Voici le 9ème épisode du feuilleton des prix Goncourt signé Andreossi. L’écriture a l’air très belle !… Lisez plutôt.
Mag
Jean Rouaud vendait des journaux dans un kiosque parisien quand il a publié son premier roman. Il a trouvé rapidement des lecteurs, puis la consécration avec le prix Goncourt 1990. Son récit n’a pas vraiment d’intrigue, et se présente comme une succession de portraits familiaux grâce auxquels le narrateur (qui doit beaucoup ressembler à l’auteur) nous entraîne dans une écriture qui constitue l’intérêt principal du livre.
Les figures précisément évoquées sont celles du grand-père, puis de la « petite tante », et enfin celle de Joseph, frère de cette dernière, mort au cours de la Grande Guerre. D’autres portraits sont à peine esquissés, comme celui du père et de la mère : Jean Rouaud poursuivra son œuvre de retour aux origines par les quatre romans qui suivront.
On évoque aujourd’hui les « page turner », livres qui se dévorent parce que l’intrigue est haletante. On devrait aussi pouvoir désigner, alors sans connotation compulsionnelle, ceux dont on attend avec convoitise la phrase suivante parce qu’on veut poursuivre le plaisir de la belle forme.
Nous sommes près de la côte atlantique, entre Nantes et Saint Nazaire, et il arrive qu’il tombe une petite pluie. Mais pas n’importe laquelle : « Qu’il pleuve à marée montante, ce n’est pas à proprement parler une pluie. C’est une poudre d’eau, une petite musique méditative, un hommage à l’ennui. Il y a de la bonté dans cette grâce avec laquelle elle effleure le visage, déplie les rides du front, le repose des pensées soucieuses. Elle tombe discrète, on ne l’entend pas, on ne la voit pas, les vitres ne relèvent pas son empreinte, la terre l’absorbe sans dommage ».
Le narrateur aide la petite tante, avec ses cousins, à plier le bulletin paroissial. Mais il y a pliage et pliage : « On atteignait à peine la vingtaine de bulletins pliés que déjà un certain laisser-aller transparaissait dans nos travaux. Les quatre coins de la feuille qui devaient se superposer en un angle droit unique trahissaient progressivement un décalage. Quelques bulletins plus loin, on confectionnait presque des éventails. (…) C’était la goutte d’eau quand, avec l’un d’eux particulièrement évasé, on se masquait les yeux en affectant des mines de carmencita. Là, la tante perdait son calme. Une petite colère de moineau s’ébrouant dans sa flaque ».
La petite tante racontait toujours, sans qu’on l’écoute vraiment, qu’elle n’avait plus ses règles depuis l’âge de vingt six ans. Jusqu’au jour où le narrateur fait le lien avec la mort de son frère en 1916 : « C’est donc cela qu’elle nous disait, lançant à la cantonade ses comptes cabalistiques. Cette longue et secrète retenue de chagrin, ce sang ravalé comme on ravale ses larmes, et par cette mort sa vie à jamais déréglée ».
Ces formules heureuses ne sont pas gratuites, car de ces portraits émergent des personnes éminemment présentes.
Connaissez-vous le Musée Mendjisky à Paris ?… Une exposition consacrée à Alfred Manessier y est organisée jusqu’au 15 octobre. Heureusement que la curiosité et le flair de Jean-Yves sont là pour nous inciter à emprunter des chemins de traverse… Merci à lui !
Mag
Le Musée Mendjisky – Ecoles de Paris, ouvert en 2014, rend un bel hommage à Alfred Manessier (1911-1993), peintre majeur de l’art abstrait et figure tutélaire de la Seconde Ecole de Paris.
L’exposition, la première à Paris depuis la rétrospective au Grand Palais en 1992, illustre bien le parcours de cet artiste. Elle témoigne de la sensibilité aux variations de la lumière de cet homme du Nord dont la vocation de peintre se dessina, vers douze ans, devant la baie de Somme où il passait ses vacances. Sans particulièrement respecter un ordre chronologique, les accrochages affichent, dans la première salle, des œuvres peintes entre 1943 et 1956, dont les noms sont évocateurs : « Espace matinal », « Formes au crépuscule », « Nocturne marin »… et surtout un grand tableau « La nuit » (1956), qui fit partie, comme des Modigliani, Miro ou Dubuffet, de la collection d’Otto Preminger.
