Roy Lichtenstein, Evolution (Pinacothèque de Paris)

Roy Lichtenstein à la PinacothèqueAprès une installation provisoire rue du Paradis, la Pinacothèque de Paris vient d’ouvrir définitivement ses portes au 28 place de la Madeleine dans le 8ème arrondissement.

Ses 2000 m2 répartis sur trois niveaux proposent des expositions temporaires au sous-sol et une boutique au rez-de-chaussée, le premier étage étant destiné à accueillir des artistes contemporains, peintres ou poètes.

L’exposition inaugurale, ouverte au public le 15 juin, est consacrée à Roy Lichtenstein (1923-1997), célèbre figure du Pop Art américain.

Le parcours de la visite, quelque peu dédaléen en raison des multiples cloisons mises en place pour optimiser l’espace d’exposition, propose à travers une sélection de quelques 97 oeuvres datées de 1966 à 1997, une découverte du processus créatif de l’artiste.

Ainsi, petits croquis et divers travaux préparatoires côtoient les peintures de grands formats, collages, sculptures et estampes.
A chaque section, une reproduction de la source d’inspiration figure en bonne place. Roy Lichtenstein a multiplié en effet les réinterprétations d’oeuvres ou d’éléments de tableaux de maîtres modernes : ici Matisse, là Picasso (l’influence cubiste est nette), ou encore Cézanne ; puis les tableaux peints à grands coups de brosse à partir d’un paysage de van Gogh …
Autre source de prédilection : les bandes dessinées, celles Hergé et Walt Disney, mais aussi les comics des années 1950, avec leurs jeunes femmes dénudées aux formes et aux bouches joliment dessinées.
Roy Lichtenstein n’hésitait pas davantage à recréer à sa manière les motifs traditionnels des paysages des estampes japonaises.

Le résultat de ces interprétations est connu : des oeuvres ludiques illuminées de couleurs franches et « artificielles » avec fonds de points de trame, sur des supports aussi divers que la toile, le bois ou le carton, utilisant tout autant la peinture à l’huile que le papier peint ou le plastique…

Tel fut le mouvement dans lequel l’artiste s’est épanoui, le Pop Art, né en Angleterre dans les années 1950, rendu célèbre aux Etats-Unis dans les années 1960 avec Andy Warhol, Roy Lichtenstein ou encore Robert Rauschenberg : gai, populaire et sans complexe.

On attend l’automne avec impatience pour découvrir l’exposition que la Pinacothèque de Paris consacrera à partir du 10 octobre au peintre Soutine, insuffisamment montré à Paris depuis de nombreuses années. L’intérêt de ce nouveau musée 100 % privé résiderait bien là : « montrer au visiteur des oeuvres ou des collections privées invisibles habituellement » ainsi que son directeur Marc Restellini le propose. Bienvenue donc, et bonne chance à la Pinacothèque de Paris.

Roy Lichtenstein : Evolution
Pinacothèque de Paris
28 place de la Madeleine – Paris 8ème
Jusqu’au 23 septembre 2007
Tlj de 10 h 30 à 18 h 30
Métro Madeleine (lignes 8, 12 et 14), bus 42, 52, 24, 84, 94
Entrée 8 € (TR 6 €)
Commissaire : Jack Cowart, Directeur exécutif de la Fondation Lichtenstein, New-York
Catalogue : 176 p., 39 €

Image : Collage for Still Life with Picasso, 1973 © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris (2007)

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La vie avec Albertine. Le poids de l'habitude

Marcel Proust La RechercheEn observant les amours de ses amis, celui de Swann pour Odette, celui de Saint-Loup pour Rachel, le narrateur, à de nombreuses occasions, a mesuré l’importance de l’habitude dans la persistance d’une histoire amoureuse.

Dans La prisonnière, partageant sa vie avec Albertine, il se rend compte, dans son propre cas cette fois, que sa situation demeure ce qu’elle est avec son amie, à savoir en partie insatisfaisante mais durable, en raison du poids des habitudes.

