Gerhard Richter. Panorama

Exposition Panorama, Gerhard Richter à PompidouEn 50 ans de création, Gerhard Richter, l’un des peintres contemporains allemands les plus connus, dont le Centre Pompidou célèbre les 80 ans cette année en organisant cette première grande rétrospective, semble avoir "tout" peint.

Le titre de l’exposition itinérante, Panorama, qui est déjà passée par Berlin et Londres, reflète bien l’un des axes fondamentaux de l’œuvre de Richter : le travail d’inventaire.
Son œuvre peint, embrassé avec intelligence comme il l’est ici, apparaît en effet plus que jamais comme un "répertoire" de la peinture, dont l’entreprise semble naturellement tournée vers l’éternelle question "Qu’est-ce que la peinture ?".
Gerhard Richter y répond par une autre question : "Que peut la peinture ?", renvoyant sans fin le spectateur à lui-même et à ses propres questions par rapport au tableau : "Qu’est-ce que je vois quand je vois la peinture ?".

Autant dire que le visiteur de Panorama est de bout en bout en éveil, tout à tour ébloui, étonné, éclairé, questionné, renvoyé à de multiples références. C’est que Richter évoque tantôt à l’Histoire – il est un très grand peintre de l’Histoire contemporaine, Allemande bien sûr, mais pas seulement, comme en témoignent ses tableaux sur le 11 septembre 2001 par exemple -, tantôt l’histoire de la peinture, avec des citations de Marcel Duchamp (Rouleau de papier toilette, 1965), du Pop art (Séchoir pliant, 1962), mais aussi du pleinariste (Forêt, 1990), du romantisme (Chinon, 1987), ou encore de Chardin (Lys) et de Vermeer (Lectrice)…, le tout avec les questions de la représentation, du pouvoir de l’image et de ses illusions qui reviennent en fond comme un leitmotiv.

L’accès à l’objet ou au sujet par l’image est et restera une illusion. Richter le souligne de mille façons merveilleuses, qui tournent essentiellement autour de l’idée du verre, plus ou moins transparent, plus ou moins brillant, plus ou moins grossissant.
Il racle la peinture sur le support (de la toile, parfois de l’alu) comme s’il s’agissait d’une vitre. Il étale de la peinture d’émail sous verre, formant des marbrures et des veinures de couleurs brillantes et sublimes, évoquant la fluidité et l’impermanence du sable ou de l’eau (série Aladin de 2010). Il reproduit l’infiniment petit en très très gros (Silicate, 2003, mais surtout sa toile de 20 mètres de long reproduisant à échelle XXL un simple coup de pinceau). Il peint des photographies (il reproduit sur toile à la peinture à l’huile des photographies en les agrandissant au carreau et à l’épiscope), en les floutant plus ou moins, comme si l’objet était placé derrière une vitre légèrement opalescente. Il joue sur la lumière comme l’ont fait tous les peintres depuis la Renaissance, éclairant ici une nuque, là un paysage. Il joue enfin sur l’éloignement optique (de près ou de loin, un même tableau offre une vision fort différente, comme si on l’observait à travers une lentille plus ou moins grossissante). Ses sculptures en verre présentées au fil de l’exposition apparaissent comme le point de sublimation de ces interrogations-là.

Mais cet historien de la peinture regarde aussi du côté du pouvoir narratif de l’image : montrer le mouvement (Tigre, 1965 ; Nu à l’escalier, 1966 ; mais aussi ses tableaux dits abstraits, comme Juin, 1983, d’une énergie vitale incroyable) ; montrer le moment décisif (en 1988, Betty, sa fille, juste avant qu’elle ne tourne la tête ; en 1994, Lectrice, montrant encore sa fille, au moment où elle découvre le contenu d’une lettre) ; montrer que l’image elle-même disparaît (Nu à l’escalier mais aussi la série sur la Bande à Bader ou encore l‘Auto-portrait, qui fait songer aux peintures de Giacometti où le sujet semble s’évanouir dans le cadre), comme tout est voué à la disparition (chères natures mortes et vanités, comme sa célèbre Bougie et son Crâne, 1983 ou ses Lys, 2000), comme tout est voué à la transformation.

Cet insaisissable-là, Gerhard Richter s’obstine à le représenter. Il était l’un des seuls, dans les années 1960 et 1970, à croire encore à la peinture, et à le clamer. Ses œuvres en témoignent. Il est le seul à représenter les montagnes comme non pas un paysage mais comme la sensation d’absorption qu’elles lui inspirent (Alpes II, 1968), les nuages, avec un époustouflant tryptique, à hauteur non pas d’homme (par en dessous) mais d’anges (comme si l’on était dans les nues), la mer avec une telle somptuosité (Marine, 1969).

Tout est en apparence aérien, malgré la gravité de certains sujets. Tout , réellement ou symboliquement, semble lové dans une sorte de sfumato cher à Léonard. Comme si cet immense artiste, avec chaque œuvre, embarquait le spectateur sur le chemin si ambigu de la peinture, à travers une lecture profondément onirique de ses tableaux.

Gerhard Richter. Panorama
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou – Paris 4ème
De 11 h à 21 h, nocturnes tous les jeudis jusqu’à 23 h
Fermé le mardi
Jusqu’au 24 septembre 2012

A lire également sur malgm au sujet de Gerhard Richter : Les photographies peintes ; Les mystères du rectangles de Siri Hustvedt ; Les artistes allemands contemporains à Dunkerque.