A l’invitation de ses amis le poète Camille Bourniquel et la peintre Elvire Jan, Manessier découvre la Provence en 1958, puis en 1959. Sous l’effet d’une « frénésie de dessiner », sa palette devient alors plus colorée et son expression plus mouvementée : « Aube sur la garrigue », « La nuit au mas ». La même veine lumineuse traverse son œuvre lorsqu’il découvre l’Espagne en 1963 (« Vent du soir sur Tolède »). On peut admirer tous ces tableaux sur les cimaises du musée.
L’exposition évoque également la période surréaliste de Manessier (fin des années 30), et elle rassemble aussi d’émouvantes œuvres de jeunesse des années 20, sous la forme d’études figuratives de petits formats, peintes sur le motif, autour du port du Crotoy.
Cherchant à « exprimer la prière intérieure de l’homme, à atteindre aux arts sacrés », Manessier considérait son œuvre comme indissociable de son engagement spirituel. Nous savons qu’il fut le premier artiste à proposer des vitraux non figuratifs dans une église. L’exposition propose ici des répliques de vitraux posés dans l’église du Saint-Sépulcre à Abbeville, la ville de son enfance. Une grande tapisserie suspendue, s’inspirant de « La nuit », démontre aussi combien Manessier est à l’aise dans les œuvres monumentales, en laine (tapisseries) et en verre (vitraux).
Alfred Manessier La petite source nocturne
Le peintre attachait une grande importance à l’amitié qu’il entretenait d’autres artistes. Un espace leur étant réservé, on pourra admirer des compositions de Jean Bazaine, Jean Le Moal, Jean Bertholle, Elvire Jan…
Enfin, la visite au musée donne l’occasion de découvrir ce lieu édifié, en 1932, comme atelier d’artiste par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour son ami, le maître verrier Louis Barillet. Cette maison, attachée à la naissance des avant-gardes dans la première moitié du XXème siècle, apparaît comme représentative de l’art total dont se réclamait Mallet-Stevens. On y admirera les vitraux et les mosaïques, tout comme l’omniprésence du verre sous toutes ses formes. L’exposition ne manque pas de rappeler, par ailleurs, que Manessier vécut et travailla longtemps en voisin, rue de Vaugirard.
Eau-forte VIII, 1957 Donation Pierre et Colette Soulages
« Les musées ne m’inspirent pas vraiment. Le regard sur le passé m’a toujours ennuyé. Mais ennuyé au point que le mot n’est pas assez fort… Ce qui me préoccupe, ce n’est ni aujourd’hui ni le passé, c’est ce que j’ai envie de faire demain. »
En lisant ces mots de Pierre Soulages, l’artiste contemporain français le plus connu dans le monde, on comprend que l’installation d’un musée à son nom n’a pas été simple. Cette aventure est très bien expliquée dans la revue Urbanisme (été 2015, n° 397), dans laquelle on peut lire aussi l’intégralité de l’entretien dont sont issus les extraits cités ici.
Pierre Soulages, l’enfant de Rodez, qui y vit le jour en 1919, n’était en effet pas favorable à un musée monographique, qui selon lui perd de son attrait au bout de quelques années. Pour le décider, il a fallu repasser par Conques : ce sont d’abord les travaux préparatoires aux célèbres vitraux de la splendide abbatiale de Sainte Foy de Conques, que l’artiste a accepté d’exposer, compte tenu de la proximité géographique avec Rodez. « Les cartons, puis les gravures, ce qui est sur papier, et la peinture, les peintures d’enfance… de proche en proche, l’ensemble s’est construit progressivement, ce n’était pas une pensée constituée dès le départ » raconte l’artiste qui a finalement consenti deux importantes donations au musée, réunissant quelques 500 pièces au total (peintures sur toiles, sur papier, ensemble des estampes, bronzes, cartons des vitraux de Conques).
Il s’agit désormais de la plus grande collection au monde de Pierre Soulages, abritée dans un écrin conçu par les architectes catalans RCR Arquitectes. De l’extérieur, ce sont de grands cubes de verre et surtout d’acier Corten (couleur rouille, comme celle du brou de noix utilisé par le peintre) ; à l’intérieur, de l’acier encore, d’un gris profond celui-ci, recouvre les sols et les murs des premières salles. Conformément à ce que souhaitait l’artiste, afin d’éviter l’écueil de « l’usure » de la monographie dans le temps, sur les quelques 6 600 m² du bâtiment, 500 m² sont réservés aux expositions temporaires, afin d’accueillir d’autres artistes contemporains.