Par exemple, la continuelle jalousie qu’il éprouve à l’égard d’Albertine le pousse à chercher des explications sans relâche ; cela étant, il ne les demande pas, par peur de la fâcher. Il s’aperçoit à quel point il a pris l’habitude de ne pas satisfaire immédiatement ses désirs. Dans ce passage, il se remémore les désirs passés et présents qu’il s’est promis d’assouvir sans le faire jamais, comme ce soir-là il n’a pas satisfait celui d’interroger Albertine :

Peut-être que l’habitude que j’avais prise de garder au fond de moi certains désirs, désir d’une jeune fille du monde comme celles que je voyais passer de ma fenêtre suivies de leur institutrice, et plus particulièrement de celle dont m’avait parlé Saint-Loup, qui allait dans les maisons de passe, désir de belles femmes de chambres, et particulièrement celle de Mme Putbus, désir d’aller à la campagne au début du printemps revoir des aubépines, des pommiers en fleurs, des tempêtes, désir de Veise, désir de me mettre au travail, désir de mener la vie de tout le monde, – peut-être l’habitude de conserver en moi, sans assouvissement, tous ces désirs, en me contentant de la promesse faite à moi-même de les satisfaire un jour – peut-être cette habitude, vieille de tant d’années, de l’ajournement perpétuel, de ce que M. de Charlus flétrissait sous le nom de procrastination, était-elle devenue si générale en moi qu’elle s’emparait aussi de mes soupçons jaloux et, tout en me faisant prendre mentalement note que je ne manquerais pas un jour d’avoir une explication avec Albertine au sujet de la jeune fille (peut-être des jeunes filles, cette partie du récit était confuse, effacée, autant dire indéchiffrable, dans ma mémoire) avec laquelle (ou lesquelles) Aimé l’avait rencontrée, me faisait retarder cette explication.

Souffrant le plus souvent, de sa jalousie précisément, il envisage régulièrement de rompre avec Albertine. Mais il ne le fait pas. Il lui semble savoir pourquoi. Cette raison, à savoir l’habitude, le consterne :

On donne sa fortune, sa vie pour un être, et pourtant cet être, on sait bien qu’à dix ans d’intervalle, plus tôt ou plus tard, on lui refuserait cette fortune, on préfèrerait garder sa vie. Car alors l’être serait détaché de nous, seul, c’est-à-dire nul. Ce qui nous attache aux être, ce sont ces milles racines, ces fils innombrables que sont les souvenirs de la soirée de la veille, les espérances de la matinée du lendemain ; c’est cette trame continue d’habitudes dont nous ne pouvons nous dégager.

Excellentes lectures, excellent week-end à tous et à bientôt

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Poèmes en archipel, René Char. Les Névons

portrait de René Char pour les NévonsPoèmes en archipel (lire le billet du 14 juin 2007) donne l’envie de célébrer à nouveau la beauté des poèmes et textes de René Char.

René Char ne cessa jamais de rendre hommage à sa terre natale, le pays de la Sorgue, où il reviendra, toute sa vie, au propre comme dans ses écrits, se ressourcer à la fraîcheur de son enfance provençale.

Dans Le deuil des Névons, du nom de la propriété familiale, le poète évoque la douleur éprouvée lors du partage successoral, à la suite de la mort de sa mère, qui conduira à la vente de la maison.
Chanson bucolique et magnifique sur le deuil, sous-titrée Pour un violon, une flûte et un écho, un peu trop longue pour être citée en intégralité :

Un pas de jeune fille
A caressé l’allée,
A traversé la grille.

Dans le parc des Névons
Les sauterelles dorment.
Gelée blanche et grêlons
Introduisent l’automne.

C’est le vent qui décide
Si les feuilles seront
A terre avant les nids.

(…)

Le bien qu’on se partage,
Volonté d’un défunt,
A broyé et détruit
La pelouse et les arbres,
La paresse endormie,
L’espace ténébreux
De mon parc des Névons.

Puisqu’il faut renoncer
A ce qu’on ne peut retenir,
Qui devient autre chose
Contre ou avec le coeur, –
L’oublier rondement,

Puis battre les buissons
Pour chercher sans trouver
Ce qui doit nous guérir
De nos maux inconnus
Que nous portons partout.

(La parole en archipel, 1952-1959)

Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char
Edition de Marie-Claude Char, Marie-Françoise Delecroix, Romain Lancrey-Javal et Paul Veyne
Gallimard / Folio (mars 2007) 448 p., 11,50 €

Lire également le billet sur la belle Lettera Amorosa

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Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char

poèmes en archipelPoèmes en archipel fait partie d’une série de publications et de manifestations initiées au Printemps des Poètes à l’occasion de la célébration, en ce 14 juin 2007, du centième anniversaire de la naissance de René Char.

Né sept ans avant la Première Guerre mondiale et mort peu avant la chute du mur de Berlin, René Char a traversé les périodes les plus tragiques de son siècle.

Les écrits qu’il a laissés sont aussi le témoignage des temps qu’il a connus.

