes.

«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)
«Le Fauteuil de Gauguin», 1888. (Photo Amsterdam Van Gogh Museum. Fondation Vincent Van Gogh)

L’exposition évoque ainsi la personnalité et le parcours d’Artaud : une vie et une œuvre profondément marquées par la maladie mentale (depuis l’enfance), l’enfermement (neuf années en hôpital psychiatrique), mais aussi le théâtre (il fut comédien et créateur de décors scéniques), le dessin (significatif des plus grands tourments et de tentatives de « rassemblement »), et bien sûr l’écriture.

Le lien avec Van Gogh se fait évidemment autour de « la folie » qui était d’ailleurs le motif pour lequel Pierre Loeb, galeriste d’Artaud, lui avait suggéré cet écrit. Ce lien, à travers les extraits du texte, amène et présente les tableaux du peintre suicidé à 37 ans.

Malgré le caractère inédit et l’indéniable intérêt de l’exposition, une autre évidence se fait plus criante : l’œuvre de Van Gogh n’a besoin d’aucun avocat. Les tableaux « écrasent tout » sur leurs cimaises, y compris le texte d’Artaud à certains moments. Couleurs, touches, composition, regard : autoportraits, portraits, paysages et natures mortes ne sont que splendeurs. On redécouvre et découvre cette incroyable peinture et, cruellement, le reste semble presque anecdotique. Il est vrai que les propos d’Artaud, aussi beaux, poétiques et émouvants soient-ils, résonnent comme des adresses faites contre les docteurs autant pour son propre compte (on peut le comprendre, tant il a souffert) que pour celui de Vincent Van Gogh, pourtant sujet de son texte brillant.

Vincent van Gogh / Antonin Artaud. Le suicidé de la société
De 9h30 à 18h les mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche et jusqu’à 21h45 le jeudi
Métro Solférino, RER C, station Musée d’Orsay, bus 24, 63, 68, 69, 73, 83, 84, 94
Entrée 11 euros (tarif réduit 8,50 euros), gratuit le 1er dimanche du mois
Jusqu’au 6 juillet 2014
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Moi, Auguste, empereur de Rome. Grand Palais

Auguste, Camée Blacas, vers 14-20 ap. J.-C. Sardonyx, H. 12,8  l. 9,3 cm, Londres, The British Museum © The British Museum, Londres, Dist. RMN - Grand Palais / The Trustees of the British Museum
Auguste, Camée Blacas, vers 14-20 ap. J.-C. Sardonyx, H. 12,8 l. 9,3 cm, Londres, The British Museum
© The British Museum, Londres, Dist. RMN – Grand Palais / The Trustees of the British Museum

A l’occasion du bimillénaire de la mort d’Auguste, et en association avec le Musée du Louvre, les musées du Capitole et l’Azienda Speciale Palaexpo – Scuderie del Quirinale où elle était présentée cet hiver, les Galeries nationales du Grand Palais organisent une passionnante exposition sur le célèbre empereur romain.

Né en -63, il s’éteint en 14 de notre ère, après plus de quarante ans de règne. Laissant le pouvoir à Tibère, il est divinisé : la dernière statue du parcours, un nu héroïque monumental, témoigne du culte officiel dont il est alors l’objet et dont son épouse Livie est la prêtresse (belle statue de cette dernière également dans cette même salle).

C’est qu’Auguste a fortement marqué de son empreinte la Rome Antique. Jules César – son grand-oncle et père adoptif, qui lui lègue le pouvoir à sa mort – a laissé la capitale de l’Empire en proie à des querelles intestines. Pour venger son assassinat, Auguste, qui est encore Octave, constitue le deuxième triumvirat avec Lépide et Antoine, dix-sept ans après le premier formé par César, Pompée et Crassus. Les premiers pas du parcours rappellent ce contexte et ces moments politiques, autour d’une fresque historique et des portraits sculptés des différents protagonistes.

Pendant dix ans, Octave, Lépide et Antoine se partagent le pouvoir, jusqu’à la célèbre bataille d’Actium en -31 (racontée sur un magnifique ensemble de bas-reliefs), qui voit la défaite navale d’Antoine face à Octave grâce à l’aide de son ami Agrippa, suivie du suicide d’Antoine et de son épouse Cléopâtre.

En -27, Octave est sacré Augustus, c’est-à-dire vénérable, majestueux. Diplomate, il façonne l’Empire romain en le pacifiant, laissant la bride plus ou moins longue selon le contexte des provinces romanisées. Il s’applique à populariser son image, à travers sculptures et pièces de monnaies à son effigie. Autre vecteur de communication efficace : les copies du bouclier d’or (à voir dans l’exposition) décerné par le Sénat lorsqu’il est reconnu Augustus, et sur lequel sont inscrites les qualités du Princeps : vaillance, clémence, sens de la justice, sens du devoir envers les dieux et la patrie.

