L’ogre. Jacques Chessex

l_ogreAndreossi continue à nous faire remonter le temps au fil des Goncourt : après le prix 1963, voici, pour le 7ème épisode de notre feuilleton, le Goncourt 1973… pas le meilleur apparemment, malgré de saisissantes images ! Bon… attendons donc peut-être le suivant ! Mag

C’est en pleine période de contestation de l’autorité, en particulier parentale, que ce roman de Jacques Chessex obtient le Goncourt 1973. Le thème est très simple : un professeur, la quarantaine, continue de subir l’autorité destructrice de son père qui vient de mourir. Si l’écriture de Chessex retient l’attention, si bien des trouvailles de style font le plaisir de lire, le déroulé de la vie de Jean Calmet sur ces quelques mois est beaucoup moins convaincant.

Après l’incinération du père, qui donne lieu à des retours sur l’enfance et au portrait d’une autorité dévastatrice pour toute la famille, notre « héros » se sent devenir un autre homme une fois sorti d’une séance chez son barbier. Hélas, le père, toujours présent en lui, l’écrase toujours de son mépris, de sa suffisance de médecin qui sauve les vies, de son évidente puissance sur les êtres et les choses. Une conséquence douloureuse pour Jean : la Fille au Chat, dont il tombe amoureux, ne parvient pas, malgré son enthousiasme, à réveiller sa virilité (qu’il manifeste pourtant auprès de Pernette la prostituée).

Qu’est ce qui fait qu’on arrive difficilement à croire aux tourments de Jean Calmet ? Sans doute que les portraits esquissés des personnages qui l’accompagnent ne décollent pas de stéréotypes. Le père, la Fille au Chat, l’élève Marc, le militant néo-nazi (que vient-il faire dans le roman ?) n’ont pas l’épaisseur humaine suffisante, avec leur part nécessaire de mystère, pour nous rendre crédibles cet homme et ses malheurs.

Heureusement l’action est située dans un pays (le canton de Vaud, en Suisse) que sait décrire Chessex, et ses descriptions sont évocatrices : « Parfaitement immobile, il se sentait soudain criblé d’odeurs de chemins enfouis, d’herbe mouillée, d’humus pourrissant, de traces de limaces, d’insectes pattus, de rongeurs malins et craintifs, comme si des gouttes de vigueur violemment avaient jailli en lui du plus profond du sol secret, le soûlant, le secouant, l’emplissant d’une excitation fraîche et neuve ».

On saisit le parfum des cheveux de la Fille au Chat : « dans les cheveux il retrouve l’odeur de la pierre à feu couleur d’ambre que l’on cherche dans les carrières, que l’on frappe contre une pierre jumelle, une petite fumée s’élève du choc et le caillou que l’on porte à ses narines se met à sentir l’incendie tiède comme un souvenir des premiers cataclysmes de la planète ».

Quel dommage que les humains n’émergent pas de clichés psychologiques éventés, mais quel profit de déboucher sur des images qui parlent : « Une colonie de pigeons aux ailes claquantes tournique entre les vieilles bâtisses aux tuiles napolitaines sur l’eau merdeuse du canal ».

Andreossi

L’ogre

Jacques Chessex

Grasset, 1973

 

 

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De Rubens à Van Dyck à la Pinacothèque de Paris

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Adriaen Thomasz Key (Anvers, c.1560-c.1591), Le Calvaire, Non datée, Huile sur bois, 126 x 100 cm, Collection Gerstenmaier © Photo : Collection Gerstenmaier

Au-delà des célèbres peintres que sont Pierre-Paul Rubens (1577-1640) et son élève Anthony Van Dyck (1589-1641), l’exposition qui a ouvert ses portes le 10 juillet à la Pinacothèque de Paris est l’occasion d’effectuer une visite plus large de la peinture flamande des XVI° et XVII° siècles.

Un parcours des plus agréables, et des plus accessibles aussi. 60 œuvres à peine, mais si bien choisies et si bien mises en valeur que l’œil est comblé. Les explications d’introduction générale et aux différentes sections sont claires et synthétiques, et l’approche thématique, bien articulée, permet de couvrir les différents genres abordés par les peintres à cette époque.

1. La peinture religieuse. Nous sommes en pays catholique : si les Pays-Bas du Nord, en grande partie protestants, ont obtenu leur indépendance en 1581, la partie sud (l’actuelle Belgique) est demeurée sous le contrôle de la couronne d’Espagne. Aussi, les thèmes religieux demeurent très présents. On s’émeut ainsi devant des vierges à l’enfant (dont celle dite de Cumberland de Rubens), des calvaires, comme celui d’Adriaen Thomasz Key, peint dans une palette lumineuse ou celui, beaucoup plus tragique de Victor Wolfvoet (1612-1652), des scènes de la vie de Jésus (remarquable Adoration des anges et des bergers de Martin de Vos (1532-1603) dont le traits des personnages sont rendus avec une délicatesse extrême).

2. La nature morte. On connaît le talent et le goût des « Nordiques » pour ce genre pictural. Ici, le choix est large : des plus petits formats jusqu’aux plus grands, des poissons et des oiseaux (Alexander Adriaenssen) jusqu’aux bouquets plus splendides que nature (Gaspar-Pieter Verbruggen l’Ancien et le Jeune), la sélection est somptueuse !