On y trouve l’écho de trois étapes de l’histoire littéraire du XXème siècle : le surréalisme d’abord ; la poésie de l’engagement ensuite ; et l’évolution vers des formes aux frontières floues, s’affranchissant des genres définis (fragments, aphorismes, journal…).

L’approche anthologique et chronologique présente un grand intérêt pour qui souhaite appréhender, par une vision – loin d’être exhaustive mais d’ensemble, l’oeuvre de René Char.
En permettant de faire quelques pas sur chacune des voies qu’il a empruntées, Poèmes en archipel permet de se faire sa propre idée et de voir ce qui plaît dans ses différents textes.

L’oeuvre de René Char est réputée difficile d’accès.
On s’aperçoit, au fil du recueil, qu’elle est très diverse et que bien des poèmes sont loin de l’hermétisme qu’on lui prête de façon générale.
Et qu’un poème garde une part d’obscurité n’empêche pas d’y trouver – ou pas – de la beauté.
Ce qui est plus regrettable, c’est lorsque la prose censée l’éclairer est elle-même hermétique.
Dans son Avant-propos, Pascal Charvet promet : « Eclairant le chemin de vie et d’écriture de René Char, ce livre offre aux adolescents d’aujourd’hui, et à tous ceux dont le poète écrivait "Ils disent les mots qui leur restent au coin des yeux", les conditions d’une lecture intime ».
Tel est absolument le cas. A condition de tenir à distance, aussi souvent que nécessaire, les commentaires introductifs inutilement apprêtés et épuisamment brumeux.
A cette réserve près, Poèmes en archipel ne peut qu’être conseillé, que ce soit pour son beau travail d’édition (illustrations de choix, mise en page simple, claire et soignée sur papier épais), ses éléments bibliographiques et biographiques, le très bel hommage, en introduction, que Paul Veyne rendit au poète dans le journal Le Monde en 1990… et son format de poche.

La vie et l’oeuvre de René Char furent marquées, dans l’entre-deux-guerres, et jusqu’à la Libération, par l’engagement politique puis armé.
Dans Seuls demeurent, recueil de textes écrits entre 1938 et 1944, publié en 1945, figure 1939 Par la bouche de l’engoulevent, cri de révolte contre les enfants victimes de la guerre d’Espagne, poème en prose illustré par Picasso :

Enfants qui cribliez d’olives le soleil enfoncé dans le bois de la mer, enfants, ô frondes de froment, de vous l’étranger se détourne, se détourne de votre sang martyrisé, se détourne de cette eau trop pure, enfants aux yeux de limon, enfants qui faisiez chanter le sel à votre oreille, comment se résoudre à ne plus s’éblouir de votre amitié ? Le ciel dont vous disiez le duvet, la Femme dont vous trahissiez le désir, la foudre les a glacés.
Châtiments ! Châtiments !

Poèmes en archipel. Anthologie de textes de René Char
Edition de Marie-Claude Char, Marie-Françoise Delecroix, Romain Lancrey-Javal et Paul Veyne
Gallimard / Folio (mars 2007) 448 p., 11,50 €

Autres publications :
Pays de René Char, Marie-Claude Char, Flammarion (280 p., 45 €)
René Char. Le géant magnétique, hors-série de Télérama (100 p., 7,80 €)

Exposition René Char à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 29 juillet
Catalogue édité par la BNF et Gallimard, 264 p., 29 €

Lire également le billet sur la belle Lettera Amorosa

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Premier amour. Samuel Beckett

Premier amour« Car je savais que je ne serais pas toujours jeune, et que l’été ne dure pas éternellement, ni même l’automne, mon âme bourgeoise me le disait. »

La nouvelle, datée de 1945 n’a été publiée qu’en 1970. Samuel Beckett l’a composée directement en français.

Ecrit à la premier personne, d’un trait lapidaire, ce Premier amour est magnifique et déchirant.

L’histoire démarre juste après la mort du père du narrateur.
A cette époque, il se trouve chassé de sa chambre, où il serait bien resté. Dans ce but, il a même proposé, en échange, de bricoler dans la maison :

« Je leur proposais notamment de m’occuper de la serre chaude. Là, j’aurais volontiers passé trois ou quatre heures par jour, dans la chaleur, à soigner les tomates, les œillets, les jacinthes, les semis. Il n’y avait que mon père et moi pour comprendre les tomates, dans cette maison. »

Puis, sur un banc, survient sa rencontre avec Lulu. Dès cette première fois, il remarque : « Je sentais l’âme qui s’ennuie vite et n’achève jamais rien, qui est de toutes peut-être la moins emmerdante. Même le banc, elle en avait eu vite assez, et quant à moi, un coup d’œil lui avait suffi. C’était en réalité une femme extrêmement tenace. »

