C'est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst

expo vanites, pompeiSi c’est au XVII° siècle que les crânes apparaissent à profusion sur les tableaux de nature morte, en un genre appelé Vanités, de telles représentations de la mort sont présentes dans les maisons dès l’Antiquité.

Ainsi, à Pompéi, deux mosaïques ont été retrouvées sur ce thème. L’une montre un crâne et un papillon reposant sur une roue : le corps et l’âme livrés à la roue du destin. L’avertissement de cette allégorie macabre, certainement l’une de toutes premières de l’histoire de l’art, n’est autre que « Omnia mors adequat » (« La mort aplanit tout »).

Vingt siècles plus tard, Philippe Pasqua réinterprète le motif avec un crâne recouvert de feuilles d’argent et parsemé de grands papillons orangés, magnifique à dire vrai. Le sujet du « Memento mori » (« Souviens-toi que tu mourras ») est donc loin d’être épuisé, les artistes le réinterprétant inlassablement, en peinture, en sculpture ou en photo, comme l’exposition qui vient d’ouvrir au Musée Maillol le met en évidence.

Chronologiquement, le parcours est inversé : on plonge directement dans les œuvres contemporaines, avant de visiter les Anciens puis les Modernes. Un détail de peu d’importance, la thématique étant suffisamment explicite. Au demeurant, malgré les quelques 160 œuvres, l’exposition ne prétend pas à une représentation exhaustive des différentes périodes de l’histoire de l’art, d’autant que le sujet n’a pas été toujours aussi prisé qu’aujourd’hui.

En Europe du Nord, le contexte du XVIIème siècle, avec ses guerres de Religion favorise le développement des Vanités, où le peintre mêle crânes humains, bougies et sabliers symbolisant la fuite du temps, livres, fleurs et fruits, pour rappeler la futilité des connaissances, la corruption de la beauté et de la matière. En Europe du Sud, les peintres associent au contraire la Vanité à des scènes religieuses. Dans une petite salle, se répondent trois beaux Saint-François : celui de Caravage, en méditation, celui de Zurbaran, agenouillé, très émouvant et enfin, l’Extase de Saint François, de Georges de La Tour. Les jeux de lumière avec la clarté du crâne ressortant de l’ombre accentuent la gravité du message.

Pour l’essentiel, ces tableaux sont peu connus car issus de collections privées. Certains sont plus anecdotiques mais somme toute très frappants car ils montrent non pas des squelettes mais des cadavres en décomposition. Sur une œuvre anonyme d’un peintre espagnol, le macchabée, toutes tripes dehors est en proie à la voracité des petites bêtes, les attributs du pouvoir, sceptres, couronne, posés à ses côtés et renvoyés à leur vanité. Sur la Testa de Jacopo Ligozzi, une tête en voie de décomposition, bouche béante, est attaquée par les vers, alors que Seneta (vieillissement) est inscrit sur le cartouche inséré dans le livre… ça fait envie !

Galerie variée également du côté des oeuvres contemporaines, avec des tableaux de Miquel Barcelo, Richter, Ernst, de grande beauté ; mais aussi des crânes de Niki de Saint-Phalle, Annette Messager, et naturellement Damien Hirst.
Entre les deux périodes, un grand trou ou presque, les Vanités étaient passées de mode au Siècle des Lumières. Au siècle suivant, Géricault a traité le thème avec ses Trois crânes puis au début du XXème, Cézanne, Picasso, Braque ont eux aussi fait leurs Vanités mais leurs tableaux semblent relever d’un pur exercice de style.

Bague Codognato, Venise Mieux vaut s’attarder devant les vitrines présentant des pièces unique du joailler vénitien Codognato, famille installée près de la Basilique San Marco (elle en devint même l’orfèvre attitré), qui depuis 1866 s’inspire d’oeuvres de toutes époques pour créer des bagues et des colliers en forme de Memento Mori. Aux motifs de crânes se mêlent harmonieusement des animaux symboliques comme la salamandre, le rat ou le serpent ; au diamant et aux pierres précieuses se mêle le corail aux vertus protectrices… Des petites merveilles à ne pas louper.

