Le trésor de Naples. Musée Maillol

sainte_irene_naplesDans la galerie du rez-de-chaussée, des bustes de saints monumentaux déploient leur splendeur, œuvres des plus grands orfèvres du Baroque napolitain. Ils sont les renforts de San Gennaro – Saint Janvier – le saint protecteur de Naples depuis des siècles. Les tableaux qui les entourent illustrent quelques uns des malheurs dont les habitants ont cherché à se protéger : à côté de la peste et de la guerre, les éruptions du Vésuve constituent la menace la plus spectaculaire à mettre en scène, ce que le peintre Pierre-Jacques Volaire réussit avec éclat.

C’est dans ce contexte géographique particulier qu’en 1527 les Napolitains ont conclu un pacte avec San Gennaro : en échange de sa protection, ils s’engagent à lui construire une nouvelle chapelle et à lui constituer un trésor. En 1601, une société laïque est créée, La Députation. Elle existe encore aujourd’hui et c’est à travers elle que le trésor n’a cessé d’être enrichi depuis, par les souverains comme par le peuple de Naples.

Conservé dans deux ampoules, le sang séché du saint se liquéfie chaque année, donnant lieu à de phénoménales processions laissant la foule tour à tour dans la terreur que le miracle n’ait pas lieu puis dans la liesse une fois celui-ci accompli.

Quelques unes des plus belles pièces du trésor on fait exceptionnellement le voyage du Musée du Trésor de San Gennaro à Naples jusqu’au Musée Maillol à Paris.

naples_collier_san_gennaroOutre les quinze bustes d’argent massif de la grande galerie, tels ceux de Sainte Irène arrêtant de sa main droite la foudre et protégeant de sa main gauche la ville, l’exposition révèle des calices, croix d’autel et autres ciboires, ainsi que les chefs d’œuvres incomparables que sont le reliquaire du sang du martyre en vermeil, œuvre d’orfèvres angevins du XIVème siècle ; la mitre du saint réalisée en 1713 par Matteo Treglia, couverte de plus de 3 000 diamants, 168 rubis et 198 émeraudes parmi lesquelles figure le plus impressionnante collection d’émeraudes colombiennes, et un rubis si intense qu’il a été nommé « la lave du Vésuve » ; et enfin l’étonnant collier de San Gennaro, assemblage de bijoux réalisés entre les XVIIème et XIXème siècles. Le spectacle tient tant au faste des pièces qui le constituent qu’à son esthétique fortement composite. S’y mêlent en effet des dons d’illustres souverains comme Charles V de Bourbon, Joseph Bonaparte, Marie-Caroline de Habsbourg, sœur de Marie-Antoinette, ou encore la reine Marie-Amélie de Saxe, auxquels ont été ajoutés ceux de Napolitains anonymes.

Un tableau du début du XIXème siècle attribué à Hoffmann (celui des contes) montre le miracle de la liquéfaction du sang du saint en 1799, en présence des troupes françaises, quand San Gennaro est magnifiquement représenté par Luca Giordano (1675) et surtout par Francisco Solimena (1702).

Pour finir, côté récit, on pourra se reporter à celui d’Alexandre Dumas dans Le Corricolo (chapitre XXII), publié en 1843. Il narre l’épisode du miracle de San Gennaro avec une verve des plus savoureuses.

Le trésor de Naples – Les joyaux de San Gennaro

Musée Maillol

59/61 rue de Grenelle – 75007 PARIS

Ouvert TLJ y compris les jours fériés, les 1er et 8 mai

De 10h30 à 19h, le vendredi jusqu’à 21h30

Entrée 13 euros (TR 11 euros)

Jusqu’au 20 juillet 2014

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Aimer, boire et chanter. Alain Resnais

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Alain Resnais, tout juste disparu, a laissé un dernier film très léché, plein de fantaisie et d’inventivité. Mais qui peine à convaincre.

L’histoire ? Issue d’une pièce d’Alan Ayckbourn, elle met en scène dans la campagne anglaise trois couples qui se retrouvent pour répéter une pièce, alors qu’un de leurs amis, George, dont on ne verra pas le moindre cheveu, est condamné à mourir bientôt.