Il pose ses mollets sur ses cuisses, elle lui masse les chevilles. Il est troublé : « On n’est plus soi-même, dans ces conditions, et c’est pénible de ne plus être soi-même, encore plus pénible que de l’être, quoi qu’on en dise (…) Ce qu’on appelle l’amour c’est l’exil, avec de temps en temps une carte postale du pays, voilà mon sentiment ce soir. »

Il demande à Lulu de revenir moins souvent, puis finit lui-même par quitter le banc, pour aller se réfugier ailleurs, en l’occurrence dans une étable, où il découvre qu’il l’aime : « C’est dans cette étable, dans pleine de bouses sèches et creuses qui s’affaissaient avec un soupir quand j’y piquais le doigt, que pour la première fois de ma vie, je dirais volontiers la dernière si j’avais assez de morphine sous la main, j’eus à me défendre contre un sentiment qui s’arrogeait peu à peu, dans mon esprit glacé, l’affreux nom d’amour. »

Il revient près du banc et la retrouve, bouleversé : « Elle tenait ses mains enfouies dans un manchon. Il me souvient qu’en regardant ce manchon je me mis à pleurer. Et cependant j’en ai oublié la couleur. Cela allait mal. »

Il accepte de la suivre chez elle, y reste : « Je ne me sentais pas bien à côté d’elle, sauf que je me sentais libre de penser à autre chose qu’à elle, et c’était déjà énorme (…). Et je savais qu’en la quittant je perdrais cette liberté. »

Mais dès la naissance de son enfant, le narrateur fuit la femme et la maison qui l’ont hébergé, fuit les cris de l’enfant, physiquement.
Sa fuite est vaine : « Je me mis à jouer avec les cris un peu comme j’avais joué avec la chanson, m’avançant, m’arrêtant, m’avançant, m’arrêtant, si on peut appeler cela jouer. Tant que je marchais, je ne les entendais pas, grâce au bruit de mes pas. Mais sitôt arrêté je les entendais à nouveau, chaque fois plus faible certes, mais qu’est-ce que cela peut faire qu’un cri soit faible ou fort ? Ce qu’il faut, c’est qu’il s’arrête. Pendant des années, j’ai cru qu’ils allaient s’arrêter. Maintenant, je ne le crois plus. Il m’aurait fallu d’autres amours, peut-être. Mais l’amour, cela ce ne se commande pas.»

Premier amour Samuel Beckett
Les éditions de Minuit (1970, daté 1945)
56 p., 5,50 €

A voir : l’exposition Samuel Beckett au Centre Pompidou jusqu’à ce soir
A consulter : la bibliographie et la biographie de Samuel Beckett (1906-1989)
sur le site des éditions de Minuit

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Le musée du quai Branly

musee du quai branlyLe long de la Seine, s’étend une immense paroi de verre laissant apercevoir une végétation luxuriante.

Un mur végétal conçu par Patrick Blanc (1) prolonge l’une de ses extrémités : diversité des végétaux, camaïeux de verts avec des touches de mauve de-ci de-là… Après l’avoir détaillé, il faut prendre du recul pour admirer l’ensemble.
C’est de l’autre côté que se trouve l’entrée : simple brèche dans l’enceinte transparente, nombre de visiteurs passent devant sans la voir.

Des arbres déjà grands, une tonnelle de roses blanches, des graminées s’égayant un peu partout : l’envie est grande de flâner tout un moment dans le jardin "au petit-bonheur-le vent" de Gilles Clément.(2)

Mais il est temps de rentrer, d’aller voir à quoi ressemble l’intérieur de l’immense paquebot rouge imaginé par Jean Nouvel : le fameux musée du quai Branly qui fête son premier anniversaire ce mois-ci.
Sa création a fait couler beaucoup d’encre et déplacer un public fourni : depuis son ouverture au public le 20 juin 2006, la fréquentation du musée a atteint 1 700 000 visiteurs.

La marche d’approche est longue. On gravit une rampe en pente douce qui s’enroule autour d’un silo de verre dans lequel sont exposés (entreposés) diverses séries d’instruments de musique.
La lumière se fait de plus en plus rare. On finit par déboucher dans une curieuse et obscure atmosphère : ce sont les portes de l’Océanie.
D’emblée, le choc est immense.