"C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst"
Musée Maillol
61, rue de Grenelle, Paris 7e
Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, vendredi jusqu’à 21 h 30
Jusqu’au 28 juin 2010
De 9 € à 11 €

Images : Memento Mori, Mosaïque polychrome de Pompéi, 1er siècle, Base calcaire et marbres colorés, 41 x 47 cm, Musée national d’archéologie de Naples © Archives surintendance spéciale Beni et archologici Naples et Pompéi
Bague « Alchimie » Or, émail blanc sur or, diamants, émail, Epoque contemporaine, modèle des années 1940 Collection particulière, courtesy Codognato © Andrea Melzi

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Les décrottoirs

decrottoir, rue des Coulmiers

Ils sont bien modestes, tellement bas qu’on ne les remarque plus. Souvent il ne reste qu’un morceau de « ferraille » qui dépasse du mur, qu’on a oublié d’enlever dirait-on, qui a dû servir à quelque chose autrefois…
D’autres, pas bien nombreux, sont repeints, ils gardent encore leur forme d’origine et peuvent éveiller la curiosité du passant. Cette curiosité, alors, peut faire s’élever ces témoins discrets de la ville ancienne au noble rang de « petit patrimoine urbain ».

Les décrottoirs du quartier des Chalets à Toulouse, et ce n’est pas un bien vaste quartier, sont encore plus de 150. Certes, parfois il faut deviner, sous le métal rouillé et tordu, que cet objet bien utile a eu son heure de gloire, tout brillant du raclage des dessous de chaussures. Les rues devaient être bien boueuses il y a 80 ou 100 ans, pour que s’impose le besoin de se décrotter avant de pénétrer dans le couloir de sa maison toulousaine.
decrottoir, rue du PrintempsLe décrottoir, ici, est fiché dans le mur, à droite ou à gauche de l’entrée, parfois un de chaque côté, à quelques 15 ou 20 centimètres du sol. On grattait ses chaussures face au mur, alors que dans d’autres villes ce pouvait être fait en parallèle, parfois sur l’instrument planté dans le sol. Dans un premier temps, les décrottoirs paraissent assez divers dans leur forme. En fait, l’observation attentive permet de s’apercevoir que beaucoup ont perdu une partie de leur état d’origine au point de les rendre méconnaissables. Ils ont beaucoup souffert du vandalisme automobile, lorsqu’à l’époque de la reine Voiture ils ont été écrasés sous les roues et les pare-chocs des véhicules envahissant les trottoirs. La remontée du niveau du sol a pu les noyer à demi dans le bitume ou le pavage. La restauration des façades, quand elle n’a pas provoqué l’enlèvement de l’objet gênant, l’a parfois arrosé de crépi.

decrottoir, rue PauihacSi on en détermine l’architecture principale, on peut recomposer le type initial. Trois sont particulièrement fréquents. A défaut de connaître leur dénomination à l’époque de leur scellement, on inventera ici une typologie :
– les décrottoirs « cornes de bélier » : ils sont fixés en trois points, et c’est la « corne », située en dessous qui a pu être arrachée.
– Les décrottoirs « pomme de pin » : plus d’une vingtaine sont encore entièrement visibles.
– Les décrottoirs « farandole » : ils présentent une décoration semblable à une ronde de danseurs, les bras levés. Deux sous types coexistent, l’un rectangulaire, l’autre rond.
Les autres formes sont isolées, moins d’une dizaine sont représentées dans ce quartier.
Ils sont tout en bas, ne cherchent pas à relever la tête, mais leur fierté se dévoile quand ils se sentent reconnus.

