Laura, à moitié réelle, à moitié rêvée

Laura, Otto PremingerAvez-vous vu Laura ? Quelle que soit votre réponse, on ne sait qui envier le plus tant sa rencontre transforme ? Demandez à Waldo Lydecker, demandez à Mark McPherson, les protagonistes du film… demandez moi. Il y a tant à dire sur Laura, le film. Mais ce serait dévoiler l’intrigue. Alors je parlerai de Laura, la femme.

Laura est morte assassinée. Qui était-elle ? Pour le découvrir, le détective Mark McPherson fouille le passé. Ses relations la décrivent idéale et irrésistible. Mark est sceptique, c’est son métier. Pourtant, la vision de son portrait, un soir, le subjugue. Il s’en dégage une émotion trop forte. Le détective va utiliser son enquête pour assouvir sa curiosité et l’alcool et les cigarettes pour calmer son trouble.
Laura n’est pas une femme fatale. Elle n’en a pas le caractère vénéneux. Il n’empêche qu’on succombe à son érotisme innocent. Paradoxe direz-vous. Et pourtant. Sans qu’elle cherche rien, tous les hommes éprouvent à son contact des sentiments exacerbés. D’amour et de jalousie, même après sa mort.
Certes Laura est belle, très belle même. Son image un peu lisse aurait pu suffire pour que chaque homme y greffe ses fantasmes. Mais ces messieurs en ont vu(es) d’autres. Non, la vérité, c’est que Gene Tierney qui incarne Laura est envoutante parce que… parce que…. Au fait, pourquoi l’est-elle à ce point ?
À moitié réelle, à moitié rêvée, Laura je vous l’ai dit, transforme. À son contact, le faible devient fort, le cérébral devient impulsif, le romantique devient cynique. Et vice versa. On veut la posséder mais elle décide de tout. Belle, intelligente, sensible, moderne, Laura est un des plus beaux portraits de femmes de l’histoire du cinéma. Moi, comme Waldo, comme Mark, comme Shelby Carpenter (Vincent Price, second rôle de luxe), et comme tous ceux qui l’ont vu, nous effaçons devant elle. Mais pour vivre plus fort.

Revenons au film. Dans sa forme, il est un modèle de maîtrise. Sa construction rigoureusement symétrique nous donne à voir Laura, d’abord à travers les yeux de Waldo Lydecker, puis à travers ceux de Mark McPherson. Hormis leur assurance et un même amour pour Laura, tout les oppose, de leurs manières à leurs destinées en passant par leur physique. La première scène du film est éloquente à ce sujet. Waldo (vous n’oublierez pas de sitôt Clifton Webb), intellectuel, brillant, arrogant et influent est confronté à Mark (Dana Andrews dans son meilleur rôle), un être taciturne et désabusé qui ne s’en laisse pas conter. Dans le deuxième acte du film, qui lui aussi se divise en deux parties, il faut voir Mark se débarrasser de sa douleur pour renaître à la vie, dans une trajectoire inverse à celle de Waldo.
Pour combler votre plaisir, pensez aussi à admirer les cadrages et lumières du débutant Joseph LaShelle (oscar), reconnaissez le thème musical de David Raksin et surtout, savourez l’intelligence des dialogues de ce film qui commence sur cette phrase culte pour tout cinéphile : « I shall never forget the weekend Laura died ». Tout est dit.

Laura (Laura)
Film noir d’Otto Preminger
Avec Gene Tierney, Dana Andrews, Clifton Webb
Durée 1 h 25
Sorti le 11 octobre 1944

© Action Cinémas / Théâtre du Temple

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L’heure, le feu, la lumière. Galerie des Gobelins

Exposition aux Gobelins, l'Or, la lumière, le feuL’exposition qui ouvrira ses portes au public mardi 21 septembre entre en résonance avec l’actualité du moment – Journées du Patrimoine ce week-end, Biennale des Antiquaire au Grand Palais à Paris. Mais elle est en même temps tout à fait inédite.

On la doit aux recherches approfondies de sa commissaire, Marie-France Dupuy-Baylet, qui a exhumé du Mobilier National plus de quatre-vingt pendules et des bronzes d’ornements issues des collections impériales et royales, datées de 1800 à 1870.

Tout ce qui brille n’est pas d’or et l’on en a ici la preuve éclatante, face aux sculptures en bronze qui ornent les pendules, candélabres, torchères, flambeaux et autres feux, pour beaucoup montrées au public pour la première fois et dont la caractéristique commune est le faste de grand apparat.
Ces objets ont en effet été commandés pour décorer les palais et les appartements impériaux et royaux, ainsi que ceux des ministères.

