Diane Arbus au Jeu de Paume à Paris

Dame au chien et à la choucroute, Diane ArbusQuelle magnifique rétrospective ! Quelques 200 photographies, du jamais vu en France, de quoi retrouver les clichés les plus célèbres de Diane Arbus, mais surtout l’occasion d’en découvrir bien davantage.

Le parcours de l’exposition est simple et original : les photographies sont accrochées les unes à la suite des autres sans explication, section thématique ni ordre chronologique.
Puis deux salles présentent la vie, l’œuvre et les écrits de la photographe américaine née en 1923 et suicidée en 1971, sans qu’aucun éclaircissement sur cette fin tragique ne soit en définitive délivré. Cela étant, cette section finale est riche en enseignements et même ne laisse pas de surprendre.

Il faut commencer par quelques mots sur les photos elles-mêmes : Diane Arbus a photographié tout ce que les Etats-Unis des années 1950 et 1960 comptait de marginaux, incertains, curiosités : des géants et des lilliputiens, des jumeaux et des fœtus siamois, des travestis et des hermaphrodites, des bêtes de foire, des aveugles, des nudistes et des homosexuels… en un mot, tout ce qui de près ou de loin tenait de la "monstruosité" est passé sous l’œil sans concession, mais sans cruauté non plus de Diane Arbus.
Il y a aussi tous ceux qui portent des masques, véritables ou de circonstance, comme ces étranges lunettes en forme d’oiseaux ; ceux qui se "déguisent" dans de drôles de manteaux ou sous d’impressionnantes coiffes ; ceux et celles qui se fardent à l’excès, montent leur chevelure en haute choucroute…
Ce goût pour le travestissement, la photographe le trouve parfois dans une simple grimace, comme celle de l’enfant à la grenade que l’on a vu un peu partout ces derniers temps.
Quant aux veines de la différence et de l’anormalité, elle les poursuit jusqu’à la radicalité en réalisant une série sur les handicapés mentaux à la fin de sa vie.

Diane Arbus, exposition au Jeu de PaumeA la vue de tels sujets, on imagine chez cette femme qui s’est donné la mort à l’âge de 48 ans un tempérament fragile, voir un penchant morbide.
Les éléments biographiques présentés en fin de parcours rectifient ces a priori. Mariée deux fois, mère de famille, bosseuse, passionnée dans ses entreprises, reconnue dans son travail, Diane Arbus semble au contraire avoir mené une vie tonique, pleine d’allant et d’envies. Son propos, très social, parfois sociologique, éclaire merveilleusement son œuvre. Elle évoque les minorités avec beaucoup de simplicité. Loin du sentiment de compassion que l’on éprouve en regardant bien de ses clichés, Diane Arbus à l’inverse "dé-problématise" ses sujets. Sur les photos de concours de beauté ou de Monsieur Muscle, où elle nous place au niveau des spectateurs, en position de voyeur un peu gêné, elle tient un discours beaucoup plus large : elle inscrit en effet ces photos dans le cadre d’un inventaire de tout ce que la société américaine compte de rites et les appréhende de façon positive.
Le décalage entre ce que nous avons éprouvé en regardant son œuvre et ses propos apparemment tranquilles interdisent toute interprétation biographique de son travail, autant qu’il nous interroge sur notre propre perception et notre réception de ce que l’on appelle "la différence".

Diane Arbus
Jeu de Paume
1, place de la Concorde – Paris 8ème
Entrée 8,5 € (TR (5,5 €)
Consulter les nouveaux horaires sur le site du Jeu de Paume
Jusqu’au 5 février 2012

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Edvard Munch, l'Oeil moderne

Exposition Munch, l'Oeil Moderne à BeaubourgIl ne reste plus beaucoup de temps pour aller voir l’exceptionnelle exposition Munch (1863-1944) au centre Pompidou, qui fermera ses portes le 9 janvier prochain.

Exceptionnelle, elle l’est assurément puisqu’elle réunit à Paris des tableaux majeurs de la longue carrière du plus célèbre des peintres norvégiens, malgré tout bien peu connu en France en dehors du "Cri".

Au printemps 2010, le public français avait pu admirer à la Pinacothèque de Paris un bel ensemble de lithographies et de peintures. Ici, un programme différent permet de compléter à merveille la connaissance de la production de cet artiste passionnant.

Dans ses vastes espaces, le centre Beaubourg propose une fois de plus une exposition riche, lisible et très bien pensée, à travers 140 œuvres : des tableaux bien sûr, mais également des œuvres gravés et, ô surprise, des photos et même un bout de film, le tout réalisé par Munch. Grâce aux salles thématiques, préférées à un parcours chronologique, au terme de la visite on a l’agréable impression d’avoir "saisi" l’artiste.

Les deux premières salles sont formidables à tous points de vue. Elles présentent les mêmes sujets, traités à des périodes différentes, en commençant par celles du XIXème siècle. Toutes sont des chefs-d’œuvre : L’enfant malade, Puberté, Jeunes filles sur un pont, Baiser, Vampire, Les amants solitaires. La touche est douce, parfois marquée par l’impressionnisme, mais les sujets sont déjà totalement singuliers. Dès le début, Munch a exprimé des thématiques et des sentiments troubles et forts. On est à mille lieux de la peinture de paysage, d’histoire, de la scène de genre, de l’esthétisme.