Image : Gerhard Richter, "Betty", 1988, huile sur toile, 102x72cm, Saint-Louis Art Museum Gerhard Richter 2012 © Gerhard Richter 2012

Facebooktwitter

Poussin et Moïse, Histoires tissées

Histoires tissées, galerie nationale des Gobelins

Voici la splendeur du Grand Siècle étalée sur les vastes murs de la Galerie des Gobelins avec l’ensemble exceptionnel de huit tapisseries formant la tenture de Moïse élaborée d’après Poussin.

C’est quelques décennies après la mort de Poussin, qui n’avait peint que des tableaux de chevalet, que la décision fut prise de faire réaliser pour le Roi le cycle sur l’histoire de Moïse.
Il s’agissait d’affirmer l’existence d’une « école française » de peinture, capable de rivaliser avec l’école italienne. Pour réaliser cette ambition, outre, entre autres, la création de l’Académie de France à Rome en 1665, la Cour à Versailles voulait mettre en lumière le talent de celui qu’elle considérait comme l’égal de Raphaël : Nicolas Poussin. Celui-ci n’avait pas peint de fresques ni de grands formats comme Raphaël, Michel-Ange ou Rubens ? Qu’à cela ne tienne, de ses tableaux réalisés sur la vie de Moïse l’on ferait une œuvre monumentale, royale s’il en est : une tenture.

C’était aussi l’occasion pour les lissiers de la Manufacture royale de valoriser encore davantage leur savoir-faire. L’entreprise demanda un véritable travail de transposition, car le changement d’échelle était considérable. Si Poussin était doté d’un sens de la composition et d’un talent narratif qui permettaient la reprise des tableaux en un cycle, la tâche n’allait toutefois pas de soi car ces tableaux avaient été peints à différentes époques, sans que l’artiste les envisage comme un ensemble.
En outre, la reprise en très grands formats et en œuvre tissée nécessitait d’éclaircir les couleurs exagérément sombres des peintures de Poussin (pour preuve, l’on en voit ici dans l’exposition), mais aussi d’opérer quelques aménagements, comme par exemple enlever des masses rocheuses sombres ici ou des nuages noirs là.

Exposé à l’étage de la Galerie, l’ensemble des huit tapisseries, exécutées vers 1683, est remarquable. La somptuosité des couleurs de « Moïse foulant la couronne » (à dominante rouge), ou de « Moïse exposé sur les eaux » (à dominante bleue) est inouïe au regard de l’âge des œuvres.
Cette tenture est précédée, au rez-de-chaussée, de quatre tapisseries d’après Raphaël et de deux d’après Charles Le Brun, le tout sur le thème de Moïse également.
Le parcours n’est évidemment pas fortuit : Poussin s’était inspiré des œuvres de Raphaël pour ses propres peintures sur l’histoire de Moïse. Quant à Le Brun, il voulait rivaliser avec l’un comme avec l’autre. Le Buisson ardent et Le Serpent d’Airain de celui-ci, très « dramatiques » sont eux aussi, il est vrai, très impressionnants. Ils devaient l’être plus encore au Grand Siècle : l’éclairage rasant permet de voir par endroits les fils d’argent dont le Buisson était tissé, resplendissant de mille feux.

L’exposition est à ne pas manquer : après avoir été présentée à la Villa Médicis à Rome puis au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, c’est à Paris qu’elle marque sa toute dernière étape.

Poussin et Moïse, Histoires tissées
Galerie des Gobelins
42, avenue des Gobelins 75013 Paris
TLJ sauf le lundi de 11 h à 18 h
Entrée 6 € (TR 4 €), libre pour les moins de 18 ans et le dernier dimanche du mois
Visites conférences (1h) les mer. et dim. à 15 h 30
Jusqu’au 16 décembre 2012

Image : Moïse exposé sur les eaux, d’après Nicolas Poussin, Paris, Mobilier national, Manufacture des Gobelins, atelier de Jean Jans fils, Tapisserie de haute lisse de laine et soie rehaussée d’or. Vers 1683 © Isabelle Bideau

Facebooktwitter

Louis Vuitton / Marc Jacobs

Louis Vuitton Marc Jacobs Arts decoratifs

Pour qui aime le beau bagage, le bel objet, la belle ouvrage, la première partie de l’exposition, au 1er étage, est un ravissement.

« Pour qu’un malle soit réellement utile, il faut qu’elle soit légère et cependant résistante, il faut aussi que le contenu que l’on y enferme soit à l’abri des chocs et surtout à l’abri de l’eau (…). J’ai combiné la fabrication d’une malle qui est complètement exempte de ces grands inconvénients. »
Telle est la proclamation faite par Louis Vuitton, layetier-coffretier-emballeur à Paris, le 14 janvier 1867. Cette année-là, il remporte la médaille de bronze à l’Exposition Universelle de Paris. En 1889, ce sera la médaille d’or. L’année suivante, il dépose le célèbre motif « Damier » portant l’inscription « L Vuitton marque de fabrique déposée ».

Ce que ce Jurassien d’origine modeste a très vite compris à Paris, c’est que la réussite passe par trois choses essentielles : la visibilité (les expositions, l’adresse), l’identification soigneusement protégée (un motif, une marque), et surtout… l’air du temps.
Et en ce second XIX° siècle, l’air du temps parisien, c’est à la fois un quartier (Opéra / Place Vendôme reliés par la rue de la Paix), l’émergence de la Haute-Couture (Charles-Frédérick Worth, Paquin, Doucet) et le goût de la bourgeoisie florissante pour la mode et les voyages. Doté d’un solide sens commercial, Louis Vuitton fait apposer sur son entête « Spécialité pour que l’emballage des modes », s’installe près des couturiers, ne montre dans les Expositions Universelles que des articles « prêts à être achetés à Paris » et dépose systématiquement des brevets pour ses créations.