George l’invisible devient alors, pendant les quelques mois qui lui restent à vivre, le personnage le plus présent de la troupe : petit à petit, on apprend que ces dames en sont dingues ; corrélativement, leurs maris, chers amis de George, commencent à blêmir de jalousie.

Dans ce vaudeville, les personnages, bien campés, sont interprétés à la perfection – à condition que l’on accepte le « sur-jeu » théâtral voulu par Resnais – par quelques uns des comédiens fétiches du cinéaste, au premier rang desquels la toujours pétillante Sabine Azéma. Hippolyte Girardot joue son très complémentaire époux, un maniaque tristounet mais finalement solide. Michel Vuillermoz fait un Jack réjouissant (le mari de Tamara, impeccable Caroline Silhol), avec tout le panache qui sied à ce jouisseur tout de même plus fragile qu’il n’y paraît.

A l’instar de l’interprétation, le décor joue à fond la carte du théâtre, et les dessins de Blutch ajoutent une note de poésie. Quant à la morale de l’histoire, qui voit à côté de l’implacable camarde le triomphe de l’amour, elle ne peut que réjouir.

Bref, tous les ingrédients d’un film réussi sont réunis. D’où la question : comment se fait-il que de bout en bout on s’y ennuie à périr ? Les excès de joliesse, de brio et d’artifices ont-ils eu raison de l’émotion ? L’intrigue vaut-elle finalement tout un film ? Ou l’ensemble n’est-il pas un peu vieillot ?

Pas question pour autant d’oublier de saluer le talent et la carrière de l’immense Alain Resnais, dont la filmographie se situe bien au-dessus de ce dernier tour de piste.

Aimer, boire et chanter

Un film d’Alain Resnais

Avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Caroline Silhol, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain, André Dussolier

Durée 1 h 48

Sorti le 26 mars 2014

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Her. Spike Jonze

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L’histoire, qui peu paraître un peu simpliste de prime abord, est celle d’une idylle entre un homme de chair et de sang et une femme virtuelle. Mais la façon dont le film est fait et les personnages interprétés la rend captivante, sur fond de propos complètement flippant.

Nous sommes à Los Angeles, dans un futur plus ou moins proche : Theodore, la quarantaine, vit seul depuis sa douloureuse séparation d’avec sa femme Catherine. Le jour, il écrit des lettres sentimentales pour le compte de clients qui ne parviennent pas à exprimer ce qu’ils ressentent. Le soir, dans son appartement tout de verre paré en haut d’un gratte-ciel, il joue à des jeux vidéo, pense à Catherine, se branche sur des sites coquins, déprime.

Il finit par acquérir un nouveau programme informatique qui lui permet de disposer d’une compagne virtuelle en se connectant à tout moment à cette voix qui se présente comme Samantha. Là, il découvre (et nous avec) toutes les potentialités de cette intelligence artificielle, laquelle, à défaut de corps, a la voix suave de Scarlett Johansson soi-même. A-propos impressionnant, sens de l’humour inouï, soif d’apprendre infinie, présence de tous les instants : Samantha a tout pour plaire. Ne lui manqueraient que les sentiments : voici qu’elle les acquiert aussi, livrant à Theodore d’irrésistibles déclarations. La voix palliant la chair, les voici tous deux fort enamourés.

L’évolution est fascinante à suivre. Dans un décor urbain dépouillé de toute esthétique de science-fiction traditionnelle, les accents futuristes prennent tout leur sens. Dans la rue et dans le métro, au lieu de parler à une autre personne de vive voix ou au téléphone, les gens parlent à leur ami(e) virtuel(le) via leur oreillette. Ultra-moderne solitude. Évidemment, malgré le bonheur apparent de Theodore et de ses congénères, ce que dit le film, au gré d’une réalisation superbe (mise en scène, décors, photo) est totalement déprimant. Theodore et les autres, incapables d’exprimer leurs  sentiments et leurs émotions (ce sont ceux des autres que Theodore imagine dans son job…), doivent recourir au virtuel pour oser les vivre et parvenir à les partager.

Mais tout aussi déprimante est l’histoire d’amour en elle-même, entre Theodore et Samantha. Elle est totalement disponible pour lui, elle est présente dès qu’il la « sonne », elle l’écoute aussi longtemps qu’il le veut. Elle devine et devance ses désirs, est toujours de bonne humeur,  demande à Theodore de lui apprendre tout ce qu’elle ignore et, last but not least, n’émet jamais la moindre contradiction… Sont-ce ces histoires d’amour-là que les hommes désirent ? Fichtre, heureusement que c’est de la science-fiction !