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Bruit de fond. Don Delillo

Bruit de fond, Don Delillo, Actes SudLa vie quotidienne est faite de petits bonheurs et de petits soucis. Celle qui est décrite par Delillo dans les années 80 est américaine, concerne une famille habile à faire vivre ensemble des enfants issus de plusieurs couples précédents. Dans cette ambiance très animée les bruits de fond sont nombreux : les images et les voix de la télé, qui peuvent surgir à tout moment, les gestes de la consommation, qui aident bien à pousser aujourd’hui pour arriver à demain.
Mais une autre couche plus profonde de bruit de fond est prête à émerger, de manière plus ou moins insidieuse, ou brusquement en profitant d’une brèche ouverte inopinément. C’est celle qui propose d’autres aspects de la réalité de notre quotidien, celle qui peut même se substituer à la réalité de tous les jours, celle qui nous met en contact avec la vie, et avec la mort.
Avec la vie d’abord, la vie des jeunes enfants, si pleine d’avenir insoupçonné, si prometteuse, qui nous fait ressentir l’animalité qui nous reste encore : « A de tels moments, je sens que je l’aime avec un désespoir animal, j’ai envie de le prendre sous mon manteau, de le serrer sur ma poitrine, et de le garder là pour le protéger ».
Avec la mort aussi, laquelle, selon Delillo peut prendre deux figures : le danger qui s’abat sur soi, sous forme ici d’un nuage toxique auquel on est exposé, et la peur de la mort, sentiment difficile à maîtriser, à faire partager, qui vient davantage d’un bruit de fond personnel que des risques venus d’ailleurs.
Le couple Babette et Jack est un couple « moderne » qui se dit tout. Delillo s’amuse à rapporter ces conversations qui n’en finissent pas de démontrer la vanité de l’ambition de communication. La peur de la mort (Babette) et le sentiment du danger à avoir été exposé (Jack) ne s’avouent pas si facilement. Mais pour autant, tenter d’éviter le face à face avec ses peurs peut être très dangereux : le pseudo médicament qui doit supprimer la peur de mourir conduit à la folie, le sentiment d’être condamné peut conduire au meurtre.
Au final, il reste toujours les enfants, comme Wilder, le plus jeune de la tribu : « Pourquoi je me sens si bien avec Wilder ? Ce n’est pas du tout comme lorsque je suis avec les autres enfants dis-je. –Vous appréciez son ego absolu, sa liberté sans limites. –En quoi sa liberté est-elle sans limites ? –Il ne sait pas encore qu’il va mourir. Il ne sait rien à propos de la mort. C’est cette ignorance puérile que vous chérissez, cet état qui exclut la profonde blessure. Vous avez envie d’être à ses côtés, de le toucher, de le regarder, de respirer son odeur ».
Lire un récit de Delillo, ce n’est pas lire un roman, c’est lire un texte qui vous étonne à chaque page par ses réflexions, digressions, situations cocasses qui parlent si bien de nos sociétés. S’il parle si bien, c’est qu’il est aussi, sans doute, un romancier. Pour ce roman-ci il a obtenu le National Book Award, dans les années 80, et il est toujours temps de le lire.

Bruit de fond
Don Delillo
Actes Sud (Babel) 10,50 €

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Emma la clown et son orchestre

Emma et son orchestreEmma la clown, c’est une naïveté et un étonnement enfantins dont surgit la fantaisie la plus pure. Clown géniale, elle réunit maladresse désarmante et grotesque attachant en un talent comique irrésistible.
Après Le clown sous le divan en 2007, Emma revient cette saison au Théâtre du Rond-Point avec du nouveau dans sa valise : des chansons de son cru accompagnées de son "orchestre", à savoir un pianiste (également compositeur des musiques), un clarinettiste et un batteur – aussi agréables à écouter qu’à regarder.
Elle arrive sur scène affublée comme une girl-scout qui en a trop fait, jupe ringarde et mitée, godillots éventrés, chemise qui aplatit tout. Alternant sketches et chansons, elle convoque les animaux, dont un éléphant évidemment gros et gris, ou un chien qui finit en cornemuse – en fait plutôt l’inverse. Elle interpelle l’assistance (ce soir-là un Jean et une Martine ont dû montrer qu’ils suivaient, de leur siège et de bon gré) avec taquinerie et toujours beaucoup de gentillesse. Elle dit avoir grandi avec Georges Brassens, Jean Ferrat, Léo Ferré, Charles Trenet et Anne Sylvestre. Avec ses textes surréalistes, on la verrait aussi bien l’héritière de Boby Lapointe. Elle pousse son goût du déguisement jusqu’à interpréter une chanson médiévale de son invention en costume "d’époque historique" (quoique un peu revisité), mais finit par se mettre "à nu" sur la scène, ôtant son grimage et ses guenilles, faisant peu à peu apparaître une petite robe de soie rose sur un corps délicat et un joli minois aux yeux espiègles. Applaudissements très nourris… !