Le XIXème siècle vit un grand engouement pour les pendules : chacun voulait la sienne, d’où une impressionnante variété de modèles. Il y avait une sorte de "code" dont l’aspect représentation sociale n’était pas le moindre : on n’exposait pas le même modèle selon que l’on était homme ou femme, selon le poste occupé par le commanditaire, ou encore selon qu’elle était destinée à la salle à manger ou à la chambre à coucher.

L'heure, le feu, la lumière, Galerie des GobelinsMalgré tout, de grandes tendances se dessinent, résultant des choix des régimes politiques qui se sont succédé. Dans les premières années de 1800, apparaît le "Renouveau", où sont soulignés tous les symboles du savoir et de l’enrichissement, avec l’idée que du premier dépend le second. Voici donc le thème de l’Etude largement décliné, celui de l’eau, des motifs de blé, des cornes d’abondance, des fêtes de Bacchus et des quatre saisons. Les arts décoratifs – comme l’ensemble des arts – sont ainsi des vecteurs de propagande, où l’on voit les valeurs prônées par le régime symbolisées sur les objets.
Ceux-ci n’échapperont pas à la vogue de l’architecture monumentale, avec des éléments décoratifs spectaculaires, comme des pendules-arcs de triomphe, des lustres à se damner ou encore la pendule-monument à la mémoire de Frédéric II roi de Prusse, curiosité de taille que l’on n’aimerait pas forcément voir chez soi.
"L’Egyptomania" consécutive aux conquêtes napoléoniennes va également se traduire dans les pendules, les ornements d’éclairage et le mobilier – dont un certain nombre de pièces est également exposé -, avec un registre iconographique (sphinx, sphinges et griffons) typique de l’Empire.
Autre aspect passionnant de la visite, dès lors qu’elle a pu les identifier, la commissaire a établi un rapprochement entre la sculpture ornementale de la pendule et l’œuvre d’art, peinture ou sculpture qui l’a inspirée. Tel est le cas notamment d’une pendule d’après le tableau de David Le serment des Horaces, avec en bas-relief une réinterprétation de l’original, afin de mieux encourager le départ au combat… Parfois, c’est l’objet d’art décoratif qui se retrouve sur un tableau, comme cette pendule montrant l’Etude assise sur un globe, suggérant que c’est par l’étude que l’on asseoit son emprise sur le monde, que l’on retrouve sur une peinture du peintre néo-classique François-André Vincent.
Impossible de décrire toutes les splendeurs, mais citons aussi pour finir, la pendule dite sympathique pour souligner l’osmose entre la pendule et la montre que l’on pose dessus : une tige sort de la pendule pour mettre la montre à l’heure à midi et à minuit…

L’heure, le feu, la lumière
Bronzes du Garde-Meuble impérial et royal 1800 – 1870
Galerie des Gobelins
42, avenue des Gobelins 75013 Paris
Ouverture tous les jours sauf le lundi de 11h à 18h
Fermé le 25 décembre et le 1er janvier
Entrée 6 euros (tarif réduit 4 euros)
Du 21 septembre 2010 au 27 février 2011

Images : Pendule, Les adieux d’Hector et Andromaque, bronze doré, Acquise en 1805 aux horlogers Lepaute, oncle et neveu, pour le grand salon des appartements du Petit Trianon Paris, Mobilier national © Isabelle Bideau
et Paire de candélabres bronze doré et patiné dans le Salon de l’Empereur en 1805 Début du XIXe siècle Paris, Mobilier national © Isabelle Bideau

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L'Or des Incas. Origines et mystères. Pinacothèque de Paris

L'or des Incas à la Pinacotheque de Paris, Ornement frontal

L’exceptionnel semble devenir la règle à la Pinacothèque de Paris. Après Les soldats de l’éternité en 2008, révélant au public français quelques uns des 7 000 soldats de terre cuite découverts dans la tombe du premier empereur de Chine, Marc Restellini, le directeur de la Pinacothèque présente depuis vendredi une exposition de plus de 250 œuvres issues de la civilisation Inca et de celles qui l’ont précédée.

Venue essentiellement de musées péruviens, mais aussi de plusieurs institutions européennes, cette sélection inédite en France vient nous rappeler que les Incas, s’ils demeurent le plus connu parmi les peuples pré-colombiens de la cordillère des Andes, ne dominèrent en réalité la région que durant le XV° siècle. Pendant 3 000 ans, et jusqu’à ce que les Conquistadors envahissent le "Pérou" au début du XVI° siècle, une dizaine de cultures différentes, nommées Sicán, Chimú, Mochica ou encore Huari s’étaient en effet succédées – avec toutefois une vision du monde et des traditions, notamment religieuses, communes.