3. La mythologie. Après le Moyen-Age centré essentiellement sur les sujets religieux, la Renaissance voit resurgir un engouement pour la sagesse antique. Les artistes puisent leur inspiration dans les textes classiques, comme en témoigne la série de gravures maniéristes Thèmes mythologiques et allégoriques de Hendrick Goltzius (1558-1617), avec notamment Les Trois Grâces, les allégories des Quatre éléments, des Cinq sens, des Sept vertus cardinales

Pierre-Paul Rubens (Siegen, 1577-Anvers, 1640), Portrait de Philippe IV d’Espagne,  1632, gravure à l’eau-forte estampée sur papier vergé, 30 x 25 x 2 cm, Collection Gerstenmaier © Photo : Collection Gerstenmaier
Pierre-Paul Rubens (Siegen, 1577-Anvers, 1640), Portrait de Philippe IV d’Espagne,
1632, gravure à l’eau-forte estampée sur papier vergé, 30 x 25 x 2 cm, Collection Gerstenmaier © Photo : Collection Gerstenmaier

4. Le portrait, qui à cette époque devient un genre à part entière, d’abord pour les souverains (voir les portrait d’Isabelle de Bourbon et de Philippe IV d’Espagne par Rubens par exemple), puis plus généralement pour les hommes célèbres comme les artistes, les intellectuels et les hommes politiques. Parmi les premiers, citons les peintres français Simon Vouet, italien Orazio Gentileschi ou encore flamand Pieter Brueghel le Jeune, quelques uns de nombreux dessinés par Van Dyck dans sa série de gravures Vie des Hommes illustres du XVII° siècle.

5. Le paysage enfin, alors admis progressivement comme sujet du tableau. De Cornelis Huysmans (1648-1727), on admire le Paysage avec des figures classiques, où celles-ci semblent le prétexte à représenter les arbres et le ciel aux différentes lumières comme les véritables personnages. Et, signé Joost De Momper le Jeune et Jan Brueghel l’Ancien dit de Velours, on aime plus encore le vaste et reposant Paysage de montagne avec des mules.

Toutes les œuvres proviennent de la collection de Hans Rudolf Gerstenmaier, entrepreneur allemand qui a commencé à constituer ce fonds il y a quarante ans, aujourd’hui riche de deux cents peintures de différentes écoles européennes, avec une prédilection pour les œuvres flamandes. Cette sélection est exposées au public pour la première fois.

De Rubens à Van Dyck Les chefs d’œuvre flamands de la collection Gerstenmaier
Jusqu’au 4 octobre 2015
Pinacothèque de Paris
8 rue Vignon 75009 Paris
Ouverte tous les jours de 10h30 à 18h30
Nocturne les mercredis et les vendredis jusqu’à 20h30
Mardi 14 juillet 2015, la Pinacothèque de Paris est ouverte de 14h à 18h30.
Téléphone : 01 44 56 88 80

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Yves Saint Laurent 1971, la collection du scandale

affiche_exposition_yves_saint_laurent_1971C’est une collection si séduisante – si immédiatement séduisante – que l’on a d’abord du mal à comprendre pourquoi elle scandalisa les clientes et la presse lors de sa présentation  le 29 janvier 1971 dans les salons des ateliers Saint Laurent de la rue Spontini dans le 16ème arrondissement.

Dur à comprendre aujourd’hui effectivement : cette collection printemps-été 71, sur laquelle l’exposition de la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent est exclusivement concentrée, a connu dans sa déclinaison en prêt-à-porter un grand succès public. Autrement dit, ce que le petit monde de la haute couture (riche clientèle, journalistes français et étrangers) avait conspué, les femmes de la rue se le sont approprié : une mode qui avait de l’audace, du chien et du glamour. Depuis, l’esprit de ces modèles n’a cessé d’être réinterprété… Alors forcément, quand on arrive après « l’histoire », quand l’œil a eu des décennies pour s’habituer à ce qui faisait révolution quelques 40 ans auparavant, on voit davantage l’évidence que le côté scandaleux de l’affaire !

Robes courtes, coupes osées, couleurs criardes, motifs provocants, cette collection avait bien des raisons de heurter le bon goût bourgeois. Pour l’essentiel, la première est qu’elle semblait s’inspirer davantage des femmes de petite vertu que des femmes du monde. La deuxième tient dans ce qu’elle rappelait furieusement l’allure des femmes sous l’Occupation (ourlet au genou, coupes ajustées, talons compensés, maquillage voyant), souvenir sombre encore trop vivace à l’époque. Et naturellement ces deux raisons se réunissaient aux yeux de certains, qui voyaient dans la femme « Saint Laurent » de l’été 1971 l’image de celle qui par ses charmes collabora avec l’occupant allemand.

Yves Saint Laurent entouré de ses mannequins dans son jardin rue de Babylone, Paris 6ème. 1971.
Yves Saint Laurent entouré de ses mannequins dans son jardin rue de Babylone, Paris 6ème. 1971.