Dès l’ouverture du musée le 30 mai 2014, le succès a été au rendez-vous : sur la première année, plus de 250 000 visiteurs se sont déplacés dans la préfecture aveyronnaise, qui compte 57 000 habitants agglomération comprise.
Le conservateur du musée, Benoît Decron, également directeur des musées du Grand Rodez, a mis en place un billet unique (9 € en plein tarif) qui permet de visiter en plus les deux autres musées ruthénois : le musée Fenaille, musée de l’histoire du Rouergue, où sont exposés notamment les célèbres statues menhir (lire le billet d’Andreossi sur ce point), ainsi que le musée des Beaux-Arts Denys-Puech, tous deux ayant du coup enregistré de belles hausses de fréquentation. Cette variété de propositions est judicieuse et en définitive très agréable pour le visiteur qui, autrement, n’aurait peut-être pas eu l’idée de découvrir ces deux autres musées.
Dernière chose importante à savoir : Michel et son fils Sébastien Bras, à la tête du célèbre restaurant triplement étoilé sur l’Aubrac, ont ouvert au musée Soulages un « Café Bras » où l’on peut soit « grignoter » leurs créations, soit s’installer pour un repas complet à prix raisonnable (31 €) et de très belle qualité gustative et de fraîcheur. Même sans les étoiles, il serait dommage de passer à côté, il est donc plus sage de réserver (en deux clics sur le site).
Voilà pour l’essentiel du « factuel ». Reste le « sensible »…
Pierre Soulages Peinture, 162 x 114 cm, 27 août 1958, huile sur toile Donation Pierre et Colette Soulages
Le bâtiment, l’artiste le dit lui-même, est « magnifique ». Il va comme un gant à l’endroit où il se situe, dans le jardin du foirail, au pied de la cathédrale de grès rose (à admirer au soleil du soir, et en profiter pour la visiter, elle est remarquable).
L’intérieur est un enchantement : on adore l’exposition des œuvres sur ce fond acier, qui tranche avec ce qu’on avait vu à Beaubourg (inoubliable rétrospective de 2009-2010, qui avait accueilli plus de 500 000 visiteurs), merveilleusement mis en scène sur fond blanc. Ici, le gris intense satiné fait ressortir la profondeur des œuvres, qu’il s’agisse des peintures ou des fragiles œuvres sur papier. On n’est guère surpris par les explications présentant les différentes techniques (eaux-fortes, lithographies, sérigraphies) : elles renvoient à la passion de Pierre Soulages pour l’artisanat, la fabrication, les essais, les aléas de la création… La rue où l’artiste a vu le jour à Rodez (la rue Combarel) était en effet à l’époque truffée de toutes sortes d’artisans, chez qui l’enfant était toujours fourré. Il raconte lui-même qu’ils l’ont beaucoup marqué. En admirant les différents supports qu’il a travaillés, on retrouve bien cet attrait pour le matériau, les outils, le travail d’élaboration…
L’ensemble de l’œuvre depuis 1946 est représenté, y compris (elles sont rares) des sculptures en bronze. Devant certains tableaux et estampes, on est pris d’une forte émotion. Jamais l’on ne saura ce que nous disent vraiment ces œuvres abstraites, et pourtant comme cette mystérieuse parole faite d’huile et d’encre touche à quelque chose d’essentiel… Les outre-noirs sont exposés avec un éclairage très particulier, quelques spots savamment dirigés et beaucoup de lumière naturelle filtrée. On ne voit presque plus de noir, mais du gris, des reflets marrons, jaunes, et évidemment beaucoup de matière. Très surprenant !
Last but not least (c’est même l’origine du musée, au contraire, comme on l’a dit) : la salle consacrée aux travaux préparatoires des vitraux de Conques. Cartons, échantillons de verre, explications et passionnant film montrant le patient et obstiné processus créatif de ceux-ci par Pierre Soulages.
Le bleu de l’oeil Claude Levêque
C’est donc sur ses propres mots (comme on l’aime le voir et l’entendre, on pourrait y rester des heures !) que la visite se termine. Sauf à la prolonger de quelques minutes, ce qui est conseillé, pour découvrir, jusqu’au 27 septembre 2015, l’installation lumineuse de l’artiste contemporain Claude Levêque, « Le bleu de l’oeil », dans la salle d’exposition temporaire. Elle est très belle, à la fois enveloppante et ouverte sur d’autres champs, et ne contraste pas autant qu’on l’aurait pressenti avec l’œuvre de Pierre Soulages. Comme si, ici, tout se tenait.