Le succès est au rendez-vous, les belles trouvent malles à leur goût pour emporter les innombrables « tailleurs du matin », « robes de jour » et « robes habillées » composant leur garde-robe. Sarah Bernhardt soi-même, pour sa tournée au Brésil commanda quelques deux cents malles pour abriter ses costumes…
Tout cela est ici merveilleusement raconté et montré : malles ingénieuses et somptueuses, échantillons de toiles, le tout mis intelligemment en vis-à-vis avec des robes (issues des collections du musée des Arts Décoratifs), belles, mais encore encombrantes de l’époque.

La poursuite de la visite, à l’étage supérieur, a quelque chose de vertigineux : nous voici soudain propulsé à la toute fin du XX° siècle et au début des années 2000, avec quelques unes des créations de la maison Louis Vuitton sous l’égide de son directeur artistique Marc Jacobs, désormais en place depuis 15 ans.
Que sont les créations du grand malletier devenues, un siècle plus tard ? Réponse sous les yeux du visiteur : autre chose.
On ne parle plus des mêmes produits, on ne parle plus de bagages innovants techniquement, pratiques et solides. On ne parle plus que d’une chose : de mode, avec des robes, des sacs, à mains, des accessoires en tous genres.

De la leçon du fondateur, Marc Jacobs a pourtant retenu l’essentiel, du Jurassien l’Américain perpétue l’héritage : visibilité, identification, air du temps. Simplement, pour se hisser et surtout rester sur la voie royale du succès dans la jungle mondiale de la mode, il faut aujourd’hui penser bien différemment qu’à la fin du XIX° siècle : il faut s’assurer une communication pénétrante, en s’acoquinant avec les dieux de la publicité, les déesses de la presse de mode et les artistes en vogue, il faut choquer le monde avec des créations qui seront qualifiées d’osées, tout en respectant le socle des codes « maison », il faut enfin maintenir le positionnement luxe en veillant à l’indécence des prix tout autant qu’au marketing qui permet de les justifier.

C’est un peu ce qu’on se dit en parcourant ces créations, à défaut de toujours les admirer. Les malles nous parlaient de sur-mesure, de chic, de voyage, en nous faisant rêver. Les sacs à mains en toile plastifiée plus ou moins bariolée et les robes « d’infirmière » portées par des mannequins squelettiques nous plongent dans la perplexité. Et pourtant, pour beaucoup, ces choses-là sont au contraire hautement désirables.

Louis Vuitton / Marc Jacobs
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli – 75001 Paris
M° Palais-Royal, Pyramides ou Tuileries
Bus 21, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
TLJ sauf le lun., de 11 h à 18 h, nocturne le jeudi jsq 21 h
Entrée 9,50 € (TR 8 €)
Jusqu’au 16 septembre 2012

Facebooktwitter

Monumenta 2012 – Daniel Buren

Excentrique(s), travail in situ

Monumenta 5ème, c’est parti !
Après Anselm Kiefer en 2007, Richard Serra en 2008, Christian Boltanski en 2010 et Anish Kapoor en 2011, c’est au tour de Daniel Buren d’investir la nef du Grand Palais jusqu’au 21 juin 2012.
Il faut profiter de l’une de ces belles journées que nous avons enfin en ce moment à Paris pour aller découvrir Excentrique(s), tant la lumière et la couleur du ciel y jouent un rôle important.

Peu étonnant finalement de la part d’un artiste qui a fait du "travail in situ" sa spécialité, produisant essentiellement des installations éphémères absolument conçues pour un lieu précis, Daniel Buren semble, avec le recul, être celui qui jusqu’à présent s’est le mieux approprié le volume du Grand Palais.
Plus étonnant en revanche : il n’a pas joué sur la monumentalité de l’espace. Pas uniquement en tout cas. Cela ne veut pas dire que Excentrique(s) est plus ou moins séduisante que les installations de ses prédécesseurs, c’est plutôt qu’elle nous fait percevoir la nef sous un jour nouveau.

Point d’importance, il est le premier à avoir fait déplacer l’entrée. Au lieu d’accéder directement sous la grande coupole comme nous y invite l’entrée principale côté rue, Daniel Buren nous fait entrer par une petite porte placée en bout de bâtiment, côté nord : il y a une approche, une progression ; l’invite à la découverte et à la balade est manifeste.

Autre surprise, que renforce ce premier point : l’installation surbaisse extraordinairement le plafond ! Ce sont quelques 350 cercles de plastique coloré, bleu, jaune, orange, vert, reliés les uns aux autres, qui, placés à quelques mètres à peine du sol couvrent la totalité de l’espace excepté celui de la coupole centrale. Ces ronds de cinq diamètres différents sont simplement soutenus par des piliers légers blancs et noirs, formant une sorte de forêt de parasols qui laisseraient passer la lumière…
Lorsque l’on gagne le centre, le "ciel" se dégage entièrement (Daniel Buren évoque une "clairière") et l’on profite pleinement de la hauteur de la nef, dont la verrière, à cet endroit, se trouve partiellement colorée de bleu, en une sorte de damier.
Rendant l’aspiration vers le haut plus saisissante encore, (ici l’artiste parle de "montgolfière"), de grands miroirs ronds disposés sur le sol, sur lesquels l’on peut marcher librement, permettent aussi de percevoir cette fameuse hauteur de 45 mètres… sous ses pieds ! Vertige garanti.