Ce qui est sous nos yeux ce sont des personnages qui ne sont que souffrance, inquiétude, mélancolie, abandon. Même le tableau des jeunes filles, avec sa ligne de fuite caractéristique du style de Munch, semble plonger les calmes demoiselles dans une solitude infinie, dans un lointain vide et source de bien des questions.
Dans la salle suivante, les mêmes motifs se retrouvent, mais peints au XXème siècle. La touche a considérablement évolué. Entre temps, Munch a découvert Paul Gauguin et Vincent Van Gogh et cela se voit : coups de brosse détachés, formes simplifiées, parfois stylisées, impression d’inachevé : sa manière, synthétique, est bien celle de la pleine modernité. Il n’empêche que ses œuvres antérieures étaient déjà très modernes à bien des égards, que ce soit par le choix des sujets, par le cadrage (L’enfant malade vue du dessus) ou encore les compositions qui mêlent profondeur du regard et simplicité d’ensemble.

Ces deux salles sont l’occasion de souligner à quel point Munch a repris les mêmes thématiques tout au long de sa vie (six versions de L’enfant malade, une dizaine de Vampire, etc), animé par les mêmes problématiques existentielles mais sans doute épris aussi du besoin d’évolution. Or, quoi de mieux que de reprendre le même sujet pour constater comment on peut l’aborder différemment au fil du temps ?
Cette obsession se retrouve dans les salles consacrées aux autoportraits, qu’il s’agisse des peintures ou des photographies : Munch qui malgré ses problèmes de santé et ses souffrances morales a tout de même vécu jusqu’à 80 ans, n’a jamais cessé de se peindre ou de se photographier, réalisant ainsi une sorte de "journal" de soi-même, comme des écrivains l’ont fait à l’époque à leur manière.

L’importance que les nouveaux media ont eu pour Munch est également mise en évidence : le cinéma, la photo, le reportage de presse. Certains de ses tableaux montrant des "faits divers" (encore des scènes d’une folle gaité !) sont de véritables témoignages journalistiques. Cela étant, l’artiste va plus loin, grâce à son pinceau qui à la fois épure la forme et renforce les sentiments, montrant au fond des thèmes universels.
L’on découvre aussi un Munch "social", qui a peint de poignantes sorties d’usine, des groupes de travailleurs dans la neige…

Munch, l'Oeil moderne, expositions à PompidouLa neige, une autre voie magnifiquement exploitée par le peintre Norvégien, jamais en tant que sujet mais toujours au service du sujet. Voir par exemple sa scène inspirée de Van Gogh La nuit étoilée : une splendeur placée en face d’une autre Le Soleil, et dont, de l’une comme de l’autre, l’on est bien en peine de s’éloigner…

Edvard Munch, l’oeil moderne
Centre Pompidou – 75004 Paris
Métro Rambuteau
TLJ sauf le mardi, de 11h à 21h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Tarifs: 12 € plein tarif (9 € tarif réduit)
Jusqu’au 9 janvier 2011

Images : Puberté, Nasjonalmuseet et Le soleil, Munch Museet, Oslo © ADAGP

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Fra Angelico et les Maîtres de la lumière

Exposition Fra Angelico et les maîtres de la LumièreQuiconque a vu à Florence les fresques de Fra Angelico ornant le cloître, la salle capitulaire et les 44 cellules du couvent de San Marco n’a pu qu’en garder un souvenir ébloui. Près de 600 ans après leur exécution, elles imposent encore leur incroyable force, faite de sobriété, de sérénité et de douceur.

Fran Angelico, de son vivant Fra Giovanni était un frère Dominicain, un ordre prêcheur fondé en 1215 avec pour vocation de promouvoir un renouveau spirituel auprès des Chrétiens afin de contrer les superstitions et autres menaces d’hérésies.
Ce Toscan, né aux alentours de 1400 a mis tout son talent au service de la religion et de la prédication. Son succès à Florence fut tel que le Pape Eugène IV l’invita à travailler à Rome.

L’exposition du musée Jacquemart-André inscrit l’art du Frère des Anges dans le contexte pictural florentin, grâce à des œuvres de certains de ses contemporains : Strozzi, Balnovetti, Filippo Lii, Masolino di Panicale… mais aussi Gentile Fabriano dont un Saint-François recevant les stigmates capte immanquablement le regard. L’utilisation de la lumière – un or des plus chaleureux – et la précision des traits ont certainement marqué Fra Angelico, tout comme l’apparition de la perspective sous le pinceau de Masaccio.

Mais l’on voit surtout au fil du parcours l’affirmation d’un style propre (et évolutif bien sûr), fait de l’appropriation en une synthèse toute personnelle de l’état de l’art dans le premier quattrocento italien : un héritage gothique très fort, avec notamment l’utilisation des fonds et traits d’or de la lumière divine, une grand soin du détail venu sans doute de sa formation initiale à l’enluminure (l’exposition en montre de superbes exemplaires) auquel Fra Angelico mêle les apports de la Renaissance avec une grande maîtrise. Ainsi, son modelé des visages et des traits, ses expressions empruntent à l’humanisme renaissant, conférant à ses représentations religieuses une présence et une proximité nouvelles, dont la grâce qui s’en dégage dans le même temps est une autre marque du peintre.