Ici exactement se révèle la révolution du couturier : celle d’avoir inventé le vintage. Tandis que Courrèges et Cardin jouaient les futuristes, Saint Laurent revisitait le passé. Sa collection 1971 (il n’en nommait lui-même aucune) fut d’ailleurs baptisée « Collection 40 ». Depuis lors, comme on sait, la plupart des créateurs n’ont plus fait que cela : rejouer sans fin les gammes des décennies précédentes…

Resserrée, l’exposition à voir à la Fondation jusqu’au 19 juillet prochain n’en est pas moins riche : 28 modèles sur les 84 que comptait la collection y sont présentés, accompagnés de l’ensemble des 84 planches de collection reproduites à grande échelle sur les murs (outre le croquis, y figurent toutes sortes d’indications, notamment les échantillons de tissus dans lesquels la pièce sera réalisée), de croquis originaux, de photos de presse et de défilé, ainsi que d’extraits de films bien sûr.

Cette approche multiple est passionnante. On peut ainsi commencer par découvrir le croquis d’un modèle, puis la photo du vêtement fini porté par un mannequin, puis la pièce elle-même en vrai (avec sa planche de collection en grand sur le mur juste derrière), et enfin le voir en mouvement dans un film de défilé ou de présentation. C’est là qu’on réalise qu’un vêtement a beau être splendide en tant que tel, rien ne vaut le voir porté, « vivre » avec une femme pour l’apprécier pleinement.

Si l’on a du mal à s’imaginer avec le large manteau de renard vert (qu’il est court en plus !) sur les épaules, ni avec certaines robes trop audacieuses, bien des modèles sont éminemment désirables, tels d’impeccables tailleurs-pantalons larges aux coupes à tomber (et oui, c’est Saint Laurent, quand même !), ou de charmantes robes longueur genoux toutes fluides, faites pour bouger et pour vivre, chaussures à talon compensé joliment attachées à la cheville pour arpenter le pavé d’un pas assuré, plein d’allant et décomplexé. Merci Saint Laurent, qui avec sa collection re-baptisée aussi « Occupation » aura finalement, à sa manière, œuvré pour la libération de la femme…

Yves Saint Laurent 1971, la collection du scandale

Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent

3, rue Léonce-Reynaud – Paris 16ème

TLJ sauf le lundi, de 11 h à 18 h

Jusqu’au 19 juillet 2015

 

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Quand la mer se retire. Armand Lanoux

quand_la_mer-se_retireEt voici l’épisode n° 6 du feuilleton des prix Goncourt, toujours signé Andreossi. Cette fois c’est le Goncourt 1963 – difficile à trouver visiblement…

Bonnes lectures d’été à tous et à toutes !

Mag

C’est en battant sur le fil le jeune Jean-Marie Le Clézio qu’Armand Lanoux enlève le Goncourt en 1963. Aujourd’hui, son roman Quand la mer se retire doit être déniché chez un bouquiniste car il n’est pas disponible en librairie. Les réflexions qu’il peut susciter à propos de la guerre, l’impression de tristesse qui demeure à la fin de la lecture, malgré un style souvent enlevé, et surtout le haut degré de dérision que l’on y trouve bien souvent, devraient faire oublier les pesanteurs de l’époque, comme une certaine misogynie ou des métaphores superflues.

Un Canadien québécois revient sur les plages normandes vingt ans après le débarquement allié. Il est accompagné par celle qui était fiancée à son ami tué au cours des combats. C’est un pèlerinage qui n’a pas du tout le même sens pour les deux, dans la mesure où si pour Valérie il s’agit de retrouver les traces de l’homme auquel elle est toujours restée fidèle, pour Abel c’est l’occasion de faire ressurgir des événements vécus qui ont laissé leur part de traumatisme. D’un côté la volonté de faire revivre un héros, de l’autre l’interrogation sur le sens de la mort atroce de son ami.

Les paysages normands donnent lieu à quelques images aventureuses : « Le soleil se couche, emmenant vers les étables de la nuit sa cavalerie fantastique. Les outres de l’orage dérivent vers le continent qu’elles investissent, elles aussi ». Le roman offre la palette la plus large des stéréotypes féminins, de la coincée Valérie représentante de l’hygiénisme américain à la libérée Bérangère, bien française, qui s’offre, mais pas à un seul, en passant par la figure de tous les pays, Mamie la putain, « bête somptueuse ». Mais la constante la plus étonnante du livre est la dérision qui s’attache aux caractères et coutumes français, comme pour faire penser au Canadien : et c’est pour cela que nous nous sommes battus !

Vingt ans après nous sommes très loin de la Résistance mise en scène par Elsa Triolet ! La description du groupe de Fifi (pour FFI) est particulièrement pittoresque, digne d’un film d’Audiard (Michel) : un infirmier psychiatrique a recruté quelques malades et part à la recherche des collabos… Celle du mariage villageois a un caractère de gaîté sordide assez réussie. Le peuple de France est décrit sous des travers qui visent le contraste avec les soldats qui se sont fait tuer pour sa libération : « Je n’aime pas la France que je vois depuis huit jours, la petite France des petits douaniers ventrus, des petites routes, des petites maisons, des petites autos, des ivrognes, des chansons obscènes, des effrontées qui raccrochent dans les rues ».