Jolie rentrée à l’Opéra national de Paris ce vendredi 11 septembre pour découvrir, enfin, la Madame Butterfly de Robert Wilson. Créé en 1993, ce spectacle repris régulièrement depuis plus de vingt ans rencontre toujours un grand succès public.
La mise en scène a plutôt bien traversé le temps, Bob Wilson ayant fondé son travail sur l’épure et la lumière, dans une esthétique tout japonisante. Le décor vaste et dépouillé nous emmène dans ce Japon traditionnel de 1904, à Nagasaki, où, sur un fond suggérant la ciel ou la mer, ne se détachent qu’un rocher et un sentier de sable noir. Tout est dans la suggestion, et ces rares éléments, plein de sens, savent emporter notre imaginaire où il doit être. Dans ce contexte, la lumière joue un grand rôle et habille avec beaucoup de justesse chacune des scènes, chacun des personnages. A l’instar des autres personnages japonais, Madame Butterfly évolue avec lenteur, comme surgie d’un théâtre Nô. Le tout est d’une grande élégance, costumes compris ; on est loin du folklore.
L’histoire est des plus déchirantes : geisha âgée de 15 ans, épousée par Pinkerton, officier américain de passage, Madame Butterfly est rapidement abandonnée par celui-ci, pressé de retourner dans son pays une fois les charmes de son caprice exotique éventés. Pendant que là-bas il se marie avec une Américaine, Butterfly, tremblante d’amour, attend le retour de son mari avec une foi inébranlable, malgré les mises en garde de son entourage et les demandes en mariage qui lui sont faites. Jusqu’à ce que la vérité lui apparaisse…
Musicalement, l’opéra est très séduisant. Le prélude, dont on retrouve le thème pendant le premier acte, évoque avec ses accents japonisants la légèreté du vol du papillon. Puis, bien des airs viennent exprimer la profondeur des sentiments avec délicatesse, qu’il s’agisse de l’amour chanté par les jeunes époux au premier acte, des duos avec le consul Sharpless qui essaie de la prévenir ou avec sa servante avec qui elle veut partager son espoir au deuxième, ou encore de la terrible révélation de l’acte III, y compris les remords de Pinkerton.
La distribution est de bonne tenue. Le ténor Piero Pretti assure son Pinkerton sans ostentation et le baryton Gabriele Viviani en consul Sharpless nous charme d’une voix mélodieuse et caressante. Si dans le rôle titre Oksana Dyka se montre à la hauteur, il manque à son interprétation, au-delà de la puissance et de la justesse, ces nuances qui feraient surgir l’émotion. On est loin de la bouleversante Mimi d’Ana Maria Martinez entendue l’an dernier dans La Bohème.
Au départ, il y a la guerre civile au Sri Lanka, que Dheepan, combattant des Tigres tamouls, fuit après avoir brûlé ses anciens oripeaux. Et Yalini, célibataire sans enfant, qui veut rejoindre sa cousine à Londres. Enfin, Illayaal, 9 ans, orpheline, que Dheepan et Yalini embarquent avec eux pour avoir l’air de former une famille et pouvoir ainsi émigrer. Ils ne se connaissent même pas. A leur arrivée en France, pas d’autre choix que de rester ensemble. On leur attribue un logement, et un travail pour lui : gardien d’immeuble dans une cité chaude de la banlieue parisienne.
Là, ne parlant pas le Français, ils essaient de s’intégrer. Avec davantage de volonté pour Dheepan, qui endosse immédiatement le rôle protecteur du chef de famille, et pour la petite Illayaal, qui va à l’école et se fait l’interprète de ses « parents », que pour Yalini, qui espère toujours poursuivre son chemin jusqu’à Londres, seule. Mais il y a l’enfant. Et la vie qui avance, jour après jour : travailler, assurer le quotidien à la maison, faire les courses et, presque malgré soi, être avec les autres. C’est le premier niveau du film : l’intégration d’une famille profondément étrangère, de langue (le Tamoul, parlé pendant la majeure partie du film), de culture (hindoue), de niveau de vie (un salaire de 500 euros leur paraît énorme).
La deuxième dimension, la plus subtile et la plus rare, est cette relation familiale artificielle, mais condamnée à évoluer. Vers où va-t-elle aller : vers l’affrontement ? Un certain attachement ? Comment ces trois-là vont-ils s’apprivoiser ? C’est compliqué ; il ne se sont pas choisis… Jacques Audiard montre cette relation et ses évolutions avec infiniment de délicatesse, prouvant une nouvelle fois qu’il n’est pas qu’un cinéaste de la lutte et de virilité.