Emma la clown et son orchestre
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2bis, avenue Franklin D.Roosevelt – 75 008 Paris
M°Franklin D.Roosevelt ou Champs-Élysées Clemenceau
Jusqu’au 27 février 2010
Du mardi au dimanche à 18 h 30, durée 1 h 15
Places de 10 € à 28 €
Spectacle réservé aux 12 ans et plus

De et avec Meriem Menant
Musiques Mauro Coceano
Mise en scène Kristin Hestad
Piano Mauro Coceano
Clarinettes Michel Aumont
Batterie en alternance Nicolas Courret et Gaël Desbois

Emma la clown et son orchestre seront le 6 avril 2010 au Festival SPRING 2010/ODC de l’Orne
Emma jouera également ses autres spectacles en 2010 :
dieu est-elle une particule ? du 23 mars au 2 avril au Théâtre Romain Rolland de Villejuif, le 8 avril à L’Archipel/Fouesnant, le 10 avril au Palais des Congrès/Loudéac, le 23 avril à l’Espace Soutine/Lèves
Emma la clown sous le divan le 20 avril au Prato/Lille, le 29 avril au Théâtre du Strapontin/Pont Scorff, le 4 mai à L’Aire Libre/St Jacques de la Lande, où on la verrra également dans Emma la clown en Afghanistan du 13 au 16 avril

Le site d’Emma la clown

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La Menzogna. Pippo Delbono

La menzogna, Pippo DelbonoAprès le bouleversant Questo buio feroce donné en 2008 au théâtre du Rond-Point, Pippo Delbono, habitué des lieux, revient avec La Menzogna (Le Mensonge), présenté au Festival d’Avignon en juillet dernier.

Dans ce très grand spectacle, il mêle histoire intime et critique féroce de la société italienne. D’autres peuvent s’y reconnaître.

Le point de départ est l’accident survenu dans l’usine sidérurgique Thyssen Krupp de Turin en décembre 2007, dans lequel ont péri sept ouvriers et qui a donné lieu à une mise en scène de la douleur des familles pour mieux dissimuler le scandale de la tragédie.
Pippo Delbono relate cet événement de sa voix sobre et suave, avant que ne soit projeté un film publicitaire pour la firme en question. La menzogna est en place : d’un côté, la cynique réalité, où l’humain, surtout s’il est pauvre et anonyme, a bien peu de valeur, de l’autre les fables en couleur dont le monde économique, politique et médiatique nous berce, avec les prêtres pour garants.
Quelques minutes plus loin, l’acteur et metteur en scène italien ajoute que son père est mort d’avoir trop travaillé, et demande pardon de n’avoir pas ressenti de douleur à son enterrement.

Se servant de la vidéo, du théâtre, de la danse, de très belles musiques, avec peu de mots mais magnifiquement choisis et dits, avec parfois des cris insupportables, avec des masques et des corps nus, Pippo Delbono déroule son propos d’une façon incroyablement singulière.
Il renvoie sans cesse le spectateur à son propre regard en s’asseyant dans la salle avec lui, ou, depuis la scène, en lui tendant un miroir, en le prenant en photo, en l’éclairant avec une lampe.
Pippo Delbono veut voir et faire voir ; avec sa rage, il montre l’hypocrisie et la manipulation et se dévoile lui-même sans complaisance, au figuré comme au sens propre.

Bobo, Pippo DelbonoMais ce que le spectateur voit aussi, c’est une troupe de comédiens extraordinaire, faite de tout ce que la société désigne comme marginaux, handicapés, clochards, malades du corps et de l’esprit. Pippo Delbonno puise sa force auprès d’eux, il le dit ; c’est criant. Et peu à peu, la douceur et une étrange beauté viennent combattre la douleur de la mort et de la culpabilité, et la violence du mensonge.