Des statues de bois, de pierre, des mats aux morts immenses, une pirogue, d’étranges tambours cylindriques : tout à coup, les mots et les références manquent pour décrire les objets, exprimer les émotions.
Alors, on se laisse porter dans cet espace sans repère, se laissant attirer ici par un collier, là par un masque, plus loin par un morceau d’étoffe.
On est loin de l’accrochage traditionnel des musées (murs blancs, cimaises, alignement de vitrines …). Ici, s’élevant jusqu’au plafond, les vitrines aimeraient se faire oublier ; certaines oeuvres, par leurs dimensions, échappent à toute protection. L’installation affranchie de toute géométrie apparente fait de la visite une douce déambulation.

Belle pause en Australie avec les peintures sur écorce dites "au rayon X", créations contemporaines signant la survivance de croyances traditionnelles.
De l’Océanie, on passe aisément à l’Asie, puis de l’Asie à l’Afrique (superbe…), et enfin de l’Afrique aux Amériques : point de frontière ; le musée a été conçu certes par grandes aires géographiques mais dans un seul et même espace, immense plateau de plus de 200 mètres de long.

A certains endroits, de petites pièces sont aménagées à la façon d’alcôves, pour évoquer un théâtre d’ombres chinoises, des paroles de devins africains, des objets et éléments de décor de la religion musulmane …

Ailleurs, surgit un bel alignement de statuettes africaines, toutes magnifiquement dessinées.
Mais on regrette que l’essence des bois ne soit que rarement précisée.

Les indications, du reste, sont toujours très discrètes.
Parfois même – un peu trop souvent – elles sont placées sur le côté de la vitrine, de sorte que l’oeuvre et sa désignation textuelle ne sont pas dans le même champ visuel.
On se demande si une telle complication est bien nécessaire.
De même, l’absence d’éclairage de certaines vitrines laisse perplexe.

Cela étant, l’ensemble ne peut que susciter l’admiration.
L’architecture, l’agencement, la mise en place des oeuvres font du parcours du musée une immersion souveraine dans des eaux profondes et inconnues. La fascination pour "l’étrange" que les Arts premiers suscitent l’emporte à chaque instant.
Et l’émerveillement face à la beauté de certaines statuettes, de certains masques, bijoux, plumes … est à couper le souffle.

Musée du quai Branly
Entrées 206 et 218 rue de l’Université, 27, 37 et 51 quai Branly
Accès pour les personnes handicapées au 222, rue de l’Université
Iéna, Alma-Marceau, Bir Hakeim, RER Pont de l’Alma, Bir Hakeim
Bus : 42 (Tour Eiffel), 63, 80, 92 (Bosquet-Rapp), 72 (Musée d’art moderne)
Navette fluviale : arrêt Tour Eiffel (Batobus, Bateaux parisiens et Vedettes de Paris)
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h30, fermeture de la billetterie à 17h45
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30, fermeture de la billetterie à 20h30
Fermé le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre
Entrée 8.50 € (TR 6 €), billet "Un jour au musée" 13 € (TR 9,50 €)

(1) Lire le billet sur l’exposition  »Folies végétales », qui a présenté cet hiver une partie des recherches du scientifique-paysagiste.

(2) Cela étant, pour des raisons tenant à ses convictions, Gilles Clément a indiqué qu’il n’entendait pas poursuivre sa collaboration avec le musée du quai Branly.

Image : sculpture de Chupicuaro, Mexique, VII-IIe siècle avant J. C., terre cuite.

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Monumenta 2007. Chute d'étoiles (Sternenfall), Anselm Kiefer

monumenta.jpgLa nef du Grand Palais accueille jusqu’au 8 juillet 2007 Chute d’étoiles, l’exposition inaugurale de Monumenta, un cycle de manifestations qui invite désormais chaque année un artiste contemporain à présenter un ensemble d’oeuvres spécialement créé pour le lieu. (1)

Anselm Kiefer, artiste allemand né en 1945 et vivant à Barjac dans le Gard depuis une douzaine d’années a merveilleusement investi la cathédrale d’acier et de lumière du Grand Palais.

Il semble même y avoir recréé un monde : sous la haute voûte qui regarde le ciel, Kiefer donne au visiteur l’impression rare d’embrasser l’univers.

Au sentiment de chaos qui le saisit d’emblée, face à l’immense tour de béton brisée, gisant dans les parpaings épars et la poussière, succèdent sept maisons de tôle qui révèlent l’une après l’autre une inspiration différente, mais forment un tout d’une grande cohérence.