Éminemment ludique, paradis des grands et des petits enfants, l’installation livre de merveilleux jeux de couleurs dès que le soleil déborde des nuages : les ronds projetent leurs teintes "pop" sur le sol de béton, sur les piliers noirs et blancs qui du coup se nuancent délicatement, et sur les visiteurs bien sûr…
L’ambiance est chaleureuse et ensoleillée sous le jaune et le orange, aquatique sous le bleu, un peu étrange sous le vert. Le tout alterne joyeusement ; la nef du Grand Palais a perdu son caractère monumental un peu intimidant, pour devenir un lieu où l’on se sent protégé, mais sans rien perdre de sa liberté, sans rien perdre non plus de l’immense volume d’air sous la voûte centrale ni de la fantastique ouverture céleste de la verrière. Un sacré challenge, et une grande réussite !

Excentrique(s), travail in situ
Daniel Buren
Monumenta 2012
Nef du Grand Palais, porte nord – Paris 8ème
TLJ sf le mar., de 10 h à 19 h le lun. et le mer. et jsq minuit du jeu. au dim.
Entrée 5 €
Jusqu’au 21 juin 2012

Facebooktwitter

Beauté animale au Grand Palais

Exposition beauté animale

Voici une exposition plaisante, conseillée à tous les publics, en particulier familiaux et/ou fatigués.
Une bonne centaine d’œuvres se succèdent, peintures, dessins, gravures et sculptures, agréablement agencées dans une scénographie colorée et aérée, et ne choquant jamais.
De la Renaissance au XXIème siècle, différentes époques se côtoient dans un espace-temps somme toute limité – quid avant le XVIème siècle, et plus encore avant l’Histoire ? – et un espace-lieu qui l’est tout autant – aucune représentation animale venue d’une culture autre qu’occidentale.

L’étude de l’animal sur le plan scientifique, l’approche symbolique, la découverte des bêtes exotiques ainsi que la menace que l’homme fait peser sur l’animal sont tour à tour abordées. Mais l’on regrette qu’aucune de ces thématiques ne soit véritablement creusée, les éclairages se limitant au mieux à quelques rappels historiques, sinon à des commentaires d’une décevante platitude.

Restent les œuvres, bien sûr ! Venues du Louvre, d’Orsay, de nombreux musées de province, mais aussi du Prado ou même du MoMA, elles réserves quelques belles découvertes, comme le tableau d’ouverture où un âne domine génialement un renard, inspiré d’une fable d’Esope et peint par l’Italien Michelangelo Cerquozzi.
La section "chats" est particulièrement réussie, avec le Rendez-vous d’un chat blanc et d’un chat noir sur une lithographie de Manet ou, plus frappant encore, le Combat de chats de Goya, un tableau tout en longueur car destiné à un dessus-de-porte au Palais de l’Escurial. A côté, tout en hauteur, un beau chat blanc de Bonnard et, d’un autre, un chat tout étiré de Giacometti…

Côté bêtes qui font peur, une superbe chauve-souris sculptée par César domine le palier de l’escalier monumental, quand Van Gogh nous surprend avec une autre sur une toile. Une gentille araignée de Louise Bourgeois s’étale sur papier là où l’on aurait tellement aimé une sculpture ! Rien d’effrayant, donc, qu’on se rassure : peu de reptiles, si ce n’est sous la patte d’un magnifique lion de bronze, et l’on reste bien loin de la glaçante meute de loups noirs visible il y a peu au Lieu Unique à Nantes dans le cadre de l’exposition La belle peinture est derrière nous.

Pour témoigner des espèces éteintes, le fameux Dodo de l’ïle Maurice disparu dès le XVIIème siècle est là, sous le pinceau de Savery, alors que la fameuse sculpture blanche de Pompon nous rappelle la menace qui pèse sur l’ours polaire. Pas une image en revanche de l’ours brun des Pyrénées, dont l’homme a pourtant soigneusement fait la peau.

La découverte des animaux du Nouveau Monde, de l’Afrique et de l’Asie est rappelée à travers entre autres une chouette sculpture d’un dindon ou des représentations de la girafe offerte à Charles X. Rembrandt fait montre de son talent pour illustrer la vieillesse en gravant la peau ridée d’une pourtant jeune éléphante, mais s’emmêle les crayons face au rhinocéros, lui ajoutant une corne sur le haut du dos… sans doute n’en avait-il en réalité jamais vu ! Les beaux félins ne sont naturellement pas en reste, notamment sous la patte de Bugatti en sculpture ou la palette de Géricault.

Tout cela ne manque certes pas de charme mais, encore une fois aurait mérité davantage de profondeur, de souffle, voire… d’humour. Si Jean-Baptiste Oudry est bien présent, l’on aurait pu s’attendre à quelques unes de ses belles illustrations des Fables de la Fontaine… seraient-elles elles aussi trop inconvenantes pour le Grand Palais ?