Au delà des fonds d’or médiévaux, la lumière divine donne chez Fra Angelico des couleurs somptueuses, accrochant au manteau de la Vierge et aux vêtements des Saints de ses tempera sur bois d’ondoyants reflets. Aux teintes claires d’un magnifique Couronnement de la vierge (venu des Offices) inondé de lumière répondent la profondeur des bleus et des rouges de ses Vierge d’humilité, dont celle venue de Turin, daté de 1450, un véritable chef d’œuvre.
Moderne, Fra Angelico l’est aussi dans son utilisation de l’architecture et de la profondeur comme cette Vierge le prouve, mais aussi ses ensembles narratifs, telle que la prédelle Naissance et vocation de Saint-Nicolas, aumône aux trois jeunes filles pauvres.

En fin de parcours, prendre le temps de détailler les compartiments de l’Armoire des ex-voto d’argent, panneaux prêtés par le musée San Marco, où à travers 11 scènes bibliques partant de la Montée au calvaire et aboutissant à la Loi d’Amour, le peintre des Anges met une fois de plus son art au service de la foi sans renoncer à une merveilleuse simplicité.

Fra Angelico et les Maîtres de la lumière
Musée Jacquemart-André
158 boulevard Haussmann – 75008 Paris
TLJ de 10h à 18h
Nocturnes les lundis et samedis jusqu’à 21h30, sauf les 24 et 31 déc.
Nocturnes exceptionnelles les 27, 28, 29 et 30 déc., 8 et 15 janv.
Plein tarif 10 €, TR 8,5 €, audioguide 3 €
Jusqu’au 16 janvier 2012

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Golgota picnic au Théâtre du Rond Point

Golgota picnic, théâtre du Rond-Point

Golota picnic est la pièce écrite et mise en scène par l’Argentin installé à Madrid Rodrigo García, créée en Espagne cette année, et dont on a beaucoup parlé, sans trop évoquer précisément son contenu. Le « bruit » médiatique a en effet concerné essentiellement les réactions violentes qu’elle a suscitées de la part d’un groupe d’excités ultra-catholiques lorsqu’elle a été donnée pour la première fois en novembre en France, au théâtre Garonne à Toulouse.
Une fois constaté qu’il s’agit une fois de plus d’une chapelle d’extrême-droite qui profite de l’événement pour faire de la publicité pour sa propre boutique, et que le dispositif policier installé à Paris met le spectacle et ses spectateurs à l’abri de cette violence, le moment semble venu de parler de la pièce elle-même.

Pour tout dire, l’on en sort plutôt groggy. Et puis finalement, 48 h après, la profondeur de la pièce l’emporte sur ses aspects (très) désagréables.
Pour résumer, il s’agit d’un bon, voire à certains passages d’un très bon texte, mis en scène de façon outrancière et erratique, et suivi d’un long et merveilleux moment de musique.

Le texte est un discours de satire et de dénonciation poétique qui, loin de s’en tenir à la religion comme les manifestations le laissaient penser, concerne toute la société, ses mensonges et ses illusions, qu’il s’agisse du modèle économique inégalitaire, du consumérisme dépourvu de sens, du travail et même de la culture. Sur le christianisme, la charge, plutôt bien menée elle aussi, porte à la fois sur le mythe de Jésus, qui « fut le premier démagogue : il multiplia la nourriture pour le peuple au lieu de travailler coude à coude avec lui », et sur les représentations iconographiques sur lesquelles la chrétienté s’est enracinée, des scènes d’une grande violence. L’effet toxique que l’imagerie sanglante de la crucifixion a produit et continue de produire depuis deux mille ans amène d’ailleurs Rodrigo García à s’interroger, dans le même mouvement, sur les musées qui abritent les tableaux religieux et abreuvent notre culture aujourd’hui encore.

Les comédiens jouent le texte calmement (très bonne chose) mais rapidement, en castillan bien sûr et les non-hispaniques doivent lire vite pour ne pas perdre un mot de ce texte non dénué d’humour, au risque de louper un peu ce qui se passe sur scène. Cela n’est pas bien grave. Avec la caméra qui capte et retransmet tout en très gros plan sur l’immense écran, difficile de ne pas échapper aux « images » du spectacle, qui relèvent en grande partie de dispositifs excessifs. A la longue, l’excès a toujours tendance à tuer le propos. Faire prendre conscience de la violence des images par des effets violents, le procédé est classique et efficace, mais jusqu’à quel point ?
La scène est entièrement couverte de pains briochés pour hamburger, empestant la salle durant tout le spectacle de leur odeur fade et sucrée écœurante. Sinon, ce sont vers de terre, vomi, viande hachée sur la tête, sans compter les ébats mouillés de gel et de gouache de comédiens nus comme vers et exhibant tout le possible avec une conviction pas toujours partagée par le public. Inutile de s’appesantir davantage, on voit le genre : celui qui dégoûte, plus ou moins selon les sensibilités.

Puis tout se calme pour laisser la place à la musique pendant environ 45 mn, temps durant lequel l’Italien Marino Formenti interprète Les sept dernières paroles du Christ sur la croix de Haydn dans une réduction pour piano. C’est lent, très beau ; chacun des neuf mouvements est séparé d’un silence. Grande est l’envie, après cette foire visuelle, de fermer les yeux pour en profiter tranquillement. D’ailleurs, l’auteur de la pièce ne nous y a-t-il pas invité, faisant dire à l’un de ses comédiens : « sautez dans le vide du silence et de la solitude et profitez du recueillement ».
Mais un nombre certain d’individus sont incapables d’immobilité physique et mentale. Cela tousse et remue à qui mieux-mieux, quand cela ne quitte pas les lieux bruyamment. Quel dommage et quel oubli de l’Autre, celui qui est sur scène, et celui qui est dans la salle !
Les applaudissement sont ensuite faiblards : endormissement, agacement ? On l’ignore. Mais ce serait mentir que de dire que l’on n’est pas un peu sonné après plus de 2 h de spectacle si hauts en contrastes.