Her

Un film de Spike Jonze

Avec Joaquin Phoenix, Chris Pratt, Rooney Mara

Durée 2 h 06

Sorti en salles le 19 mars 2014

 

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Gustave Doré. L'imaginaire au pouvoir

"Le Chat botté", publié dans "Charles Perrault, Contes",  illustré par Gustave Doré, gravé par Adolphe François Pannemaker (1822-1900), Paris, Hetzel, 1862, in-fol. 43 x 31 x 4,5 cm © Bibliothèque Nationale de France
« Le Chat botté », publié dans « Charles Perrault, Contes », illustré par Gustave Doré, gravé par Adolphe François Pannemaker (1822-1900), Paris, Hetzel, 1862, in-fol. 43 x 31 x 4,5 cm © Bibliothèque Nationale de France

Gros coup de cœur pour cette exposition rudement bien pensée. Merci au Musée d’Orsay de mettre à l’honneur cet artiste prolifique et protéiforme qui est peu exposé et assez mal connu en France, sauf pour ses illustrations des classiques de la littérature (et encore sans doute pas par toutes les générations). Gustave Doré (1832-1883) fut un caricaturiste, illustrateur, graveur, aquarelliste peintre et sculpteur qui, s’il ne révolutionna pas la peinture comme Edouard Manet son contemporain, fut aussi un moderne à sa façon.

En fait, il semble avoir appartenu à trois époques différentes : celle qui finissait quand lui commençait, l’époque Romantique, celle bien de son XIXème siècle, avec des dessins satiriques dans la veine de Daumier et des illustrations de la littérature classique (Dante, Rabelais, La Fontaine, Cervantès, Perrault, Milton, Shakespeare), de la Bible, mais aussi des écrivains de son temps (Balzac, Poe, Hugo…), et enfin l’époque des générations à venir, avec des dessins qui évoquent ce que seront plus tard la bande dessiné et le cinéma.

L’exposition est un bonheur car elle montre toutes les facettes de l’art de Gustave Doré, y compris celles que l’on connaît moins : notamment ses étonnantes sculptures mais aussi ses grandes peintures d’histoire qui valent le détour, comme le monumental Christ quittant le prétoire dans sa version de Nantes.

Souvenir de Loch Lamond, 1875 Huile sur toile, 131 x 196 cm New York, collection © French & Company, New York
Souvenir de Loch Lamond, 1875 Huile sur toile, 131 x 196 cm New York, collection © French & Company, New York

Surtout, c’est la variété et l’intérêt des sujets illustrés qui rendent le parcours captivant : l’on passe de l’actualité du XIXème vue de Paris avec un regard sans concession (du grand Salon de peinture au communisme) à un reportage à Londres des plus saisissants (de la misère des bas-fonds aux milieux les plus huppés), de l’illustration de Gargantua (un délice) à celle de la Bible (poignante). Mais ce n’est pas tout : fervent patriote, Doré a aussi peint la terrible guerre de 1870 contre la Prusse et la Commune de Paris, en puisant dans le répertoire allégorique et en renouant avec la noirceur de certaines de ses illustrations fantastiques ; alpiniste passionné, il a commis d’exquises aquarelles et des toiles de paysages montagneux lesquelles, des Pyrénées à l’Ecosse, témoignent d’un sens du sublime digne des peintres germaniques.

Dessinateur virtuose et précoce (il a débuté sa carrière dans l’illustration de presse à 15 ans), Gustave Doré a traité tous ces sujets avec un égal talent même si, faiblesse pour les livres illustrés et joie devant sa puissance imaginative et son sens du romanesque aidant, ce sont ses illustrations si soignées qui donnent le plus envie de prolonger le plaisir de l’exposition.

 

Une exposition réalisée par le musée d’Orsay et le musée des beaux-arts du Canada, en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France.

Elle sera présentée au musée des beaux-arts du Canada (Ottawa) du 12 juin au 14 septembre 2014.