La troisième strate du film renvoie précisément à cette veine-ci, nous plongeant dans l’univers violent des trafiquants de drogue, qui ont installé leur QG dans l’un des bâtiments de l’immeuble. Comment nos protagonistes sri-lankais vont-il vivre ces guérillas de caïds sans foi ni loi, eux qui ont fui les atrocités de la guerre dans leur pays ? Leurs réactions seront à la mesure de leurs émotions issues des terreurs passées : hors normes…
Les personnages sont parfaitement dessinés, singuliers, aboutis. On s’y attache immédiatement, tremblant pour eux au fil d’un scénario bien tendu – la puissance fictionnelle du réalisateur d’Un prophète étant toujours aussi efficace. Quant à sa virtuosité stylistique, elle n’est plus à démontrer. Enfin, il faut saluer la remarquable interprétation, en particulier celle des acteurs sri-lankais totalement inconnus et hyper convaincants.
Dheepan
Un film de Jacques Audiard
Avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby, Vincent Rottiers
Le site est bien caché dans la campagne narbonnaise plantée de vergers et de vignes, encore embellie par le canal du Midi et ses canaux latéraux, ses platanes et ses cyprès. Peu de publicité pour cet ancien village de potiers gallo-romain situé à 12 km de la ville natale de Charles Trenet, qui mérite pourtant largement le détour.
Mis à jour lors de fouilles de 1976 à 1997, l’ancien atelier de potiers fut actif du I° au III° siècle de notre ère. Narbonne était alors un grand port de l’Empire et le centre d’une importante activité économique. L’artisanat et la culture de la vigne et de l’olivier prospéraient dans cette province romaine. Et grâce à des ressources naturelles abondantes (argile, eau et bois), l’atelier a pu se développer considérablement.
L’arboretum
Le musée inauguré fin 1992 raconte ce passionnant moment d’histoire : contexte, éléments de culture, et bien sûr processus de fabrication des poteries : amphores pour le transport du vin (aux lignes magnifiques), mais aussi pièces de vaisselle et de construction telles que la brique et la tuile. La clarté du propos et de la présentation des objets permet de « parler » à tous les publics.
La partie muséale, resserrée, se prolonge in situ par une visite des vestiges en surplomb, guidés par des plans pour mieux comprendre ce que l’on voit, et par des écrans tactiles qui présentent en « réalité augmentée » les différentes constructions de l’atelier : fours, bâtiments, puits…
La suite du parcours n’est pas moins concrète, avec la restitution du village des potiers : en longeant l’aqueduc, on visite le four à pain, les petits et grands fours de cuisson (qui devaient monter à près de 1000 degrés) et enfin les habitations. Construction en briques, bois, tuile et chaume, vaisselle, amphores, vanneries,… Tout y est !
Heureux passage, Ivan Levasseur
En se promenant sur l’ensemble du site, tous sens en éveil, y compris l’odorat et le toucher, on s’attarde dans l‘arboretum et le jardin. Le premier présente les essences d’arbres utilisés pour la cuisson des poteries. Le second regroupe 160 espèces de légumes et de plantes, toutes présentes pendant l’Antiquité. Ils ont été recréés à partir de l’étude des charbons de bois retrouvés pendant les fouilles. Des panneaux disséminés le long du chemin délivrent aux curieux des explications botaniques.
Last but not least, une surprise attend le visiteur en fin de parcours : une drôle de sculpture musicale faite d’argile. Baptisée « Heureux passage », elle est l’œuvre d’Ivan Levasseur, céramiste, musicologue, poète et conteur. Le carillon de cloches et le céramophone installés sur cette porte musicale permettent de découvrir les possibilités acoustiques – inattendues ! – de l’argile. On se demande si les Gallo-romains faisaient de même avec leurs poteries…
Serge Poliakoff / atelier Simon Marq, Composition bleue, vitrail panneau d’exposition 1963, Coll. Musée des Beaux-Arts de Reims, Photo ADAGP, Paris 2015, Copyright Photo C. Devleeschauwer
Mille mercis à notre ami Jean-Yves de nous faire partager sa visite de l’exposition consacrée aux vitraux à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris. Son billet nous donne envie de d’aller découvrir toutes ces merveilles (et les histoires singulières qui les accompagnent) de ses propres yeux dans ce beau musée. Mais il nous donne aussi envie d’aller admirer certains de ces vitraux in situ, à Paris comme ailleurs.