Golgota picnic
Texte, mise en scène et scénographie Rodrigo García
Au piano, Marino Formenti
Avec Gonzalo Cunill, Núria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, Jean-Benoît Ugeux
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – Paris 8°
Salle Renaud-Barrault, à 20 h 30, dimanche à 15 h
En espagnol sur-titré, durée 2 h 10
Jusqu’au 17 décembre 2011

Production Centro Dramático Nacional / Madrid, production déléguée Théâtre Garonne / Toulouse, coproduction Festival d’Automne à Paris

Photo Golgota Picnic © Davir Ruano

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Les neiges du Kilimandjaro. Robert Guédiguian

Les neiges du Kilimandjaro, Robert Guédiguian

Est-ce le soleil de Midi, le scintillement de l’eau du port de Marseille, le magnifique sourire d’Ariane Ascaride ? D’une manière ou d’une autre, le dernier film de Robert Guédiguian est obstinément lumineux.

La lumière du début est calme et plutôt assurée : Michel malgré son licenciement qui l’amène à occuper comme il peut ses journées de "pré-retraite" coule des jours heureux avec Marie-Claire, son aimée depuis trente ans. Tous deux profitent de ce qu’ils ont construit tout au long de leur vie d’ouvriers : une maisonnette, un peu de repos, de bons moments entre amis fidèles, des enfants et des petits-enfants. Leurs convictions politiques et sociales sont solides et Michel, que Marie-Claire surnomme tendrement Jaurès, y est resté fidèle puisque malgré ses responsabilités syndicales qui auraient pu l’en protéger, il s’est mis sur la liste des personnes tirées au sort pour le "choix" des vingt licenciés que réclame la direction. Contre les privilèges et solidaire, jusqu’au bout.
Malgré ce pépin, la retraite n’étant pas loin, l’équilibre d’ensemble n’est pas menacé. D’autres bonheurs sont même à venir, avec l’anniversaire de mariage du couple : une fête chaleureuse dont le cadeau est un voyage au pied du Kilimandjaro. Un clin d’œil à la chanson sur laquelle ils se sont connus, dans les années 1960, et qu’enfants et petits-enfants entonnent avec émotion devant la pièce montée.

Mais le film bascule lors d’une tranquille soirée de cartes avec leurs plus proches : Denise, la sœur de Marie-Claire et son époux Raoul, beau-frère et meilleur ami de Michel. Deux jeunes font irruption dans la salle à manger avec armes et cagoules, les violentent et les détroussent de tout leur argent, billets du voyage inclus.
Ils sont encore sous le choc, chacun réagissant à sa manière, quand Michel découvre que l’un de leurs agresseurs, Christophe, est un ancien de la boîte, un jeune qui faisait partie des vingt licenciés. Et donc aussi, d’ailleurs, des invités de son anniversaire de mariage, puisqu’il y avait invité les dix-neuf autres malheureux tirés au sort.

La confrontation avec Christophe, qu’il considérait jusqu’alors comme l’un des leurs, est un coup de pied dans les repères de Michel. Il pense avoir agi de façon loyale et désintéressée en procédant à ce tirage auquel il s’était inclus. Il pense avoir mené toute. sa vie au sein du syndicat un combat juste, au service des plus faibles. Et voici que ce jeune ne lui renvoie que haine et mépris. Il y avait peut-être des voies plus équitables qu’un tirage au sort pour le choix des mis-sur-le-carreau ; vous croyez avoir mené de nobles combats, en réalité vous n’avez fait que vous embourgeoiser ; que laissez-vous à vos cadets ? Voilà ce que Christophe lui balance en substance, et avec une violence incroyable.

Ici se dévoile le thème central du film, développé sans pudeur : le choc de deux générations. Et le gouffre entre les deux, malgré la bonne entente à première vue entre Marie-Claire et Michel et leurs propres enfants, va être de plus en plus manifeste.
Si le portrait de la classe ouvrière née après la guerre, de gauche et sûre du bien-fondé de ses croyances et de ses actions, est magnifiquement brossé, celui de la génération suivante, atomisée et moins évidente à restituer, l’est pourtant tout aussi magistralement. Christophe et sa jeune mère qui l’a abandonné (et ses deux frères avec), tous deux perdus, ne cherchent qu’à s’en sortir. La jeune amie de Christophe, gaie et généreuse, travaille de nuit. Chacun fait comme il peut pour subsister économiquement. Le comment, les valeurs, on en est plus là.
Même avec les enfants du couple, à l’épreuve des événements, des incompréhensions voient le jour. Jamais le fossé générationnel n’a semblé aussi abyssal.

Mais Robert Guédiguian ne renonce pas à la lumière. Après la tourmente, elle est encore plus belle. Michel et Marie-Claire, Raoul et Denise n’ont rien perdu de leurs valeurs. Ils en font la démonstration dans un final dont on ne dira rien, si ce n’est qu’il est bouleversant au possible.