La Menzogna (Le Mensonge)
De et avec Pippo Delbono
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt, Paris-8ème
Jusqu’au 6 février 2010
Du mardi au samedi à 20 h 30 et le dimanche à 15 h
Places de 10 € à 33 €

Distribution Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò , Julia Morawietz, Pippo Delbono, Lucia della Ferrera, Ilaria Distante, Claudio Gasparotto, Gustavo Giacosa, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Mr. Puma, Pepe Robledo, Antonella de Sarno, Grazia Spinella

A lire, entre autres : Récits de juin publié chez Actes Sud, et son dernier livre Regards (textes et photographies de Pippo Delbono, Actes Sud)

Photos © Brigitte Enguerand

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Les herbes folles. Alain Resnais

Les herbes folles, Alain ResnaisQuelle chance de trouver quelques salles qui projettent encore Les herbes folles, le dernier film d’Alain Resnais…
Dès les premiers plans au ras du sol, d’abord quelques herbes échappées du bitume, puis des paires de jambes et de souliers colorés qui trottinent fermement, une bouffée de plaisir envahit le spectateur : il sent bien là que le réalisateur va lui montrer du cinéma, du vrai, inventif et beau. A l’arrivée : un Resnais plus aérien que jamais.

La caméra tourne autour du visage de Sabine Azéma dans la Galerie du Palais-Royal, chevelure rouge sur fond de grille à pointes dorées dans un coin de ciel bleu d’hiver : flamboyant juste comme il faut, premier coup de pinceau de notre Resnais à son héroïne Marguerite, rouge et incandescente, désirable et désirante. Un sac jaune comme un soleil s’élance dans les airs, le sac à main de Marguerite, volé comme dans un courant d’air chaud ascendant : si cet incident, le vol de ce sac n’était pas arrivé, nous dit la voix off d’Edouard Baer, faussement ingénue, toute la suite, évidemment… On se rappelle Smoking / No smoking

Car le rouge portefeuille du sac jaune dérobé finit par arriver, quelques kilomètres plus loin, aux pieds de Georges Palet (ce jeu avec les noms, quel régal), joué par André Dussollier, jeune retraité dont le calme apparent ne masque guère une agitation intérieure des plus troubles… et troublantes. Le voici dans le halo de lumière de la lampe en verre vert de son bureau, prêt à appeler Marguerite nuitamment pour la prévenir, déjà obsédé par deux photos d’identité, un nom et un prénom…
Une drôle d’histoire d’amour est en route, très vite démarrée dans la tête de Georges. Les faits, eux, mettent plus de temps à venir. Tout le monde a le droit de se faire des idées lui écrit Marguerite pour clore l’affaire. Croirez-vous qu’elle s’arrête là ? Gardons à l’esprit l’incandescence de Marguerite ; qui plus est, pas du tout du genre à se laisser consumer…

Autour d’eux, Alain Resnais fait vivre des personnages secondaires tout aussi parfaits ; il les aime autant que les premiers. Des flics (Mathieu Almaric et Michel Vuillermoz) nommés Bernard de Bordeaux et Lucien d’Orange que l’on adore. Une Emmanuelle Devos les deux pieds sur terre qui décolle au premier courant d’air frais entré par la fenêtre de sa voiture. Anne Consigny en épouse plan-plan qui s’abandonne elle aussi à la passion de Georges pour Marguerite.
Il y a au sol et dans le ciel un avion façon Saint-Exupéry de très grande importance aussi ; des fleurs autres que Marguerite, jusque dans les lieux ; des herbes folles et une pelouse tondue de près qui ne trompe personne. Sur la route qui sépare Marguerite et Georges, il y a des feux qui passent au rouge, puis au vert, puis au rouge ; et aussi du cinéma, un film de cinéma dans une salle de cinéma, et un baiser de cinéma avec une musique de cinéma. Il y a… mille choses, les mille reflets de la fantaisie d’Alain Resnais (87 ans) : brillante, colorée, follement réjouissante.

Les herbes folles
Un thriller amoureux d’Alain Resnais
Avec Sabine Azéma, André Dussollier, Anne Consigny, Mathieu Almaric, Emmanuelle Devos…
Durée 1 h 44

Les herbes folles est adapté du roman de Christian Gailly L’incident. Il a reçu le Prix exceptionnel du Jury au dernier festival de Cannes et est nominé dans 4 catégorie pour les César 2010, dont le César du meilleur film.

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Abraham, Michel Jonasz : prolongations

Abraham, Michel Jonasz, Gaîté MontparnasseFace à son succès, Abraham, la très belle pièce écrite, mise en scène et interprétée par Michel Jonasz (lire le billet du 13 septembre 2009) est reprise en ce mois de janvier 2010.