Un bon résumé du propos peut être trouvé dans la description du monument aux morts du village : « Au centre le monument aux morts représente un fantassin, pans de capote troussée héroïquement sur les molletières, croisant la baïonnette, tandis que, derrière lui, une belle dame au sein nu joue du clairon en désignant théâtralement le débit de tabac ». Mais la visite au cimetière canadien apaise les sentiments des deux pèlerins et donne au final une touche mélancolique durable.

Andreossi

Quand la mer se retire

Armand Lanoux

Julliard, 1963

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Velàzquez au Grand Palais

exposition_diego_velazquezL’exposition présentée au Grand Palais jusqu’au 13 juillet (que ceux qui n’y sont pas encore allés se dépêchent !) est une grande réussite. Elle est co-organisée avec le Musée du Louvre – le commissariat est assuré par Guillaume Kientz, l’un de ses conservateurs – et cela se voit : clarté du propos, intelligence du parcours, sobriété de la scénographie. Les institutions françaises ont été appuyées par de grands musées internationaux (le Kunsthistorisches Museum de Vienne et le Prado de Madrid), ce qui se traduit par un parcours particulièrement riche, où les chefs-d’œuvres de Velàsquez côtoient des peintures mais aussi des sculptures de certains de ses contemporains, dans une approche comparative toujours très instructive. Plein de raisons d’y aller !

1.  Il s’agit de la première rétrospective consacrée à Diego Velàsquez (1599-1660) jamais organisée en France. D’ailleurs, le Louvre ne possède pas une seule toile de l’auteur des Ménines… A leur sujet, précisons d’emblée qu’étant intransportables, elles sont restées au chaud à Madrid. C’est dommage évidemment, mais ce n’est pas si grave : pour cette exposition historique, le Grand Palais et le Louvre ont fait le plein. La variété des musées ayant prêté des œuvres (y compris français, tout de même !), en plus du Prado, est impressionnante.

2. Velàsquez – contemporain de Van Dyck et du Bernin – est LE grand maître du Siècle d’or espagnol, surdoué qui a commencé très jeune dans sa ville natale de Séville et qui, dès 1623 est entré à la cour du roi Philippe IV à Madrid où il connut un très grand succès, s’épanouissant toujours davantage au fil du temps.

3. Velàsquez marqua profondément l’histoire de la peinture, en particulier par sa façon audacieuse d’exécuter les portraits. Pour n’en citer que trois dans la période récente, Manet au XIX°, Picasso et Bacon au XX° étudièrent ses œuvres et s’en imprégnèrent en profondeur, au point de livrer à leur tour des réinterprétations de sa manière et/ou des sujets de ses tableaux.

4. Le parcours chronologique – mais solidement pensé autour d’axes thématiques – montre que le maître espagnol excellait dans tous les genres : natures mortes, peinture religieuse, scène de genre, peinture d’histoire, et bien sûr portraits. Peintre efficace, il n’a pourtant, tout au long de sa brillante carrière, réalisé qu’une centaine de tableaux.

5. Mais s’il n’y a qu’une chose à retenir de l’œuvre de Diego Velàsquez, et qui fait sa force, traversant ses toiles de tous genres et de toutes époques, c’est le rendu de l’expression des visages.

On le voit tout de suite avec son Immaculée Conception de 1618-19 (celle de la National Gallery), dont les traits, tout humains, empreints d’une douceur méditative, ne pouvaient que toucher les fidèles. Plus loin, ce sont Saint Antoine abbé et Saint Paul Ermite (1633-34, Prado) qui, dans un paysage grandiose, ne peuvent qu’inspirer la piété. Et que dire de Saint Pierre pénitent (1623), tableau dans lequel on retrouve la simplicité et l’économie de moyens propres au style de Velàsquez, mises au service de l’expression du sentiment, qui jaillit de son visage et de ses yeux tournés vers le ciel d’une façon très émouvante.

exposition_grand_palais_velasquezD’ailleurs, les tableaux de cour et officiels sont frappants « d’authenticité » : on a l’impression de voir des personnes incarnées, c’est-à-dire dotées d’un caractère propre (celui du Pape Innocent X n’a pas l’air facile) et d’attributs physiques pris comme tels, même s’ils ne sont pas toujours très flatteurs. A commencer par le roi Philippe IV soi-même, qui n’était pas exactement un « canon ». On est loin de l’idéalisation. Si Velàsquez rend bien la richesse des vêtements des puissants, on sent que là n’est pas sa préoccupation principale : ceux-ci sont davantage montrés dans leur volume que dans leurs détails, qui ne sont pas léchés comme chez les Nordiques. Lui préférait concentrer ses soins sur les visages et les regards. D’où cette impression frappante d’être happé par chaque tableau.