Beauté animale, galeries du Grand Palais

Beauté Animale
Galeries nationales du Grand Palais
Place Clemenceau 75008 Paris
Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h
Nocturne le mercredi jusqu’à 22h
Entrée 12 €
Jusqu’au 16 juillet 2012

Images :
Théodore Gericault: Tête de lionne. Vers 1819
Francisco de Goya y Lucientes, Combat de chats (1786-1787), Museo Nacional del Prado, Madrid

Facebooktwitter

Le Petit Palais du XIXème siècle

Petit Palais, GalerieConstruit comme le Grand Palais qui lui fait face et le pont Alexandre III à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, le Petit Palais abrite depuis 1902 le musée des Beaux Arts de la Ville de Paris. L’art moderne ayant été transféré en 1937 au Palais de Tokyo, il est depuis consacré aux œuvres anciennes, dont beaucoup acquises par donations. Ainsi, y cohabitent des pièces de l’Antiquité, du Moyen-Age, de la Renaissance… jusqu’au XIXème siècle, fort bien représenté.

Un peu Néo-baroque, un peu Néo-classique, l’architecture du Petit Palais ne peut être rattachée qu’à l’éclectisme, style qui à force d’en mélanger plusieurs finit par en inventer un. A l’époque, l’édifice se démarque de ce qui avait constitué la signature des précédentes Expositions Universelles : le tout métallique, dont le symbole parisien est bien sûr la tour Eiffel, édifiée en 1889.
Pour autant, les façades en pierre cachent quelque peu leur jeu : l’ossature est elle métallique. Dessiné par l’architecte Charles Girault, le bâtiment est tout autant l’oeuvre d’ingénieurs. Il est à ce titre bien de son temps.

Malgré la richesses des fonds d’Antiques, d’icônes médiévales, de peinture XVIIème ou encore de mobilier du XVIIIème, le Petit Palais apparaît avant tout comme un musée du XIXème, et plus encore du second XIXème siècle.

Le début du parcours montre la montée en puissance du Naturalisme, en sculpture avec Aimé-Jules Dalou, comme en peinture, avec comme point de départ le réalisme de Courbet, dont on découvre une œuvre exceptionnelle, car non destinée au Salon : l’audacieux Sommeil, placé – comme un clin d’œil – à côté des Demoiselles du bord de Seine. Tandis que pour traiter la réalité Courbet cherchait à montrer la densité de la matière, les Naturalistes à sa suite se sont plutôt appliqués à faire appel à la sentimentalité du public : les tableaux sur le monde ouvrier de Jules Adler en sont un bel exemple. Le triomphe du Naturalisme aboutit en définitive à un résultat opposé à celui de Courbet, avec les palettes très claires (et la manière quelque peu assommante) d’un Léon Bonat ou d’un William Bouguereau.

Ce ne sont pas ces derniers qui attirent le regard dans le fond de cette salle, mais un immense tableau très sombre, illustratif du second Romantisme du XIXème : La Vallée de larmes, signé Gustave Doré. Il s’agit d’une rareté dans les collections françaises, car nous connaissons surtout Doré pour son travail d’illustrateur. En fait, il a réalisé aussi des peintures de dimensions monumentales, des thèmes religieux ou des paysages, mais qui ont été acquises par des Américains et se trouvent depuis de l’autre côté de l’Atlantique.

Petit Palais, escalierDe cette somptueuse Vallée de larmes, l’on passe à la peinture de paysage, lame de fond du XIXème à côté de la peinture d’histoire : ici se côtoient des peintres aussi différents que Sisley, Jongkind, Pissarro ou encore Monet. Leur point commun : l’abandon du paysage composé, au profit d’un paysage naturalise, parfois très influencé par la peinture hollandaise du XVIIème, comme le montrent les petits formats de G. Michel et de Jongkind.

Avec les Impressionnistes, l’objet du paysage évolue : alors que les peintres de l’école de Barbizon cherchaient une nature vierge, sans présence humaine, les Impressionnistes représentent des cadres davantage urbanisés : des banlieues desservies par des chemins de fer, des ports… avec eux, c’est l’idée même de nature pure qui a cessé de se manifester.
Si Monet va très loin dans la dé-construction du tableau, jusqu’à s’affranchir, avec les Nymphéas, de toute notion de structure, on assiste en revanche dans les années 1880 à un retour en force du dessin, notamment avec Renoir bien sûr, mais aussi avec les Néo-impressionnistes aux paysages très structurés comme Pissarro.

La salle suivante entraîne vers un autre mouvement : celui de la peinture décorative, avec Gauguin, Maurice Denis et les Nabis. Ici règne le culte des grands aplats et des effets de rythme ondulants et chatoyants…
Poursuivez l’exploration du XIXème au niveau inférieur, avec notamment la sculpture néo-baroque de Carpeaux, les portraits réalistes de Courbet et de Daumier (en profiter pour y voir une de ses rares peintures : L’amateur d’estampes).

Et si vous ne l’avez pas fait en début de visite, n’oubliez pas de vous arrêter devant les pièces Art nouveau, en particulier de Lalique et de Gallé : elles déploient leurs merveilleuses couleurs, leurs verres opalescents et leurs reflets irisés dans la galerie de façade, en hommage au "moment 1900", qui est celui de l’édification de ce très séduisant Petit Palais.

Petit Palais
Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston Churchill – 75008 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermé le lundi et les jours fériés
Nocturnes le jeudi jusqu’à 20h uniquement pour les expositions temporaires
Accès gratuit aux collections permanentes
Entrée payante pour les expositions temporaires

Facebooktwitter

Sainte Anne, l'ultime chef-d'œuvre de Léonard de Vinci

Sainte-Anne, ultime chef d'oeuvre de VinciSi la collection de la Reine d’Angleterre est la plus fournie en dessins de Léonard de Vinci, c’est au Louvre que se concentre le plus important ensemble de peintures du maître de la Renaissance : la Joconde bien évidemment, mais aussi notamment la Vierge aux rochers, le Saint-Jean-Baptiste et… la Sainte-Anne.