Vous pouvez désormais aller la voir ou la revoir les dimanches à 15 h et les lundis à 20 h au théâtre de la Gaîté Montparnasse.

Infos pratiques :
Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26 rue de la Gaîté 75014 Paris
Métro Gaîté ou Edgar Quinet
Réservations au 01 43 20 60 56
Places de 24 € à 42 €

Vous pouvez aussi acheter le livre-CD contenant l’intégralité du texte de la pièce et les musiques tziganes du spectacle sur le site officiel de Michel Jonasz :

http://www.micheljonasz.fr

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Son excellence, monsieur mon ami. Jérôme Garcin

Jérôme Garcin, Son excellence monsieur mon amiFrançois-Régis Bastide. Un nom séduisant, avec un prénom (d’emprunt) à la fois bien planté et un peu en suspens, un patronyme rassurant, mais qui parle à bien peu de monde aujourd’hui.
Aux auditeurs du Masque et la Plume d’avant les années 1980, l’émission de critiques de France-Inter vieille de plus d’un demi-siècle. A ceux qui ont lu, dans le passé, un ouvrage comme les Adieux, prix Femina 1956. Mais les moins de quarante ans sont rares à connaître l’existence même de ce personnage disparu en 1996.

Jérôme Garcin, actuel animateur du Masque et la Plume a entretenu avec cet admirateur et sosie de Cocteau une longue amitié faite de complémentarité bien plus que de gémellité. Il dévoile dans ce livre les multiples facettes de cette figure oubliée, en se livrant à un art dans lequel il excelle : l’art du portrait.
La balade auprès de l’ancien diplomate de François Mitterrand est d’autant plus convaincante qu’elle se méfie de l’hagiographie. François-Régis Bastide, natif de Biarritz, éducation catholique bourgeoise, fou de musique et de culture germanique, se serait rêvé compositeur, de préférence auréolé de gloire. Il a fait éditeur, journaliste dans les arts, ambassadeur élégant, partisan socialiste fidèle, écrivain dilettante.
Adorateur des femmes, il a passé sa vie à les séduire avant de rencontrer l’amour durable, mais c’est sans doute aux hommes qu’il regrette de n’avoir plu assez ; pour commencer, à lui-même.
Alors cet intello-chic de la Rive gauche, qui, comme tous ceux qui se sont figés dans leur style, a fini par être démodé, a trouvé un refuge heureux dans le Var, au milieu des cyprès et des oliviers, prenant les heures aux choses de l’esprit pour les consacrer à la taille, à l’arrosage et au bon temps.
Vie tout en contrastes, émouvante, celle d’un homme qui a cherché sa place dans son monde et son époque, vie presque ordinaire, avec ses zigs-zags, ses désirs et ses frustrations.
En décrivant François-Régis Bastide, en se souvenant de leur profond attachement, Jérôme Garcin dessine aussi en creux une sorte d’auto-portrait, d’une plume fine et douce, fidèle à l’ami autant qu’à lui-même, et empreinte d’une mélancolie bien dans sa veine, que l’on retrouve avec toujours autant de plaisir.

Son excellence, monsieur mon ami
Jérôme Garcin
Gallimard, 16 € (2008) – En folio, 230 p., 6,10 € (2009)

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Monumenta 2010 – Christian Boltanski, Personnes

Monumenta 2010, Boltanski, personnes
Monumenta, le cycle d’installations temporaires dans la Nef du Grand Palais à Paris, patronné par le Ministère de la Culture et la Réunion des Musées nationaux fait dans le rare, et dans l’extra-ordinaire. Trois expositions seulement en quatre ans, et d’une durée de quelques semaines seulement, à chaque fois époustouflantes.

On avait adoré Chute d’étoiles d’Anselm Kiefer en 2007, on est encore pris de vertige en pensant aux grandes stèles de la Promenade de Richard Serra en 2008.
Avec Personnes de Christian Boltanski, visible depuis mercredi et jusqu’au 21 février, on vit à nouveau une expérience unique, peut-être la plus bouleversante jamais ressentie face à une installation d’art contemporain.