Relief avec personnification d'une province soumise, début du Ier s., marbre blanc, Naples, Musée archéologique national
Relief avec personnification d’une province soumise, début du Ier s., marbre blanc, Naples, Musée archéologique national

En parallèle, Auguste rénove la ville (ne se vantait-il pas, au sujet de Rome de l’avoir « trouvé de brique et laissé de marbre » ?), fait construire cirque et forum, tout en affichant un train de vie modeste, choisissant un habitat simple sur le mont Palatin. Il autorise le rétablissement du culte des Lares (divinités protectrices des foyers, d’origine étrusque), sans s’oublier pour autant : ainsi, sont réunies des statuettes en bronze de Lares et d’Auguste afin de rappeler que, comme le pater familias protège les siens, l’Empereur protège les citoyens.

Sous son principat, marqué par la paix et traditionnellement désigné comme « Age d’or » par les historiens, c’est également tout un art qui se déploie, dans l’aristocratie romaine mais aussi chez les affranchis et dans les provinces. Sous influence égyptienne et plus encore grecque, l’art romain sous Auguste voit, outre la reproduction (ou la récupération) de statues du siècle de Périclès, la ré-interprétation de cet art et la multiplication des savoir-faire. Les objets présentés, en métal repoussé, en verre, les splendides camées en sont autant de preuves éclatantes. Les motifs de rinceaux végétaux, typiques de l’Ara Pacis se multiplient, en frise sur les édifices publics mais aussi sur les objets d’arts décoratifs, comme on peut voir par exemple sur un beau cratère de marbre blanc qui devait orner quelque jardin aristocratique.

Venues du Louvre, de Naples, de Londres, ou encore de Rome bien sûr, les quelques 300 pièces exposées sont de haut vol et même souvent exceptionnelles. Elles sont mises en valeur au fil d’un parcours clair et didactique qui n’exclut ni les reconstitutions vidéo en trois dimensions ni les bonnes vieilles cartes. Le public est ainsi pris en main de bout en bout pour revisiter agréablement ce moment fort de l’histoire de l’Antiquité romaine que fut l’Empire d’Auguste il y a plus de deux mille ans.

 

Moi, Auguste, empereur de Rome

Galeries nationales du Grand Palais

Entrée Clemenceau, avenue Georges-Clemenceau, Paris 8e

Tous les jours de 10 heures à 20 heures, le mercredi jusqu’à 22 heures

Entrée de 9 € à 13 €, gratuit pour les moins de 16 ans

Jusqu’au 19 juillet 2014

 

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Mapplethorpe-Rodin. Musée Rodin

Robert Mapplethorpe, Michael Reed, 1987, used by permission of the Robert Mapplethorpe Foundation /// Auguste Rodin, L’Homme qui marche, bronze, 1907 © musée Rodin, ph. C. Baraja
Robert Mapplethorpe, Michael Reed, 1987, used by permission of the Robert Mapplethorpe Foundation /// Auguste Rodin, L’Homme qui marche, bronze, 1907 © musée Rodin, ph. C. Baraja

A priori, le parallèle peut paraître un peu artificiel. D’un côté, Robert Mapplethorpe (1946-1989), photographe new-yorkais connu pour ses clichés ultra léchés et sophistiqués ; d’un autre, Auguste Rodin (1840-1917), le maître français dont les sculptures ont souvent l’air d’être inachevées, comme en cours de création.

Mais la démonstration – un peu appuyée il est vrai – est plutôt convaincante. Le dénominateur commun aux deux artistes est évidemment le corps. Chez l’un comme chez l’autre il est massif, tout en muscles. Les corps photographiés par Mapplethorpe peuvent d’emblée être qualifiés de sculpturaux. Les pleins et les déliés sont d’une netteté redoutable, les plastiques amoureusement caressées. Autant de caractéristiques qui font ressortir la sensualité des corps et sautent aux yeux quand on rapproche ses photographies en noir et blanc des superbes sculptures de Rodin. Mais si chez Mapplethorpe la sensualité se dégage de corps figés, lisses et appréhendés presque comme des objets, chez Rodin elle résulte tout au contraire de corps en mouvement. La chair de ses sculptures palpite de vie, quand on ne peut s’empêcher de déceler chez le photographe américain une forme de morbidité.

L’exposition multiplie les rapprochements à travers différents thèmes : le noir et le blanc, le goût du détail, le drapé, le mouvement et la tension… Un des plus intéressants est celui qui examine « la matière » chez le photographe, que ce soit celle d’un corps nu presque minéral, d’autres recouverts d’argile séchée et craquelée, ou encore une miche de pain rompue dont la dureté de la croûte s’oppose au moelleux de la mie. Autant de clichés très tactiles qui évoquent la matérialité des sculptures de Rodin, avec leurs irrégularités et leurs contrastes fondés sur la fragilité d’une chair tendue et tonifiée, parfois comme durcie par le mouvement et la torsion.

Pour compléter cette belle exposition et mieux connaître le travail de Robert Mapplethorpe, on pourra également se rendre au Grand Palais, toujours à Paris, où est organisée au même moment et jusqu’au 14 juillet 2014 une rétrospective de l’œuvre du photographe à la réputation toujours sulfureuse.

Musée Rodin

79, rue de Varenne – 75007 Paris

TLJ sauf le lundi, de 10 h à 17 h 45, nocturne le mercredi jusqu’à 20 h 45

Jusqu’au 21 septembre 2014
Certaines œuvres exposées sont susceptibles de heurter la sensibilité des visiteurs, particulièrement du jeune public.
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