Les neiges du Kilimandjaro
De Robert Guédiguian
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Marilyne Canto, Grégoire Leprince-Ringuet
Durée 1 h 47

Sorti en salles le 16 novembre 2011

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L'Epreuve et Les acteurs de bonne foi, Marivaux à l'Atalante

Les acteurs de bonne foi, Marivaux, L'AtalanteAh, Marivaux, sa finesse psychologique, son sens de l’intrigue, maître dans l’art du jeu, de la dissimulation, et des faux-semblants ! Orfèvre de la langue, il demeure obstinément à la mode, l’un des classiques les plus présents aujourd’hui, souvent joué par et pour les lycéens – ce qui n’avait pas échappé au cinéaste de L’Esquive, Abdellatif Kechiche, qui en 2004 avait mis en scène des jeunes de banlieue s’essayant au Jeu de l’amour et du hasard. Mais si les pièces de cette star de la comédie du XVIIIème siècle continuent de plaire à tous en ce début de XXIème siècle c’est parce qu’à travers leurs dialogues enlevés et aux atours légers, elles sont une ode à la noblesse des sentiments, à l’authenticité de l’amour et à ses élans vrais.

La compagnie suisse du Passage et celle d’Agathe Alexis, avec le Centre dramatique régional de Tours, s’associent pour présenter au théâtre de l’Atalante à Paris un diptyque de courtes pièce du célèbre dramaturge, et qui ne sont pas les plus connues : L’Epreuve, suivie de Les acteurs de bonne foi. Les deux s’enchaînent, formant un spectacle de deux heures dont on ressort d’autant plus enchanté que Les acteurs de bonne foi est de loin la plus originale, la plus amusante et la mieux mise en scène des deux pièces.

L'Epreuve, Marivaux, L'AtalanteL’Epreuve, c’est celle qu’inflige Lucidor, citadin fortuné, à sa bien-aimée Angélique, bourgeoise de campagne, en lui envoyant un faux prétendant en la personne de Frontin son valet déguisé, prétendument richissime et très épris. Si elle accepte, c’est que ses sentiments pour Lucidor ne sont pas véritables… Autour du trio, la suivante d’Angélique, qui croît reconnaître le coquin, et Blaise, fermier cupide et lourdaud, joué pour notre plus grand plaisir par Guillaume Marquet (Molière 2011 du jeune talent masculin pour son interprétation dans Feydeau). Lui et Franck Michaux, irrésistible valet dans les deux pièces, ont tout le talent requis pour interpréter ces rôles de bouffons, volontaires ou malgré eux. Si le reste de la distribution est aussi à l’aise, la réserve vient plutôt de la mise en scène. Ce ne sont pas les intrusions contemporaines qui gênent, mais plutôt le ton et le rythme choisis par Agathe Alexis : à toute vitesse, façon boulevard. Marivaux mérite plus d’égards : ses répliquent se savourent, il faut donc les entendre ; et les ressorts dramatiques ne nécessitent nullement de sacrifier à la convention boulevardière.

Les acteurs de bonne foi de Marivaux à l'Atalante Les acteurs de bonne foi est une véritable perle, dont l’intrigue repose sur une comédie que doit jouer une troupe cocasse, menée par le valet de Mme Amelin, laquelle a décidé, pour amuser la noce de son neveu, et notamment la future belle-mère Mme Argante, de faire donner quelque pochade impromptue. Les répétitions commencent, les acteurs s’emmêlent entre fiction et réalité, la future belle-mère s’offusque, mais Mme Amelin est résolue, face au manque de goût de cette dernière, à faire jouer la comédie coûte que coûte, quitte à jouer elle-même et au détriment de Mme Argante…
On a là un matériau vif et solide, que Robert Bouvier à la mise en scène, et la joyeuse troupe, en grande partie la même que dans L’Epreuve à laquelle s’ajoute l’excellente Sandrine Girard, travaillent admirablement. La mécanique du jeu, de la tromperie et de la moquerie actionne des comédiennes et des comédiens tout à leur affaire, avec une grâce comique impeccable.
Un spectacle chaudement et justement applaudi.

L’Épreuve et Les Acteurs de bonne foi de Marivaux
Théâtre L’Atalante
10, place Charles Dullin – 75018 Paris
Places 20 € (tarifs réduits 10 € et 15 €)
Réservations : latalante.resa@gmail.com ou au 01 46 06 11 90
Jusqu’au jeudi 29 décembre 2011
Lundi, mercredi, vendredi à 20h30
Jeudi, samedi à 19h, dimanche à 17h
Relâche le mardi, les 24 et 25 décembre
Représentation exceptionnelle mardi 27 décembre 2011 à 20h30

L’Épreuve
Mise en scène – Agathe Alexis, assistante – Nathalie Sandoz, son – Jaime Azulay
Avec Robert Bouvier, Marie Delmarès, Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Franck Michaux, Maria Verdi
Scénographie et costumes – Gilles Lambert, lumières – Laurent Junod

Les Acteurs de bonne foi
Mise en scène – Robert Bouvier, assistant – Olivier Nicola, son – Cédric Liardet
Avec Agathe Alexis, Jaime Azulay, Robert Bouvier, Marie Delmarès, Sandrine Girard, Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Franck Michaux, Nathalie Sandoz, Maria Verdi
Scénographie et costumes – Gilles Lambert, lumières – Laurent Junod

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Matisse, Cézanne, Picasso… L'aventure des Stein