D’ailleurs, à propos de Soulages et de Conques, un billet est à venir sur le musée de Rodez (chouette visite de cet été !)…
Bonne lecture, bonne rentrée et bonnes découvertes à tous !
Mag
La Cité de l’Architecture et du Patrimoine consacre une très belle exposition au vitrail contemporain en France, de 1945 à nos jours. Construite autour de 130 œuvres réalisées pour 44 édifices différents, cette présentation s’appuie sur des répliques de vitraux, des panneaux d’essai ou des vitraux d’exposition. Elle témoigne du renouveau de l’art sacré et de son ouverture au profane dans l’église après la fin de la dernière guerre mondiale.
La première création, dans l’édifice moderne de Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (Savoie), fut soutenue par le père dominicain Marie-Alain Couturier qui considérait que, pour provoquer cette renaissance, « il vaut mieux s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent », pourvu que soient préservées la lumière intérieure, l’harmonie et la paix d’une église. En vertu de ce principe, la confection des vitraux fut confiée à différents peintres s’écartant des voies classiques, parmi lesquels Georges Rouault, dont on admirera une « Véronique », réplique de la verrière posée à la façade de l’église, Marc Chagall et Jean Bazaine.
Quelques mois plus tard, en 1948, c’est à Saint-Michel des Bréseux (Doubs) qu’un nouveau pas est franchi, puisqu’on fait rentrer, pour la première fois, des vitraux non figuratifs dans un édifice historique. Leur confection fut confiée à Albert Manessier, une des figures majeures de l’art abstrait. Une grande et belle réplique de « Paysage bleu », son expérimentation pour la verrière de l’église, est exposée.
Henri Matisse, Nuit de Noël
Ces jalons posés, il devient possible – et urgent – de se consacrer à la repose des vitraux dans les édifices endommagés par la guerre. Des chantiers emblématiques s’ouvrent : celui de la cathédrale de Metz, premier édifice classé Monument historique à recevoir, en 1955, des vitraux d’artistes contemporains (Chagall, Bissière, Villon, dont on peut voir quelques maquettes et vitraux d’essai), mais aussi celui de la cathédrale de Nevers sur lequel s’attarde l’exposition. Il est vrai que ce projet fut important par son ampleur (il s’agissait de remplacer 1052 m² de vitraux dans 130 verrières), par sa durée (de 1973 à 2011), par la méthode retenue pour le choix des artistes. Après avoir confié à Raoul Ubac l’illustration (très réussie) du chœur roman entre 1974 et 1976, on décida, pour les autres parties romanes et gothiques, de consulter de multiples peintres de notoriété internationale (dont Soulages, Sam Francis, Simon Hantaï, Joan Mitchell…), mais en refusant finalement leurs propositions. Les contributions retenues de 4 peintres différents apparaissent très hétérogènes, entre la figuration colorée de Jean-Michel Alberola et l’abstraction austère de Gottfried Honegger.
La suite de l’exposition est consacrée à l’éclectisme contemporain. Toutes les sensibilités s’expriment : les grillages de Jean-Paul Raynaud sont respectueux de la rigueur cistercienne de l’abbaye de Noirlac, le rouge monochrome d’Aurélie Nemours illumine le prieuré roman de Salagon, l’apport de Soulages à Conques est désormais célèbre… Ailleurs, on revient à une figuration colorée (Gérard Garouste, Carole Benzaken), on fait évoluer les techniques, on a recours à de nouveaux matériaux… Ces expérimentations, qui vont jusqu’à l’utilisation du numérique et qui illustrent l’actualité du vitrail, occupent la fin du parcours de l’exposition, en rendant compte notamment de son extension dans l’architecture civile.
Georges Braque, L’oiseau sur fond violet
Le musée offre ainsi un aperçu de grand intérêt de ce mouvement décisif. Certains vitraux sont la réplique presque exacte des originaux (qui ne peuvent être déposés que pour leur restauration) et, outre les expériences évoquées plus haut, les accrochages reviennent aussi sur l’apport de grands noms de l’art du XXème siècle (Matisse pour la chapelle du Rosaire à Vence, Braque pour la Fondation Maeght, Le Corbusier, Poliakoff). L’exposition souligne également l’importance des autres intervenants : commanditaires, propriétaires, mais surtout peintres verriers dont l’association avec les artistes est fondamentale. Elle n’ignore pas, enfin, les vives résistances que ne manqua pas de susciter cet élan créatif.