Sainte-Anne, tableau célèbre, énormément copié au XVIème siècle, inspirant Delacroix au XIXème, puis au XXème Max Ernst (Le baiser, 1927) et même Freud, qui commis une étude à partir de la détection d’un vautour sur le tableau (formé par les jambes un bras de la Vierge) relié à un rêve que Léonard aurait fait dans son enfance… pour ne citer que quelques exemples de sa renommée.

Malgré tout, cette Anne trinitaire demeurait quelque peu en retrait au Louvre : plus exactement, elle se trouvait dans l’ombre que l’épreuve cruelle du temps lui avait infligée au fil des cinq siècles qui nous séparent du moment de sa création : jaunissement et microfissures du vernis, multiplication des couches de peintures liées aux restaurations, sans parler des vilaines taches noires qui constellaient sa surface. Elle était devenue une bien pauvre trinité, salie, aux couleurs pâlottes et aux contours imprécis.

Il a donc fallu prendre le taureau par les cornes pour rendre à Sainte-Anne, à la Vierge, à l’enfant Jésus et même à l’agneau et aux montagnes toute leur dignité.
Mais la prudence s’imposait, les restaurations de chefs-d’œuvre pouvant parfois susciter le scandale (voir la restauration de la chapelle Sixtine dans les années 1980, jugée trop "lumineuse" par certains…). Fut donc mise en place une commission scientifique de haut vol, tandis que Vincent Delieuvin, conservateur au département des Peintures du musée, se lançait dès 2006 dans une passionnante enquête sur l’histoire de ce tableau que Léonard de Vinci commença en 1501, travailla près de 20 ans (envisageant successivement pas moins de trois versions) et laissa inachevé à sa mort en 1519.
Les quatre planches de peuplier du grand tableau (1,68 m par 1,30 m) étaient elles soumises non seulement à la loupe mais aux techniques d’imagerie les plus sophistiquées : pas un mm² de peinture qui n’ait été ausculté. Enfin, Cinzia Pasquali, Parisienne d’origine Italienne fut désignée pour passer à l’acte crucial : restaurer le tableau pour le débarrasser de toutes ses scories et lui rendre son éclat originel. Cette ultime étape seule l’occupa près d’un an et demi…

Sainte-Anne, exposition du LouvreNe restait alors plus qu’à valoriser ce travail d’orfèvre et toutes ces recherches, et à partager cette renaissance avec le public. C’est chose faite depuis le 29 mars dernier grâce à l’exposition du Louvre qui restera ouverte jusqu’au 25 juin prochain. De l’histoire du tableau, de ses inspirations, de ses copies, de ses suites et de ses copies, tout nous est dit, tout nous est montré, y compris les questions encore en suspens, y compris les "repentirs" de son auteur Léonard.
Pas moins de 134 œuvres entourent le chef-d’œuvre, dont un bon nombre sont aussi des chefs-d’œuvre… Un seul exemple : cette merveilleuse étude pour la tête de la Vierge, venue du Metropolitan Museum of Art. La reine Elisabeth II a elle aussi prêté son ensemble exceptionnel de dessins. C’est bien simple, c’est la première fois de son histoire que son réunis autour du tableau l’ensemble de ses documents préparatoires et de ses copies.
Et le travail d’exposition est si bien fait que l’on suit le parcours non seulement avec une curiosité de tous les instants, mais aussi avec l’agréable impression de tout saisir de l’histoire dense et pleine de rebondissements de cet inoubliable tableau.

La Sainte Anne, l’ultime chef-d’œuvre de Léonard de Vinci
Musée du Louvre
TLJ sauf le mar., de 9 h à 17 h 45, mer. et ven. jsq 21 h 45
Sam. et dim. jsqu 19 h 45
Entrée 11 €
Jusqu’au 25 juin 2012

Images :
Léonard de Vinci, Sainte Anne, vers 1503-1519 © RMN, musée du Louvre / René Gabriel Ojéda
et Léonard de Vinci, Etude pour la tête de la Vierge, vers 1507-1510, New York, The Metropolitan Museum of Art © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN / image of the MMA

Facebooktwitter

Helmut Newton au Grand Palais

Helmut Newton au Grand Palais, ParisAvec quelques 240 tirages originaux ou d’époque, l’exposition présentée au Grand Palais jusqu’au 17 juin 2012 est la première grande rétrospective consacrée en France au célèbre photographe de mode et de stars Helmut Newton.

Mort en 2004, Helmut Newton est né en 1920 dans une famille juive de la haute bourgeoisie de Berlin, qu’il a dû fuir à l’âge de 18 ans avec l’arrivée du nazisme.

Après un détour par l’Asie et l’Australie (dont il adopta la nationalité et où il rencontra son épouse June Browne), puis par Londres, c’est à Paris que le couple s’installe dans les années 1950, où Newton mène une brillante carrière en travaillant pour l’édition française de Vogue, pour Elle, la revue Egoïste

Dans les années 1970, il invente le porno-chic, promis à de nombreux développements au cours des décennies suivantes. En 1981, il s’établit définitivement à Monaco, toujours accompagné de son épouse qui mena elle aussi une carrière de photographe – sous le nom d’Alice Springs – et aujourd’hui gardienne du temple Newton depuis le rocher doré.