Matisse, la femme au chapeau, exposition Stein, grand palaisIl semble qu’à jamais ces tableaux resteront dans notre mémoire. Ces paysages de Matisse, sa Femme au chapeau, son Nu bleu, ces portraits de Picasso, son Meneur de cheval nu, cette Femme renversée de Degas, cette Sieste de Bonnard, cette Femme de l’artiste dans un fauteuil de Cézanne…
Ils viennent de New-York, Chicago, San Francisco ou Los Angeles, de la fondation Barnes ou de collections particulières, et sont enfin réunis sous nos yeux !
Ces œuvres immenses sont celles achetées par les Stein, Américains d’origine juive, fous d’art et fous de Paris, au point de s’y établir et, pour Gertrude, d’y rester pendant les funestes années de l’Occupation. Au tout début du XXème siècle, ils ont décidé de soutenir des peintres "hérétiques", dans un monde de l’art qui alors digérait tranquillement l’impressionnisme et s’écriait face aux taches matissiennes du Salon d’Automne de 1905 : "Voici la cage aux fauves !". C’était la Femme au chapeau de Matisse, faite de grosses touches de couleurs, révolutionnaire avec son vert vif sur le nez et son orange sur na nuque, qui scandalisait et suscitait l’opprobre mais fut acquise par Léo Stein.

Gertrude Stein, ses frères Léo et Michael, et Sarah l’épouse de ce dernier sont arrivés à Paris avec ce qu’il fallait pour vivre, mais peut-être pas la grande fortune, certainement pas celle des grands collectionneurs que furent un peu plus tard Barnes ou Rockefeller. Mais ils était allés en Italie, avaient aimé l’art classique, le Moyen-Age et la Renaissance.
L'aventure des Stein au Grand Palais, Matisse En témoignent les photos de l’appartement de la rue de Fleurus, dans le 6ème arrondissement, où Gertrude tenait salon, réunissant le samedi soir hommes et femmes de pinceau comme de plume et amateurs éclairés : les tableaux d’avant-garde surplombaient des meubles d’inspiration médiévale, des statues de toutes époques, et côtoyaient des primitifs italiens.
Ce n’était pas qu’affaire d’œuvres et de collections, c’était aussi affaire humaine. Longue et profonde amitié entre Gertrude et Picasso. Longue amitié et immense admiration entre Sarah et Matisse, jusqu’à la fin de sa vie.

Aujourd’hui, le prix de ces tableaux sur le marché de l’art semble en faire des objets de spéculation (presque) comme les autres. On annonce des sommes folles à l’issue et même avant les ventes publiques, on déclame des records.

L'aventure des Stein au Grand Palais, Picasso Mais à l’époque, c’était tout autre chose, c’était une entreprise de pionniers, d’inventeurs au sens premier du terme. Cette aventure a eu lieu dans l’enthousiasme et avec ce qu’il fallait d’émulation : la confrontation de Picasso et de Matisse a bien pris racine dans le salon des Stein, où l’un et l’autre étaient exposés et se rendaient.
Depuis, les natures mortes cubistes de PIcasso et de Juan Gris n’interpellent plus personne. Les gros seins cernés de bleu de Matisse ne scandalisent plus qui que ce soit. Les paysages constellés de taches, aux limites de l’abstraction et les portraits aux allures de masques primitifs sont presque l’ABC de l’amateur d’art.
Et pourtant ! Il a fallu les repérer, les montrer, habituer les yeux et les esprits, jusqu’à ce qu’ils deviennent référence, au point que leurs inventeurs, cruel succès, les Stein soi-même, quelques dix ou vingt ans plus tard, ne soient plus en mesure de les acquérir tant leur côte avait grimpé !

Cézanne à l'exposition Stein au Grand PalaisIl est malgré tout un choc qui demeure, pas celui de l’avant-garde, mais celui de la beauté pure que l’exposition du Grand Palais sait rendre, ne cherchant rien d’autre qu’à accrocher les peintures sur de grands murs blancs, regroupées par artistes et par style, simplement.
L’aventure des Stein est racontée dans les coins, avec photos et écrits de l’époque, c’est indispensable et passionnant. Les cartels sont quasiment illisibles comme il est de coutume en ce lieu. Mais les tableaux demeurent, tranquillement, passés peut-être de mains en mains après avoir été adorés dans un salon de la rue de Fleurus ou de la rue Madame il y a un siècle, et aujourd’hui à nouveau montrés à Paris, avec toutes leurs audaces, leurs couleurs, leur inventivité et leur force. Leur révolution relève de la permanence et de l’indissoluble, comme un insoluble mystère qui n’a d’autre nom sans doute que la beauté de l’art.

Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein
Galeries Nationales du Grand Palais – 3, av. du General Eisenhower – Paris 8°
Jusqu’au 16 janvier 2012
Du ven. au lun. de 9h à 22h, le mar. de 9h à 14h,
le mer. de 10h à 22h, le jeu. de 10h à 20h
Pendant les vacances, du 17 déc. au 2 jan. inclus, TLJ de 9h à 23h
Fermeture à 18h les 24 et 31 décembre et toute la journée le 25 décembre
Entrée : 12 €, tarif réduit : 8 € (13-25 ans, demandeur d’emploi, famille nombreuse)
Gratuité pour les moins de 13 ans, bénéficiaires du RSA et du minimum vieillesse
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Images :
Henri Matisse, Femme au chapeau, San Francisco Museum of Modern Art, don d’Elise S. Haas, San Francisco, USA © Succession H. Matisse. Photo : Moma, San Francisco, 2011
Henri Matisse, Femme en kimono, The Courtauld Gallery, Londres, Grande-Bretagne © Succession H. Matisse. Photo : The Courtauld Galery, London, 2011
Pablo Picasso, Les pierreuses, 1902, Huile sur toile, 80 x 91,5 cm, Hiroshima, Hiroshima Museum of Art © Succession Picasso 2011
Paul Cézanne, Les baigneurs, Lyon, Musée des Beaux Arts, dépôt du musée d’Orsay © service presse Rmn-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda

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Le nouvel Orsay

Nouvel Orsay, Salle Courbet

On l’aimait déjà beaucoup, notre musée d’Orsay. Nous les Français, mais aussi les visiteurs étrangers, pour lesquels il constitue une étape incontournable, notamment ses salles dédiées aux impressionnistes.
Mais la conception d’origine, qui remontait à 1986, avait vieilli. Les espaces de circulation n’étaient plus adaptés à la fréquentation de 3 millions de visiteurs par an. Les éclairages et les fonds rendaient pâlottes certaines couleurs, gommaient certains contrastes. Enfin, l’enchaînement de l’impressionnisme et du post-impressionnisme reléguait certaines œuvres comme celles de Toulouse-Lautrec dans des espaces confinés.

Il fallait revoir tout cela et Guy Cogeval, le directeur du musée, aidé d’architectes talentueux et de designers inspirés a mené à bien l’entreprise. Celle-ci ne s’est pas limitée à de simples aménagements puisque quelques 1200 m2 de surfaces supplémentaires ont été dégagées.

Le résultat, visible depuis le 20 octobre dernier, est très convaincant.
Le volet le plus audacieux du projet est certainement la rénovation du pavillon Amont – l’ancienne salle des machines de la gare – placé au fond à gauche de la nef.
Introduisant le violet et le rouge cardinal à Orsay, il consacre aux grands formats de Courbet (L’atelier, Un enterrement à Ornans, L’hallali du cerf…) la salle du rez-de-chaussée, quand les étages jouent la carte de l’innovation. En effet, pour permettre au public de profiter de sa riche collection d’objets d’art et de mobilier jusqu’à présent en grande partie remisée dans ses réserves, tout en plaçant la peinture dans son époque et son contexte "domestique", Guy Cogeval a installé de toutes nouvelles salles où l’une et l’autre disciplines cohabitent en se complétant naturellement.
L’on trouve ainsi au 2ème étage les décors et peintures modernes français de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, incarnés par les Nabis, et aux 3ème et 4ème étages l’Art nouveau et ses développements en Europe et aux Etats-Unis.
Les plafonds sont resserrés, les couleurs chics, les œuvres groupées par artistes ; c’est lisible, harmonieux, très cosy.

Le 5ème niveau débouche sur un vaste pallier dépourvu d’œuvres – si ce n’est le canapé de repos, L’étoile de mer, dessiné par les brésiliens Humberto et Fernando Campana, également auteurs de la réfection du café de l’Horloge, qui évoque des fonds sous-marins où étincellerait le soleil, au bout de la galerie des impressionnistes. Mais avant de la traverser, le visiteur peut se clarifier l’esprit en faisant étape dans cet espace de respiration offrant une vue magnifique sur la Seine et les grands monuments de Paris. Une nouvelle boutique est installée à proximité.

Galerie des impressionnistes, nouvel Orsay

Puis l’on aborde les Impressionnistes, dans une galerie entièrement rénovée. Les tons beiges et l’éclairage naturel parfois blafard ont cédé la place à des teintes sombres au sol (parquet) et aux murs, et la lumière de la verrière complétée de projecteurs soigneusement disposés. Des bancs en verre blanc du designer japonais Tokujin Yoshioka ont été installés. L’accrochage a lui aussi été repensé et fait de la "traversée" un enchantement de chaque instant. La plus-value en termes d’élégance est évidente. Mais surtout, les couleurs des toiles de Van Gogh, Gauguin, Manet, Monet et autres Degas, plus belles que jamais, gagnent considérablement en éclat et en nuances.

Côté rue de Lille, la galerie post impressionniste au niveau médian (désormais galerie Françoise Cachin), de même que la galerie symboliste, répondent aux mêmes objectifs de gagner en fluidité dans l’enchaînement des périodes et dans la circulation, et de plus grande mise en valeur des œuvres avec des cimaises aux couleurs profondes.

Au total, 7000 m2 ont été rénovés et un millier d’œuvres sur les 1850 exposées ont été déplacées ou réaccrochées, pour un coût total de 20 million d’euros.
Plus qu’une remise en beauté, c’est avec un supplément d’art que le musée d’Orsay s’apprête à fêter, le 1er décembre prochain, son vingt-cinquième anniversaire.