En fin de parcours, une borne indique les lieux où l’on peut admirer les vitraux in situ, information bien utile en cette période de vacances. Et si l’on doit rester à Paris, on pourra visiter l’église Saint-Séverin, somptueusement éclairée depuis 1970 par Jean Bazaine, ou encore Saint-Joseph Artisan, décorée par Kim En Joong, prêtre et artiste d’origine coréenne qui perpétue, dans de nombreuses réalisations, l’apport de l’art abstrait à l’iconographie religieuse.
Jean-Yves
Chagall, Soulages, Benzaken… Le vitrail contemporain
Mustang est le premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven, cinéaste turque de 37 ans qui a fait ses écoles à Paris.
Présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs et sorti sur les écrans le 17 juin dernier, le film raconte l’histoire de cinq sœurs, adolescentes et pré-adolescentes, dans un village de Turquie situé sur la côte et à quelques mille kilomètres d’Istambul.
Elles sont pleines d’énergie, enjouées, espiègles, complices. Mais leurs manières libres ne sont pas du goût de leur grand-mère, qui les élève en l’absence de leurs parents morts, et et encore moins de leur oncle qui, plus que sur elles, veille sur la réputation de la famille dans le village. Il faut donc désormais serrer la vis.
L’on parcourt alors avec les filles ce qu’on appelle le « droit chemin » dans certains coins reculés de Turquie : la privation de liberté. L’emprisonnement est physique. Interdiction de sortir d’abord. Les jeunes filles, débordant d’imagination, inventent des jeux, mais aussi des moyens de fuguer. On fait alors rehausser les grilles. Mais la résistance continue. Alors on pose des barreaux aux fenêtres…
En parallèle, c’est l’enfermement mental : plus d’école, mais des cours de cuisine et de couture au quotidien. Enfin, les mariages arrangés commencent à s’organiser avec efficacité.
Ce pourrait être ennuyeux. C’est tout le contraire. La cinéaste joue magnifiquement du contraste entre la rigidité des aîné(e)s, gardiens inflexibles de la logique patriarcale séculaire, et la vitalité, le mouvement permanent, la fantaisie des jeunes filles. A côté du lien étouffant qu’est l’asservissement des femmes aux hommes, il y en a d’autres de très beaux, comme l’amour et la solidarité qui unit les cinq sœurs.
Celles-ci sont formidablement incarnées, profondes et plus vraies que nature, par des comédiennes plus jolies les unes que les autres. Günes Nezihe Sensoy, qui joue la cadette Lale, à l’audace incroyable, est un sacré brin de talent.
Pas de démonstration appuyée dans ce premier film très réussi, dont l’histoire, qui prend parfois des airs de conte, suffit à nous faire trembler d’effroi… mais aussi espérer.
Mustang
De Deniz Gamze Ergüven
Avec Günes Nezihe Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Tugba Sunguroglu, Elit Iscan, Ilayda Akdogan Durée : 1 h 37
Voici l’épisode n° 8 du feuilleton des prix Goncourt concocté par Andreossi, avec l’année 1985 qui a vu Yann Queffélec récompensé… Ce n’est plus une critique, c’est une exécution !
Bon alors, c’est sûr, le prochain sera meilleur !! Mag
Un enfant est né du viol d’une gamine de quatorze ans par un soldat américain. Enfant de la honte absolue pour la famille de la jeune fille, il est d’abord caché dans un grenier puis pris en charge par la nouvelle famille que la jeune mère compose avec un veuf et son garçon, et échoue en fin de compte dans une institution pour handicapés mentaux. Il s’enfuit à seize ans et vit enfin une vie libre dans l’épave d’un bateau, avant de retrouver enfin sa mère dans une mort commune.
Il ne s’agit pas du résumé d’un feuilleton du dix- neuvième siècle, mais de celui du Goncourt 1985. Pourtant les ingrédients du genre complètent bien la trame du récit : les méchants sont vraiment méchants, les bons sont peu nombreux et maladroits, ou faibles, la directrice de l’institution est perverse, et surtout la quête de l’amour du fils pour la mère est constante, sans cesse contrariée par les événements et par la personnalité même de la jeune Nicole qui, traumatisée par le viol, ne peut répondre à cet amour que par le refus tenace d’accepter cet enfant.