A la visite de l’exposition, 4 grands thèmes se dégagent : la mode, les portraits, le sexe tendance sado-maso, et les grands nus des années 1980. Tout est diablement chic, plus que soigné : à la fois audacieux et sophistiqué à l’extrême.
Si son style n’avait eu autant d’influence chez ses contemporains et ses successeurs, on pourrait même dire : c’est précisément à cette luxueuse et sulfureuse esthétique qu’on le reconnaît. Mais le fait est que si sa phrase fameuse "Je suis attiré par le mauvais goût, beaucoup plus excitant que le prétendu bon goût, qui n’est qu’une normalisation du regard" se comprend bien tant l’on voit encore à quel point Helmut Newton a brisé pas mal de codes et de tabous, en revanche après plus de trente ans de diffusion du porno-chic, qui oserait qualifier ses photos de mauvais goût ?

Du coup, le regard porté aujourd’hui sur l’œuvre de celui qui fut très longtemps boudé par les musées français révèle davantage la beauté formelle, classique en quelque sorte de ses clichés que leur aspect provocateur et choquant. La plastique des mannequins qu’il choisissait n’est pas étranger à cette impression : ce sont des corps magnifiquement architecturés – comme l’étaient à leur façon les nus antiques -, aux jambes interminables que prolongent encore de vertigineux talons, aux attraits généreux, aux épaules et aux visages volontaires. Les femmes sont le sujet et la structure plastique des images, mais dans lesquelles rien de ce qui les entoure n’est laissé au hasard, qu’il s’agisse des extérieurs nocturnes inspirés de Brassaï dans les rues de Paris, ou des décors luxueux des palaces. Les lignes sont impeccables, les perspectives somptueuses, les mouvements élégamment orchestrés.

Toutes ou presque d’une classe folle, ces photographies auraient sans doute mérité une mis en espace différente. Il flotte en effet dans l’exposition comme une ambiance de hall de gare par jour de grands départs. L’ensemble semble avoir été accroché au chausse-pied et peu pensé, sinon comme reposant uniquement sur le côté tape-à-l’oeil des images pour compenser tout autre exigence. Le public erre à la hâte, cherche en vain des repères, des endroits pour se poser. Dommage, davantage d’espace et un véritable parcours auraient été à la hauteur de l’ambition affichée du Grand Palais, celle de reconnaissance pleine et entière de l’œuvre de l’un des photographes les plus marquants de la deuxième moitié du XXème siècle.

Helmut Newton
Grand Palais
Galerie Sud-Est, av. Winston Churchill – Paris 8ème
M°Champs-Elysées Clemenceau ou Franklin-Roosvelt
TLJ de 10 h à 22 h sf le mar. et le 1er mai
Entrée 11 € (TR 8 €)
Certaines images peuvent heurter la sensibilité du jeune public

Facebooktwitter

Modigliani, Soutine et l'Aventure de Montparnasse

La collection Jonas NetterAprès les riches expositions consacrées à Soutine, Vlaminck, Valadon et Utrillo, la Pinacothèque poursuit son chemin de l’Ecole de Paris, tout en s’attachant à mettre en valeur un grand collectionneur, avec un ensemble de plus de 120 tableaux issus de la collection de Jonas Netter.

Inconnu du grand public, Jonas Netter était un commerçant alsacien installé à Paris qui, passionné d’art (aussi bien de peinture que de musique) mais ne pouvant acquérir les artistes alors reconnus comme les impressionnistes, bien trop onéreux pour sa bourse, se dirige grâce au marchand polonais Zborowski vers des peintres moins ou pas connus et commence une merveilleuse collection. Il fut l’un des premier à acheter des toiles de Modigliani, à la suite de Paul Guillaume qui l’avait soutenu Avant-guerre. Il s’entiche aussi de Soutine et de bien d’autres peintres juifs du Montparnasse des Années folles.

L’on retrouve ainsi sur les cimaises de la Pinacothèque des œuvres signées des plus grands peintres de l’Ecole de Paris, à côté de toiles réalisées par des artistes qui n’ont pas passé la postérité. Organisé tout simplement par artiste, le parcours permet de croiser Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, André Derain, Amédéo Modigliani, Moïse Kisling, Chaïm Soutine, Maurice de Vlaminck, Michel Kikoïne, Isaac Anchter et bien d’autres. Malgré la diversité des artistes représentés, la cohérence de la collection Netter est bien visible, l’ensemble de tableaux, uniquement figuratifs, étant essentiellement rattaché aux années 1910 et 1920 (avec quelques œuvres des années 1900).

Le moment le plus fort de l’exposition est celui où l’on découvre un ensemble de toiles de Modigliani, accessibles au public pour la première fois. Les quelques dessins qui les accompagnent permettent de relever les inspirations "primitivistes" de l’artiste, avant qu’il ne les transforme en sa manière propre, reconnaissable entre toutes. Sur l’un d’eux, l’on reconnaît une patte très brancusienne qui rappelle son amitié avec le célèbre sculpteur Roumain. Mais ce sont ses grands portraits à l’huile dont on se délecte le plus : la magnifique Elvire à la collerette de l’affiche, mais aussi d’autres portraits de femmes, une délicieuse Fillette en bleu et plusieurs de ses amis (notamment Zborowski et Soutine). Mains croisées sur le ventre, tête penchée, lèvres et joues rougies, de ces personnages hiératiques se dégagent une profondeur et une mélancolie qui les rendent sans âge ni époque, renvoyant davantage à la statuaire médiévale, aux primitifs italiens et aux sourires énigmatiques de la Renaissance qu’à l’expressionnisme du XXème siècle auquel Modigliani appartient.