On est face à une véritable vision d’artiste, dont les recherches tournent autour de la nature et de ses éléments – le ciel, l’océan, la terre, le végétal – , de ce qui existe de plus ancien – l’herbier de fougères – , de ce qui meurt et renaît – les étoiles.
Son oeuvre aussi singulière qu’universelle, faite autant de « matière » que de peinture, parle de voyages, de cycles et de mouvement, y compris celui de l’Histoire, de ses textes et de ses guerres.

Par cercles concentriques, elle finit par toucher ce qui apparaît comme le "noyau dur" de Chute d’étoiles, la littérature.
La bibliothèque de plomb et de verre, fascinante – point d’orgue de l’ensemble – fait écho aux hommages rendus dans les maisons précédentes au Voyage au bout de la nuit de Céline, au poète Paul Celan et à la poétesse Ingeborg Bachmann.

Chacune de ses créations est surprenante, puissante, immédiatement séduisante.
Malgré les destructions, subsistent des tournesols, sur les immenses champs d’argile poussent des fleurs colorées : le lyrisme des oeuvres d’Anselm Kiefer n’est pas seulement beau et poignant – il est rassurant.

Chute d’étoiles (Sternenfall), Anselm Kiefer
Monumenta 2007
Jusqu’au 8 juillet 2007
Grand Palais, av. Winston Churchill – Paris 8ème
Métro : Franklin Roosevelt, Champs-Elysées-Clémenceau
Bus : 28, 32, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Personnes à mobilité réduite : accès avenue Winston Churchill
Ouvert tous les jours sauf le mardi
lundi et mercredi : de 10h à 19h ; jeudi à dimanche : de midi à minuit
Audio guide gratuit, médiateurs spécialistes à disposition
Visites guidées à 10h30 lundi et mercredi, à 13h, 15h et 17h tlj sauf mardi
A 19h les jeudi, vendredi, samedi, dimanche
Entrée 4 € (TR 2 €) ; entrée + visite guidée à heure fixe : 8 €
Catalogue de l’exposition : par Philippe Dagen (Editions du Regard), 72 p., 10 €
Hors-série Art absolument, les cahiers de l’art d’hier et d’aujourd’hui, 58 p., 7,50 €

(1) Le sculpteur américain Richard Serra en 2008 (dont une exposition est présentée au Museum of Modern Art à New-York jusqu’au 10 septembre), puis l’artiste français Christian Boltanski en 2009 succèderont à Anselm Kiefer dans la nef du Grand Palais.

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Julien Gracq, le dernier des classiques. Le magazine littéraire

julien_gracqDans son numéro du mois de juin, le magazine littéraire consacre un très bon dossier à Julien Gracq, réunissant pour l’occasion un ensemble d’entretiens et d’articles fins et éclairés sur le célèbre romancier-essayiste.

Né le 27 juillet 1910, c’est au bord de la Loire, dans sa ville natale de Saint-Florent-Le-Vieil, que, poursuivant un choix de vie qui a toujours été sien, Julien Gracq va discrètement sur ses 97 ans.

Il n’a publié que seize livres, entre 1939 et 1992, dont une petite poignée de romans, chez un éditeur « artisanal », José Corti ; il a refusé toute édition de poche, mais a été intronisé de son vivant dans la Pléïade ; il a refusé sèchement le prix Goncourt en 1951 et s’est toujours tenu en retrait quasi-total vis-à-vis des médias … Julien Gracq fait presque figure de personnage mythique aujourd’hui.

Le portrait qui se dessine au fil du dossier du magazine littéraire (lequel s’ouvre sur un précieux entretien avec l’écrivain) est effectivement celui d’un "classique" au style impeccable, mais aussi celui d’une personnalité ferme et vivifiante.

Géographe, l’auteur du Rivage des Syrtes préfère cheminer sur les hauts plateaux désertés et défendre une vision de la littérature que l’on qualifierait aujourd’hui d’"exigeante", alors que Julien Gracq s’applique simplement à la défendre contre ce qui n’est pas elle mais tend à la noyer : certains aspects du monde moderne, telle la cristallisation de la lumière autour de personnages-écrivains, tandis que l’éventuelle qualité des textes devient secondaire.