Après une présentation des différentes civilisations (appelées "horizons") à travers une sélection de leurs pièces les plus remarquables, l’exposition aborde les grandes thématiques des Incas et de leurs prédécesseurs : la tradition métallurgique (dont les importantes richesses naturelles régionales ont permis le développement) et les rituels, avec l’apparat de cérémonie, la musique, les rites sacrificiels, la cosmogonie, les pratiques funéraires.

Les objets d’or, symbole du soleil, divinité suprême dans le panthéon Inca, mais aussi du pouvoir, puisque l’empereur était considéré comme fils du soleil, prennent de multiples formes pour un usage essentiellement rituel – l’approche économique de l’or était étrangère aux civilisations préhispaniques. S’étalent ainsi sous nos yeux couronnes, coiffes, masques, pectoraux, colliers, boucles d’oreilles, ornements nasaux (nariguera), gobelets, coupes… en or soudé, laminé, moulé, repoussé, découpé, gravé, embouti ou filigrané.
L’on découvre aussi des pièces d’argent – métal associé à la divinité lunaire Quilla – ainsi que des objets associant les deux métaux, ou encore en cuivre. Certains s’ornent de pierres précieuses ou semi-précieuses.

L'or de Incas, Pinacothèque de Paris, coupe cérémonielleMais l’art des cultures andines ne se réduit pas à l’orfèvrerie : elles ont tout autant exprimé leur savoir-faire et leur talent créatif dans la céramique, comme en témoignent ces superbes vases et ces bouteilles à anse, ventrues, parfois très sculptées et le plus souvent richement colorées. La diversité stylistique des civilisations y est particulièrement visible. L’iconographie et la sculpture vont du symbolisme et du géométrique aux motifs zoomorphes et anthropomorphes (souvent hybrides d’ailleurs) – voire narratifs – les plus étonnants.

Sont également à découvrir des pièces d’apparat ornées de plumes multicolores, des objets en bois, des bijoux en coquillage, des instruments de musique, tels les sonnailles, qui, cousues aux vêtements, émettent des tintements à chaque mouvement, le contenu du trousseau funéraire autour d’une momie… Autant d’œuvres qui passionnent par l’Histoire et les histoires qu’elles révèlent, enchantent par leur extraordinaire beauté et ne cessent de fasciner par leur part encore demeurée mystérieuse.

L’Or des Incas. Origines et mystères
Pinacothèque de Paris
28, place de la Madeleine – Paris 8ème
Jusqu’au 6 février 2011
TLJ de 10 h 30 à 18 h (fermeture des caisses à 17 h 15)
Samedi 25 décembre 2010 et samedi 1er janvier 2011, ouverture de 14 h à 18 h
Nocturne tous les mercredis jusqu’à 21 h (fermeture de la billetterie à 20 h 15)
Entrée 10 euros, tarif réduit 8 euros
Réservation en ligne sur le site (11,50 euros et réduit 9,50 euros)
Exposition réalisée en association avec Artematica et la Fondazione Brescia Musei

Rendez-vous :
– A l’occasion de sa première participation aux Journées du Patrimoine, la Pinacothèque ouvrira gratuitement ses portes aux jeunes de moins de 25 ans les 18 et 19 septembre
– Nouveauté : les visites guidées organisées tous les samedis, à 14 h et 16 h. D’une durée d’une heure trente, elles comptent 20 personnes maximum et coûtent 5 euros en plus de l’entrée (inscription à l’avance ou sur place)
– Mercredi 29 sept à 19 h : concert-récital de Javier Echecopar, guitariste péruvien de musique baroque (en partenariat avec la Fondation de l’Alliance Française)
– Mercredi 13 oct à 19 h : table-ronde avec des spécialistes de l’Institut Français d’Etudes Andines (avec la Fondation de l’Alliance Française)
– Mercredi 27 octobre à 19 h : table ronde sur le thème Sociétés pré-Incas, de Chavin aux Incas, entre unité et diversité (avec Connaissance des Arts).