Le point de vue principal, même si le récit est à la troisième personne, est celui de Ludo, surnommé parfois Lidio : le lecteur suppose que l’enfant relève davantage de troubles du comportement, de déficiences psychologiques, que de véritable déficit cognitif. Rendre par l’écriture ces troubles est la grande difficulté de l’écrivain. L’ « ahuri » de Tarjei Vesaas1 est infiniment plus crédible que Ludo de ce point de vue.
Les autres personnages, mis à part Micho le beau-père, ne dépassent pas leur rôle convenu, comme dans un mélodrame où l’essentiel est que tous s’associent pour que le malheur puisse se déployer en toute impunité. L’adhésion ou non aux histoires d’amour contrariées relève sans doute de l’histoire personnelle du lecteur, mais on peut supposer que l’écriture y soit aussi pour quelque chose. Celle-ci est trop banale pour emporter la conviction : « Alors l’air lui manqua, la douleur disparut, Ludo tendit les mains, terrassé, vers cette vision reconnue d’instinct, la mer sous le soleil, sans un arbre en vue, la mer foisonnante et nue par-dessus les toits du port, immense et tenant toute entre l’horizon et lui comme un regard dans l’éclat d’un miroir brisé ».
Andreossi
Les noces barbares
Yann Queffélec
Gallimard
1 Les oiseaux, Tarjei Vesaas, Editions Plein Chant. Magnifique roman de l’écrivain norvégien.
C’est entre 1349 et 1354, alors que la peste venait de ravager Florence, que Boccace (1313-1375) écrivit Le Décaméron, ensemble de cent nouvelles racontées en dix jours par dix jeunes hommes et femmes réunis à la campagnes pour échapper à l’affreuse épidémie.
Plus de quarante ans après avoir été adapté au cinéma par Pasolini, cet écrit en prose fondateur de la littérature italienne et admiré bien au-delà de la frontière transalpine, est mis à l’écran par Paolo et Vittorio Taviani.
Les cinéastes italiens, aujourd’hui octogénaires, ont choisi cinq de ces cent contes, précédés comme dans l’œuvre de Boccace d’une ouverture sur Florence gangrenée par la peste. Ces premières images sont terribles. Un malade se jette du haut du campanile, un père enterre ses enfants, des charrettes entières de cadavres sont déversées dans des fosses. Sans compter la terreur qui transpire partout et fait tour à tour crier puis se taire, courir puis se figer.
Pour en réchapper, sept femmes sont déterminées à quitter Florence. Trois de leurs amoureux les suivent. Réfugiés à la campagne, ils prennent la décision d’essayer d’oublier l’horreur qui frappe leur ville, en profitant de la vie et en se racontant chaque jour une histoire. Cinq contes suivent, tous assez sombres – malgré une farce, non dénuée de dureté – mais qui sont autant d’hymnes à l’amour. La grandeur du sentiment amoureux, poussé au plus haut degré, y est célébré, sous des variations différentes.
Ces contes sont entrecoupés d’épisodes de la vie quotidienne de cette belle jeunesse enivrée de liberté, d’amour, d’amitié, de communion avec la nature. Mais malgré ce désir d’aimer, cet élan vital et ce besoin d’insouciance, comment oublier la tragédie qui frappe les siens ?
Le film des frères Taviani, singulier et intemporel à la fois, est d’une somptuosité affolante. Scénaristiquement, il nous prend dans les filets des contes, hauts en splendeurs comme en noirceur. Esthétiquement, il nous chavire. Il n’y a pas la finesse d’un lin, la couleur d’une robe, la forme d’une coiffe qui ne nous rappelle les tableaux de la Renaissance florentine. Il n’y a pas le bruit mat d’une semelle sur le pavé, le clair obscur d’une demeure, la céramique d’un vaisselier qui ne nous renvoie à un XIV° siècle propice à la rêverie. Au-delà des détails, les compositions elles-mêmes – les scènes de groupes en particulier – sont très picturales. Jeune et belle, la distribution est pleine de talent. Les actrices, gracieuses sous la fluidité de leurs robes, coiffures botticelliennes mais regards déterminés, incarnent parfaitement ce mélange de soumission liée à leur condition et de volonté due à la force de caractère de leurs personnages. Enfin, la campagne toscane, sous d’infinies nuances de lumière, embrasse parfaitement ces variations de l’âme, quand la musique accompagne magnifiquement l’intensité dramatique tout en se faisant oublier quand le récit n’a pas besoin d’elle.
Contes italiens
Réalisé par Paolo et Vittorio Taviani
Avec Kim Rossi Stuart, Riccardo Scamarcio, Flavio Parenti, Vittoria Puccini, Lello Arena