Julien Gracq n’avait pas accordé d’interview depuis six ans. Celui qui « n’a pas cessé d’écrire en cessant de publier » a encore des choses à dire. L’écouter et le lire aujourd’hui est souverain. Voici par exemple ce que la question de sa « postérité » lui inspire :

Nul ne sait ce que sera, ou pourra être, la littérature, ou ce qui en tiendra lieu – disons en 2050 – dans sa forme, ni même dans la langue qu’elle parlera. En revanche, il est probable que son mode d’insertion dans la vie courante aura changé du tout au tout, la quantité énorme des informations instantanément disponibles refoulant impitoyablement, ne serait-ce que de sa masse opaque, le « fonds classique » qui faisait, pour un écolier du XVIIème siècle de la littérature un âge d’or dégusté en conserve, plutôt que la séduction immédiate d’un produit du « rayon frais ». (…) J’ai vu se succéder, depuis le temps que j’étais au lycée, une demi-douzaine d’écoles ou de mouvements littéraires, chacun abandonnant derrière elle davantage de disparitions précoces que de positions imprenables.
Je disais seulement, il me semble, que le public d‘En lisant en écrivant aurait sans doute disparu pour la plus grande part dès 2020, la moitié au moins des noms cités n’évoquant plus rien pour le lecteur. Conséquence d’une culture à dominante de plus en plus horizontale (toute la littérature actuelle du monde) et de moins en moins verticale (le prestige des Anciens).

Gilles Lapouge dresse une délicate cartographie de l’écrivain des espaces et du temps, qui est également celui de l’attente et du désir, comme le souligne Pierre Michon.

Evoquant le fascinant Le Rivage des Syrtes, Enrique Vila-Matas montre comment ce roman ne se contente pas de se nourrir des apports de la vie mais pousse aussi à partir d’autres livres, illustrant ainsi la thèse de Julien Gracq, selon qui « Le mimétisme spontané compte beaucoup : par d’écrivains sans insertion dans une chaîne d’écrivains ininterrompue ».

Pierre Bergounioux, au terme d’une introduction rassemblant une vision déchirée de l’histoire de la France du XXème siècle, rappelle que Un balcon en forêt fut écrit – quinze ans après – par un de ceux, nombreux, qui connurent l’expérience militaire désastreuse de 1939, laquelle, au bout de quelques mois, fit d’eux des prisonniers :

Aux expériences cumulées dans la grande temporalité, il emprunte son rustique et profond savoir de la terre et de la guerre, de la forêt, du braconnage, le sens et le goût de la conversation, une galanterie consommée avec les dames, celles, surtout, qui sont jolies, le sentiment des paysages, infiniment divers et contrastés dans les limites exiguës, pourtant, du pays, l’attention restée de la société agraire traditionnelle, à la saveur presque ineffable des heures, aux changements saisonniers, l’attente angoissée, aux frontières, de l’antique adversaire – le Germain, le Boche, le Fritz – , le courage naturel, spontané, spirituel, serait-on tenté dire, qu’on trouvait encore dans le tempérament national, ennemi de l’esprit de sérieux, de la grandiloquence, et farouche, pourtant (l’historien Marc Bloch est un autre exemple de cet héroïsme ingénu, qu’il paya de sa vie), le goût artisanal de la belle ouvrage, hérité de l’industrie manufacturière des produits de luxe, dont profite le canon antichar, dans la soute de la maison forte.
Tout ça, ils sont un million et demi d’hommes qui en ont fait l’expérience au même moment parce qu’ils avaient le même âge, donc les mêmes penchants, les mêmes travers et les mêmes vertus. Un seul lui a conféré ce degré proprement inouïe d’exactitude, cette extraordinaire puissance de suggestion ou de révélation, parce que l’art est difficile, extrêmement, et qu’une nation ne peut guère tirer de son sein plus d’une poignée d’hommes qui en soient capables. Julien Gracq est de ceux-là.

le magazine littéraire
juin 2007, n° 465
98 p., 5,80 €
à consulter : le site du magazine littéraire
le site des éditions José Corti

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La prisonnière. Le sommeil d'Albertine

Marcel Proust La RechercheDans La prisonnière, le narrateur vit avec Albertine à Paris.

La nuit, tandis qu’elle dort, lui la contemple.

Et fait bien d’autres choses aussi.

Comme par exemple, « s’embarquer sur le sommeil d’Albertine » :

Alors, sentant que son sommeil était dans dans son plein, que je ne me heurterais pas à des écueils de conscience recouverts maintenant par la pleine mer du sommeil profond, délibérément je sautais sans bruit sur le lit, je me couchais au long d’elle, je prenais sa taille d’un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur mon coeur, puis, sur toutes les parties de son corps, ma seule main restée libre et qui était soulevée aussi, comme les perles, par la respiration de la dormeuse ; moi-même, j’étais déplacé légèrement par son mouvement régulier : je m’étais embarqué sur le sommeil d’Albertine.