Avant les portraits de cour, naturellement posés, ses œuvres montraient souvent des sujets pris à un moment de surprise, d’étonnement, d’interrogation. Chez ses personnages, on sent qu’il y a un avant et un après le moment précis et fort que Velàsquez a saisi. Sa Mulata (1617-18), appuyée au rebord de la table de sa main droite, sa gauche tenant encore une cruche, semble en arrêt devant quelque chose qu’elle vient d’entendre ou de voir, extérieurement ou intérieurement (qui est peut-être liée à la scène du repas à Emmaüs peinte au fond de l’une des versions du tableau). Saint-Thomas (1619-20, Orléans), est lui aussi interpellé, de profil et penché vers l’avant (vers quoi ?), un livre et une lance à la main. Avec La forge de Vulcain (1630, Prado), cet étonnement atteint son paroxysme : à voir l’expression pétrifiée de Vulcain et de ses assistants, on croirait entendre Apollon annoncer à Vulcain l’infidélité de son épouse. Quant à la Venus au miroir (1647-51, National Gallery), autre chef d’œuvre, judicieusement présenté au cœur du parcours, outre sa beauté, elle recèle un insondable mystère : vers où se porte le regard de Venus dans le reflet du miroir ? Vers elle-même, vers nous-mêmes spectateurs ?…

Velàsquez

Galeries Nationales du Grand Palais

Jusqu’au 13 juillet 2015

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Pierre Bonnard, peindre l'Arcadie. Musée d'Orsay

Pierre Bonnard, Nu dans un intérieur, vers 1935, Huile sur toile, USA, National Gallery of Art of Washington © D.R.
Pierre Bonnard, Nu dans un intérieur, vers 1935, Huile sur toile, USA, National Gallery of Art of Washington © D.R.

Rapprochement plein de sagesse : alors qu’au musée du Louvre est présentée jusqu’à la fin du mois de juin une superbe exposition des œuvres de Nicolas Poussin (Poussin et Dieu), et notamment l’un de ses fameux tableaux Et in Arcadia ego, où l’on voit des bergers déchiffrer l’inscription sur un tombeau « Moi (la mort), je suis aussi en Arcadie », de l’autre côté de la Seine, le musée d’Orsay y fait directement référence, utilisant cette formule pour la dernière section de sa rétrospective consacrée à Pierre Bonnard (1594-1665).

Joli pont pour relier ces deux peintres éloignés de près de trois siècles, le premier devenu synonyme de classique, le second, moderne, bien de son époque post-impressionniste mais inclassable, sauf à ses débuts Nabis, n’ayant par la suite souscrit à aucun -isme du XX° siècle.

Cet emprunt fait à un Poussin méditatif par Guy Cogeval et de sa co-commissaire Isabelle Cahn, respectivement président et conservateur en chef du musée d’Orsay, n’est pas aussi fantaisiste qu’il y paraît. Bonnard aussi à sa manière était un philosophe, un sage qui menait une existence retirée, consacrée à son art et à ses proches. Si sa philosophie semblait être celle de la joie de vivre, qu’il étalait sur de grandes toiles resplendissantes de lumière et de couleurs, Bonnard n’était peut-être pas uniquement l’homme heureux que l’on pense deviner derrière le peintre des petits bonheurs quotidiens.

C’est à cette lecture un peu ambiguë que le musée d’Orsay invite, en montrant d’un doigt discret, au détour des somptueux paysages d’Arcadie, gravité et mélancolie. Du reste, un passage de l’exposition montre bien l’anxiété de Bonnard : celle où sont réunis cinq de ses autoportraits. On ne lit dans ces représentations de lui-même par lui-même qu’interrogation, angoisse, dénuement. On rejoint ici l’analyse de Jean Clair dans son merveilleux Bonnard (1) :

 Femme dans un paysage ou La sieste au jardin - 1914

Femme dans un paysage ou La sieste au jardin – 1914

« (…) il faudra bien un jour sous son apparente douceur, rendre aussi à Bonnard sa dureté, qui fait que derrière la superficielle banalité des sujets qu’il avait choisi de traiter, les gestes d’un chat, la vision d’un jardin, le parfum des fleurs, le temps qui passe, il aura laissé une œuvre à la fin si éloignée de la complaisance humaniste de ceux qui croient encore posséder des certitudes, qu’elle ne laisse plus entendre que le tremblement déchirant qu’on ne connaît qu’à de rares moments, ce ton si incroyablement juste, dans son mélange de gravité et de légèreté, de rêve et de précision, qui s’entend dans certaines pages de Mozart ou dans les derniers quatuors de Beethoven, comme il sonne ici dans les derniers portraits, aussi légers que des aquarelles et lourds pourtant d’une sérénité déchirante, avec ce visage blanc, ridé et dépossédé de tout, sinon des objets familiers qui, dans l’eau du miroir ou sur la tablette du lavabo sont disposés autour de lui comme autour d’un gisant, dans les tombeaux antiques, les ustensiles qui devront l’accompagner dans l’autre vie, si bien que si l’on devait, en effet, mourir à l’instant même, comme dans ce jeu où l’on vous demande ce que vous aimeriez emporter dans une île déserte, on pense que c’est cela, ce tremblement qui dure encore, dont il faudrait pouvoir garder le souvenir. »

Nu à Contre-jour (1908) Pierre Bonnard, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Nu à Contre-jour (1908) Pierre Bonnard, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Le souvenir est un thème auquel on ne peut que penser en parcourant la magnifique exposition du musée d’Orsay. Bonnard, qui ne peignait que de mémoire, semble avoir poursuivi tout au long de son existence  l’enregistrement de ce qui faisait la beauté de sa vie : la femme qu’il aimait, les enfants, les amis, les chats, les lieux adorés, paysages urbains à Paris, vues de sa maison de la vallée de la Seine (sa « Roulotte »), plus tard celles de sa maison du Cannet (Le Bosquet), des intérieurs et des rituels rassurants (le déjeuner, la sieste, la toilette), des arbres en fleurs, des fleurs, un soleil chaud, des ombres douces… Témoigne également de ce souci de garder trace des moments heureux la salle montrant des photographies prises par l’artiste.