Parmi les autres chefs d’œuvre du parcours, de magnifiques Soutine comme L’homme au chapeau, l’hyper expressionniste La Folle ou encore un Paysage montagneux à la limite de l’abstraction dont on raffole.
Et en début d’exposition, aux côtés de Valadon, l’on aura retrouvé de ces paysages urbains dont Utrillo avait le secret avec ses magnifiques lignes de fuite, trouées urbaines filant sur des rues désertes et d’émouvantes façades, venant souligner tout le charme du Paris populaire du début du siècle dernier, et qui était aussi celui de l’avant-garde artistique européenne.

Modigliani, Soutine et l’Aventure de Montparnasse
La collection Jonas Netter
Pinacothèque de Paris
8, rue Vignon – 75008 Paris
TLJ de 10h30 à 18h30, jsq 21h les mer. et ven.
Le 1er mai, ouverture de 14h à 18h30 Entrée 10 €
Jusqu’au 9 septembre 2012

Image :
Amedeo Modigliani, Elvire au col blanc (Elvire à la collerette), 1917 ou 1918, huile sur toile, 92 x 65 cm. Collection privée © Photo : Pinacothèque de Paris

Facebooktwitter

Rochers de lettrés, itinéraires de l'art en Chine

Exposition Rochers de lettrésIl faut absolument aller voir l’exposition proposée par le musée Guimet jusqu’au 25 juin prochain, non seulement en raison de sa rareté, mais aussi et peut-être surtout pour le surprenant bienfait régénératif qu’elle apporte.

Les Chinois ont très tôt utilisé les pierres dans leurs jardins (pensés comme représentations de l’univers) comme éléments de symbolisation des montagnes. Porteurs des forces telluriques, les bouts de roche, soigneusement choisis et disposés avaient alors un rôle plus important encore que les éléments végétaux.

Puis, dès le VIIIème siècle, les fonctionnaires chinois, les "lettrés", les ont introduits dans leurs cabinets privés, les posant sur leurs tables comme source d’inspiration et de méditation.
Le lieu où les pierres étaient disposées n’était pas un "bureau", mais au contraire un espace dédié au retrait – retrait par rapport à leur travail au service de l’Etat – où ils prenaient soin de s’extraire de leurs activités extérieures pour s’adonner à l’écriture, à la poésie, au dessin, à la musique, à la contemplation et à la méditation.
Au XIIème siècle, ces pierres ont été montées sur des socles en bois sculpté, voire même, pour les feuilles de marbre, enchâssées dans de petits écrans de bois.
Aujourd’hui encore, ces vénérables rochers, que leurs ancêtres avaient sélectionnés en un nombre limité de sites, demeurent honorés par les artistes chinois, qui les dessinent et les collectionnent.

Pierres, cabinets d’écriture, création contemporaine : tels sont les trois volets que l’exposition du musée Guimet permet d’explorer, guidant le visiteur avec de minimales explications, mais lui laissant le loisir, dans une mise en scène soignée, de s’abîmer sans réserve dans la contemplation de la trentaine de roches exposées, partie la plus marquante du parcours.

Nul besoin de science en effet pour comprendre la fascination des Anciens chinois pour ces bouts de pierre aux dimensions le plus souvent bien modestes, tant est puissante leur force d’évocation. Selon leur densité, leur couleur, leur texture, leur forme ou encore les découpes créées par l’érosion, elles rappellent tour à tour la densité terrestre, le mouvement d’élévation, les transformations naturelles, les règnes végétal et animal, et même l’eau, les nuages ou la voûte céleste. Univers dans l’univers, leur minéralité même appelle le calme, le lien avec la nature, le vide pour re-créer.

Rochers de lettrés, itinéraire de l'art en ChineLa suite de la visite, présentant les objets utilisés par les lettrés (repose-pinceaux, pots à pinceaux, pierres à encre, presse-papiers, mobilier) ainsi que quelques œuvres graphiques anciennes est l’occasion de relier ces pierres au contexte de leur utilisation. L’on comprend alors que dans ces "retraites à demi" les lettrés chinois n’étaient pas forcément seuls, pouvant aussi s’adonner aux joies de la conversation pure. Des dessins le révèlent, ainsi que les "sceptres" (souvent faits avec de noueuses racines polies) qui étaient en réalité des objets de discours.

Enfin, les œuvres des artistes contemporains Zeng Xiaojun et Liu Dan, dessins fabuleux à l’encre sur papier de pierres dentelées et de végétaux (impressionnantes glycines du début de l’exposition, magnifique tournesol accompagné d’un extrait en chinois d’une lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo) font le lien entre la Chine millénaire et la Chine d’aujourd’hui, tout en se voulant aussi comme un pont entre l’Empire du Milieu et l’Occident.

Rochers de lettrés, itinéraires de l’art en Chine
Musée Guimet
6, place d’Iéna – Paris 16°
Du mer. au lun., de 10 h à 18 h
De 6 € à 8 €
Jusqu’au 25 juin 2012

Images :
Affiche : © Musée Guimet
Pierre « petite ciselée avec art », xiaolinglong shi, Pierre Lingbi (?) Dynastie Song H. 20 ; L. 9,5 ; Pr. 6 cm Support en bois de zitan, H. 4 x 4 cm © DR / Collection de Mme et M. Ian Wilson

Facebooktwitter