Ou encore, il porte son regard sur la poche du kimono d’Albertine, qui pourrait recéler bien des secrets :

Quelquefois, quand elle avait trop chaud, elle ôtait, dormant déjà presque, son kimono, qu’elle jetait sur un fauteuil. Pendant qu’elle dormait, je me disais que toutes ses lettres étaient dans la poche intérieur de ce kimono, où elle les mettait toujours. Une signature, un rendez-vous donné eût suffi pour prouver un mensonge ou dissiper un soupçon. Quand je sentais le sommeil d’Albertine bien profond, quittant le pied de son lit où je la contemplais depuis longtemps sans faire un mouvement, je hasardais un pas, pris d’une curiosité ardente, sentant le secret de cette vie offert, floche et sans défense, dans ce fauteuil. Peut-être faisais-je ce pas aussi parce que regarder dormir sans bouger finit par devenir fatigant. Et ainsi, tout doucement, me retournant sans cesse pour voir si Albertine ne s’éveillait pas, j’allais jusqu’au fauteuil. Là, je m’arrêtais, je restais longtemps à regarder le kimono comme j’étais resté longtemps à regarder Albertine. Mais (et peut-être j’ai eu tort) jamais je n’ai touché au kimono, mis la main dans la poche, regardé les lettres. A la fin, voyant que je ne me déciderais pas, je repartais à pas de loup, et venais près du lit d’Albertine et me remettais à la regarder dormir, elle qui ne me disait rien alors que je voyais sur le bras du fauteuil ce kimono qui peut-être m’eût dit bien des choses.

Excellent week-end et excellente lecture à tous.

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Au revoir parapluie. James Thierrée

Au revoir parapluieJames Thierrée et sa Compagnie du Hanneton sont de retour à Paris avec Au revoir parapluie, un très beau spectacle donné au Théâtre de la Ville jusqu’au 30 mai avant de repartir en tournée en France et à l’étranger.

Avec pour fil conducteur une histoire de pertes et de retrouvailles successives, Au revoir parapluie est une suite de tableaux où les arts se mêlent avec grâce : si James Thierré, enfant du cirque, est un clown, un mime et un acrobate formidable, il est aussi un danseur et un poète.

Entouré de quatre complices, il crée une ambiance, un monde à partir d’idées simples et inventives.

D’immenses cordages suspendus à un crochet sont ainsi au centre du spectacle.
Les personnages se glissent à l’intérieur pour s’y cacher, en sortir comme du creux d’un arbre avant d’y disparaître à nouveau. Ils s’y agrippent, en descendent, remontent, s’y retrouvent. Les cordes se serrent, se soulèvent, s’étalent en un simple mur d’escalade propice à toutes les acrobaties.
Multiples et mouvantes, les cordes blanches prennent la lumière et ondulent, en une merveilleuse matière poétique.

L’étoffe se fait carmin, prête au jeu, aux transformations et aux dissimulations.
Les corps créent l’humour, les jambes prennent leur autonomie, tantôt ne voulant obéir au tronc, tantôt s’emballant sans moyen de contrôle.
L’ossature d’un rocking-chair devient le partenaire idéal d’une danse en cercles et volutes fascinante …

Enfin, la grande voile-rideau de scène, crevée en un mouvement époustouflant à l’ouverture du spectacle, devient chapiteau dans le tableau final, clôturant Au revoir parapluie en un émouvant hommage au cirque, aux origines, certainement aux magnifiques parents de James.
Victoria Chaplin et Jean-Batpiste Thierrée peuvent être fiers.

Le travail de James Thierrée a été salué cette année encore par le jury des Molières, qui vient de lui décerner le prix du meilleur spectacle en région.

Au revoir parapluie. James Thierrée
Création la Compagnie du Hanneton
Avec Kaori Ito, Magnus Jokobsson, Satchie Noro, Maria Sendow et James Thierrée
Costumes Victoria Thierrée et Manon Gignoux
Lumières Jérôme Sabre, son Thomas Delot
Théâtre de la Ville – 2 place du Châtelet, Paris 4ème
Jusqu’au 30 mai 2007
Locations et renseignements 01 42 74 22 77

Puis en tournée à partir du mois d’octobre : du 4 au 7 à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, les 9 et 10 au Théâtre de Sartrouville, les 12 et 13 à l’Espace Jacques Prévert d’Aulnay-sous-Bois, les 19 et 20 au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison, du 29 oct au 10 nov Sadlers Wells Theatre à Londres, du 20 au 30 nov Shakespeare Theater à Chicago et du 3 au 18 déc Brooklyn Academy of Music New York

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