A découvrir de partout : l’exposition virtuelle sur le site de la BNF

Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir

Jusqu’au 11 mai 2014

Retrouvez tous les renseignements pratiques sur le site du Musée d’Orsay

 

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The Grand Budapest Hotel. Wes Anderson

wes_anderson_grand_budapest_hotelDu déjanté Wes Anderson, on avait beaucoup aimé A bord du Darjeeling Limited, sorti il y a cinq ans. The Grand Budapest Hotel se classe dans une catégorie nettement supérieure : c’est un vrai cinq étoiles.

L’action a pour point névralgique un endroit jadis flamboyant et tourbillonnant de passions et de fastes, mais bien éteint à l’heure où l’histoire est racontée, à la fin des années 1960 : un palace de l’Entre-Deux-Guerres, quelque part sur des sommets chics et enneigés d’Europe Centrale.

Y régnait alors Gustave H, plus qu’un concierge ou un maître d’hôtel, mais le patron de fait, obséquieux et autoritaire à la fois avec la clientèle aristocratique, riche et décrépie de l’établissement. Il était secondé par Zéro Moustafa, garçon à tout faire sans lettres ni papiers, mais vif et intelligent comme pas deux. Entre eux, un lien filial s’était tissé et c’est Moustafa, devenu vieux, qui raconte les péripéties qu’ils ont alors traversées, à la recherche d’un tableau de la Renaissance d’une valeur rare, coursés par des héritiers potentiels aussi avides que cruels.

Cela bondit et rebondit, on passe par les cases château et prison, luge et train, toits et souterrains, on se sauve grâce à l’amitié, la fidélité, la solidarité. C’est beau comme la pureté des cœurs, attachant comme la faiblesse humaine, nostalgique comme tout ce qui honore les splendeurs passées.

Des heures sombres comme la mort ont englouti un monde fait de bonne éducation, de distinction et de parfums poudrés, mais aussi de bonté et d’amour. Pour autant triste The Grand Budapest Hotel ? Bien au contraire, enlevé et drôle au possible ! Wes Anderson, aussi élégant que les décors et les costumes de son film, a la mélancolie discrète, ne la laissant deviner que derrière une profusion de couleurs et beaucoup de douceur.

The Grand Budapest Hotel

De Wes Anderson

Avec Tom Wilkinson, Ralph Fiennes, Harvey Keitel, Edward Norton

Sorti en salles le 26 février 2014

Durée 1 h 40

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Du cinema plein les yeux a Toulouse

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La cinémathèque de Toulouse ne se contente pas de conserver 42 300 copies de films récupérés depuis 50 ans (et d’en donner à voir presque tous les jours de la semaine), elle possède aussi la plus belle collection française d’affiches de cinéma.

Parmi celles-ci les pièces uniques d’André Azaïs, peintre d’affiches de façade : nous avons oublié que jusqu’aux années 70, les cinémas attiraient les clients par de grands panneaux (ici 5 mètres sur 2 mètres), réalisés à la main aux dimensions de la façade disponible, pour la durée de programmation du film.

En 1977 à la fermeture de la salle toulousaine Le Royal, sont récupérées 184 affiches d’Azaîs, qui depuis les années 50 pouvait fournir ses œuvres à 6 cinémas de la ville, toutes les semaines ! Par on ne sait quelle bienheureuse négligence ces rouleaux de papier avaient été abandonnés au fond d’une pièce de ce cinéma voué à la démolition.

Des quelques 8 000 affiches qu’il a réalisées, vouées à la poubelle dès la fin de la programmation des films, nous pouvons en voir exposées 22, choisies parmi les 184.

L’Espace EDF Bazacle offre le volume nécessaire à l’accrochage, judicieusement effectué en hauteur, comme sur les murs des cinémas autrefois. Certes nous manquons quelque peu de recul pour nous retrouver en situation urbaine, mais nous frappent ces rouges et jaunes lumineux des titres, le graphisme souvent adapté au genre cinématographique, ces portraits d’acteurs et d’actrices, pas toujours très fidèles, mais qui restent si intimement liés au souvenir des films, de Rio Bravo à Peau d’âne, de 2001 Odyssée de l’Espace aux Sept Mercenaires

Cette exposition est l’occasion de se pencher sur ce travail spécifique du peintre : à partir des éléments fournis par les exploitants des salles (matériel publicitaire classique des press-books) il élabore une sorte de maquette qu’il projette à l’aide d’une lanterne magique sur de grands panneaux de papier plaqués contre un mur. Il lui reste à suivre au fusain les lignes agrandies et passer ensuite à la colorisation.