Devant tant de beauté, nacre des corps, explosion des couleurs, luxuriance des paysages, gourmandise des tables, chatoyance des décors intérieurs, beauté qui souvent laisse coi, n’invitant qu’à une longue contemplation, on a envie de laisser parler à nouveau Jean Clair évoquant Bonnard comme ce « peintre de l’inquiétude, connaissant trop la beauté des apparences pour n’en pas peindre la précarité. »

Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie

Musée d’Orsay

1, rue de la Légion d’Honneur – Paris 7°

TLJ sauf le lun., de 9h30 à 18h, le jeu. jusqu’à 21h45

Entrée 11 euros, TR 8,50 euros

Jusqu’au 19 juillet 2015

Puis à la Fondation Mapfre à Madrid du 18 septembre 2015 au 6 janvier 2016

et au Legion of Honor à San Francisco, du 6 février au 15 mai 2016

(1) Bonnard, Jean Clair, Hazan, 2006

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Les clefs d'une passion. Fondation Louis Vuitton

Edvard Munch, Le Cri, 1893 ?  1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm Oslo, musée Munch Photo © Munch Museum
Edvard Munch, Le Cri, 1893 ? 1910 ? Tempera et huile sur carton non apprêté, 83,5 × 66 cm
Oslo, musée Munch
Photo © Munch Museum

Ouverte au public en octobre dernier, la Fondation Louis Vuitton installée dans l’extraordinaire « vaisseau » que Frank Gehry a amarrée entre le Jardin d’Acclimatation et le Bois de Boulogne, inaugure sa troisième exposition, visible jusqu’au 6 juillet 2015.

Exceptionnelle, Les clefs d’une passion présente une soixantaine d’œuvres, signées des plus grands artistes de la première moitié du XX° siècle, dont certaines rarement prêtées, et plus rarement encore réunies. Les plus grands musées du monde, ainsi que certains collectionneurs ont en effet accepté de prêter leur concours au grand mécène Bernard Arnault. A titre d’exemple, on peut voir le fameux Cri de Munch, qui n’avait pas quitté Olso depuis près de dix ans, après avoir été volé à Vienne et retrouvé deux ans plus tard.

L’exposition a pour ambition de mettre en avant les artistes qui ont révolutionné la peinture dans le premier XX° siècle. Peu d’œuvres, on l’a vu, pour un programme si vaste qu’il compte forcément de grands absents. Pas de litanie de « -ismes » non plus, nombreux à cette période, mais un choix thématique dont la cohérence est dans l’ensemble assurée et qui parfois correspond avec un mouvement de l’histoire de l’art du siècle dernier.

Tel est le cas du premier, expressionnisme subjectif, où le fameux Cri est précédé de trois Giacometti (deux œuvres graphiques, dont le Portrait de Jean Genet et L’Homme qui marche I, eux visibles en France), du Pressentiment complexe de Malévitch, de deux études de Francis Bacon (dont une impressionnante Etude pour un portrait, venu du Chicago), d’un Otto Dix et d’une convaincante série d’autoportraits de la Finlandaise Helene Schjerfbeck, dont les contours du visage perdent de leur netteté au fil des tableaux, nous faisant assister à une accélération du vieillissement et à l’inexorable marche du sujet vers la mort. Ontologique solitude, sentiment de disparition, enfermement, tout dans cette salle exprime de façon poignante l’angoisse fondamentale de l’Homme.

Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014
Henri Matisse (1869–1954), La Danse, 1909–1910, Huile sur toile, 260 × 391 cm, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Succession H. Matisse Photo : © The State Hermitage Museum, Saint Petersburg, 2015/ Vladimir Terebenin, 2014

Les trois salles suivantes, dédiées à la ligne contemplative, sont un réconfort. S’y déploient d’abord les paysages, tous autour de l’eau, de Ferdinand Hodler, de Gallen-Kallela, d’Emil Nolde, de Monet. Leur succèdent les lignes abstraites de Malévitch et de Mondrian et l’intensité d’un rouge Rothko. Après les mers, les lacs et les nymphéas de la salle précédente, le contraste est fort ; mais, après tout, le début du XX° siècle est fait de tout cela. Retour au figuratif ensuite, avec un superbe (mais c’est presque un pléonasme) Eté de Bonnard. Il est entouré d’un remarquable ensemble de Picasso, une sculpture et trois tableaux, très sensuels, tous inspirés du modèle Marie-Thérèse Walter, dont le peintre espagnol a magnifié les courbes féminines dans les années 30. La première vient d’une collection particulière et les tableaux de New-York, Londres et Paris : jolie réunion au sommet.