Selon le principe de déambulation adopté par les artistes lorsque les volumes monumentaux de la verrière du Grand-Palais leurs sont livrés, Boltanski laisse ses visiteurs circuler librement au milieu de son œuvre. Le dispositif est aussi simple qu’efficace. Passé le "mur" de boîtes rouillées numérotées à l’entrée (qui annonce bien "l’ambiance" de ce qui suit), l’installation se dévoile d’un coup, comme par surprise.
Et c’est alors une vision de choc.

Sur le sol s’étalent sans fin des vêtements répartis dans soixante-neuf carrés, chacun surplombé d’un néon et délimités par des "piquets" rouillés, sans doute des morceaux de chemins de fer. Chacun peut y voir ce qu’il veut, mais il a peu de chance de penser à quelque chose de gai. Ce samedi matin, dans la lumière blafarde et le froid de la grande nef, on pouvait tout simplement voir ce qu’on croit être un champ de bataille lorsque les feux se sont tus, une terre jonchée de cadavres à perte de vue. Puis en regardant les petits mats de fers et les petits carrés qui se succèdent, c’est à un cimetière que l’on pense.

La vue n’est pas la seule en jeu, puisqu’une musique très particulière nous accompagne depuis qu’on a passé le "mur" : des battements de coeur, très forts. Au delà d’une expérience sonore, la vibration physique se ressent dans le corps, rejoignant notre propre pulsation.

Dans ce chant des morts, à côté de ce champs de morts, à la fois sorte de monument aux morts anonymes – ou anti-monument, comme on voudra – une gigantesque pince, au dessus d’une pyramide de vêtements, attrape une poignée de ces vestiges, avant de les relâcher de sa hauteur : ils retombent dans un souffle, avant que d’autres, au hasard, ne soient à nouveau saisis. "Et c’est la mort, la mort toujours recommencée", les paroles de l’une des plus belles chansons de Brassens viennent en tête, d’on ne sait où…Mourir pour des idées peut-être.

Monumenta 2010 – Christian Boltanski
« Personnes »
Du 13 janvier au 21 février 2010
Nef du Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Tous les jours sauf le mardi
De 10h à 19h le lun. et le mer., de 10h à 22h du jeu. au dim.
Entrée : 4 €

Photo Didier Plowy – tous droits réservés Monumenta/ministère de la Culture et de la Communication

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Coup de griff'. Comédie Bastille

Coup de griff à la Comédie BastilleLe spectacle fait rire, indéniablement, mais une fois le rideau tombé, on se trouve un peu glacé.
C’est la thèse de la pièce qui donne à réfléchir. Voici un homme en plein divorce, donc gentiment énervé, qui voit débarquer sur son pallier un représentant de la grande firme Griff‘ prêt à lui vendre une assurance, un ascenseur, voire deux bières fraîches livrées dans les deux minutes. A ce stade, notre homme est juste un peu plus agacé. Mais quand le super VRP tous produits lui propose d’acquérir une femme sur catalogue, il se fout carrément en rogne, révolté comme on l’est dans la salle…
Sur le ton de l’humour, de la redoutable toile que les entreprises tissent autour du client potentiel afin de mieux connaître son profil et lui proposer des offres auxquelles il sera certainement prêt à succomber, Coup de griff‘ nous en dit long. Sur l’approche utilitariste, mercantile de l’homme (enfin, ici, de la femme…), la pièce met aussi une belle couche. L’humain vu comme un investissement comme les autres, cela s’est vu, cela se voit encore. Mais pousser la logique de la rentabilité jusque dans les rapports amoureux, cela choque évidemment ici et aujourd’hui. La victime de cette société de consommation poussée à son extrême franchira-t-elle ce pas ?
Il faut aller voir Coup de griff‘ pour le savoir, et surtout passer une soirée à rire malgré soi, en compagnie de Momoko, Christian Lucas et surtout Dominique Bastien, à qui le rôle de VRP infatigable va comme un gant, pour le plus grand bonheur du public.

Coup de Griff
De Momoko et Bernard Fructus
Avec Momoko, Dominique Bastien et Christian Lucas
Jusqu’au 24 janvier 2010
Du mar. au sam. à 19 h 30, le dim. à 17 h 30
Comédie Bastille
5 rue Nicolas Appert – Paris 11°
M° Richard Lenoir
Réservations au 01 48 07 52 07
Places 24 € (10 € pour les moins de 26 ans du mardi au vendredi)

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