A lire et à regarder, à offrir et à se faire offrir :
Le catalogue, où de grandes photos des objets exposés et leurs notices alternent avec des textes thématiques clairs écrits par des spécialistes de l’art pré-colombien, chercheurs, professeurs et directeurs de musées. Il reprend les trois grandes sections de l’exposition : L’histoire du Pérou ancien ; Le travail du métal et de l’or ou le beau dans le Pérou ancien ; Les rituels : le divin dans le quotidien.
(Editions de la Pinacothèque de Paris, 364 p., 45 €)

Images : Ornement Frontal, Culture Chimú (900-1470 apr. J.-C.), Intermédiaire récent, Or laminé/repoussé/embouti/incrusté 250 x 55 x 300 mm Musée Larco, Lima © Photo Joaquín Rubio Roach. Tête de félin orné de plumes, nez et bec d’oiseau. Deux singes dans la partie supérieure. Serpents bicéphales sur la partie inférieure (notice, Paloma Carcedo)
Coupe cérémonielle, Culture Chimú, Intermédiaire récent, bois, nacre sculpté/gravé/ pyrogravé/serti 399 x 167 x 165 Musée Larco, Lima © Photo Joaquín Rubio Roach. Décor de la coupe : frise de 9 panneaux gravés représentant un personnage (à longue queue et aux pieds terminés en tête d’oiseau) associé à des êtres zoomorphes (félin) et à un singe (notice, Luisa Maria Vetter)

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Le Musée Gustave-Moreau à Paris

Escalier du Musée Gustave Moreau

Quand les expositions de l’été se finissent, alors que celles annoncées pour l’automne n’ont pas encore commencé, une idée pour le touriste désemparé ou le Parisien revenu au bercail est d’aller tout simplement faire un tour du côté… des musées.
Par exemple, ceux auxquels on ne pense jamais, parce que peu d’événements y sont organisés et qu’ils sont cachés dans quelque hôtel particulier de rues essentiellement résidentielles.

Le Musée Gustave-Moreau dans le 9° arrondissement est typique de ce délaissement.
En vous y pointant à cette saison, un samedi en fin de matinée, vous avez la chance d’y croiser : une vieille dame venue d’Italie, un séminariste Camerounais, un jeune couple de Français plus ou moins amusé et, juste avant la fermeture, un duo de Japonaises en jupes courtes courant de bas en haut et de haut en bas. En comptant un gardien par étage plus une caissière, le rapport visiteurs/personnel est dans ce cas presque de un pour deux…

Le premier étage du bâtiment – aménagé par Gustave Moreau soi-même, qui a fait de sa maison un musée – abrite l’appartement de l’artiste. Depuis la fin du XIXème, le temps semble s’y être figé : meubles et objets décoratifs (céramiques de Palissy, chinoiseries, pièces venues du Japon) sont ceux du goût de l’époque. Ils cohabitent étroitement (trop !) avec les copies de Gustave Moreau : celles que l’artiste a fait des grands maîtres lors de son séjour italien entre 1857 et 1859 (tel un Saint George terrassant le Dragon copié de Carpaccio à Venise), ainsi que des copies d’œuvres originales du peintre symboliste.

Les deuxième et troisième étages s’ouvrent sur de grands espaces entièrement tapissés de peintures et de dessins de Moreau. Là, le plaisir commence vraiment, et l’on a envie de s’installer un moment face à ces grandes compositions où fourmillent mille détails. L’artiste formé à l’école académique – pour ensuite s’en détacher, déçu n’avoir pas été reçu au Prix de Rome – a en quelque sorte réinventé la peinture d’histoire, puisant son inspiration dans les sujets bibliques et mythologiques, notamment dans les Métamorphoses d’Ovide – pour parfois d’ailleurs les transformer au gré de son imagination.
Le rapprochement avec la peinture d’histoire s’arrête là, tant Gustave Moreau a imposé un style bien à lui, reconnaissable entre tous, alliant au ciselé du dessin le sfumato des atmosphères, à l’étrangeté des couleurs des détails décoratifs presque persans, à la violence des scènes des poses hiératiques et moyen-âgeuses.

Énigmatique, passionnante "à lire" (pour cela, ses propres écrits sont nécessaires !), la peinture de Gustave Moreau vaut avant tout pour ce qu’elle est : belle, raffinée et singulière, une peinture dont les sujets mythiques et l’esthétique puissante emportent loin, impriment leur marque et laissent songeur.

Musée National Gustave-Moreau
14, rue de La Rochefoucauld -75009 PARIS
info@musee-moreau.fr
M° Trinité ou Saint Georges, bus : 67, 68, 74, 32, 43, 49
TLJ de 10 h à 12 h 45 et de 14 h à 17 h 15 sf le mardi
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Entrée 5 euros (TR 3 euros)
Gratuit pour les moins de 18 ans et pour tous le premier dimanche de chaque mois
Tarif réduit pour les moins de 26 ans ressortissants de l’union européene

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