La section suivante, dite popiste, fait entrer dans une autre dimension, celle de la culture populaire, avec des œuvres de Picabia et de Robert Delaunay, inspirées des illustrés de charme pour l’un et de la publicité pour l’autre. Dans la même section, mais d’un tout autre intérêt pictural, trois grandes toiles de Fernand Léger, sur ses thèmes classiques, dont Les constructeurs à l’aloès, qui a fait le chemin depuis Moscou.

La quatrième et dernière étape est dédiée à la musique, à travers des tableaux de Kandinsky, Kupka, Severini et, last but not least, Matisse : l’immense Danse, du Musée de l’Ermitage, maintes fois vu en reproduction, comme le Cri de Munch, mais dont l’original fait ici aussi l’effet d’une découverte, et La tristesse du Roi du Centre Pompidou, un très grand et beau collage sur la musique et la danse. Histoire de finir dans la joie, après avoir commencé dans l’angoisse. C’est sans doute mieux dans ce sens.

 

Les clefs d’une passion

Fondation Louis Vuitton

8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris 16e
De 10 h à 20 h, du lundi au dimanche, nocturne le vendredi jusqu’à 23 h

Jusqu’au 6 juillet 2015

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L’écriture dessinée (Rodin, Duchamp, Dotremont chez Balzac)

Crédit photo : Maison de Balzac / Roger Viollet
Crédit photo : Maison de Balzac / Roger Viollet

Jean-Yves revient vers nous cette semaine, pour attirer notre attention sur une exposition qui semble avoir quelque peu échappé aux grands canaux médiatiques… Merci Jean-Yves d’être allé une fois de plus « regarder dans les coins » où les raretés aiment souvent se cacher !

La Maison de Balzac propose une rencontre entre l’auteur de « La comédie humaine » et différents artistes, au rang desquels figurent notamment ceux affiliés au mouvement CoBrA.

CoBrA (acronyme de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), c’est ce mouvement artistique révolutionnaire qui réunit brièvement, dans les années 1950, des écrivains et des peintres du Nord de l’Europe, en recherche des formes primitives de l’art.

L’exposition fait donc la part belle à l’un des fondateurs de CoBrA, Christian Dotremont, à la fois poète et écrivain. Elle expose ses logogrammes, sortes de calligraphies à l’encre de Chine que l’artiste oppose aux caractères d’imprimerie qu’il n’apprécie pas. En parallèle, nous pouvons voir les essais typographiques de Balzac lorsqu’il s’était rendu propriétaire d’une imprimerie.

Dans la même veine CoBrA, on admirera une suite d’eaux fortes d’Alechinsky, un beau portrait de Balzac par Asger Jorn, une lithographie de Pol Bury. Toutes ces œuvres affichent une parenté avec Balzac, tout comme un portrait de l’écrivain par Picasso et un plâtre de Rodin. Plus éloignées, quelques œuvres d’un artiste du XIXème siècle aujourd’hui oublié, Théophile Bra : ses écritures ne sont pas sans rappeler les encres peintes, un siècle plus tard, par Henri Michaux. Plus lointaines encore, les références à Hergé.

Placée à l’enseigne de l’écriture dessinée et installée sous la figure tutélaire du « maître des lieux », cette exposition n’est pas sans intérêt. Les calligraphies ne manqueront pas d’attirer l’œil de ceux qui sont sensibles à cet art. Certains apprécieront également l’humour qui entoure une partie des pièces affichées. Au-delà, on pourrait être déçu par une certaine hétérogénéité des œuvres exposées. Mais la visite de la maison, dans un des beaux quartiers de Paris, peut aussi valoir, à elle seule, le détour.

Jean-Yves

L’écriture dessinée (Rodin, Duchamp, Dotremont chez Balzac)

Jusqu’au 21 juin 2015

Maison de Balzac

47 rue Raynouard – Paris 16è

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Les racines du ciel. Romain Gary

les_racines_du_cielCette semaine, 5ème épisode de notre feuilleton des Goncourt signé Andreossi, avec le prix 1956. Lisez, et vous n’aurez qu’une envie : le découvrir à votre tour… ou vous y replonger ! 

Le mot « écologie » était d’utilisation rare en 1956. Pourtant Romain Gary bâtit un roman sur ce thème, à travers le combat que mène son héros pour la sauvegarde des éléphants d’Afrique. C’est déjà pour lui l’occasion de poser bien des questions qui, grâce à un roman aux personnages d’une grande densité, sont toujours très actuelles : quelle est la place de l’écologie dans le politique en général, quel sens prend la défense des bêtes dans la définition même de l’humain ?

Le Français Morel, sorti des camps nazis, apparaît comme un obsessionnel irrémédiable : pour lui une seule cause vaut la peine d’être défendue, celle des éléphants, qui sont la proie, à la fois des Africains pour leur alimentation, et des Européens pour l’ivoire et la chasse « sportive ». Morel plonge avec entêtement dans une nature africaine qu’il ne peut plus quitter, observant les interdépendances essentielles : « On n’était pas très haut ; les collines avaient des pentes douces ; parfois leurs pentes se mettaient à bouger, à vivre : les éléphants ».