Des photos anciennes nous mettent dans l’ambiance du cinéma urbain d’il y a 40 ou 50 ans : les diverses formes publicitaires utilisées par les exploitants (façades de cinéma dans d’autres villes, palissades, espaces publicitaires). Et nous pouvons, sur un écran et installés comme au cinéma, apprécier le défilé des 184 affiches sauvées miraculeusement par ces fous de ciné qui ont créé la Cinémathèque de Toulouse.

Par Andreossi

Du cinéma plein les yeux

Exposition d’affiches de façade peintes par André Azaïs

Espace EDF Bazacle, 11, quai Saint-Pierre – 31000 Toulouse

Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h

Entrée libre

Jusqu’au 27 avril 2014

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Les mots en quête d'images

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© Daniel Maja et Vincent Pachès

On aime beaucoup cette exposition originale, qui allie à la beauté des textes celle de l’image. Elle réunit cinq artistes : un écrivain, Vincent Pachès, quatre dessinateurs, André François, Josse Goffin, Daniel Maja et Antonio Segui, et une graphiste, Béatrice Jean.

Le principe d’élaboration de ces œuvres est le même : Vincent Pachès envoie des textes aux illustrateurs, à partir desquels ils imaginent des dessins. L’écrit ne fait donc pas ici office de légende mais de point de départ à l’envol de l’imaginaire de l’illustrateur.

Les textes tiennent de l’aphorisme, du haïku, du poème, voire de l’hommage (dont le superbe hommage à Albert Camus, écrit dans la veine lyrique de l’auteur de Noces). Leur point commun : un regard tour à tour décalé, hilarant, cruel, enfantin, voire très tendre.

Les univers graphiques sont très contrastés, chacun des illustrateurs ayant un style bien affirmé. Daniel Maja, très connu dans la presse (il collabore par exemple depuis vingt-cinq ans au Magazine Littéraire) emporte loin le texte – et nous avec – de son trait riche, inventif, léger et poétique. Il est l’un des coups de cœur de l’exposition.

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© Béatrice Jean et Vincent Pachès

Autre coup de cœur, les œuvres résultant de la complicité de Vincent Pachès avec Béatrice Jean, avec qui il a fondé La Boîte à gants, maison d’édition spécialisée dans le livre d’artistes. Ici, l’image résulte de l’assemblage des mots eux-mêmes : soit que, répétés et serrés sur la feuille ils finissent par former un dessin, soit qu’un savant et élégant travail typographique donne au texte tout sa grâce.

Les autres dessinateurs ne sont pas moins bluffants : Antonio Segui avec ses illustrations noir et blanc, Josse Gofin avec ses dessins très colorés et parfois naïfs, André François (mort en 2005), rendu célèbre notamment par ses illustrations des grands auteurs du XXème siècle comme Prévert, Vian ou encore Queneau mais aussi pour son Bestiaire hebdomadaire dans le journal Le Monde.

Toutes ces œuvres surprenantes et pleines de fantaisie sont bien difficiles à décrire. On s’en rend compte en allant les découvrir dans le délicieux Hôtel de Sens qui abrite la Bibliothèque Forney à Paris (4ème), où sont réunis pas moins de 160 estampes, mais aussi des originaux et des livres d’artistes. Un régal pour les yeux comme pour l’esprit.

 

Les mots en quête d’images

Bibliothèque Forney

Hôtel de Sens – 1 rue du Figuier 75004 Paris

Jusqu’au 29 mars 2014

Du mardi au samedi de 13h à 19h, entrée : 6 € / 4 € (tarif réduit)/ 3 € (demi tarif)

A visiter sur le web, le site de Vincent Pachès, le blog de Daniel Maja

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Ida. Pawel Pawlikowski

ida

En 1962, Ida, toute jeune novice d’un couvent polonais à la veille de prononcer ses vœux, est envoyée par la mère supérieure à la rencontre de la seule famille qui lui reste : sa tante Wanda, juge inflexible le jour, jouisseuse désabusée de la vie le soir. Deux opposées qui se découvrent et ne se comprennent pas très bien, l’une qui en a trop vu et trop vécu, l’autre qui ne connaît que sa foi.