Musée d’Orsay
1, rue de la Légion-d’honneur – Paris 7ème
TJL de 9 h 30 à 18 h, sf le lundi et jusqu’à 21 h 45 le jeudi
Entrée 8 € (TR 5,5 €)

A voir également en ce moment au musée d’Orsay : l’exposition Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde jusqu’au 15 janvier 2012

Photos © Musée d’Orsay Sophie Boegly

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Polisse. Maïwenn

Polisse, Maiwenn

Une toute petite fille dit que son père lui gratte les fesses. Une femme assise près d’elle essaie de lui faire préciser, de la mettre en confiance. Un jeune homme derrière une cloison vitrée suit attentivement, enregistre, suggère à sa collègue d’autres questions. Plus tard, le père de l’enfant, bouleversé, nie les accusations de sa fille, semble sincère, autant que la petite. Dans la rue, une jeune femme secoue son bébé comme un prunier pour tenter d’arrêter ses pleurs. Une autre jeune femme l’interpelle, l’embarque au poste. Lui pose des questions. Avec celle-là, aucun doute : elle débite les horreurs qu’elle inflige à ses enfants avec une candeur désarmante.
Nous sommes dans une brigade de protection des mineurs (BPM), qui opère dans le nord de Paris. Plus de deux heures durant, on ne lâche pas ces policiers d’une semelle, comprenant à chaque scène davantage à quel point leur tâche est lourde, délicate, parfois dangereuse, et toujours nécessaire.
Mais même si le film est inspiré de faits réels, et au demeurant largement crédible, l’œuvre de Maïwenn n’est pas pour autant un documentaire. La réalisatrice a pris le soin de construire de véritables personnages, membres de la brigade, commandant et grand chef. Les victimes et les criminels défilent, tous bien dessinés eux aussi. L’interrogation vient plutôt du rôle que Maïwenn s’est donné à soi-même, celle d’une photographe chargée d’un reportage pour une revue du ministère de l’Intérieur. Mutique, fantomatique bien que séduisante, elle n’apporte pas grand-chose au film.
Mais l’équipe de la BPM compense largement ce déficit. Vies privées faisant les frais d’une vie professionnelle hors norme, relations entre collègues fusionnelles et qui parfois débordent, rôle beau et parfois ingrat du chef de troupe protecteur, la géopolitique et la cartographie des sentiments d’une équipe de travail soudée et sous tension sont parfaitement restituées.
Avec sa mise en scène énergique, ses plans rapprochés et son casting en or, Polisse accroche le spectateur de bout et bout et, malgré son sujet, sans jamais tomber dans le misérabilisme.

Polisse
Un film de Maïwenn
Avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Karine Rocher, Frédéric Pierrot, Emmanuelle Bercot, Maïwenn
Durée 2 h 07
Sorti en salle le 19 octobre 2011

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Drive. Nicolas Winding Refn

Ryan Gosling dans Drive

Le mot "chef d’oeuvre" ne vient pas si souvent au bout des lèvres lorsque s’affiche le générique de fin sur un écran de cinéma. Drive fait partie de ces films qui génèrent de bout en bout une joie intense dont on se demande toujours un peu de quoi elle est faite.

Commençons par l’histoire : un jeune homme solitaire et silencieux fait le jour cascadeur pour les productions hollywoodiennes et la nuit chauffeur pour braqueurs. "Je vous emmène où vous voulez quand vous voulez, et pendant 5 minutes, je serai à fond avec vous ; mais après, ne comptez plus sur moi". Voici en substance ce qu’il dit à ses clients particuliers. Ensuite, il se tait et conduit. Tout n’est qu’action et calme chez ce personnage, dont on ignore jusqu’au prénom. Même quand la caméra ne fixe que son visage d’ange, on le voit qui calcule. S’il est aussi bon, ce n’est pas seulement parce qu’il conduit bien, c’est aussi et surtout peut-être parce qu’il a toujours un coup d’avance. Sauf lorsqu’il rencontre sa voisine, la jolie Irène et son jeune garçon : là, il est dans le présent, sous le charme de l’instant. Ce qui apparaît comme une découverte de l’amour sera évidemment le point de bascule du film : pour elle et son fils, pour aider son mari racketté, il se retrouvera confronté à la violence des mafieux et devra se montrer plus violent encore que ses poursuivants.

L’énigme est limpide, dépourvue de méandres scénaristiques. D’ailleurs, c’est peut-être le "sans" qui fait aussi la splendeur de Drive : pas de bavardage, pas de psychologie, pas de sentimentalisme. Des silences.
L’utilisation de la musique (électro-rock) est nickel et épouse absolument une mise en scène au cordeau. La scène inaugurale est exemplaire de cette réussite, de l’ambiance et du rythme du film : un jeu de cache-cache nocturne et motorisé avec la police de Los Angeles, dont notre héros sort incognito donc vainqueur, se contentant de mettre une casquette et de retourner son blouson pour rentrer chez lui tranquillement. On passe de vues aériennes de L.A. époustouflantes à l’atmosphère froide et un peu trouble de zones sans charme. Et toujours le visage si beau, énigmatique de ce personnage incarné impeccablement par Ryan Gosling qui aurait sans doute mérité, malgré tout le talent de Jean Dujardin dans The artist, le prix du meilleur acteur à Cannes, comme son réalisateur a reçu celui de la mise en scène.

Sous la lumière tantôt métallique des néons, tantôt chaude du couchant californien, Nicolas Winding Refn nous offre des scène somptueuses, comme celle, inoubliable, d’un baiser dans un ascenseur… tant de douceur, presque du lyrisme, et puis la violence comme une évidence, tant elle fait partie, comme l’amour et l’amitié, du ressort même du personnage, à l’image de son blouson : double, avec du côté blanc un scorpion brodé.

Quand on arrive à la dernière scène, on ne peut s’empêcher de penser à ces héros de Clint Eastwood, comme un certain Impitoyable. Comme si l’ultra-moderne Drive relevait aussi d’une forme de classique, celle empruntée au western.

Drive
Un thriller de Nicolas Winding Refn
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston
Durée 1 h 40
Sorti en salles le 5 octobre 2011

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