Mais les années cinquante sont en Afrique le temps de la montée des indépendances. Waïtari, chef occidentalisé, ancien député, représente ceux qui veulent développer leur pays par l’économique, sans souci pour les cultures traditionnelles et la nature : « Et vous les verrez valser, les us et coutumes, sorciers, tam-tams et négresses à plateaux… Moi, je leur ferai bâtir les routes, les mines, les usines et les barrages. Moi je peux. Parce que je suis moi-même un Africain, que je sais ce qu’il faut, et que j’en connais le prix ». Un père jésuite reconnaît une part de responsabilité de l’occident dans les valeurs exportés dans le continent noir : « racisme, nationalisme absurde, rêve de domination, de puissance, d’expansion, passions politiques, tout y est (…) ce que je voudrais éviter à une race que j’aime, ce sont les nouvelles Allemagne africaines et les nouveaux Napoléon noirs, les nouveaux Mussolini de l’Islam, les nouveaux Hitler d’un racisme à rebours ».

Morel veut être totalement en dehors des questions politiques. Les éléphants à défendre font partie pour lui de la part de l’humain à sauvegarder, l’humanité étant incluse dans cette nature dont font partie les « autres espèces animales ». Une notion est mise en avant à plusieurs reprises par Gary, celle de « marge », qu’il fait présenter ainsi à son héros : « Ce que je défends, c’est une marge –je veux que les nations, les partis, les systèmes politiques, se serrent un peu, pour laisser de la place à autre chose, à une aspiration qui ne doit être jamais menacée… Nous faisons ici un boulot précis –la protection de la nature, à commencer par ses plus grands enfants… Faut pas chercher plus loin ».

Minna, seul personnage féminin du livre, qui avait été violée par les soldats Russes libérant Berlin, s’engage aux côtés de Morel : ce n’est pas que les éléphants méritent plus de considération que les hommes, c’est qu’en les défendant on relève le niveau de valeur de l’humanité. Les Racines du ciel, un Goncourt 1956 de grande cuvée.

Andreossi

Les racines du ciel

Romain Gary

Gallimard Folio, 1980

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Septièmes ImageSingulières à Sète

imagessingulieres_curtisNous avons déjà parlé ici de ce festival de photographie documentaire aussi attachant que passionnant, qui se déroule chaque année dans la belle ville de Sète. C’était il y a quatre ans. Désormais, ces rendez-vous photographiques en sont à leur 7ème édition : elle permet de vérifier que la mobilisation ne faiblit décidément pas.

On retrouve les attraits désormais bien connus d’ImageSinguières : la gratuité de toutes les manifestations, regroupant une quinzaine d’expositions, projections et rencontres (seul le programme est, pour la première fois, devenu payant – 1 euro !) ; la diversité (et bien souvent l’originalité) des lieux d’exposition (du Centre régional d’art contemporain au Boulodrome, en passant par la gare SNCF) ; la richesse et la qualité des sélections bien sûr ; le travail d’un photographe invité enfin.

imagesingulieres_bieke_depoorterCette année, l’artiste invitée à résidence est la Belge Bieke Depoorter, pensionnaire de l’agence Magnum âgée de moins de trente ans. On découvre ses vues de Sète dans la toujours aussi chouette chapelle du Quartier Haut. En fait, en première approche, Sète ne se voit pas du tout ! Et pour cause, Bieke Depoorter ne s’intéresse qu’aux intérieurs nuit… Il n’empêche : c’est superbe. Les personnes photographiées dans leur univers ne posent pas – ou alors avec un naturel fou – et il s’en dégage une sensibilité extraordinaire. Gens simples au sens social, mais dont l’intérieur est déjà un monde : un piano faiblement éclairé sur lequel une très vieille femme se courbe pour jouer, une femme sans son bain comme dans un refuge, un vieil homme en chemise de nuit écossaise et chaussettes, très soigné, dans son salon chargé d’étoffes et de tableaux… Soudain, l’endroit où ils vivent semble les définir autant que leurs visages (que l’on ne voit pas toujours, du reste) : ce sont deux intériorités qui se rejoignent et, à travers elles, c’est bien une certaine image de Sète que l’on croit percevoir.

imagesingulieres_brezillonSi aux Chais des Moulins est présentée une exposition collective de photographes chiliens du Festival de Valparaiso, avec lequel ImageSingulières initie un partenariat, la Maison de l’Image documentaire fait place à l’Amérique du Nord : à l’étage, des portraits de Stéphane Lavoué (1) réalisés dans le Vermont succèdent à deux très émouvants ensembles de photographies d’Indiens. D’un côté, celles d’Edward Curtis, vieilles d’un siècle, somptueuses (quel dommage de les avoir accrochées dans l’escalier !), d’un autre celles, contemporaines, de Jérôme Brézillon, prises dans la réserve de Pine Ridge (Dakota) : en couleurs, dépourvues de l’esthétique des premières, elles ne permettent aucune prise de distance au spectateur et en sont d’autant plus déchirantes.

 

ImageSingulières

A Sète dans l’Hérault (34)

Jusqu’au 31 mai 2015

(1) L’exposition de Stéphane Lavoué sera visible LEICA STORE, 105-109 rue du Faubourg Saint Honoré – Paris 8° du 18 juin au 30 septembre 2015

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