Wanda ayant appris tout de go à sa nièce son origine juive, toutes deux partent en quête de la tombe des parents d’Ida disparus pendant la Deuxième guerre mondiale. Elles feront des rencontres, celle du passé mais aussi celle du peuple polonais. Pour finir, c’est soi-même que chacune découvrira.

C’est un film à l’esthétique captivante, mais dont la beauté n’est là que « par surcroît », tant son histoire est en elle-même passionnante. Pawel Pawlikowski la déroule avec une grande simplicité, dans un savant équilibre de limpidité et de non-dits. Entre dialogues abrupts et silence, entre crudité et pudeur. La caméra caresse des personnages dans un pays qui a brutalisé l’Homme, la Pologne sous l’occupation nazie, puis sous le joug du Stalinisme, et enfin la Pologne du temps du film, sous sa chape de plomb.

Le noir et blanc – si beau – de la photo vient souligner ce triple aspect historique, qui est d’une certaine manière le sujet principal du film. Il souligne la noirceur du sort fait aux Juifs pendant la guerre, à la société polonaise dans les décennies suivantes. Il éclaire les villes, la pauvre campagne de ces années-là, une Pologne glaciale, figée, muette, étouffée peut-être plus encore par son passé que par son présent. Le format 4/3, un peu carré à l’ancienne, accentue cet ancrage dans l’histoire, et donne plus de force encore aux personnages, cadrés, qui plus est, de façon un peu décalée en d’éloquents plans-séquences.

Eloquents, ces personnages impeccablement interprétés et auxquels on est attaché dès le début du film ne le sont guère ; pourtant leurs mots, rares mais directs, leurs yeux, leurs gestes déterminés disent l’essentiel. Le reste, qui renvoie aux profondeurs des âmes, aux interrogations existentielles, le réalisateur a la délicatesse de laisser au spectateur le soin de l’imaginer.

 

Ida

Un film de Pawel Pawlikowski

Avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Dawid Ogrodnik

Sorti en salles le 12 février 2014

Durée 1 h 19

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Philomena. Stephen Frears

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Voici une histoire poignante s’il en est : celle d’une mère de soixante-dix ans qui se lance à la recherche de son fils qui lui a été arraché quelques cinquante ans plus tôt.

Nous sommes dans l’Irlande des années 1950, et on ne plaisante pas avec les mœurs. Quand la toute jeune Philomena se retrouve enceinte, son père la répudie et l’envoie accoucher dans un couvent. Là, comme ses congénères pécheresses, elle a le droit de voir son petit une heure par jour, de travailler dur, et… de souffrir pour expier sa faute. Mais des souffrances, elle s’apprête à en connaître d’autres : dès ses trois ans, son fils, adopté par de riches Américains – vendu par les bonnes sœurs – s’envole de l’autre côté de l’Amérique. Elle ne le reverra pas.

La vie a passé. Philomena a eu une autre famille. Elle est grand-mère. Mais de ce fils naturel dont elle n’a jamais parlé elle se souvient toujours, avec une sourde mélancolie. C’est alors qu’intervient un journaliste qui, pour réaliser un reportage « à sensations » (humaines) qui se vendra à coup sûr et fort cher, l’emmène sur les routes des Etats-Unis à la recherche de ce fils âgé désormais d’une cinquantaine d’années.

De ses jeunes années d’austérité aussi bien matérielle que morale, Philomena a gardé une grande modestie et une foi catholique inébranlable. Elle a mené une vie simple, divertie par des romans à l’eau de rose. Martin Sixsmith est sociologiquement son opposé. Cultivé, urbain branché, il sort des services de communication des cabinets ministériels et de la BBC dont il était le correspondant à Moscou. Il a beau être en recherche de travail, il ne perd pas la belle assurance propre à ceux qui « ont » et qui « savent ». Quand elle a peur de déranger et s’émerveille, lui s’agace d’un rien et méprise.
Au-delà de l’intrigue très prenante – tirée d’une histoire vraie – l’intérêt du film tient à la relation entre ces deux personnages. Au fur et à mesure du film, leur drôle de lien va évoluer, car ils vont tous deux faire leur chemin sous l’effet de la découverte de l’autre, mais aussi de de la réalité qu’ils sont venus chercher.

Ils sont formidablement interprétés par Steve Coogan et Judi Dench, qu’on était davantage habitué à voir en patronne des services secrets dans James Bond. Stephen Frears montre la force de ses sentiments avec une juste distance, entre l’émotion propre à la cruauté de son histoire, et la douce réserve qui caractérise Philomena. Loin d’être le tire-larmes auquel on peut s’attendre, son film fait au contraire réfléchir, notamment en montrant les différentes manières de réagir de ses personnages face au mensonge et à l’injustice les moins acceptables.

Philomena
Un film de Stephen Frears »
Avec Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark
Durée 1 h 38
Sorti en salles le 8 janvier 2014

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Le vent se lève. Hayao Miyazaki

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Selon les propos mêmes du maître de l’animation japonais, Le vent se lève pourrait bien être son ultime film. On le regrette déjà, tant on a aimé des longs-métrages comme Porco Rosso, Le Voyage de Chihiro ou encore le Château ambulant… et tant est réussi Le vent se lève, dont la beauté n’a d’égale que la tristesse.

L’histoire est celle de Jiro Horikoshi, ingénieur aéronautique japonais ayant réellement existé. Petit, il rêve de devenir pilote, mais sa terrible myopie rend son rêve inaccessible. Fou d’avions, il décide alors de les concevoir, emporté par l’exemple de l’ingénieur italien Caproni qu’il rencontre au cours de l’une de ses innombrables envolées imaginaires.

En 1923, alors qu’il se rend à l’Université de Tokyo pour y entreprendre ses études, il croise à bord du train la toute jeune Nahoko. Après l’avoir raccompagnée chez elle à travers les décombres du séisme de Kanto, sur les bancs de la faculté, il se lie d’amitié avec Honjo. Enfin, son diplôme en poche, il est embauché par Mitsubishi. Passionné, travailleur acharné débordant d’inventivité, il deviendra l’un des ingénieurs aéronautiques les plus brillants de sa génération.

Malgré des images colorées toujours aussi belles, Miyazaki peint la vie de Jiro d’un noir profond. Une douce tristesse sourd tout au long du film, malgré le succès de son héros. Alors que les malheurs de l’Histoire frappent (le tremblement de terre de 1923, la Grande Dépression, la deuxième Guerre Mondiale), Jiro, d’un calme imperturbable et opiniâtre en est peu affecté : il ne se préoccupe que de ses avions. Pourtant, homme bon, toujours prêt à aider son prochain, il partage avec Nahoko retrouvée une grande histoire d’amour et avec Honjo une amitié des plus loyales et des plus fidèles.

La tristesse de Jiro vient peut-être de ce que cette vie n’est peut-être pas si réussie que ça : ses rares échecs, il les vit comme des drames. Plus tard, indifférent à l’Histoire, il dessine des engins de mort, de redoutables chasseurs pour la deuxième Guerre Mondiale). Surtout, il y a la maladie de Nahoko. Atteinte de tuberculose, elle doit se soigner à la montagne quand le travail le retient en ville : terrible déchirement, jusqu’à l’ultime, qu’on ne révélera pas. Enfin, sans doute y’a-t-il la nostalgie infinie de ce qu’il n’a pas pu vivre, de son rêve d’enfant de devenir pilote qu’il n’a pu accomplir ?

Le film est d’une poésie inouïe, porté par le vent de scènes en scènes. Par exemple, tous les moments clés avec Nahoko sont sous le signe du souffle. Ici un chapeau qu’une bourrasque arrache de la tête de Jiro et que Nahoko attrape au vol – la rencontre -, là une ombrelle que le vent emporte et que Jiro retient – les retrouvailles -, plus loin un avion en papier que l’amoureux envoie au ciel que sa dulcinée au balcon attrapera avec grâce – la cour -. Et ce alors même Nahoko souffre de ne pouvoir respirer.

Le vent se lève est tiré du poème de Paul Valéry « Le cimetière marin » : « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! » dit le poète. Jiro aura tenté et aura vécu. Mais avec quelle mélancolie.

« Le vent se lève »

Un drame de Hayao Miyazaki

Durée 2 h 6 mn

Sorti en salles le 22 janvier 2014

 

 

 

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